lundi 16 juin 2014

Livre : Échapper aux griffes de l'Autre

Sous la coupe d'un pervers narcissique, l'héroïne du roman de Sylvie Le Bihan profite des événements pour se libérer.

sylvie le Bihan, l'autre, seuil, 11 septembre, perversUn homme, une femme. Dans couple, il y a « coup ». L'amour, trop souvent, se transforme en haine. Le roman de Sylvie Le Bihan a pour ambition de faire comprendre au lecteur comment une idylle devient un cauchemar. La force de ce texte, c'est de replacer cette histoire banale au centre d'événements extraordinaires. Comme pour prouver que tout malheur peut virer au bonheur dans certains cas particuliers.
En ce mois de septembre 2011, Emma va devoir revivre la journée particulière du 11 septembre 2001. Dix ans que les tours se sont effondrées sous les attaques des terroristes. Dix ans que des milliers d'innocents ont trouvé la mort en étant au mauvais endroit au mauvais moment. La narratrice explique sa panique quand elle reçoit cette invitation à une journée de commémoration. Ce médecin français est invitée personnellement par la présidence des USA. Mais avant de comprendre pourquoi, Emma raconte au cours de longs retours en arrière sa vie insouciante d'avant.
Étudiante en médecine à Strasbourg, elle profite pleinement de la vie. Belle, libre, brillante. Pour décompresser elle accumule les conquêtes masculines. Sans lendemain. Elle y trouve même un certain plaisir. « Tu aimes bien faire mal, un peu, beaucoup, passionnément, juste ce qu'il faut pour donner du relief à des histoires de cul insipides. Pour exister. » Dans le cadre de sa formation et de sa spécialisation en gynécologie, elle part six mois dans une clinique londonienne. Cantonnée au service gériatrie, elle améliore son anglais, pas ses connaissances médicales.

Engrenage mortel
Le soir, avec des collègues, elle va de pub en pub. Un soir, elle tombe sur l'Autre, cet homme qu'elle ne nomme jamais et qui va vampiriser sa vie. Un trader, français comme elle, venu à la City pour faire le plus de bénéfices possibles. Il est distingué, presque vieux jeu. Une cour discrète. Prévenant. Elle se met à rêver à l'homme parfait. S'en persuade. Fait tout pour le garder, le posséder, le montrer à ses amis strasbourgeois, sa famille. Pour se défaire de l'étiquette de femme inconstante et futile.
Habituée à se comporter de façon parfois odieuse avec les hommes, elle n'a pas vu immédiatement qu'il était sa copie parfaite. Mais lui, pervers narcissique assoiffé de domination, fait dans le long terme.
Quand elle accepte de l'épouser, de se lier à lui, elle a bien un doute, mais la volonté de briller est plus forte. « Au fond de toi tu savais que l'Autre ne ferait jamais l'unanimité, mais tu étais déterminée à aller jusqu'au bout, pour prouver à ceux qui t'avaient déjà jugée que tu ne t'étais pas trompée et que cette fois-ci ça allait durer. Ton orgueil, un engrenage qui a failli te tuer. Tu as mis bas les armes, tu as cédé et maintenant tu sais que c'est à ce moment que tout à basculé. » De plus en plus sous la coupe de l'Autre, Emma est comme un jouet dont il dispose dans l'intimité. En public, il brille, semble parfait. Dès la porte de la chambre refermée, il la rabaisse, l'humilie. En aout 2001, ils prennent des vacances. Lui va jouer au golf près de New York avant de prendre son poste, pour quelques semaines dans les bureaux de sa banque au sommet du World Trade Center. Elle passe le temps en le trompant.
Dix années plus tard, Emma panique à quelques mètres du couple Obama. Que s'est-il passé en ce jour maudit dans l'histoire des USA ? C'est tout le propos de ce roman dur et sombre, qui s'achève pourtant en libération. Libération qu'il faut souhaiter à toutes les femmes tombées dans les griffes d'un Autre pervers narcissique.

« L'autre », Sylvie Le Bihan, Seuil, 16 €

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