mercredi 6 mars 2024

Cinéma - Le “Bolero”, l’œuvre qui éclipse la vie de Ravel

 Gros plan sur la vie de Maurice Ravel, compositeur du Bolero, filmé par Anne Fontaine et interprété par Raphaël Personnaz. Un film sur un air devenu universel. 


Cinq fois candidat au prix de Rome. Cinq échecs. Pourtant Maurice Ravel (Raphaël Personnaz) était déjà considéré comme un très grand compositeur. Cela donne lieu dans Bolero, film d’Anne Fontaine, à une scène finalement assez joyeuse. Avec quelques amis dont Cipa Godebski (Vincent Perez), ils trinquent « à l’échec ! »

Maurice Ravel, éternel perdant ? Il se serait contenté de cette étiquette, mais en 1928, pour la danseuse Ida Rubinstein (Jeanne Balibar), il compose un morceau de 17 minutes : le Bolero, devenu depuis l’air de musique le plus connu dans le monde.

Pour raconter la vie de Maurice Ravel, Anne Fontaine a donc décidé de placer le Bolero, et sa création, au centre du film. Longtemps, Ravel repousse ce travail de commande. C’est à la demande insistante de sa muse, la femme qu’il semble aimer secrètement, Misia Sert (Dora Tillier), qu’il accepte de se mettre à la tâche. Dans sa maison refuge, en contemplant la nature, il pose les premières notes sur la partition. Puis passe au piano, imagine cette ritournelle lancinante et la répète de façon crescendo. Il n’en sera jamais totalement satisfait : pas d’âme, juste une expérience d’orchestration.

Mais lors de la première du ballet, c’est un triomphe. Maurice Ravel, déjà célèbre (il faisait régulièrement des concerts aux quatre coins du monde), devient une star planétaire. Mais pour un seul morceau qui éclipse tout le reste de son œuvre. Le film aborde aussi cet aspect de sa carrière, cannibalisée par ces 17 minutes géniales. Géniales car on ne peut s’empêcher, au cours de sa création puis de son interprétation dans le film, de succomber à sa simplicité, sa virtuosité.

Le Bolero a été qualifié de charnel, d’érotique. L’inverse de la vie quasi monastique de Maurice Ravel. Il n’avait qu’une seule épouse : la musique. Anne Fontaine a cependant voulu faire sentir au spectateur combien ce créateur était sensible et délicat. Quelques scènes entre Raphaël Peronnaz et Doria Tillier sont d’une rare sensualité.

Amour platonique, peut-être causé par la trop grande importance de la mère de Ravel dans sa vie. Les amateurs de psychanalyse y trouveront matière à réfléchir. Ce qui est sûr, c’est que Ravel, une fois le Bolero mis en orbite, a lentement décliné, atteint d’une maladie du cerveau. Il ne pouvait plus composer, mais la musique était toujours présente dans sa tête. De nouveaux Boleros que l’on n’aura jamais la chance d’apprécier.

Film d’Anne Fontaine avec Raphaël Personnaz, Doria Tillier, Jeanne Balibar, Vincent Perez, Emmanuelle Devos
 

 

Cinéma - “La salle des profs”, reflet d’une société en perdition

Film d’lker Çatak avec Leonie Benesch, Michael Klammer, Rafael Stachowiak, Leo Stettnisch


Que se passe-t-il dans cette salle des profs d’un collège allemand ? Solidarité et concorde ont déserté le lieu. Carla (Leonie Benesch), jeune prof de maths, nouvellement affectée, découvre que tout le monde se surveille. Il y a des vols. Chez les élèves et les profs.

Elle tend un piège et filme la voleuse. La première pièce d’un puzzle machiavélique qui va transformer le collège en véritable poudrière. La salle des profs d’Iker Çatak, sélectionné pour l’oscar du meilleur film étranger, inaugure un nouveau genre, le thriller scolaire.

Carla se retrouve acculée. Elle se met à dos ses collègues mais surtout toute la classe d’Oskar (Leo Stettnisch), le fils de la présumée voleuse, mise à pied temporairement. Le film devient de plus en plus oppressant, la position de Carla intenable, celles d’Oskar et de sa mère encore plus délicates.

Une réalisation au cordeau qui bénéficie d’une interprétation magistrale, notamment de Leonie Benesch qui aurait sans doute mérité, comme Sandra Hüller, d’être nominée comme meilleure actrice.

 

Cinéma - Le saxo majeur de “Blue Giant”

Un film japonais d'animation (tiré d'un manga) de Yuzuru Tachikawa racontant la formation d'un groupe de jazz. 


Tiré du manga de Shinichi Ishizuka édité en France Chez Glénat, Blue Giant est le genre de réalisation qui va passionner les amateurs de jazz et sans doute créer des vocations. Pas forcément de musiciens, mais de nouveaux amateurs de cette musique qui a su au fil des décennies traverser les frontières et conquérir toutes les civilisations. Au Japon, le jazz ressemble presque à une religion. Les adeptes sont ceux qui vont dans les clubs, le clergé les musiciens.

Dai, jeune prodige du saxo, décide de quitter sa province pour tenter sa chance à Tokyo. Hébergé chez son meilleur ami, Tamada, il va faire des petits boulots la journée et répéter, seul devant le fleuve, tous les soirs. Ce qu’il aime dans le jazz, ce sont les solos d’improvisation. En allant dans un club, il croise la route de Yukinori, pianiste expérimenté. Ils ont le même âge, décident de répéter ensemble dans un club qui n’accueille plus de public. Manque un batteur. Dai va proposer le poste à Tamada, totalement novice mais enthousiasmé par l’idée. Le goupe Jass vient de naître et le film Blue Giant raconte sa progression jusqu’au sommet en moins de deux ans.

Si la première partie est un peu laborieuse (découverte de Tokyo, rencontre des membres, premières répétitions), la suite est véritablement enthousiasmante. Les longues scènes au cours desquelles le groupe joue à l’unisson sont un bonheur rarement atteint dans une fiction. Et les effets graphiques et de couleurs amplifient d’autant l’impression d’osmose entre les trois jeunes artiste, la musique, le public et les spectateurs qui se trouvent catapultés au cœur de ce jazz en images. 

 

vendredi 23 février 2024

Tous dérangés les personnages des âmes fendues ?


Xavier Bétaucourt le scénariste et Jean-Luc Loyer le dessinateur de l’album Les âmes fendues ne sont pas malades. Par contre ils sont allés à la rencontre de ces hommes et femmes que l’on cache, les malades mentaux, notamment les milliers de personnes diagnostiquées schizophrènes. Une BD reportage où le duo a passé plusieurs journées au centre hospitalier Camille Claudel en Charente.

Là, ils ont discuté et partagé, en toute indépendance, avec les soignants et les malades. Des témoignages forts, des deux côtés. Une nouvelle foi on prend conscience combien le système de santé français est à bout de souffle. Suppression de postes, démotivation des anciens, manque d’envie chez les jeunes, bureaucratie triomphante…

Les problèmes sont connus mais rien, depuis des années, n’est fait pour redresser la barre. L’album est aussi passionnant quand les auteurs donnent la parole aux schizophrènes. Ils racontent ces voix qu’ils entendent dans leur tête, leur paranoïa galopante, ces hallucinations horrifiques.

Et ceux qui s’en sortent, après des années de traitement. Preuve que l’engagement de quelques-uns, notamment les bénévoles de l’association Profamille, continue de sauver des existences.

« Les âmes fendues », Steinkis, 128 pages, 22 €

jeudi 22 février 2024

Teresa Drahonovska la chauve qui assume


Autre maladie mais un peu plus connue depuis quelques mois : l’alopécie. Maladie popularisée par Édouard Philippe, ancien Premier ministre, homme politique ambitieux dont l’image a totalement changé en quelques mois. L’alopécie c’est le fait de perdre ses cheveux. Mais aussi tous les poils recouvrant le corps, sourcils notamment.

Pour un homme, ce n’est pas facile à vivre, mais les chauves sont légion. Par contre, quand on est une femme, souffrir d’alopécie, à moins de trente ans, c’est voir sa « beauté » disparaître. Tereza Drahonovska, autrice, a toujours été fière de ses cheveux. Drus, longs. Aussi quand elle découvre qu’elle commence à les perdre par poignée, c’est la panique.

Quelques semaines plus tard, elle ne sort plus sans un chapeau ou un foulard pour cacher le désastre. Tereza, aujourd’hui, assume sa nouvelle apparence. Elle raconte le chemin parcouru, personnellement et en société dans cette BD dessinée par une dessinatrice tchèque, Stepanska Jislova. Des illustrations très stylisées, comme pour mieux faire ressortir le lisse de ce crâne qui lentement mais sûrement est devenu un atout pour Tereza.

Sans cheveux est un récit universel puisque la BD bénéficie dans sa version française d’une préface signée de la présidente de La Tresse, une association qui soutient toutes les personnes atteintes d’alopécie.

« Sans cheveux », Glénat, 128 pages, 19,95 €

mercredi 21 février 2024

Cinéma - “L’Empire”, le Star Wars du Nord par Bruno Dumont

 La Terre est sur le point d’être envahie par des armadas de vaisseaux spatiaux. Bruno Dumont donne sa version du space opéra dans L’Empire, étonnant mélange de science-fiction et de comédie ch’ti.


Bruno Dumont, cinéaste inclassable, primé à Cannes avec L’Humanité, ambassadeur du Nord avec sa série désopilante P’tit Quinquin, s’attaque à un genre peu pratiqué en France : le space opéra. Il y un peu de La Guerre des étoiles dans ce film sobrement titré L’Empire.

Deux civilisations s’affrontent dans l’infini de l’espace. Une veut faire triompher le Bien. L’autre, le Mal. Mais la bataille finale, gigantesque combat entre deux armadas de vaisseaux spatiaux, se déroulera aux abords de la Terre.

Une planète déjà en partie colonisée. Le Messie du Mal est en place. Un gros bébé joufflu, fils de Jony (Brandon Vlieghe), insoupçonnable général des armées de Belzébuth (Fabrice Luchini) sous sa couverture de marin-pêcheur du Nord. Il enrôle une cagole chti (Lyna Khoudri) et affronte une guerrière du Bien, experte en sabre-laser, Jane, (Anamaria Vartolomei), déguisée en simple touriste profitant de l’air pur et des plages de la région.

Cathédrales volantes

Accent du Nord, mélange entre comédiens pros et amateurs, vaisseaux spatiaux en forme de cathédrales ou de châteaux de la Loire, dialogues manichéens voire binaires qui semblent parfois directement tirés de la Bible...

L’Empire est un Ovni cinématographique qui peut être apprécié très différemment. Mauvaise série Z qui radote avec effets spéciaux ratés pour certains, le film peut aussi se révéler comme une future œuvre culte osant ce mélange de genre totalement improbable.

Mais rien que pour la présence au générique des deux gendarmes de la série P’tit Quinquin, toujours aussi largués et incompétents, rois du burlesque involontaire, les fans de Dumont apprécieront cette nouvelle variation de ses expérimentations sur grand écran.

Film de Bruno Dumont avec Lyna Khoudri, Anamaria Vartolomei, Camille Cottin, Fabrice Luchini, Brandon Vlieghe

 

mardi 20 février 2024

BD - Jean-Christophe Chauzy, le greffé


Myélofibriose. Vous n’avez sans doute jamais entendu le nom de cette maladie. Tout comme Jean-Christophe Chauzy, dessinateur de BD (Le reste du monde) avant cette consultation début 2020. Des analyses inquiétantes et ce diagnostic lourd de conséquence. Il n’a plus de défense immunitaire et risque une leucémie foudroyante. Seul recours, en urgence, une greffe de moelle osseuse.

Sang neuf, long témoignage de plus de 250 pages revient en détail sur cette période de la vie d’un dessinateur qui avait normalement tout pour être heureux : des livres qui se vendent bien, une compagne aimante, deux grands garçons et une récente installation en région lyonnaise.

Si le livre sort quatre ans plus tard, c’est qu’il s’en est sorti. Mais pas sans risque, baisse de moral, rechutes. Par chance il a rapidement trouvé un donneur compatible : sa sœur. Ensuite c’est une période de chimiothérapie et un long passage en chambre stérile. Au moment même où la moitié de la planète aussi s’isole pour cause de covid. Sans entrer dans les détails trop techniques de globules et de plaquettes, Chauzy, donne les clés au lecteur pour comprendre les conséquences de la maladie, des effets de la greffe, de ceux des médicaments aussi. Il raconte avec justesse son état d’esprit, paniqué à l’idée de mourir, incapable sur le moment de comprendre l’abnégation de sa compagne qui doit traverser l’épreuve seule.

Un témoignage important aussi pour apprécier le travail des personnels soignants en France. Aussi, et c’est l’essentiel, un message d’espoir : on peut souvent vaincre la maladie. Cet album en est la preuve éclatante.

« Sang neuf », Casterman, 256 pages, 26,90 €