jeudi 31 août 2023

Roman jeunesse - Nuage obscur sur les trois frères


Pas de soleil ce matin. Il ne fait même pas jour. Les trois frères n’en reviennent pas. L’obscurité est quasi complète bien que l’on soit en milieu de matinée. Le début du roman pour adolescent signé Vincent Villeminot, Black Cloud (Éditions PKJ, 320 pages, 13,90 €) est saisissant.

La fin du monde. Non, juste une explosion à l’est et ce nuage noir qui fait écran. Mais finalement, c’est peut-être bien le début de la fin du monde. Dans leur ferme, dans les hauteurs, ils sont à l’abri. Le père a fait des réserves avant de disparaître, mort ou emprisonné. Mais ils craignent les rôdeurs, les pillards. Car le pays sombre dans l’anarchie.
Au bout de quelques semaines, deux visiteurs indésirables tentent de les piller. Deux femmes, une jeune mère et sa fille. Les frères ont pitié et le groupe s’agrandit. Première partie d’un triptyque, ce Black Cloud (nuage noir) qui plonge le monde dans la peur et la violence, est l’occasion d’analyser nos réactions face à l’adversité. Il y a beaucoup d’humanité dans la fratrie. De curiosité aussi. Et une bonne dose d’inconscience quand l’un d’entre eux descend en ville pour tenter de retrouver le père et récupérer des médicaments. 

Régis Franc : "Avec ce récit, ma mission lézignanaize est derrière moi"

 Pour raconter sa famille, Régis Franc, dessinateur, cinéaste, peintre et écrivain) avoue sans détour : "Je me suis arraché le cœur." Il a débuté par son père, puis a rajouté des chapitres sur sa mère et sa sœur. Cela donne "Je vais bien", un livre de 160 pages aux Presses de la Cité disponible depuis le jeudi 24 août 2023 dans toutes les librairies de France. Il décrit la vie simple d'une famille de Lézignan-Corbières, souvent frappée par le malheur. Un texte émouvant, où il refait vivre les fantômes de son passé, comme pour clore définitivement la partie lézignanaise de son existence. 

Vignes de Fontcouverte vendues, livre bouclé : cette rentrée 2023 est comme une page qui se tourne définitivement pour Régis Franc. Le célèbre dessinateur de BD (Le café de la Plage, Tonton Marcel), a grandi dans l'Aude, du côté de Lézignan-Corbières. A 18 ans il est "monté" à Paris. Lui, le fils d'un simple maçon, voulait réussir dans l'illustration. Son indéniable talent a fait le reste. Cette histoire familiale, il l'a longtemps conservée enfouie au plus profond de sa mémoire. Et de se demander s'il ne doit pas sa carrière à la mort de sa mère.

Pourtant, il reconnaît que "jamais je n'avais eu l'intention d'écrire sur les miens." Tout est parti en 2017 à la mort de son père, Roger, 97 ans, figure lézignanaise. Il écrit un petit texte d'hommage qui raconte en partie la vie de ce maçon audois. Il envoie le texte à son éditrice qui lui en demande un peu plus : écrire aussi sur sa mère et sa sœur. Il s'est donc attelé à la tâche et refait vivre les membres de sa famille.

Roger, le militant

Sur son père, il raconte l'enfance ouvrière, son engagement politique au parti communiste, la rencontre avec sa future épouse, pas du même milieu. Devenu artisan maçon, Roger est heureux avec Renée, son épouse, Régis, l'aîné et Régine, la petite sœur. "Dans les années 50, Roger publia dans le journal local (L'Indépendant), de longs poèmes en patois languedocien, langue que l'on appellerait plus tard l'occitan. Des alexandrins qui disaient son coin du Midi, des poèmes champêtres célébrant la beauté des garrigues", écrit l'auteur dans "Je vais bien", récit familial qui vient de paraître. 

Est-ce là que Régis Franc a attrapé le virus de l'écriture ? Il était très jeune et brillait à l'école. Jusqu'à cette maudite année 1960. Il sait que sa mère est malade. Un cancer. Elle dépérit. Il devient anxieux. "Je craignais que le ciel me tombe sur la tête. Et il m'est effectivement tombé sur la tête", se souvient-il.

Mélancolie à L'Ensouleiado

En pleines vacances, alors qu'il profitait de joies de la mer dans un chalet à Gruissan chez sa tante, il apprend que sa maman vient de mourir. Elle n'aura jamais pu vivre dans la maison que son mari a entièrement construite de ses mains, L'Ensouleiado, L'Ensoleillée. Roger et ses deux enfants déménagent quelques jours après les obsèques. Ils entrent dans cette maison comme on entre en mélancolie. Si Régis quitte l'Aude à 18 ans, "c'est pour m'extraire de cette mélancolie".

Il ne reviendra que de façon intermittente dans ce Sud. Et n'est pas toujours compris comme il le raconte dans ce récit : "Les gens du village qui veulent lui parler lorsqu'il réapparaît dans le secteur en sont pour leur frais. Il balance des blagues qu'ils ne comprennent pas. Ça ne fait pas plaisir." Après coup, Régis Franc reconnaît qu'il était comme dans la peau d'un personnage et qu'il "surjouait". 

Dans ce récit, on apprend aussi comment il a failli mourir quand il a été éjecté du plateau d'une camionnette de retour de la plage. Coma, plusieurs semaines à l'hôpital. Il n'en garde que de bons souvenirs : "C'était formidable car tout le monde s'intéressait au pauvre petit qui avait failli mourir." Il raconte aussi une séquence particulièrement émouvante quand Renée, au guidon de sa mobylette, rejoint Régis, en colonie de vacances à la Franqui, risquant sa vie entre les camions sur la nationale 9. "J'étais terrifié, persuadé qu’elle venait pour me dire quelque chose qui va arriver, de terrible. La chose qui, je crois, a le plus changé ma vie."

La "fugue" de la petite soeur

Quelques années plus tard, c'est sa sœur qui abandonnait la famille. Une fugue définitive qui a encore plus anéanti le père. Régis, lui, se désespère : il n'arrive pas à sauver les siens. Dans son récit, il se demande "quand ai-je su que je ne sauverais personne ?" Et de se souvenir de ce constat, alors qu'il est au bord d'un terrain de sport : "L'absurdité de ma vie de rien me glaçait. J'écoutais la musique  du vent froid soufflant sans faiblir de novembre à avril. La tramontane qui envoyait le ballon par-dessus la clôture où il disparaissait à jamais. Et ma mère venait de mourir. Je devrais m'y faire."  

Aujourd'hui, Régis Franc n'a plus d'attache audoise. Il a exploité durant une quinzaine d'années quelques vignes près de Fontcouverte, mais a revendu son domaine. De même, la maison construite par le père pour la mère, a été revendue. L'Ensoleiado est toujours à Lézignan-Corbières. Mais chaque fois que Régis Franc passait devant, il avait un pincement au cœur. "C'était la maison de ma mère, celle où elle n'a jamais pu habiter." Avec ce livre, l'auteur entend aussi rendre un dernier hommage à sa famille : "J'ai une vraie tendresse pour les miens. Je ne les vois pas comme des gens qui m'ont rendu malheureux. Ils ont simplement fait ce qu’ils ont pu. Mon père en particulier." 

"Je vais bien" de Régis Franc, Presses de la Cité, 160 pages, 18 €   (disponible également en poche chez Pocket)

mercredi 30 août 2023

BD - L’Ouest frappadingue par Supiot et Geffroy


La conquête de l’Ouest américain et par extension toutes les histoires de cowboys a toujours fasciné les auteurs de BD. Beaucoup de séries réalistes de légende (Jerry Spring, Blueberry), des pastiches hilarants (Lucky Luke, Chick Bill) et depuis quelques années des hommages au troisième degré. On peut classer dans cette catégorie Les cowboys sont toujours à l’Ouest (Fluide Glacial, 56 pages, 15,90 €), anthologie d’histoires courtes signées Supiot (scénario) et Geffroy (dessin).

Des saynètes qui reprennent les grands mythes de l’Ouest, le vrai, de l’épopée du Pony Express à certaines légendes indiennes. Appréciez plus spécialement le récit complet sur Buffalo Yves. Des organisateurs de spectacles ont promis à la reine Victoria une rencontre avec Buffalo Bill, le célèbre chasseur de bisons. Mais indisposé, il est remplacé au dernier moment par Buffalo Yves, son équivalent… français. La reine va-t-elle s’apercevoir de la supercherie.
On rit aussi à la variation gore sur la vengeance de Nanabohzo, le dieu indien qui prend la forme d’un lapin. Un album qui n’est pas avare en jeux de mots comme « chasseur déprime » ou « Fort Bidden ».

BD - Laurent Bonneau signe un roman graphique, de l'abattoir à l'art contemporain

Les romans graphiques aussi sont au rendez-vous de la rentrée littéraire française de 2023. Laurent Bonneau, dessinateur ayant longtemps résidé à Narbonne et qui est installé depuis quelques années dans les Albères dans les Pyrénées-Orientales, dessine "Ceux qui me touchent", un scénario de Damien Marie dans la collection Grand Angle. Les interrogations d'un jeune père sur son travail (tueur de cochons dans un abattoir) et ses rêves brisés d'artiste. 

Depuis son premier album paru chez Dargaud en 2010, Laurent Bonneau n'a cessé de publier des titres chez divers éditeurs, de Futuropolis à Bamboo Grand Angle en passant par Des Ronds dans l'O. Les longs récits ne l'effraient pas. Il propose donc ce mercredi 23 août dans toutes les bonnes librairies françaises, un roman graphique de plus de 220 pages. Ceux qui me touchent est la suite indirecte de Ceux qui me touchent, paru en 2014.

Toujours sur un scénario de Damien Marie, Laurent Bonneau illustre ce passage de la vie d'une jeune famille française comme il en existe tant. Fabien, sa compagne Aude et leur petite fille, Elisa. Lui, diplômé des Beaux-arts, a remisé ses envies d'œuvre novatrice pour accepter un travail alimentaire. Triste travail, dans un abattoir. Il tue des cochons matin, midi et soir. Une semaine en journée, l'autre la nuit. Tuer mais aussi vider et découper. Du sang partout, tout le temps. Plus que n'en aura vu le moindre soldat des tranchées.

Le cochon tatoué

Aude est infirmière dans un hôpital public. Manque de personnel, moyens limités, elle tire sur la corde pour ne pas craquer. Par chance ils ont eu Elisa, adorable fillette, un peu trop remuante par moments, qui aime tant que son papa lui raconte, le soir avant de s'endormir, une histoire avec un chevalier armé d'un bâton magique, une princesse, un loup... et des cochons zombies, dont l'un d'entre eux a un cœur tatoué sur la fesse. Il y a aussi un grand cerf majestueux dans ces histoires imaginées à deux.

Alors que Fabien sombre de plus en plus dans la morosité et l'épuisement à cause de son boulot, il percute, un soir avec sa voiture, une biche. Quand il s'arrête, il voit au loin un grand cerf. Majestueux. Une première alerte sur son équilibre mental. Quand le lendemain, il découvre parmi les porcs à peine arrivés à l'abattoir, un mâle avec un beau tatouage, il décide de sortir des clous, de la norme, au risque de perdre son emploi. Et de sauver cet animal. Même si, selon l'adage, "rien ne ressort vivant de l'abattoir". Il achète donc le cochon et le met en pension complète chez l'éleveur. Il apprendra ainsi que le tatouage est l'œuvre de la fille du paysan, une jeune femme autiste, mutique mais très douée et aimant autant l'art que les cochons.

De l'art ou du cochon ? 

Fabien va avoir l'idée d'utiliser cette artiste cachée pour changer le destin de sa famille. 

Le scénario de Damien Marie explore plusieurs thématiques. Celle des abattoirs, usine de la mort où des animaux vivants entrent sur leurs quatre pattes et en ressortent sous forme de barquettes prêtes à être cuisinées destinées aux rayons alimentaires des grandes surfaces.

L'autre problématique concerne l'art et sa perception. Un sujet qui tient à cœur à Laurent Bonneau qui peint également et réalise dans la structure éditoriale qu'il a créé (LauMa éditions) des livres à petit tirage reprenant des reproductions de ses œuvres comme le très beau "Lumières des Albères" ou "Corps". Pour Laurent Bonneau, "l'art est partout, lorsque nous sommes prêts à le voir. La beauté, la réflexion, l'art, existent dans le regard de celle ou celui qui y est sensible."  En découvrant les planches de Ceux qui me restent, signées Laurent Bonneau, on ne peut qu'être ébloui par son trait vif et acéré, croquant des moments de la vie intime et familiale. 

De grandes cases, au trait noir charbonneux, rehaussées d'une seule couleur en fonction de l'ambiance ou des lieux. Le vert symbolise l'abattoir, le rouge orangé la ferme, le jaune les moments complices avec sa fille. Un roman graphique d'une grande densité, exigeant, édifiant. Preuve que l'art peut se mettre au service d'une bonne histoire et que le récit permet aux meilleurs graphistes de s'exprimer. 

"Ceux qui me touchent" de Damien Marie (scénario) et Laurent Bonneau (dessin et couleur), Bamboo - Grand Angle, 224 pages, 24,90 € 

Les débuts de Daniel Clowes dans la revue Eightball



Considéré à juste titre comme l'auteur le plus emblématique de l'underground américain actuel, Daniel Clowes a sa propre collection aux éditions Delcourt. Avec "Twentieth Century Eightball", ce sont ses œuvres de jeunesse que le lecteur français peut redécouvrir. 


Des récits complets parus dans la revue Eightball à partir de 1989. 45 BD de jeunesse où on retrouvait déjà toute l'introspection et critique sociale qui marque l'oeuvre de l'auteur de Chicago. Premiers travaux réalisés alors qu'il était encore étudiant aux Beaux-Arts. Cela donne une vision très cynique d'un petit milieu où le grand n'importe quoi permettait de justifier toutes les expériences. Tel cet étudiant, constatant au petit matin qu'il n'a pas fait son projet, de se dire en se brossant les dents : "Je peux toujours remettre ma brosse à dents comme prise de position conceptuelle sur le consumérisme..." 


Daniel Clowes se met en scène ou endosse les personnalités de losers absolus comme Lloyd Llewllyn, Zubrick  ou Pogeybait. Ce qui est sûr, à chaque fois, c'est qu'il est sans pitié. Pour lui ou ses doubles de papier. Cela lui permet aussi de taper dur sur la société américaine et ses excès. C'est salutaire et des petites notes de la traductrice, Anne Capuron, permettent de mieux comprendre les allusions à des célébrités qui (parfois par chance), n'ont pas franchi l'Atlantique.

"Twentieth Century Eightball" de Daniel Clowes, Editions Delcourt, 104 pages, 19,99 €

mardi 29 août 2023

Roman français – Serge Joncour livre son récit de confinement


Laissez-vous emporter par la prose puissante de Serge Joncour. Après le remarquable Nature humaine (Flammarion, prix Fémina 2020 et prix Midi 2021), l’auteur qui aime tant l’Occitanie et plus spécialement le Lot, reprend le récit des vies de la famille d’Alexandre Fabrier, ce paysan exemplaire de l’évolution d’un métier jusqu’à la fin du XXe siècle.

Chaleur humaine (Albin Michel, 348 pages, 21,90 €) se déroule 20 ans après. Nous sommes en janvier 2020. Seul sur sa ferme, Alexandre élève des vaches, les parents continuant de produire quelques légumes avec un ouvrier, Alexandre a prolongé son histoire d’amour à distance avec Constanze, l’Allemande protectrice de la nature. Ses sœurs sont des citadines. L’une professeur à Toulouse, l’autre tient un café à Rodez, la dernière travaille dans les nouvelles technologies à Paris.
Frère et sœurs sont fâchés. La faute à des éoliennes géantes implantées sur les terres des exilées. Mais quand le confinement à cause de la pandémie Covid est décrété, elles décident de revenir se mettre au vert. Un roman puissant sur la réconciliation familiale, l’attachement à la terre, sa préservation et l’amour des animaux. Des simples vaches en passant par d’adorables chiots, vedettes indirectes de cette Chaleur humaine.

Cinéma - “Super bourrés” certes, mais à l’alcool local !

Deux jeunes ruraux découvrent les vertus de la distillation dans une comédie fleurant bon le terroir. Quand les prunes ouvrent les chemins des paradis artificiels.


Biberonné très jeune aux séries anglaises irrévérencieuses, Bastien Milheau, Toulousain, fait partie de cette jeune génération de réalisateurs français capables de signer un scénario désopilant et de le mettre en scène avec brio. Même si Super Bourrés est sa première réalisation, on devine derrière cette histoire d’amitié sur les routes ensoleillées du Gers, un film abouti, où tous les détails ont leur importance. « J’ai une culture de l’arrière-plan, avoue-t-il lors de sa venue à Perpignan afin de présenter son film en avant-première. J’aime ces seconds niveaux de lecture comme la BD en offre des quantités, notamment chez Gotlib. » 

Soyez attentifs, les gags visuels sont légion tout au long de ce film court mais dense. Dans cette Occitanie qui aime la convivialité et le partage, si possible autour d’un apéro, les lycéens se préparent à fêter la fête de fin d’année. Janus (Pierre Gommé) et sa meilleure amie Sam (Nina Poletto) sont missionnés pour ramener l’alcool à la grosse fiesta du soir. Mais un quiproquo les voit revenir bredouilles de l’épicerie. Ils vont tenter de trouver une solution. En cherchant des bouteilles dans la cave de son grand-père, Janus découvre une machine quasi magique qui pourrait résoudre ses problèmes. Il lui faut juste quelques kilos de prunes fermentées.


 Par chance, le père de Sam, paysan à l’accent rocailleux interprété par un Vincent Moscato étincelant, cultive ces fruits pour les transformer en pruneaux. Avec le renfort de Paulette, un âne adorable même s’il a son caractère, ils vont acheminer les précieux fruits à travers la campagne magnifiquement filmée par Bastien Milheau qui a su sublimer les paysages de son enfance.

Message à destination des jeunes

Pure comédie, avec son lot de gags qui fonctionnent à merveille (longue tirade de Sam sur l’effet des pruneaux sur ses intestins, Jean Lassalle en papy à moitié sénile vénérant l’eau-de-vie…) Super Bourrés est aussi un film avec l’accent. Devenues plus rares, ces réalisations ancrées dans leur terroir, permettent à toute une partie de la France, généralement oubliée par le monde du cinéma, de se reconnaître dans ces situations rocambolesques. 

Un film sur un alcool de vieux, mais qui s’adresse aux jeunes. Janus, plus lettres que rugby, veut quitter cette province dans laquelle il a l’impression d’étouffer. Même sentiment pour Sam, mais car elle craint cet avenir tout tracé qui consiste à reprendre l’exploitation familiale. À moins que…

Enfin les purs cinéphiles remarqueront dans un petit rôle (la prof de SVT) une des dernières apparitions de Sophie Fillières, réalisatrice et comédienne morte en juillet dernier, issue de la première promotion de la Femis, école de cinéma qui a également formé Bastien Milheau. Sophie Fillières à l’affiche aussi dans un des meilleurs films français de l’année, Anatomie d’une chute de Justine Triet, sorti une semaine avant Super Bourrés et récompensé de la Palme d’or à Cannes.

« Super bourrés », film de Bastien Milheau avec Pierre Gommé, Nina Poletto, Barbara Schulz, Vincent Moscato et Jean Lassalle

lundi 28 août 2023

BD - Pilote US sous influence en Afrique


La guerre froide a beaucoup compliqué la vie politique en Europe. Mais la guerre d’influence entre USA et Union soviétique a également agité quelques pays africains. Le troisième tome de la série Liberty Bessie (Vents d’Ouest, 56 pages, 14,95 €) raconte un de ces épisodes.


Le lecteur retrouve avec plaisir l’héroïne, Bessie, une jeune afro-américaine, fille d’un pilote qui a participé à la libération de l’Europe. Elle-même excellente aviatrice, elle transporte du fret dans son vieux coucou entre Kenya et Éthiopie. C’est là qu’elle va être mise en relation avec des officiers russes chargés de former les futurs pilotes kenyans. Mais en réalité, Natalia, blonde et experte du manche à balai, a pour mission secrète de retourner Bessie et de la pousser à devenir une espionne.
Mais si Bessie a de la rancœur envers son pays où les Noirs sont toujours stigmatisés, elle est avant tout attachée à sa liberté et à retrouver ses ancêtres. Une histoire de Buendia et Djian basée sur des faits historiques réels mais qui vaut surtout pour la personnalité de Bessie. Quant à Vincent, ai dessin, il signe des planches remarquables de la nature africaine et de combats aériens.

Cinéma - “La bête dans la jungle”, un film hypnotique

Un couple se retrouve dans une boîte de nuit tous les samedis soirs. La vie s’écoule, ils observent et espèrent durant de longues années.


Sous des aspects parfois expérimentaux, le film La bête dans la jungle de Patric Chiha reste le prototype de l’histoire d’amour triste. Elle, May, le remarque alors qu’elle n’a que 15 ans. Lui, John, est seul dans les gradins d’une fête locale estivale dans les Landes. Ils ont 15 ans. Elle voudrait danser. Pas lui. Il va lui confier un secret. Et ne plus se voir de l’été.

Des années plus tard, May est devenue une jeune femme aimant faire la fête en compagnie de sa petite bande d’amis. Nous sommes en 1979, les tenues sont extravagantes et le groupe va participer à l’inauguration d’une nouvelle boîte de nuit parisienne. Encore faut-il passer l’obstacle de la physionomiste (Béatrice Dalle dans un rôle de narratrice tragique). May, son sourire, son effronterie, sa joie de vivre, font céder toutes les difficultés. Le film débute véritablement quand elle entre dans cette vaste fosse peuplée de toutes les minorités sexuelles de l’époque, transpirant sur du disco, fumant, se droguant, dansant et plus si affinités. C’est là qu’elle le remarque. Il est comme absent, déconnecté de la folie ambiante. Elle va s’approcher de lui, lui rappeler ce secret qu’il lui a confié et le retrouver tous les samedis durant de longues années.

Entre amour platonique ou amitié fusionnelle, la relation entre May et John va évoluer. Il lui demandera de lui faire confiance. Il sait qu’un jour, son secret deviendra réalité. Le film, tout en suivant cette relation unique et parfois un peu hypnotique tant elle est pleine et fusionnelle, raconte aussi la France de la fin du XXe siècle. Espoir de l’élection de Mitterrand, angoisse face aux ravages du sida, gentrification de la capitale…

Deux rôles aux antipodes

Avec de longs morceaux musicaux pour illustrer ce temps qui passe mais n’a pas de prise sur May et John, comme s’ils étaient encore et toujours adolescents dans ce bal landais. Si May danse beaucoup, John, jamais, ne mettra les pieds sur la piste. Leur relation si particulière, incompréhensible par certains de leurs amis, ne les empêche pas d’avoir des amants ou maîtresses, de vivre presque normalement le reste de la semaine. Un film étrange (comme son titre), unique, magnifié par deux comédiens aux antipodes (Tom Mercier taciturne et mystérieux, Anaïs Demoustier joyeuse et extravertie) et véritable master class pour les cinéastes désireux de filmer des foules en train de danser.

Film de Patric Chiha avec Anaïs Demoustier, Tom Mercier, Béatrice Dalle

dimanche 27 août 2023

Roman français - L’âne et le déserteur


Mathias Enard a déjà remporté le Goncourt en 2015 pour son roman Boussole. C’est regrettable car il aurait mérité aussi le prix suprême de la littérature française avec son nouveau roman, Déserter (Actes Sud, 254 pages, 21,80 €). Mais on ne peut pas remporter deux fois le Goncourt ! Une règle immuable…

Composé de deux récits parallèles, le roman explore deux facettes de l’âme humaine. L’intelligence et la bestialité. L’intelligence avec la vie de Paul Heudeber, mathématicien allemand, rescapé des camps de la mort (Buchenwald exactement). Sa vie est racontée par sa fille qui se souvient de l’hommage avorté au génie de son père le 11 septembre 2001 à Berlin. La bestialité c’est celle qui a longtemps habité ce soldat déserteur. Il erre, sale, puant, fourbu dans la montagne. Il se dirige vers le nord, la frontière, pour fuir son passé, ses exactions. Sans que cela soit dit explicitement, on comprend que le soldat était un Franquiste. Qu’il a tué et violé.
Quand il croise le chemin d’une jeune femme, elle aussi en fuite accompagnée d’un âne, il va enfin renaître et résister à sa violence intrinsèque. Sans doute la meilleure partir du roman, offrant les plus belles descriptions de la nature sauvage méditerranéenne de la littérature française. Sans oublier l’âne, symbole de cette bestialité que le déserteur veut effacer de sa nouvelle humanité.

Roman français – Fabrice Caro nous livre le prototype du scénario évolutif


Non, la rentrée littéraire française n’est pas forcément synonyme de prise de tête de scribouillards nombrilistes. Certes il y a plus de textes qui nous tombent des mains que de romans franchement marrants. Si vous recherchez la seconde catégorie d’ouvrage, précipitez-vous sur le Journal d’un scénario (Gallimard Sygne, 190 pages, 19,50 €). On retrouve Fabrice Caro à la manœuvre.

Le comique de service, plus habitué à signer de la BD sous le pseudo de FabCaro (il sortira le 40e Astérix, L’iris blanc, le 26 octobre prochain) se penche cette fois sur le monde du cinéma. Boris, le héros, partage avec le lecteur le journal du scénario de son projet de film romantique, en noir et blanc, intitulé Les servitudes silencieuses. Un producteur est intéressé. Il se lance à la recherche de partenaires financiers. L’exaltation de Boris va vite dégringoler car il devra renoncer à certaines de ses idées.

On rit à ses reculades : passage à la couleur, changement de titre, modification du casting (Louis Garrel remplacé par Kad Merad)… Mais ce n’est que le début du carnage. C’est au bord du suicide qu’il termine, deux mois après la signature, la version définitive de De l’eau dans le gaz, nouveau titre du projet. Une satire réjouissante d’un milieu gangrené par la médiocratie.
 

samedi 26 août 2023

BD – Genèse d’un film de boules


L’amitié, l’amour du cinéma de série Z et la mort nous poussent parfois à faire de bien étranges choses. Anne et Fred par exemple, pour rendre hommage à leur meilleur ami Henri, récemment décédé, ont décidé de réaliser le scénario de film qu’il venait de finaliser.


C’est ce tournage qui sert de fil conducteur au roman graphique d’Antoine Bréda. Les boules (6 pieds sous terre, 96 pages, 16 €) fait toute la lumière sur « Les aventures d’Adrix le Destructeur, l’empereur des 9 galaxies ». Clairement un nanar, avec décors en carton-pâte, costumes bricolés, dialogues idiots et, pour couronner le tout, truffé de scènes pornographiques complètement gratuites. Un film de boules, quoi !
Si Anne endosse le statut de réalisatrice, Fred accepte de jouer le rôle d’Adrix. Problème, il doit régulièrement « honorer » la sorcière bleue dont l’urine est magique. Des scènes qui offusquent (pour être gentil) sa petite amie. On rit beaucoup de ce tournage foutraque et clandestin, perturbé par des chasseurs libidineux ou des policiers tatillons. 

Mais in fine, cette BD, en plus de renseigner sur la passion de certains cinéastes, nous apprend beaucoup sur l’amitié et les différentes façons de ne pas oublier les morts.

Roman français - Souvenirs amoureux de Chloé Delaume


Autofiction mon amour ! Chloé Delaume aurait aussi pu donner ce titre à son roman, sorti ce vendredi dans le cadre de la rentrée littéraire. Ella a préféré Pauvre folle (Seuil, 236 pages, 19,50 €), description assez convaincante de l’état d’esprit de son double de papier, Clotilde, écrivaine bipolaire, dite la Reine.

La narratrice égrène ses souvenirs. D’enfance ou amoureux. Elle se souvient pourquoi elle aime la poésie, comment son père a tué sa mère qui voulait simplement divorcer (le terme de féminicide n’était pas inventé), avant de se faire sauter le caisson avec le même fusil… Avec ses copines, elle découvre que les hommes sont tous des gros connards, détaillant les différentes catégories où messieurs vous pourrez tous vous reconnaître du « réactionnaire en sandales » au « verrat visibilisé ».

Mais elle change quand elle tombe amoureuse de Guillaume dit le Monstre et tente de le séduire. Problème, Guillaume est gay et en couple depuis des années. On rit parfois aux remarques de Clotilde, on s’énerve aussi avec elle quand elle fustige les modes comme la résilience : « Ça arrange bien tout le monde cette histoire de résilience, on peut broyer les êtres puisqu’ils s’en remettent toujours. »

vendredi 25 août 2023

En vidéo, “Dalva”, fille sous emprise


Petite sensation lors du dernier festival de Cannes, Dalva, premier film d’Emmanuelle Nicot sort en DVD (Diaphana) avec de nombreux bonus. Deux courts-métrages de la jeune réalisatrice belge ainsi que son portrait réalisé dans le cadre de la Fondation GAN pour le cinéma. Dalva a 12 ans. Kidnappé par son père, elle vit avec lui et les services sociaux suspectent un possible inceste. 

Le film débute par l’arrestation du père et les cris de désespoir de Dalva qui veut le défendre. Car l’adolescente est totalement sous emprise. Le film raconte avec une crudité extrême son placement en foyer et le long travail des éducateurs et encadrants dépendants de la Justice. 

La performance de Zelda Samson, jeune inconnue à la présence magnétique, a été saluée unanimement par la critique.

BD - Humour jaune rebondissant selon Panaccione

Se moquer du sport, et surtout des sportifs, reste la meilleure façon pour se déculpabiliser de ne pas s’adonner à la moindre activité physique. Les footballeurs sont des proies de choix. Pourtant il existe une race de sportifs tout aussi bien payée qui échappait jusqu’à présent aux sarcasmes : les tennismen. Erreur réparée par Grégory Panaccione avec son Encyclopédie du tennis (Fluide Glacial, 56 pages, 13,90 €) constituée d’histoires courtes parues précédemment dans le mensuel créé par Gotlib.

Pour nous donner les rudiments de ce sport, Panaccione a fait confiance à Marcel Costé, international qui rêve de devenir N° 1 et déjà croisé dans Match, autre album hilarant sur la raquette et les balles jaunes, comme un certain humour. Marcel, gros godillots, bedaine en expansion, cheveux blond filasse et barbe de trois jours ressemble à Bjorg croisé avec Chabal. Il excelle à la destruction de raquettes, fume une clope au changement de côté et préfère le gros rouge à la Vittel.

L’occasion pour l’auteur de bousculer les règles. On assiste à des parties de tennis-car (les joueurs sont dans une voiture) et après le simple ou le double, place au centuple : chaque équipe sur le court est composée de cent joueurs.

jeudi 24 août 2023

Cinéma - “Anatomie d’une chute” et doute assourdissant

La justice décortiquée, dans ses doutes et ses raccourcis, grâce au film de Justine Triet, Palme d’Or à Cannes.


Palme d’Or plus que méritée au dernier festival de Cannes, Anatomie d’une chute de Justine Triet est un thriller judiciaire captivant. On ne voit pas passer les 2 h 30 du film tant la tension et l’intrigue sont minutieusement distillées par la réalisatrice et ses interprètes. L’histoire d’une romance qui finit mal, dans le sang qui tache la neige. 

En hiver, dans la région de Grenoble, Sandra (Sandra Hüller), romancière allemande, vit dans un chalet isolé en compagnie de son mari, Samuel, originaire de la région, professeur d’université. C’est leur fils, Daniel (Milo Machado Graner) qui, au retour d’une balade avec son chien Snoop, découvre son père, mort devant la maison. Il était en train de faire des travaux dans les combles. 

Chute mortelle ? Les gendarmes doutent. La veille, Sandra et Samuel se sont violemment disputés. À l’issue d’une enquête compliquée, Sandra est accusée du meurtre et se retrouve aux assises. La première heure du film permet de contextualiser les rapports de la famille. Comprendre notamment que Daniel est aveugle après un accident dont Samuel serait responsable. 

Le doute omniprésent

Vient ensuite l’heure du procès. Le corps du film, filmé en plans resserrés, avec tous les effets de manche comme autant de trucs de comédiens de théâtre. L’avocat général (Antoine Reinartz) multiplie les questions piège pour acculer Sandra dans ses derniers retranchements. Car elle n’a pas tout dit aux enquêteurs. 

Elle pourra compter sur le calme et la rigueur méthodique de son avocat, Vincent (Swann Arlaud), qui a bien connu Sandra dans sa jeunesse. Cette partie est brillamment réalisée. Justine Triet y déploie sa science des cadrages, des dialogues et des silences parlants pour amener le spectateur à se poser les mêmes questions que les jurés : Sandra est-elle coupable ? A-t-elle tué son mari depuis la terrasse ? A moins que ce dernier ne se soit tout simplement suicidé en sautant dans le vide ? 

Malgré l’enquête, les avis des experts certifiés qui défilent à la barre, les déclarations de Daniel qui raconte ce qu’il croit avoir entendu, les arguments de la défense comme de l’accusation, le déroulement des faits reste une simple hypothèse. Pas de preuves formelles. 

On est alors pris d’un doute, incapable de savoir ce qu’il s’est véritablement passé. Pourtant tout procès doit, au final, délivrer son verdict. C’est aussi la grande leçon de ce film qui place la justice à son véritable niveau : une simple approximation.

Film français de Justine Triet avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Machado Graner


Roman - Les transparents imaginés par Lilia Hassaine


Avez-vous déjà, profitant d’une fenêtre ouverte, observé subrepticement vos voisins ? Attitude répréhensible de nos jours. Pas dans le futur proche décrit par Lilia Hassaine dans Panorama (Gallimard, 240 pages, 20 €).

En 2050, la France a élevé la transparence au rang de dogme. Les maisons n’ont plus de murs mais d’immenses baies vitrées et l’obligation de tout laisser apparent. Résultat fin des violences intrafamiliales et des cambriolages… La police est presque au chômage comme le constate Hélène, « gardienne de protection. » Un monde aseptisé, qu’on peut déjà en partie deviner en regardant la jeunesse s’affichant sur des profils Instagram ou TikTok qui dévoilent tout.

Quand une famille disparaît, Hélène est chargée d’enquêter. « C’est à la nuit tombée qu’on voit le mieux, note la flic. On entre chez les gens comme par effraction, on fracture les serrures d’un simple coup d’œil. » Mais comment trois personnes, surveillées en permanence par une dizaine de voisins vigilants peuvent-elles s’évaporer dans cette société qui a tout du cauchemar éveillé ?

Charge au vitriol contre le voyeurisme et l’exhibitionnisme, Panorama interroge aussi sur le vivre ensemble, l’intimité et les secrets de famille.

mercredi 23 août 2023

En vidéo - “Les complices” maladroits du tueur à gages


Entièrement tourné dans l’Hérault, notamment dans les environs du lac du Salagou, Les complices de Cécilia Rouaud est une comédie trépidante dotée d’un trio d’une belle complémentarité. Max (François Damiens) est un tueur à gages au chômage : depuis peu, dès qu’il voit une goutte de sang, il tombe dans les pommes. Pourchassé par son organisation qui veut l’éliminer, il va recevoir l’aide de ses voisins, Karim (William Lebghil) et Stéphanie (Laura Felpin). 

Si lui est gentil, prévenant et cool, elle est dynamique, énervée et agressive. Employés (esclaves plus exactement), dans une société d’immobilier, ils vont permettre à Max de découvrir le monde du travail réel. Qui se révélera au final tout aussi violent que son organisation d’assassins. Le scénario, qui se cherche un peu par moments, hésitant entre les deux intrigues et les deux mondes, est finalement plus futé que décousu.

 L’humour est bombardé de tous côtés. François Damiens est parfait en être froid, calculateur et sans la moindre empathie, William Lebghil excelle dans son interprétation d’un gentil petit faon harcelé pas ses supérieurs hiérarchiques et Laura Felpin, pour son premier rôle au cinéma, imprime comme une urgence à toutes ses scènes. 

La sortie en vidéo du film (M6 Vidéo), offre un seul et unique bonus, mais très marrant. L’interview des trois comédiens et de la réalisatrice. Ce n’est plus de la promo mais un formidable concours de vannes et de potacheries hilarantes. 

BD - Invasion et extinction avec « Aurora »


Nouvelle version de la fin du monde. Christophe Bec, scénariste, délaisse les effets du réchauffement climatique pour s’intéresser aux effets d’une aurore boréale. Durant 24 heures, la terre est sous influence. 222 000 enfants naissent ce jour-là.


Une vingtaine d’années plus tard, les enfants de l’Aurore semblent se réveiller, se connecter et agissent tous de concert. Le second tome de Aurora (Soleil, 64 pages, 15,95 €) de cette trilogie dessinée par Stéfano Raffaele, poursuit la présentation des différents portraits d’enfants. Du fils d’un multimilliardaire à l’intelligence hyperdéveloppée à l’orphelin d’une favela, expert en foot et immunisé contre toutes les maladies en passant par le militaire, sniper d’élite.

Une seule semble différente, la dernière de la lignée, celle qui est née le plus au sud. Elle n’entend pas l’appel mais comprend ce qui se trame. Car ces enfants devenus adultes n’ont qu’une mission : exterminer la race humaine. C’est donc un album d’une rare violence (il y a plusieurs références au film American Nightmare) qui est proposé aux amateurs de science-fiction. Reste à découvrir qui manipule les 222 000 enfants de l’Aurore.

mardi 22 août 2023

Rentrée Littéraire - Peintres enquêteurs de la Renaissance


Passé le 15 août, arrive, telle une déferlante, les premiers titres de la rentrée littéraire. Découvrez dès aujourd’hui dans votre librairie préférée ce roman très brillant de Laurent Binet sur le milieu des peintres florentins au XVIe siècle.

Loin de l’encyclopédie barbante, Perspective(s) (Grasset, 288 pages, 20,90 €) se présente sous forme d’un roman policier épistolaire. Tout débute par une lettre de Giorgio Vasari, peintre, architecte et conseiller du Duc de Florence, à Michel-Ange, exilé à Rome. Il lui demande de revenir pour l’aider dans l’enquête sur l’assassinat de Jacopo da Pontormo, retrouvé mort devant sa fresque un poignard planté dans le cœur. Circonstance aggravante, un portrait de la fille du Duc, nue, le sexe offert, est découvert près du cadavre. Une toile qui va servir aux opposants du Duc.

Un vrai roman, avec rebondissements, fausses pistes, courses-poursuites et actes de bravoure. Sans oublier une réflexion sur l’art et son évolution : « La perspective nous a donné la profondeur. Et la profondeur nous a ouvert les portes de l’infini » écrit Michel-Ange Déjà lauréat du Goncourt du premier roman en 2010, Laurent Binet, avec ses peintres enquêteurs, devrait faire partie des favoris pour le Goncourt 2023.

lundi 21 août 2023

Cinéma - “La voie royale” vers le pouvoir… ou le changement

"La voie royale", film de Frédéric Mermoud avec Suzanne Jouannet, Marie Colomb, Maud Wyler.


Film sur la fabrique de l’élite de la Nation, La voie royale de Frédéric Mermoud cache bien son jeu. On pense assister durant la première heure à un panégyrique de la culture de l’excellence, sélection naturelle qui permet aux plus brillants de suivre cette fameuse voie royale vers les grandes écoles, étape obligée pour toute personne qui rêve d’exercer le pouvoir.
D’autant que l’héroïne est une « campagnarde », une fille ayant un don pour les maths tout en aidant ses parents tôt le matin à donner à manger aux cochons et à charrier le fumier des vaches. Sophie (Suzanne Jouannet) est brillante. Son professeur de mathématiques voit en elle une pépite. Il fait tout pour qu’elle intègre une classe de prépa du lycée Descartes à Lyon pour tenter les concours.

Réticente au début, elle accepte finalement, avec le rêve a priori inaccessible d’intégrer Polytechnique, l’X. Ce chemin du combattant elle le partage avec Diane (Marie Colomb) et sous les encouragements (et brimades aussi) de sa prof Claire Fresnel (Maud Wyler). Travail intensif, intégration par les anciens, premières désillusions, amours impossibles : La voie royale est le portrait d’une jeunesse française qui oublie parfois de vivre. Sophie, avec son bon sens paysan, va tenter de s’intégrer. Mais elle découvre aussi qu’elle n’est qu’un quota. Une femme et boursière pour améliorer l’image du lycée.
Le film, dans sa seconde partie, prend le contre-pied et propose une autre vision de cette fabrique de l’élite. Élite plus humaine, responsable et au service de tous. Preuve que certains jeunes ambitionnent de prendre le pouvoir pour imposer un véritable changement en phagocytant l‘intérieur du système.
 

dimanche 20 août 2023

Cinéma - Les voyages (en train) forment la genèse

Catastrophes à répétition dans ce train en folie contrôlé par un Artus hilarant sous la férule d’une Elsa Zylberstein déchaînée. Un film déjanté signé Olivier Van Hoofstadt.

Si des milliers de trains circulent tous les jours en France, par chance il n’en existe aucun qui accumule les problèmes comme celui du film d’Olivier Van Hoofstadt (Dikkenek, Go fast). Au grand désespoir de Sébastien (Artus), contrôleur en passe d’être nommé chef de gare en Provence. Faut-il encore qu’il passe avec réussite le dernier test : faire un sans-faute sous le regard intransigeant de Madeleine (Elsa Zylberstein), la contrôleuse des contrôleurs. Or, Madeleine, est un cas. Sous des airs de jeune femme vieille France se cache une nymphomane en plein déni mais surtout une castratrice qui prend son pied en saquant les pauvres victimes masculines placées sous sa coupe.

Et comme si cela ne suffisait pas, Sébastien se retrouve avec un stagiaire de 3e, Adel (Maël Rouin Berrandou), par ailleurs fils du PDG.

Rien que les interactions à l’intérieur de ce trio (avec une palme à Elsa Zylberstein, excellente dans ce rôle atypique), suffiraient à se faire gondoler toute la salle. Mais le réalisateur a rajouté autant de rencontres que de wagons, multipliant les scènes insolites et délires humoristiques. De la chorale de handicapés qui chante à tue-tête du Johnny Hallyday en passant par la colonie de jeunes racailles supervisée par un spécialiste de Shakespeare ou des activistes écologistes qui tentent de protéger des singes qui quittent leur cage pour semer la panique parmi les voyageurs.

Il y a aussi une presque fausse alerte à la bombe et en fil rouge, qui transforme la comédie en film d’action avec suspense, une prise d’otages et un compte à rebours avant assaut des policiers d’élite. Bref on ne s’ennuie pas une seconde dans ce film au titre à rallonge, Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée, qu’on pourrait, selon le sarcastique stagiaire, transformer en slogan de la SNCF.

Lors d’une avant-première début juillet au Méga Castillet de Perpignan, Olivier Van Hoofstadt a expliqué combien ce film est important pour lui. « J’ai passé trois années à réécrire le scénario et trouver les comédiens pour les 18 personnages. » L’idée était de proposer « sept vaudevilles pour sept wagons avec la scène finale dans la locomotive de tête ». Il aurait aimé tourner avec Blanche Gardin, mais on ne perd pas au change avec Elsa Zylberstein. Elle aurait d’ailleurs pu être encore plus trash. Mais, explique le réalisateur, « je sais quand je vais trop loin. Je lui ai enlevé des scènes… »

Film d’Olivier Van Hoofstadt avec Artus, Elsa Zylberstein, Benjamin Tranié

samedi 19 août 2023

En vidéo - Le renouveau des Mousquetaires


Fidèle et très réussie, la nouvelle adaptation au cinéma du roman Les trois Mousquetaires d’Alexandre Dumas est disponible en vidéo. Plusieurs versions (DVD, blu-ray, 4K, coffret...) pour un film divertissant de grand spectacle, avec de très nombreux bonus.

On profite ainsi sur un second disque du making-of du film (28 minutes), d’entretiens avec Martin Bourboulon, le réalisateur et ses acteurs (38 minutes), d’une masterclass avec l’équipe du film (34 minutes) et enfin du clip de l’avant-première de prestige aux Invalides (6 minutes).
Un film qui vaut aussi pour la mise en avant de jeunes comédiens prometteurs, de François Civil à Pio Marmaï en passant par Lyna Khoudri. On les retrouvera avec plaisir le 13 décembre pour la sortie en salles de la seconde partie.

 

vendredi 18 août 2023

BD - Dérive californienne absolue dans « Le labeur du Diable »


Ce n’est certainement pas l’album de BD qui est le plus dans l’esprit de Noël. Au contraire, il est réservé à un public averti. Dans une ville de Los Angeles aux prises avec tous les vices, un petit employé de bureau frustré va se métamorphoser en tueur sanguinaire.


Il a ce mal ancré au fond de lui. Pour le faire émerger, il lui suffit d’endosser un uniforme de policier.
Écrit par Fathi Beddiar, ce scénario destiné au cinéma était trop violent pour passer l’épreuve des financements. Résultat, cela devient une BD extrême dessinée par Babbyan et Geanes Holland.
« Le labeur du Diable » (tome 1), Glénat, 24,95 €

jeudi 17 août 2023

Jeunesse – Capitaine Maman au fond des océans


Troisième aventure des aventures de Capitaine Maman, la gentille héroïne créée par Magali Arnal. Cette jolie chatte, est archéologue de son état. Avec son équipe elle va à la découverte des trésors du passé.

Dans cette aventure de 48 pages grand format, elle part avec son minibus et son nouveau sous-marin sur le toit ?


Dans le véhicule qui traverse un grand désert à destination du lac le plus profond du monde, les trois chatons et Quartier-Maître Mémé, indispensable assistante. Lors d’un arrêt casse-croûte, le chiot gratte le sable et découvre des os. C’est la tombe d’un guerrier. Autour de son squelette des objets de valeur et un bouclier en or.

Capitaine Maman entreprend de fouiller le site, mais l’arrivée de plusieurs personnes s’arrogeant le titre de propriétaire complique les choses. Dessinée dans des couleurs douces, cette histoire permet aux plus jeunes (dès 5 ans) de comprendre l’intérêt de l’archéologie et de préserver les derniers vestiges de nos ancêtres.
« Capitaine Maman et le musée d’archéologie », L’École des Loisirs, 14 €

mercredi 16 août 2023

Thriller - La tribu des vagues fait du surf (et meurt…) en Australie


La Méditerranée n’a jamais été une mer qui attire les surfeurs. Par contre l’Australie, après Hawaï, semble le paradis des amateurs de glisse. Paradis qui peut se transformer en enfer si l’on en croit La tribu (Calmann-Lévy, 416 pages, 22,50 €), thriller d’Allie Reynolds. Cette ancienne championne de snowboard, après le succès planétaire de Hors-piste, imagine cette histoire sous le soleil de la côte australienne.

Kenna quitte Londres pour faire une surprise à sa meilleure amie Mikky. Cette dernière s’est installée à Sydney pour profiter des vagues du Pacifique. Elle a rencontré l’amour, Jack, beau, blond, surfeur. Quand elle débarque à l’improviste, Kenna sent que quelque chose ne tourne pas rond. Impression confirmée quand elle se rend avec le couple à Sorrow Bay, un endroit secret et sauvage, où un groupe d’amis, fonctionnant comme une tribu (« On partage tout, on carbure à la peur ») profite de vagues phénoménales.
Jeu de massacre où peu n’en réchapperont, La tribu distille ses coups de théâtre dans un récit à la première personne de Kenna, pas si naïve qu’il n’y paraît. Parfait pour un dépaysement complet, ce roman est à recommander aux fans de surf et de… manipulation psychologique.

mardi 15 août 2023

Manga - Mini détectives sur les traces sanglantes du Tengu


Le manga, comme la bande dessinée européenne, couvre l’ensemble des genres. Pour les amateurs de frissons, ne ratez pas cette nouvelle série de Hôsui Yamazaki, Chasse aux cadavres (Casterman - Sakka, 184 pages, 8,45 €).


Quatre collégiens japonais, détectives en herbe, décident de commencer leurs vacances en tentant de résoudre l’énigme de la disparition de la jeune Ayano. Cette fillette est recherchée depuis des mois par ses proches et la police. En vain. Isshin, la tête pensante du groupe, a une piste. Une photo du ravisseur aurait été postée peu de temps après l’évaporation d’Ayano. Il pose avec un masque de Tengu (créature légendaire). Derrière lui, le pylône d’une ligne à très haute tension. Isshin l’a reconnue. Cette ligne passe par le mont Tsukuo. C’est là que les aventuriers se rendent, à vélo.

Une quête mouvementée pour les jeunes héros, avec un tueur qui agit dans l’ombre, une ravissante journaliste qui se propose de les aider et des décors assez inquiétants, notamment le camping abandonné. Cette histoire d’amitié et de persévérance de jeunes qui n’ont pas froid aux yeux fait un peu penser au film Les Goonies, avec le risque en plus car le tueur semble être un maniaque de la pire espèce.

lundi 14 août 2023

Roman – Camille Laurens chez Quarto ou l’autofiction reine


L’œuvre de Camille Laurens est qualifiée par son éditeur « de jeu de miroirs, de mise en abyme, où se confondent, jusqu’à devenir indissociables, fiction et réalité. » En clair, c’est une reine de l’autofiction. Ses héroïnes sont souvent romancières, vivent de nos jours et analysent avec une rare acuité les enjeux de l’époque, notamment sur les questions de la place de la femme dans la société.

On peut découvrir une grande partie de son œuvre dans ce volume de la collection Quarto (Gallimard, 1020 pages, 26 €). On retrouve plusieurs de ses romans, de Index, le premier publié en 1991 à Fille (élu meilleur livre de 2020 par le magazine Lire) en passant par le primé Dans ces bras-là (Femina et Renaudot des lycéens en 2000). Elle se dévoile encore plus dans le texte Philippe retraçant la courte vie de son premier enfant. Le plus révélateur est sans doute le Dialogue entre nous. Camille Laurens s’entretient, en toute franchise, avec son double de papier, celle qu’elle exhibe en place publique dans ses œuvres.
Avec cette réponse à la question « quel est l’enjeu de l’autofiction ? » : « C’est de ne pas séparer l’écrire du vivre, de cheviller la fiction que j’écris à ce qui s’écrit en moi. »

dimanche 13 août 2023

BD - Trouver les liens, 7e lecon du « Jour où... »


Entre roman feelgood et méthode de développement personnel, la série de BD Le jour où… trouve son public. Des histoires simples, où tout le monde peut se reconnaître et surtout en tirer des enseignements pour se bonifier, se comprendre.

Dans ce 7e tome paru ce mercredi 9 août, intitulé Le jour où les liens se tissent (Bamboo, 72 pages, 16,90 €), Clémentine, le personnage principal, se souvient de quelques moments charnières de sa vie. Notamment de cette enfance au cours de laquelle elle ne s’est jamais véritablement sentie faire partie de cette famille. Mais l’absence d’amour parental dans ses jeunes années ne l’empêche pas de trouver le chemin vers un nouvel équilibre une fois adulte. 

C’est dans l’amitié, notamment avec des femmes qui partagent son point de vue, qu’elle va découvrir la joie partagée de participer à des jeux de société, à discuter longuement de choses et d’autres lors d’un interminable déjeuner dominical.

Ou tout simplement prendre conscience que tout est lié dans notre vie, comme dans la nature. Des liens que Caroline Roque, moitié féminine de Beka, semble parfaitement maîtriser dans ce scénario illustré par des dessins très doux et apaisants de Marko.

samedi 12 août 2023

Polar - Rancune sicilienne et « Vengeance de Teresa »


Depuis trop longtemps la Sicile est l’exemple parfait de la corruption élevée au rang de mode de vie et de gouvernement. Cela fait le jeu de tous les politiques et de l’ensemble de la mafia. Les perdants, comme toujours, ce sont les honnêtes gens, ceux qui ont un honneur et des convictions. C’était le cas du père de Teresa. Il a été abattu par des gamins. Il avait refusé de payer le racket réclamé par la pègre.

Dix ans plus tard, Teresa vivote à Rome. Elle est chargée par une association de rencontrer et de remonter le moral à des malades du cancer en phase terminale. La mort elle connaît bien. Au point que chaque jour elle a de plus en plus envie de tuer l’homme responsable de l’exécution de son père.

La vengeance de Teresa (Métailié, 160 pages, 18 €) de Claudia Fava prend aux tripes. On comprend la rage de Teresa. Ses doutes aussi. Mais finalement, pour alléger sa peine, elle ne voit pas d’autres solutions. À moins que ses amis (un Chilien étudiant en médecine, la responsable de l’association et un malade moribond récemment sorti de prison), ne parviennent à la raisonner. Un roman témoignage sur la gangrène de la violence qui se transforme en cancer de la vengeance.

vendredi 11 août 2023

BD - Thorgal, avant et après par Robin Recht


Si certains auteurs refusent que l’on touche à leur création, ce n’est pas l’état d’esprit de Van Hamme et Rosinski pour Thorgal. Après plusieurs déclinaisons de l’univers du Viking venu des étoiles, place à une suite encore plus ambitieuse avec le premier tome de la Saga Thorgal par Robin Recht. Adieu Aaricia (Le Lombard, 112 pages, 24,50 €) débute par une séquence d’une grande tristesse.


Thorgal, très vieux, conduit la dépouille de sa femme à sa dernière demeure. Une fois la crémation achevée, Nidhogg, le serpent-dieu, apparaît et propose un marché à Thorgal : la possibilité de revoir et de parler avec Aaricia. Désespéré, le vieux héros accepte et se retrouve dans le village viking de Gandalf le fou. Aaricia n’a que 8 ans et vient d’être enlevée par une horde de Baalds. Thorgal va tenter de la sauver avec l’aide de son double, encore enfant et en colère. Superbe variation sur la confrontation d’un même homme à deux époques de sa vie.

L’ancien, sage et devenu raisonnable, le jeune, fougueux et rêvant de combats et d’aventures.
Une histoire compliquée à souhait, magnifiée par un dessin digne de Rosinski, mais avec une touche personnelle, notamment dans les cadrages et les gros plans. Une excellente surprise de cette année 2023.