jeudi 24 décembre 2015

Cinéma : La Tunisie rebelle et joyeuse d'"A peine j'ouvre les yeux"

baya medhaffar, bouzid, shellac
Portrait d'une génération en quête de liberté dans "A peine j'ouvre les yeux", film de Leyla Bouzid sur la Tunisie d'avant la révolution de 2011.
Farah (Baya Medhaffar) n'a pas 18 ans. Elle vient de passer son bac et cette brillante élève l'obtient avec la mention très bien. Cela fait la joie de sa mère Hayet (Ghalia Benali) qui la verrait bien en médecin dans quelques années. Mais Farah a d'autres projets. Son groupe de musique compte plus que ce diplôme. Elle interprète les compositions de Borhène (Montassar Ayari) et va pour la première fois chanter en public.

En quelques plans, Leyla Bouzid, la scénariste et réalisatrice du film "À peine j'ouvre les yeux" décrit le dilemme de Farah, jeune fille déterminée, avide de découverte, d'amour et de liberté. Ce pourrait être simple si l'on n'était pas en 2010, sous le règne de Ben Ali, président tout puissant d'une Tunisie laïque mais étouffée par la censure et la corruption. Ce film autant politique que musical permet de comprendre pourquoi la jeunesse de ce pays a fini par se révolter. Farah, belle et libre, vit sa vie de femme sans contrainte. Elle flirte avec Borhène qui la transcende en muse. Leur complicité, sur scène et à la vie, est belle à voir. Mais ce n'est pas sans heurts ni difficultés.
Des "rêves délavés"
Les textes de Borhène sont engagés. Il se lamente pour son pays : "À peine j'ouvre les yeux, je vois des gens éteints, coincés dans la sueur, leurs larmes sont salées, leur sang est volé et leurs rêves délavés". Des chansons sans conséquence tant qu'elles ne quittent pas le garage où ils répètent, mais dès qu'elles sont interprétées en public, dans un de ces bars de nuit qui attire la jeunesse désœuvrée, les ennuis commencent. Dès le lendemain, Hayet reçoit un message d'avertissement sur son téléphone portable.
Et rapidement la situation se dégrade. Les jeunes musiciens voient les portes se fermer devant leurs tentatives d'organiser des concerts. Jusqu'à ce que Borhène soit interpellé et passé à tabac. La description de cette paranoïa permanente dans une Tunisie espionnée, observée et bridée fait froid dans le dos. Farah, accepte de se mettre en retrait à la demande de sa mère. Mais la tentation est trop forte. Elle retourne dans le groupe, chante des textes de plus en plus engagés. La police va l'enlever. Des forces de l'ordre qui ont tous les droits dans cette dictature qui ne dit pas encore son nom.
On ressort du film la tête pleine de sons et de chansons prenantes. Composées par Khyam Allami et réellement interprétées par la jeune et talentueuse Baya Medhaffar, elles sont l'arme de destruction massive de cette génération en pleine rébellion, avant de faire la révolution. Une année plus tard, l'Histoire bascule. Ce n'est pas dans le film, mais tout le monde sait que le printemps arabe a pris sa source dans ces mouvements lancés par des jeunes qui ont risqué leur vie pour quelques vers de poésie et l'envie de vivre pleinement, loin des carcans, des privations et des brimades. 
Ce film est une ode à la liberté, la jeunesse et la musique.

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