Emmanuelle Cosso-Merad touche nos cordes les plus sensibles sur les doutes et les souffrances d'un peintre jamais satisfait.
Depuis qu'elle sait tenir un crayon et un pinceau, la petite Emma dessine, peint, croque tout ce qui tombe sous les yeux. A l'adolescence, elle prend des cours de dessin et de peinture avec Pedro qui ne lui ménage pas ses encouragements et avec lequel se noue une amitié indéfectible. « Du point de vue de Pedro, le résultat était admirable. Emma a regardé son professeur avec reconnaissance et l'avenir avec espoir. Qui aurait pu lui faire croire qu'avec cet exercice, Pedro venait de signer son arrêt de mort ? » Malgré tout et son jeune âge, elle doute, se remet sans cesse en question et reçoit le coup de grâce quand elle apprend qu'elle a raté le concours des Beaux-Arts. Pour elle, c'est tout ou rien. Au point qu'arrivée à l'âge adulte, elle range oeuvres et pinceaux dans le grenier de la maison familiale et trouve un travail de graphiste dans une agence de pub. Métier dans lequel elle excelle, certes, mais qui lui laisse toujours un petit goût amer au fond de son coeur, elle qui voulait vivre pour et par la peinture. Elle tire cependant des satisfactions dans son nouveau job. « A l'Agence, pour la première fois, quelqu'un flattait Emma sans retenue (NDLR Alice, la patronne) pour la première fois, elle était payée pour ses créations, pour la première fois, elle répondait parfaitement aux critères. Personne ne lui disait qu'elle était hors sujet. Personne ne lui disait qu'elle pouvait mieux faire et certainement pas qu'elle était prétentieuse ».
Grand virage sur route
Un jour, elle part visiter un chantier de rénovation de route avec la commerciale de la boîte. Et c'est là, sur le bitume, qu'elle rencontre Yvan, génial dans son domaine et foisonnant d'idées. Il invite Emma à dîner et au fur et à mesure de leurs rencontres, elle n'ignore plus rien des différents revêtements des chaussées. Il font l'amour pour la première fois sur l'asphalte d'un chantier et ne perdront jamais cette habitude, peu romantique à première vue. Mais les étoiles sont si belles quand on est étendu, repu, sur une petite route de campagne... L'amour est tellement bien ancré qu'ils décident de vivre ensemble et de faire très vite des bébés. Quelques années de pur bonheur familial passent mais dans un petit coin de son cerveau, Emma continue à ressentir le besoin impérieux de peintre. Elle finit par ressortir couleurs et pinceaux, en souffrant pour autant de ce que les écrivains appellent la panne de la page blanche. « Moment blanc. Dans sa tête, il y avait une foule d'idées, c'est-à-dire qu'il n'y en avait pas ».
Elle persévère, encore et toujours, se met aux pinceaux dès que les enfants sont couchés et chine dans les brocantes pour acheter des toiles pas chères sur lesquelles elle retravaille.
Yvan, grâce à son génie, prend très vite du galon et part de plus en plus souvent en mission pour présenter ses idées révolutionnaires en matière de revêtement de routes. Un jour, dans une de ses chères brocantes, elle tombe sous le charme d'un tableau qui représente une femme en rouge. Et là, coup en plein cœur, son mari, pensant qu'il était d'elle, lui déclare que c'est la meilleure oeuvre qu'elle aie produite. Commence la grande descente aux enfers, doute, remise en question et surtout désespoir par lequel elle se laisse submerger.
Les petites parenthèses de l'auteur
Le livre est émaillé de commentaires et de citations tellement profondes et qui sonnent si vrai qu'on ne peut s'empêcher de penser qu'Emmanuelle Cosso-Merad, y a livré une grande partie de ses souffrances. « Si on est heureux, il n'y a aucune raison de s'infliger cette souffrance qu'est la peinture ». La vraie citation de Charles Juliet porte sur l'écriture... ce qui revient au même puisque tout travail artistique passe par d'immenses interrogations.
Je ne vous raconterai pas le reste du roman mais personnellement, ce livre m'a atteint au fond des tripes et je n'ai pas honte d'avouer que la fin m'a fait pleurer. La grande prouesse d'Emmanuelle Cosso-Merad a été de réussir un livre criant de vérité, de chaleur humaine, triste et drôle à la fois. Assorti d'une plume excellente. Un vrai petit bijou, qu'on finit avec regret. On en aurait bien dégusté un peu plus...
« Mon avion, mon roman, mon amour », Emmanuelle Cosso-Merad, Flammarion, 17 euros.
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