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samedi 9 mai 2015

Livre - Jane Bowles, la romancière qui a trop vécu

Jane Bowles a toujours mordu la vie à pleines dents. Surtout connue pour avoir été la femme de Paul Bowles, c'était une romancière exigeante et novatrice.

Il est souvent impossible de séparer l'œuvre de la vie d'un créateur. Les deux sont intimement reliés, indissociables. C'est particulièrement flagrant dans le cas de Jane Bowles, romancière américaine dont Félicie Dubois vient d'écrire une biographie subjective mais passionnante. Cette femme de lettre française, auteur de plusieurs romans et d'un portrait de Tennessee Williams, ne cache pas son admiration sans borne pour Jane Bowles. En proposant au lecteur « Une histoire de Jane Bowles », elle veut raconter la vie palpitante de cette femme excessive, mais surtout faire prendre conscience à tout le monde qu'elle était une extraordinaire romancière, malheureusement incomprise de son vivant. 
Le livre débute par la description du retour de Jane et de sa mère aux USA après deux années passées en Suisse. Jane, victime d'une chute de cheval, a perdu l'usage d'un genou. Jeune et intrépide, la voilà handicapée à vie, obligée de marcher avec une jambe raide. Sur le pont du paquebot, elle rencontre un homme étrange. Il lui explique qu'il va rejoindre sa muse de l'autre côté de l'océan. Jane Auer (elle ne deviendra Bowles qu'après son mariage avec Paul) a l'occasion de discuter avec son écrivain favori, le déjà scandaleux Céline. Nous sommes en 1934, Jane n'a pas 20 ans mais sait déjà qu'elle sera écrivain.

Étrange mariage
Elle vit avec sa mère (son père est mort depuis longtemps) dans des hôtels plus ou moins luxueux en fonction des revenus de la famille. A New York, la jeune Jane découvre le monde de la nuit. Elle aime faire la fête, boit beaucoup et multiplie les conquêtes. Féminines. Sa mère, de son côté, désespère de la marier.
Au cours de ses sorties, elle croise Paul Bowles, un jeune homme tout aussi fantasque qu'elle. Ce musicien de 26 ans « est un joli garçon blond aux yeux bleus, d'allure diaphane, élégant et distant ». Ils s'apprécient. Sur un coup de tête, ils partent pour le Mexique durant quelques jours. Une première virée qui en appelle d'autres. Finalement, c'est la mère de Jane qui pousse au mariage. Mais il y a un problème de taille : « Jane préfère les femmes, Paul aime les hommes. » Mais qu'importe ? « Jane est tout à fait prête à s'unir à un homme qui ne la désire pas, un moindre mal pour une jeune femme qui ne veut pas devenir mère. » « Lui est fier d'arborer à son bras cette jolie brunette espiègle et spirituelle qui fait fureur dans les soirées à la mode. » Une étonnante histoire d'amour qui durera jusqu'à la mort de Jane.
Le couple a la belle vie. Jane a de l'argent, Paul en gagne beaucoup en composant des musiques. Ils voyagent souvent et décident de s'installer à Tanger, dans cette ville cosmopolite qui fait tant rêver les intellectuels de l'époque. Jane a publié un roman, sans succès, et plusieurs nouvelles. Elle a également rédigé une pièce de théâtre. Mais lentement. Perfectionniste, elle écrit péniblement deux à trois phrases par jour. Il est vrai aussi que l'alcool commence à la diminuer de plus en plus physiquement.
Félicie Dubois raconte la fin, peu glorieuse de Jane, devenue presque folle, enfermée dans une institution religieuse en Espagne. Une fin logique, Jane Bowles semble avoir vécu 1000 vies durant ses 40 premières années. Une soif de découvertes, d'excès, d'amour et de passion qui a un peu alimenté son œuvre, mais qui l'a surtout épuisée et précipitée vers la folie.
En refermant ce livre, on n'a qu'une envie, lire le roman « Deux dames sérieuses » et les nouvelles de Jane Bowles publiés chez 10/18 en France. 

« Une histoire de Jane Bowles », Félicie Dubois, Seuil, 16 €

jeudi 20 février 2014

Cinéma - Le Romantisme rouge sang de Jim Jarmush

Pour Jim Jarmush, réaliser Only lovers left alive, film de vampires hors normes, est surtout l'occasion de filmer romantisme, beauté, musique et littérature.


Une bande-son à se damner, deux acteurs irréprochables, des décors chargés d’un vécu poignant, des vampires et des guitares électriques : Only lovers left alive de Jim Jarmush est le genre de film qui accumule les qualités quand d’autres en manquent cruellement. Entre rêverie romantique et réflexion philosophique sur le devenir de l’Humanité, l’histoire d’Adam et Eve est des plus vénéneuses. Adam, rocker reclus, vit dans une vieille maison en ruine dans un de ces quartiers désertés de Detroit. Eve, confortablement installée au milieu d’une constellation de coussins attend que le jour décline pour déambuler dans les ruelles de Tanger.
Le début du film montre leur réveil, à des milliers de kilomètres de distance l’un de l’autre, la caméra prise de tournis, comme un vieux vinyl sur un électrophone. Adam (Tom Hiddleston) et Eve (Tilda Swinton) tournent en rond. Sans fin. Une fois la nuit tombée, ils sortent. Adam, déguisé en toubib, se rend dans un hôpital. Eve, voilée, marche avec assurance dans cette ville marocaine aux mille sollicitations. Elle et lui sont à la recherche de la même chose : du sang frais.
Vampire et suicidaire
Vampires, ils sont quasi immortels mais doivent se méfier. Terminé le temps où il suffisait de traîner dans certains lieux interlopes pour trouver une âme perdue qui étanchait leur soif. Les maladies, notamment celles du sang, compliquent leur tâche. Adam négocie directement avec un laborantin véreux qui lui revend du sang contrôlé destiné aux transfusions. Dans un petit café fréquenté seulement par des hommes qui jouent aux dominos, Eve a un bon ami ; il lui cède une partie de son approvisionnement en provenance du stock « d’un bon docteur français ».

Eve et Adam ont été mariés. Trois fois, dont la dernière au XIXe siècle. Leur discrétion leur permet de survivre dans un monde implacable. Si le personnage interprété par Tilda Swinton éprouve encore du désir et de la curiosité, celui de Tom Hiddleston est en pleine dépression. Passionné de musique, il compose mais ne veut plus que ses œuvres soient diffusées. Les Humains (les Zombies comme il les appelle dédaigneusement) l’horripilent. Ils massacrent leur planète alors qu’il serait si simple de la préserver. Conséquence, le vampire immortel cherche un moyen efficace pour se suicider... Eve, consciente du danger, quitte l’Afrique pour Detroit. Réunis, les amants errent dans les ruines de la ville industrielle avant d’être rejoints par Ava, la sœur d’Eve, vampire elle aussi, mais jeune et extravertie. Le début des vrais ennuis car « ce n’est jamais simple la famille ».
Loin de ne s’adresser qu’aux amateurs de films de genre, Jim Jarmush truffe son œuvre de références culturelles, de Byron à Shakespeare en passant par Jack White (des White Stripes) ou le mystérieux et sulfureux Christopher Marlowe (John Hurt). Le tout avec une bande-son de toute beauté, envoûtante. On retrouve Sqürl, le groupe de Jarmush mais aussi des compositions du musicien néerlandais Jozef Van Wissem ou de la Libanaise Yasmine Hamdan. Enchantement des yeux, bonheur des oreilles et parfait excitant des méninges, le dernier film de Jim Jarmush a tout du chef-d’œuvre qui vous prend aux tripes.
Michel Litout
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Deux décors, deux mondes

Cinéaste américain, Jim Jarmush a financé son dernier film avec des capitaux allemands. Si de nombreuses scènes en intérieur sont tournées à Cologne, il a planté le décor de son histoire de vampires romantiques dans deux villes radicalement différentes. D’un côté Detroit et ses immenses friches industrielles, désert de briques et de béton envahi d’herbes folles, à la splendeur passée. De l’autre Tanger, la vieille ville africaine aux ruelles tortueuses et pentues, comme dans un labyrinthe vieux de plusieurs siècles. Là, la vie grouille, on est abordé à chaque encoignure et les bars sont ouverts sur l’extérieur. C’est d’ailleurs de la rue qu’Adam entend pour la première fois Yasmine (photo) en concert dans un minuscule boui-boui.
Ce grand écart entre les décors conforte la double poésie du film. Toujours montrés de nuit, les anciens théâtres ou usines de Detroit abritent dans leur silence et leur solitude les errances des deux vampires pleurant une civilisation morte. À l’inverse, la vie exubérante de Tanger, son romantisme intact depuis des siècles, leur apportent cette petite étincelle de vie. La nuit y est belle et pleine d’espoirs.