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dimanche 25 avril 2010

Roman - Une grande leçon de littérature

Dans son dernier roman, Philippe Djian profite du métier de son héros, professeur d'université, pour donner une magistrale leçon de littérature.


Marc, la cinquantaine, est professeur de littérature dans une université de province. Il a tenté, un temps, d'être écrivain. Mais il a finalement compris qu'il faisait fausse route. Il enseigne donc à des étudiants souvent sans talent comment faire résonner une phrase, lui donner du mouvement. Un emploi presque alimentaire qui lui permet en plus de garnir son lit. Marc, en plus d'une grande connaissance de la littérature, a un charme fou qui fait fondre ses étudiantes. Au début du roman, il est au volant de sa Fiat 500. Il fonce sur la route de montagne pour rejoindre sa maison. A ses côtés, Barbara. Une de ses étudiantes. Une des plus douées. Le lendemain matin, en se réveillant, il ne retrouve pas une jeune femme enjouée et heureuse mais un cadavre déjà froid. Que s'est-il passé. Alcool aidant, il ne se souvient de rien. Mais il en sait suffisamment de la vie pour savoir qu'il vaut mieux se débarrasser du cadavre au lieu de prévenir les gendarmes...

Le lecteur d'« Incidences » apprend donc assez rapidement que Marc n'est pas moral. Il jette le corps de Barbara dans un gouffre dont il est seul à connaître la bouche. Et tente de reprendre le cours de sa vie, comme si de rien n'était. Entre ses étudiants, sa sœur qui habite la même maison, et le directeur de l'université.

Entendre sa voix

Il assure ses cours, et c'est là que Philippe Djian se permet de glisser quelques sentences définitives sur l'art d'être écrivain. « Devenir un bon écrivain avant trente ans, voilà bien de la pure fiction à de rares exceptions près, trente ans c'est le minimum du minimum expliquait-il d'emblée à ses étudiants, est-ce que vous croyez qu'on apprend à jouer avec des mots en un jour, ou en cent, que la grâce va vous tomber instantanément du ciel, écoutez-moi, je vais être franc avec vous, comptes vingt ans, comptez vingt ans avant de commencer à entendre votre propre voix, de quelque manière que vous vous y preniez. » Et de remarquer, quelques pages plus loin, toujours dans la bouche de Marc, « N'importe quel crétin est capable de raconter une histoire. La seule affaire et une affaire de rythme, de couleur de sonorité. »

Le roman, de très léger, va prendre de l'épaisseur, du volume, avec l'arrivée de Myriam, la belle-mère de Barbara. Entre elle et Marc, c'est une folle histoire d'amour qui va exploser. Mais Marc ne partagera pas ses secrets avec Myriam. « Un homme pouvait bien avoir quelques vices, estimait-il, et sans avoir à en rougir. Les épreuves que l'on traversait au cours d'une vie valaient bien ça. » Ce roman de Philippe Djian, comme souvent avec cet auteur foisonnant, entraîne le lecteur vers un monde au bord de la rupture. C'est complètement « borderline » et cela n'en a que plus de force.

« Incidences » de Philippe Djian, Gallimard, 17,90 € 

mercredi 4 février 2009

Littérature française - Romancier blessé dans "Impardonnables" de Philippe Djian

Un jour, on dit non. C'est notre dernier mot. On ne pardonne plus. Philippe Djian, dans « Impardonnables », décortique ce moment où tout bascule.


La vie de Francis pourrait être idéale. Écrivain ayant rencontré un beau succès, il est à l'abri du besoin. Vivant dans une grande villa au Pays Basque, il vient d'avoir 60 ans, se ménage physiquement, vit avec sa femme, Judith, beaucoup plus jeune que lui. Sa fille, Alice, est une actrice renommée, presque une star, une people, assurément. Mais Francis comprend, ce matin-là, que rien ne sera plus comme avant. A l'aéroport, il se doute qu'Alice ne sera pas dans l'avion en compagnie de son mari et de ses deux fillettes. Alice a disparu. Francis vit cet événement hors normes dans une angoisse absolue car si actuellement la vie de l'écrivain est calme et posée, ce ne fut pas le toujours le cas. Il y a un peu plus d'une dizaine d'années, il a vu sa femme et sa fille aînée brûler dans sa voiture. Il tenait Alice, adolescente, dans ses bras.

Francis va tout mettre en œuvre pour retrouver Alice. Fugue ou enlèvement, les policiers piétinent. Le père va engager un détective privé pour enquêter. Une détective, une amie d'école, la meilleur dans la région. Francis va se rapprocher de cette femme solitaire qui, elle aussi, a des problèmes avec sa progéniture. Son fils vient de sortir de prison, après quelques années derrière les barreaux pour un braquage ayant mal tourné.

Puzzle de personnages

Ce roman de Philippe Djian est comme un puzzle dont on découvre sans cesse de nouveaux morceaux, sans connaître l'image finale. Les morceaux ce sont les personnages qui vont se multiplier, se croiser, avoir des relations les uns avec les autres. Avec cependant Francis en figure centrale, narrateur et acteur de cette histoire remuant un passé sombre et nauséeux. Il est spectateur de la déconfiture de son couple. « Dix ans de mariage nous laissaient sonnés, elle et moi. Singulièrement groggy. Incapables d'expliquer clairement ce qui nous arrivait. Comme anesthésiés. Nous ne parvenions pas à le formuler mais ne faisions pas semblant de l'ignorer. » Il va se rapprocher de Jérémie, le fils de la détective. L'aider dans sa réinsertion, lui trouver un petit boulot : suivre discrètement Judith qu'il soupçonne d'adultère. Ce petit jeu d'espionnage va se révéler dangereux et dévastateur.

L'autre intérêt de ce roman réside dans les digressions du narrateur sur son statut de romancier à succès. Philippe Djian semble y avoir mis un peu de son ressenti, notamment quand il écrit : « Il n'était pas facile d'expliquer comment l'on pouvait passer trente années devant une feuille blanche et encore moins que le moteur de cette folie était le style – ce gouffre, cette prison, cette tanière d'où l'on parlait de l'absolue nécessité d'une phrase, de sa beauté, de sa vibration secrète, sans ciller. » L'auteur a prouvé qu'il faisait partie de ces esthètes du paragraphe, ce roman en est le dernier exemple en date.

« Impardonnables » de Philippe Djian, Gallimard, 17,50 €