vendredi 29 juillet 2022

Récit - Solitude abrupte

Un dernier regard et puis plus rien. Dans la voiture de location, sur cette route pittoresque de Marie-Galante, en Guadeloupe, Emmelene Landon a le temps de lancer un dernier regard à Paul, l’amour de sa vie avant le choc. Un accident qui la laisse gravement blessée. Paul, lui, est mort sur le coup. Après ce dernier regard entre deux amoureux depuis plus de 20 ans.

C’était début 2018. Dans Debout, Emmelene Landon raconte comment elle s’est reconstruite, comment elle essaie de « survivre à la dérive ». Avec la présence de Paul à ses côtés, car elle doit « garder à l’esprit le cœur ouvert, ce qu’il reste à vivre. Insupportable néant. »

Un texte puissant, structuré en trois parties. La première, la plus dure, celle de l’accident, du retour sur Paris, pour solder le passé matériel, où elle tente de supporter le quotidien. Par chance, sa fille est enceinte, une petite fille viendra redonner le sourire à l’autrice. La seconde, la plus dépaysante, sur son voyage à bord du D’Entrecasteaux, bâtiment de la Marine nationale basé en Nouvelle-Calédonie.

Enfin, elle découvre la voile avec un ami écrivain. Un final revigorant pour un texte plein d’espoir malgré la solitude abrupte qui lui est tombée dessus à Marie-Galante.

« Debout » d’Emmelene Landon, Gallimard, 20 €

jeudi 28 juillet 2022

BD - Héroïsme aléatoire

Quand Lewis Trondheim décide d’écrire une histoire de super-héros, on est sûr qu’il va totalement chambouler le genre. Avec Stan et Vince au dessin, il a donc lancé un groupe de jeune Français sur les routes du Nevada aux trousses d’extraterrestres belliqueux. Parue en trois tomes entre 2017 et 2021, Density revient cet été sous forme d’une intégrale de plus de 300 pages.

A la base, Chloé, sa sœur et une amie décident d’offrir à leur frère Gilles un voyage à une convention de fans de SF. Gilles est persuadé que des aliens existent et visitent la Terre. Un geek comique. Mais une fois dans le désert, il est véritablement abordé par un monstre qui veut lui insuffler une dose de Fluctua-densité qui lui permettra d’avoir des pouvoirs spéciaux pour lutter contre les Douss, méchants envahisseurs. Mais Gilles panique et se cache derrière Chloé qui est frappée par le rayon.

Elle se retrouve dotée de pouvoirs exceptionnels, parfaits pour sauver l’Humanité. À l’arrivée, la caricature est légère, l’aventure majeure et l’action omniprésente. Une excellente BD, digne des meilleurs comics US et qui met en valeur le courage des femmes.

« Chloé Densité », Delcourt, 328 pages, 29,95 €

mercredi 27 juillet 2022

BD - Dragons et momies dans « Ouroboros »

Des dragons et des momies égyptiennes : tel est le cocktail détonnant de cette nouvelle série de Ceyles et Pinard. Intitulée Ouroboros, elle débute par l’histoire de la naissance de quatre dragons du ventre fécond d’une femelle. Des siècles plus tard, les hommes tuent la mère provoquant la colère des enfants.

Dans ce présent très différent du nôtre, les biens les plus précieux sont des reliques en provenance de ces bêtes fabuleuses. L’une d’elles, l’amulette de Saladin, est conservée par un ordre de Bédouins dans le désert. Aman, un aventurier intrépide, un peu sorcier sur les bords, la dérobe. Il se réfugie dans les souterrains d’anciennes pyramides et va réveiller des momies pour se défendre. L’amulette, essentielle pour Aman, lui permettra de guérir Xiao, un enfant, dernier fils de la Reine des Dragons, le seul qui aurait le pouvoir de la faire disparaître.

Cet album marque surtout par son découpage. Chaque planche est un canevas d’images qui s’imbriquent les unes dans les autres donnant une lecture et une mise en page virtuose et rarement vues ailleurs si ce n’est dans certains albums de Rork signés Andréas.

« Ouroboros » (tome 1), Soleil, 14,95 €

mardi 26 juillet 2022

Science-fiction. Derniers survivants

Tous les scientifiques, un peu réalistes et pragmatiques, l’annoncent, à plus ou moins brève échéance : l’extinction de la race humaine. Une certitude et plusieurs inconnues : quand et pourquoi ? Alors, le mieux est de se préparer à l’avance. C’est ce qui motive un conglomérat d’entreprises en imaginant Les Jeux de l’extinction.

Dans ce roman, signé A. G. Riddle, l’effondrement de la société est brutal. On le vit indirectement avec des journées cauchemardesques pour Owen et Maya. Le premier est pompier. Il part sur un incendie, mais dans le brasier, des robots chargés normalement d’éteindre le feu l’attaquent. Maya, scientifique, se découvre infectée par un virus qui lui détruit la mémoire.

Owen et Maya se réveillent bien plus tard. Ils ont été sélectionnés (sauvés), pour participer aux Jeux de l’extinction. Sur leur planète dévastée et sans ressources, ils font partie d’une cohorte. Leur mission : redonner espoir à l’Humanité.

Un récit de SF plein de surprises, qui a déjà été acheté pour être adapté en série télé et qui donne à réfléchir. Sur les intelligences artificielles, mais surtout, le libre arbitre et la solidarité.

« Les jeux de l’extinction » d’A. G. Riddle, Bragelonne, 18,90 €

lundi 25 juillet 2022

BD - L’amour au comptoir

Habitué de l’humour très noir, trash et gore, Jonathan Munoz cache, pourtant, derrière ses histoires terribles (Annick Tamaire, Godman) un petit cœur sensible et romantique. Il réussit le tour de force de mettre les deux facettes, totalement opposées, de sa personnalité dans un seul et unique album. L’inconnue du bar raconte l’amour platonique d’un serveur de bar, Joshua, pour une jeune femme, Dara, qui dessine ses BD en terrasse.

L’album alterne les tentatives de drague de Joshua avec les histoires courtes de Dara. Ces dernières sont du pur Jonathan Munoz avec la fille d’un pirate abandonnée sur une île déserte et qui, devenue adulte et institutrice, tyrannise ses élèves. Ce petit garçon, si gentil, si dépendant de sa maman, qui va virer leader fasciste ou ce méchant cow-boy découvrant qu’il ne peut plus tuer. Alors, il se met à donner des bisous, provoquant une véritable hécatombe.

Quant à l’histoire d’amour entre le serveur et la dessinatrice, elle va connaître une fin assez étonnante.

Sans rien en dévoiler, sachez qu’elle est en totale opposition avec l’esprit des récits courts de Dara.

« L’inconnue du bar », Fluide Glacial, 12,90 €

dimanche 24 juillet 2022

Thriller - Le retour des Hommes de Paille

Troisième et dernier volet de la saga des Hommes de Paille signée Michael Marhsalle et parue au début des années 2000, les éditions Bragelonne proposent une version poche d’un thriller qui va glacer le sang des lecteurs, même les plus habitués à ce genre de littérature.

On retrouve Ward Hopkins et sa compagne, Nina, cachés dans un bungalow dans la forêt. Ils fuient les Hommes de Paille, sorte de conspiration de tueurs en série. A leur tête, Paul, le propre frère de Ward. Le cauchemar reprend quand des cadavres sont découverts dans une petite ville.

Nina, qui fait partie de l’élite du FBI, reprend du service et Ward discrètement la couvre. Il craint tout le monde : « Le problème avec la paranoïa, c’est qu’on ne sait plus s’arrêter. Dès que l’on se met à douter des principes élémentaires qui régissent les rapports humains, tout devient envisageable. » En l’occurrence le pire dans un final qui dépasse largement la folie du 11 septembre.

« Le sang des anges » de Michael Marshall, Bragelonne Terreur, 7,90 €

dimanche 17 juillet 2022

Roman - Léa Tourret raconte quand la jeunesse plonge

A quoi pensent les jeunes filles d’aujourd’hui, ces adolescentes, âgées entre 13 et 17 ans, le regard toujours rivé sur leur téléphone portable ? Vous aurez en partie les réponses à cette interrogation en lisant le premier roman de Léa Tourret, La fille de la piscine.

C’est l’été. Léna passe une grande partie de ses journées à la piscine municipale en compagnie de sa meilleure amie, Max. Léna raconte tout ce qu’elle voit, ce qu’elle pense, ses désirs et ses peurs. Dans une langue très actuelle, sans fioritures ni effet de style, l’autrice plonge dans la psyché de cette plus tout à fait gamine, mais pas encore femme. Léna qui est dans cette période de sa vie où l’on n’a pas confiance en soi, que notre corps nous révulse et que tous les garçons semblent laids, même si, étrangement, ils l’attirent. Deux garçons vont justement entrer dans la vie des deux copines. Yannis et Lounès.

Au petit jeu de la drague, Max a l’avantage. Léna se retrouve seule, désespérée, obligée de se choisir une nouvelle meilleure amie, Sabrina. Un roman à lire à la mer ou à la piscine, tout en observant d’un coin de l’œil ces jeunes, fidèles reflets de Léna et ses amies.

« La fille de la piscine » de Léa Tourret, Gallimard, 16 €

samedi 16 juillet 2022

BD - Ces soldats invisibles agissent « Au nom de la République »

Le 14 juillet, les héros militaires de cette nouvelle série de Bartoll et Guzman ne défileront pas sur les Champs-Élysées. Normal, leur corps n’existe pas officiellement. La cellule dite des « Défenseurs », rattachée à la DGSE (le contre-espionnage français), agit dans l’ombre, uniquement sur ordre du président de la République.

Des missions très dangereuses d’élimination préventive de terroristes sur le point d’agir contre les intérêts de la France, Au nom de la République.

Cette première mission débute en Turquie. Un groupe de Défenseurs est sur le point de neutraliser une cargaison d’armes destinée à Daech. Ils tombent dans une embuscade et meurent tous. En conseil de Défense, décision est prise d’éliminer en priorité cette cellule qui semble vouloir frapper un grand coup médiatique.
Le Renard, agent d’élite, est mis sur le coup. Il va sillonner l’Europe, notamment en Allemagne, pour pister les assassins de ses collègues et amis. Le final se déroule au Maroc. Bartoll, au scénario, apporte toute son expertise d’un milieu qu’il côtoie depuis des années.

« Au nom de la République » (tome I), Soleil, 15,50 €

vendredi 15 juillet 2022

Jeunesse - Papi et mémé, ces héros

Mais que seraient les grandes vacances des enfants sans leurs grands-parents ? Un long tunnel d’ennui, entre jeux vidéo et télé… Ces deux petits romans (à partir de 7 ans), mettent en vedette les « anciens », souvent plus farfelus que leur descendance.

Ainsi Mémé, selon sa petite-fille, serait un agent secret. Le texte d’Emmanuel Villin raconte comment elle va déjouer le plan machiavélique d’un savant fou qui risque d’obliger toute la population de Paris à se nourrir avec de la malbouffe. Une histoire très contemporaine illustrée par Frédéric Rébéna.

Dans le 3e tome de Papi est un super menteur de Grégory Nicolas (illustrations de Jeremy Parigi), ce papi très mythomane explique à ses deux petits-enfants, Marcel et Apolline (sans oublier le doudou de cette dernière, la pieuvre Dédette) ébahis, qu’il a participé à la prise de la Bastille en 1789. Un énorme mensonge mais qui permet aux jeunes lecteurs de découvrir de façon très ludique et comique ce pan essentiel de l’Histoire de la France.

« Bons baisers de Mémé », L’école des loisirs, 8 €

« Papi est un super menteur - La super prise de la Bastille », PKJ, 5,95 €

jeudi 14 juillet 2022

BD - Karaté Girl alias Miss Shaolin


La couverture du premier tome de Miss Shaolin, écrite par Bottier et Kravtchenko et dessinée par Tozzi est un peu trompeuse. On pourrait penser que cette histoire se déroule dans la Chine médiévale. En réalité, c’est une histoire très classique ayant pour cadre un collège français contemporain. La jeune Bo a des origines chinoises par sa mère. Elle vit essentiellement chez son grand-père maternel, grand spécialiste des arts martiaux. Mais pas autant que des jeux vidéo…

Elle passe des heures à s’entraîner et sous ses airs timides se cache une redoutable combattante. Une petite bande de caïds l’apprend à ses dépens. Seule, elle les met tous au tapis en quelques secondes. Comme l’exploit est filmé par Martin, un geek, un peu amoureux de la jolie Bo, elle devient la star de l’établissement scolaire et hérite du titre de Miss Shaolin.
Si la vie des jeunes est très bien retranscrite, dommage que la seconde moitié de l’album soit consacrée à un tournoi d’art martial avec accumulation des combats. Sympa à dessiner pour Tozzi, virtuose italienne, mais un peu répétitif pour les lecteurs.

« Miss Shaolin » (tome 1), Jungle, 11,95 €

mercredi 13 juillet 2022

Roman - Un homme, trois femmes dans « Assemblées », premier roman de Clémentine Autain

Ce premier roman de Clémentine Autain laisse perplexe. La députée de gauche raconte de l’intérieur la vie de l’Assemblée nationale. Mais bizarrement, les trois femmes qu’elle met en scène sont toutes sous le charme d’un député de droite, mâle alpha de la politique française, macho assumé et grand prédateur de petite culotte. 

Si quelques passages du livre racontent comment certaines femmes se mobilisent pour faire changer le regard des hommes sur les femmes dans ce milieu très rétrograde, les trois héroïnes ressemblent plus à des caricatures de femmes enamourées comme on en croisait tant et tant dans les vieux romans à l’eau de rose.

Lila, brillante économiste, femme élevant seule son fils, devient une bête groupie dès qu’elle croise la route du député Antoine Polin. De même, Jeanne, assistante parlementaire d’un élu de gauche, se donne sans réserve de 5 à 7 à ce même Polin. Qui par ailleurs a une femme depuis 25 ans, Estelle, cocue mais si heureuse avec son homme de pouvoir qu’elle voit conquérir l’Élysée.

Parfois, Assemblées ressemble à du Marlène Schiappa…

« Assemblées » de Clémentine Autain, Grasset, 20 €

mardi 12 juillet 2022

Roman noir - Loubards des années 80 en galère dans la « Banlieue noire »

Sympathique nouvelle collection aux éditions du Cherche-Midi. Baptisée Borderline, elle a pour but de publier ou remettre au goût du jour des textes qui « s’adressent à tous les lecteurs avides de vigueur, de bonne santé et d’insolence. » Une nouveauté pour inaugurer cette bouffée d’air pur dans une littérature trop souvent corsetée par un politiquement correct qui empêche de dire clairement les choses, Banlieue noire de Rémi Pépin. Une plongée salutaire dans les années 80.

Exactement l’action débute le soir du 10 mai 1981. Alors qu’une partie de la France fait la fête dans les rues de Paris et la proche banlieue, trois amis semblent insensibles à cet espoir de jours meilleurs. Il est vrai que Riton, Momo et Jean-Claude savent que ce ne sont pas quelques ministres de gauche qui vont changer leur quotidien de loubards de banlieue. Ce dimanche soir, ils ont un autre projet, plus excitant : se bourrer la gueule, fumer quelques joints et aller récupérer la voiture de leurs rêves, une traction avant, l’auto des gangsters par excellence. Les trois potes, une fois au volant, vont voir leur destin méchamment contrarié. En plus de planter la caisse, ils trucident un inconnu, compagnon de beuverie, embarqué dans leur virée. Paniqués, ils décident de l’enterrer dans un terrain vague. Les ennuis vont commencer…
Beaucoup de tendresse en fait dans ce texte quand l’auteur parle des trois losers, amis d’enfance qui zonent depuis trop longtemps dans cette banlieue sinistre. Ils aiment se retrouver et faire des conneries car « ensemble ils étaient forts, solidaires, insolents, arrogants. Seuls, ils redevenaient ce que le monde entier, flics, profs, parents ou patrons, s’appliquait à leur répéter chaque jour depuis leur plus tendre enfance : des pas grand-chose, des rien du tout. Voire des moins que rien du tout. »

« Banlieue noire » de Rémi Pépin, Borderline, 15 €

lundi 11 juillet 2022

Jean-Pierre Dardenne aux Ciné-Rencontres de Prades : "On essaie de faire un cinéma qui regarde le monde au fond des yeux"

 Invité vedette du 63e festival Ciné-Rencontres de Prades du 15 au 23 juillet, Jean-Pierre Dardenne, cinéaste belge qui a remporté deux Palmes d'or à Cannes avec son frère Luc, rencontrera le public le samedi 16 juillet alors que neuf de ses films sont programmés au cinéma Le Lido. Dans une longue interview publiée dans l'Indépendant, il revient sur sa carrière, sa façon de filmer le quotidien et la situation du cinéma après la crise sanitaire. 

L'Indépendant : Après Cannes, vous voilà au festival de Prades. Quelle ambiance préférez-vous ?

Jean-Pierre Dardenne : On ne peut pas comparer. À Cannes on est dans un autre monde, c'est une grosse turbine qui fait tourner le cinéma, une vitrine mondiale durant 15 jours. À Prades c'est un festival qui est tourné vers la rencontre entre un public, des cinéastes, jeunes et moins jeunes, des premiers films. Il y a ici un esprit de proximité qu'il n'y a pas à Cannes. L'existence d'un festival comme celui de Prades est le signe de la vitalité du cinéma en France. Ce pays est une exception et un exemple, le poisson pilote du cinéma en Europe. 

Tous vos films ont été tournés en Belgique près de Liège, pourquoi cet attachement à votre région d'origine ? 

Nous avons été comme appelés par cette ville de Serain qu'on a connu si vivante. Nous avons voulu, en réalisant des documentaires puis des fictions, garder une partie de la mémoire de cette région, à travers la rencontre avec des personnes. Cette ville nous a vus devenir adulte, on y a découvert la vie. Toutes nos œuvres permettent de faire vivre cette ville. Il y a un peu de notre histoire en creux dans ces films. Nous essayons de faire un cinéma qui regarde le monde dans les yeux.

Rosetta par exemple était quelqu'un de nouveau dans notre monde post-industriel. Lorna aussi. Elle était prête à tout pour avoir sa place au soleil. Nous tentons de raconter des histoires avec des personnages, pas seulement de dresser des constats. Raconter comment ils essaient de sortir de leur solitude, de rencontrer quelqu'un d'autre. 

Vous avez révélé plusieurs comédiens comme Emilie Dequenne, Jérémie Rénier ou Olivier Gourmet. Comment choisissez-vous les interprètes de vos films ?

Nos personnages sont souvent des hommes ou femmes jeunes. Il n'y a pas de comédiens confirmés de cet âge. C'est à nous de trouver celui ou celle qui pourra porter le personnage. Le reste c'est beaucoup de travail. On répète le film durant 4 à 5 semaines avant le tournage. Cela permet de maîtriser la chronologie du film, d'affiner les décors. C'est lors de ces répétitions qu'on trouve la forme du film. C'est une base pour le tournage.

Pour les comédiens, cela permet de laisser tomber les défenses. Pour nous aussi. Des répétitions très physiques. Les déplacements sont étudiés, les gestes permettent de donner la vie. Le rythme d'une scène dépend essentiellement des gestes. Il paraît qu'on ne devient cinéaste que quand on trouve sa méthode de travail. Nous, comme les vaches, on a besoin de beaucoup ruminer. Voilà pourquoi on met plus de deux ans pour faire un film. 

Espérez-vous remporter une 3e palme à Cannes ? 

Je ne peux m'empêcher de penser qu'une 3e palme serait aussi le symbole que le festival de Cannes tourne sur lui-même. Qu'il ne se renouvelle plus. Mais on a quand même l'esprit de compétition. Avoir plus de reconnaissance ne peut qu'être bénéfique. Être sélectionné c'est bien, avoir un prix c'est encore mieux. 

Samedi vous serez face à votre public lors d'une rencontre. Vous appréciez ces moments ?

Je préfère ce genre de rencontre à la promotion d'un film qui va sortir. J'aime écouter les gens, avoir leur ressenti, c'est très intéressant à entendre. Car une rencontre avec une œuvre c'est une aventure individuelle. 

Le cinéma est en pleine crise après le covid et l'arrivée des plateformes de streaming. Restez-vous confiant pour l'avenir de cette forme d'expression artistique ? 

Le cinéma est une formidable invention qui inscrit un mouvement dans le temps. Peut-être qu'il va évoluer vers une forme un peu différente. Mais depuis toujours les humains aiment se réunir pour écouter des histoires. Cela se faisait avant le cinéma et cela se fera sans doute encore à l'avenir. Ce qu'il faut surtout c'est préserver la sortie des films en salles. La chronologie des médias est sans doute à revoir tout en privilégiant la sortie en salles. Mais il ne faut pas sataniser les plateformes. Il faut discuter, instaurer un rapport de force et faire attention. 

Cinéma - Quand “Thor” arrête de se prendre au sérieux

La quatrième aventure en solo du dieu viking offre un cocktail détonnant d’action et d’humour.


Si certains super-héros ont une personnalité qui se prête à l’introspection et au doute, ce n’est pas du tout le cas de Thor. Ce dieu viking, blond, musclé et un poil prétentieux, a une très haute opinion de lui. Il a des muscles et un corps d’athlète mais un mental de gamin de 5 ans et la jugeote d’une limace sous anxiolytiques. Chris Hemsworth dans le rôle titre semble beaucoup s’amuser à pousser les curseurs de l’autodérision. Résultat le film de Taika Waititi est composé à 50 % de scènes comiques, un bon quart de combats et d’action, un dernier quart de romance. Un déséquilibre savant donnant à Thor - Love and Thunder un attrait supplémentaire dans la galaxie Marvel.

Thor, légèrement déprimé, répond toujours présent quand il faut casser du méchant. Or, un grand méchant vient de faire son apparition dans l’univers des Dieux. Gorr (Christian Bale), armé d’une épée magique, décapite les divinités comme d’autres grillent les merguez au barbecue du camping. Gorr, pour provoquer le dieu viking, kidnappe tous les enfants du village d’Asgard. Pour tenter de les libérer, Thor va demander de l’aide au plus grand des dieux : Zeus. Ce passage du film est le plus hilarant. Car Zeus, interprété par un Russell Crowe très à l’aise dans la comédie, est un hédoniste bedonnant, en jupette, maniant son éclair comme une majorette son bâton. Un Zeus très égoïste, refusant de rater la prochaine orgie pour aller trivialement se battre.

La trahison de Mjöllnir 

Thor recevra finalement un renfort de poids dans sa mission : son ancienne petite amie Jane Foster (Natalie Portman). Simple humaine, cette scientifique souffre d’un cancer. Après une chimio sans effet, elle se rend à Asgard et voit le marteau de Thor, Mjöllnir, se recomposer et obéir à la jeune femme. Quand Thor découvre Jade, protégée par un costume en tout point identique au sien, brandissant le marteau qui a fait toute sa gloire, il pique carrément une crise de jalousie. Mais qui n’est rien à côté de la scène colérique de la nouvelle arme du dieu viking... Telle une métaphore des Américains de base qui parfois aiment plus leur arme que leur conjoint...

Le film de deux heures redevient sérieux dès que Gorr intervient. Saluons au passage la très sérieuse composition de Christian Bale qui ajoute une corde supplémentaire à son arc de comédien virtuose.

Film américain de Taika Waititi avec Chris Hemsworth, Natalie Portman, Christian Bale
 

dimanche 10 juillet 2022

Cinéma - Un “Menteur” pris à son piège


Olivier Baroux, réalisateur de Menteur, a sans doute beaucoup menti dans son existence. C’est presque un exercice imposé dans le milieu du cinéma. Il faut embellir, donner du relief, saupoudrer d’anecdotes pas forcément exactes à 100 % pour réussir à se faire remarquer. Il avait donc beaucoup à dire sur ce péché capital, sans doute le plus pardonné par la société (avec l’adultère, mais pour d’autres raisons).

Adaptée d’un film québécois, cette comédie trépidante tourne autour de Jérôme (Tarek Boudali), cadre dans un chantier naval de la Côte d’Azur, menteur invétéré depuis l’âge de 9 ans. Ce beau gosse qui aurait tout pour réussir sans en rajouter, ne peut s’empêcher de travestir la réalité. En priorité pour excuser ses retards au boulot : dégât des eaux, pneu crevé… ses excuses s’accumulent au grand désespoir de sa famille, notamment de son frère Thibault (Artus).

Une mythomanie maladive qui est connue de tous, jamais acceptée par le principal intéressé. Quand, par une complexe opération religieuse qui débute par une vue aérienne splendide de l’abbaye de Saint-Martin du Canigou, site religieux des Pyrénées-Orientales, tous les mensonges d’Antoine deviennent réalité. Il se retrouve donc sélectionné pour aller dans l’espace, son appartement est submergé par une suite d’eau, il n’a plus de meubles (tous donnés à Emmaüs par charité) ou, plus grave, la femme de son frère est amoureuse de lui et le voisin est un serial-killer. Se greffe sur ce florilège de gags la négociation d’un contrat de maintenance de yacht de luxe avec des Russes peu accommodants et la rencontre avec Chloé (Pauline Clément), charmante interprète dont il tombe amoureux.

Tarek Boudali, pour la première fois sans sa bande, maîtrise parfaitement son sujet, aidé par deux jeunes comiques français en devenir : Artus, future star au potentiel sans cesse grandissant et Bertrand Usclat, créateur de la série courte Brute, parfait dans un petit rôle d’assistant dépassé par sa tache.

 "Menteur", un film français d’Olivier Baroux avec Tarek Boudali, Artus, Pauline Clément.

samedi 9 juillet 2022

Streaming - Riez avec les extra-terrestres norvégiens de "Blasted : les aliens ou nous !"

On ne répétera jamais assez que le gros avantage de certaines plateformes de streaming réside dans la diversité du choix. On peut enfin trouver autre chose que les grosses productions américaines ou les séries nationales peu novatrices. 

Dernier exemple en date avec le film Blasted : les aliens ou nous ! , production norvégienne aussi marrante que déjantée, débarquée presque incognito sur Netflix. 

Une petite ville de ce peu riant pays nordique est réputée pour ses… soucoupes volantes.

Une simple légende urbaine qui permet à certains d’organiser des enterrements de vie de garçon atypiques. Justement, Sebastian (Axel Boyum, photo ci-contre) est invité par ses meilleurs amis, dans ce lieu, pour fêter son futur mariage. Manque de chance (et joie pour les spectateurs), les aliens en hibernation se réveillent et une véritable invasion débute.

L’occasion pour Sebastian de retrouver ses réflexes de joueur de laser game. Si le début est un peu poussif, la suite est explosive, avec combats acharnés, explosions de matière verdâtre et humour sans limite. Des flics locaux aux potes du héros en passant par les scientifiques possédés par les aliens, tous sont des caricatures outrancières réussies qui forcent le respect. 

vendredi 8 juillet 2022

Série télé d’été - La gaffe de Dieu de "God’s Favorite Idiot"

L’été est parfait pour rattraper des séries télé négligées en début d’année ou découvrir les nouveautés des plateformes. Si vous avez envie de rire sur Netflix, osez regarder les huit épisodes de 30 minutes de God’s Favorite Idiot, créé par Ben Falcone, avec ce dernier dans le rôle principal accompagné de la totalement déjantée Melissa McCarthy.

Clark Thompson (Ben Falcone) est touché par la grâce divine. Exactement, ce célibataire timide, secrètement amoureux d’Amily (Melissa McCarthy), est désigné par Dieu pour sauver l’Humanité attaquée par les démons. Ce qui n’est pas sa meilleure idée... Clark ne s’en rend pas immédiatement compte, mais un soir, au boulot, il se met à luire telle une enluminure phosphorescente.

Dans ce monde de geeks sceptiques, cette luisance est très suspecte. On apprécie dans cette série les bons mots, les personnages secondaires, tous plus décalés les uns que les autres et la belle complicité entre les deux comédiens principaux.

Petite cerise sur le gâteau, pour le public français, quelques blagues sur notre prétention vue des USA : Emily a modifié son prénom en Amily pour ressembler à l’héroïne de ce célèbre film français… qu’elle n’a pas vu, évidemment. Quant à la blague sur la bougie « génitale », impossible de la raconter dans ce journal qui se doit de conserver une certaine décence. 

jeudi 7 juillet 2022

Beau Livre - Bon sens et nature

« Juillet sans orage, famine au village ». Certains dictons ont le mérite de ramener un peu de bon sens dans les bulletins météo. Car si on passe si facilement en « alerte », il ne faut pas oublier que les orages en été, c’est classique et que, souvent, la nature en a besoin pour s’abreuver.

Des dictons de ce genre, il y en a des centaines dans le très bel ouvrage de Daniel Brugès. L’auteur, en plus de les collecter, propose une multitude de jolies aquarelles, dans un style très champêtre. Les dictons sont classés, selon plusieurs thématiques, pour éviter le calendrier trop laborieux. Toujours dans le chapitre météo, n’oubliez pas que « Jamais en juillet sécheresse, n’a causé la moindre détresse » et que « Soleil pour Sainte-Charlotte (17 juillet), promet décembre qui grelotte ». On savoure, aussi, ces proverbes autour des légumes ou fruits du jardin du genre « Signe de beau temps quand s’ouvre l’artichaut ». Et si vous aimez les fruits rouges, faites-vous une raison et n’oubliez pas que « Arrivée la Sainte-Virginie (8 juillet), ramasser les fraises, c’est bien fini ».
On retrouve aussi quelques perles un peu dépassées. Ce bon sens de la campagne n’est pas forcément très moderne. Ainsi, cet étonnant « Qui a fille, vigne ou jardin, doit se garder de son voisin » et ce très suggestif « La femme et le melon, par le derrière on les connaît ».

« Dictons et proverbes du jardin » de Daniel Brugès, De Borée, 24,90 €

mercredi 6 juillet 2022

BD - Monstres scolaires


Les Beka, scénaristes de la région (Caroline Roque est originaire de Perpignan), ont imaginé un monde où tout se fait à l’envers. Le jour de la rentrée des classes, pas un élève n’est à l’heure. Pour la plus grande joie des profs qui sont ainsi dispensés de cours. Cette école bizarre est celle des petits monstres.

Littéralement, des monstres qui doivent apprendre à être méchants et à faire peur. Dessinée par Bob dans un style rondouillard et inspiré de l’animation, cette série qui s’adresse aux plus jeunes met en vedette Boloss, le seul enfant monstre qui aimerait être instruit, qui n’est pas dissipé et aime les belles choses.

Le premier album regroupe quatre histoires complètes, pour un total d’une centaine de pages. On y croise quelques horreurs vraiment effrayantes, mais surtout, on comprend que, finalement, la gentillesse et l’harmonie sont plus épanouissantes que ce besoin impérieux des monstres de mettre le bazar et de ne jamais obéir.

«L’école des petits monstres» (tome 1), Dupuis, 9,90 €

mardi 5 juillet 2022

Thriller - Dédale démentiel

Pour bien occuper votre temps libre de cet été, faisons confiance à un spécialiste du suspense. Franck Thilliez est devenu un des auteurs français actuels le plus lu de ces dernières années. Dans Labyrinthes, il délaisse son héros flic Sharko (bientôt adapté en série télé), pour revenir dans le dédale constitué de deux autres de ses thrillers : Le manuscrit inachevé et Il était deux fois.

Au début, rien ne permet de relier ce roman aux autres. On suit les aventures de plusieurs jeunes femmes. Une adolescente enlevée et torturée ; une journaliste qui enquête sur des disparus et une psychiatre recluse dans un village de montagne en pleine tempête de neige. S’y ajoutent une mystérieuse romancière et une policière dépressive.

Avec un machiavélisme et une virtuosité indéniables, Franck Thilliez va perdre le lecteur dans ces récits parallèles. Finalement, on retrouve son chemin dans ce labyrinthe truffé de faux-semblants et on comprend, dans les dernières pages, le fin mot de cette histoire extraordinaire.

«Labyrinthes» de Franck Thilliez, Fleuve Noir, 384 pages, 21,90 €

lundi 4 juillet 2022

BD - La Kahina, Reine magique

La riche collection des Reines de sang permet au lecteur curieux de découvrir une autre facette de l’Histoire du monde. En racontant l’épopée de la Kahina, la reine berbère, Treins et Paunovic lèvent le voile sur l’invasion de l’Afrique du Nord par les armées arabes venues porter la parole de Mahomet. Dans les Aurès, la résistance est menée en partie par les Berbères. Quand le roi est tué au combat, c’est sa fille, la Kahina, qui prend la tête des troupes.

Une femme libre, qui lit l’avenir dans le feu et sait parfaitement se battre. Un album graphiquement très brillant, où les batailles avec des multitudes de cavaliers sont de véritables défis relevés sans difficulté par Paunovic, un dessinateur surdoué.

« La Kahina » (tome 1), Delcourt, 14,95 €

dimanche 3 juillet 2022

BD - Alcibiade, jeune magicien va à l'école

Depuis l’avènement d’Harry Potter, les écoles de, magiciens et autres sorciers sont des endroits qui font rêver les plus jeunes. Alcibiade est un de ces élèves qui va en cours pour manier formules magiques et autres incantations pour défendre son monde. Imaginées par Allan Barte et dessiné par Marc Lataste, les aventures d’Alcibiade sont surtout humoristiques.

Pas de grand méchant dans ces histoires courtes prépubliées dans Tchô, le magazine.

Le petit lutin aux oreilles pointues doit surtout tenter de conserver son aura sur sa bande d’amis depuis l’arrivée d’un autre magicien en devenir, Sigismond, un peu trop prétentieux aux yeux du jovial Alcibiade.

« Alcibiade » (tome 1), Glénat, 14,50 €

samedi 2 juillet 2022

BD - Héliotrope, voleuse de magie


Drôle d’histoire que celle d’Héliotrope. Cette petite fille, qui vit chez sa grand-mère, est en réalité la fille d’un célèbre couple de cambrioleurs d’objets magiques. Au collège, elle tombe amoureuse d’une copine et pour la séduire décide de voler… une couleur. Mais ce bleu Héliotrope va lui colorer la peau. 

Voilà la fillette affublée du prénom d’Héliotrope et surtout un gibier de choix pour de méchants sorciers qui aimeraient la dépecer.

Une histoire fantastique assez étonnante, signée Joann Sfar et dessinée par Benjamin Chaud. On retrouve au détour de voyages aux Pays-Bas ou en Italie la vampire Aspirine, autre personnage bizarroïde imaginé par Sfar.

« Héliotrope » (tome 1), Dupuis, 13,95 €


vendredi 1 juillet 2022

Roman. Javier Cercas règle son compte à l’« Indépendance » catalane

Écrivain reconnu en Espagne, Javier Cercas n’a pas dû se faire beaucoup d’amis en Catalogne lors de la parution du second tome de sa série Terra Alta retraçant les aventures du policier barcelonais Melchor Marin. Le titre Indépendance est trompeur. Car c’est en filigrane une dénonciation implacable du processus lancé par les indépendantistes qui est raconté dans ce roman brillant et passionnant. La classe politique est passée à la moulinette.

Les clés pour comprendre l’évolution de la province qui veut devenir un pays sont en réalité données au milieu du roman « La Catalogne a toujours été entre les mains d’une poignée de familles. Ce sont elles qui décidaient de tout avant le franquisme, qui ont décidé de tout pendant le franquisme, qui ont décidé de tout après le franquisme, et qui décideront de tout quand toi et moi on sera mort et enterrés… »

Melchor accepte de revenir à Barcelone pour aider des collègues qui travaillent sur une tentative de chantage à la sextape sur la maire de Barcelone. Il va croiser le chemin de trois de ces fils de famille qui ont tous les pouvoirs. Riches, ambitieux, sans morale, capables de tout pour conserver leurs prérogatives : ce sont des êtres malfaisants au plus haut point. Melchor va tenter de les faire tomber, mais comment ce fils de prostitué peut-il avoir le moindre pouvoir face à ces notables de pères en fils ?

La fin vous surprendra, car Javier Cercas n’a peur de rien et sait que souvent, ce sont les pires méthodes qui permettent les meilleurs résultats.

« Indépendance » de Javier Cercas, Actes Sud, 23 €