mardi 1 juillet 2014

Livre : Du manque à la mort

Classé dans la catégorie « roman noir », ce premier livre d'Eric Maravélias mérite plutôt le qualificatif de « roman noir de chez noir, très macabre »...

série noire, maravélias, faux soyeuse, drogue, junkie, sidaBienvenue dans l'enfer des drogués en fin de vie. En 250 pages vous pourrez ressentir le manque, la folie, l'abandon, la fatigue et le désespoir des camés en bout de course. Mieux vaut avoir l'estomac bien accroché car cet univers n'est pas toujours joli. Pour vous donner une idée, remémorez-vous la scène des toilettes dans « Trainspotting » et multipliez ça par 1000. Vous êtes toujours partant ? OK, premier shoot.
Le narrateur, junky, atteint du sida, vit dans un squat au milieu de détritus et de rats. Son seul plaisir, se réveiller et voir par la fenêtre un grand arbre. Cela ne dure pas longtemps. Il faut vite trouver de la drogue. De l'héroïne, la plus forte possible. Arrivé à un certain niveau d'intoxication on doit redoubler les doses pour partir. Un peu... Alors on le suit dans cette banlieue infecte, peuplée de camés, de dealers et de caïds. On paie cash. Et pour avoir un peu de liquide, quand on est un homme, pas d'autre solution que de voler aux plus faibles : personnes âgées, femmes seules. Une fois la dose en poche, même plus la patience de retourner se shooter sur son matelas crasseux. C'est direct dans le terrain vague derrière la barre HLM.
Ça c'est le quotidien. Mais avant cette grande déchéance, le héros a été un petit Français comme tous les autres. Le roman d'Eric Maravélias se partage en sombre description d'une ultime journée de galère et la tombée en déchéance d'un jeune con. Car il faut être un peu con pour toucher à la dope. Surtout qu'à l'époque, les années 70, elle n'avait pas encore déferlé sur les cités. Il y a donc le côté un peu bucolique de la jeunesse du héros et la face sombre, cette folie du présent.

« Mourir dans l'instant »
Exemple avec cette saisissante description du manque : « Le manque est quelque chose de si particulier. Il provoque un profond sentiment de désastre, de désespérance et d'angoisse. De façon rapide, en l'espace de quelques heures, vous tombez dans une dépression sans égale, sans comparaison. Ce que vous êtes, tout ce qui vous entoure, les choses comme les gens, se transforment en monstres aberrants, effrayants. Vous aimeriez mourir dans l'instant, mais cela n'est pas possible, bien entendu, et vous vous demandez ce qui vous retient encore de vous laisser tomber sur le sol pour tenter de vous y enfoncer, d'échapper à ce qui vous hante et ne vous laisse aucun répit. » Voilà le genre de prose que l'auteur vous balance, comme un uppercut qui vous électrifie sur place. C'est cash, dur, éblouissant. Oui, on peut faire du beau avec les pires saloperies.
Pas convaincu ? 2e shoot ! « Une fois devant le miroir des toilettes, j'ai levé les yeux sur mon image. Longtemps je me suis observé. Le front large sur des yeux bruns et vides. Un nez cassé et tordu. Des lèvres pleines et sensuelles mais froissées en un rictus constant de dédain, au pli souvent féroce. Je me voyais là comme un autre. Un inconnu habité de misère et de fureur. J'aurais aimé que le monde m'engloutisse une bonne fois pour toute. » Vous ne serez pas étonné si, sans dévoiler la fin, je vous apprend que ce roman finit mal.
Michel Litout

« La faux soyeuse », Eric Maravélias, Gallimard Série Noire, 16,50 €

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