Pour raconter sa famille, Régis Franc, dessinateur, cinéaste, peintre et écrivain) avoue sans détour : "Je me suis arraché le cœur." Il a débuté par son père, puis a rajouté des chapitres sur sa mère et sa sœur. Cela donne "Je vais bien", un livre de 160 pages aux Presses de la Cité disponible depuis le jeudi 24 août 2023 dans toutes les librairies de France. Il décrit la vie simple d'une famille de Lézignan-Corbières, souvent frappée par le malheur. Un texte émouvant, où il refait vivre les fantômes de son passé, comme pour clore définitivement la partie lézignanaise de son existence.
Vignes de Fontcouverte vendues, livre bouclé : cette rentrée 2023 est comme une page qui se tourne définitivement pour Régis Franc. Le célèbre dessinateur de BD (Le café de la Plage, Tonton Marcel), a grandi dans l'Aude, du côté de Lézignan-Corbières. A 18 ans il est "monté" à Paris. Lui, le fils d'un simple maçon, voulait réussir dans l'illustration. Son indéniable talent a fait le reste. Cette histoire familiale, il l'a longtemps conservée enfouie au plus profond de sa mémoire. Et de se demander s'il ne doit pas sa carrière à la mort de sa mère.
Pourtant, il reconnaît que "jamais je n'avais eu l'intention d'écrire sur les miens." Tout est parti en 2017 à la mort de son père, Roger, 97 ans, figure lézignanaise. Il écrit un petit texte d'hommage qui raconte en partie la vie de ce maçon audois. Il envoie le texte à son éditrice qui lui en demande un peu plus : écrire aussi sur sa mère et sa sœur. Il s'est donc attelé à la tâche et refait vivre les membres de sa famille.
Roger, le militant
Sur son père, il raconte l'enfance ouvrière, son engagement politique au parti communiste, la rencontre avec sa future épouse, pas du même milieu. Devenu artisan maçon, Roger est heureux avec Renée, son épouse, Régis, l'aîné et Régine, la petite sœur. "Dans les années 50, Roger publia dans le journal local (L'Indépendant), de longs poèmes en patois languedocien, langue que l'on appellerait plus tard l'occitan. Des alexandrins qui disaient son coin du Midi, des poèmes champêtres célébrant la beauté des garrigues", écrit l'auteur dans "Je vais bien", récit familial qui vient de paraître.
Est-ce là que Régis Franc a attrapé le virus de l'écriture ? Il était très jeune et brillait à l'école. Jusqu'à cette maudite année 1960. Il sait que sa mère est malade. Un cancer. Elle dépérit. Il devient anxieux. "Je craignais que le ciel me tombe sur la tête. Et il m'est effectivement tombé sur la tête", se souvient-il.
Mélancolie à L'Ensouleiado
En pleines vacances, alors qu'il profitait de joies de la mer dans un chalet à Gruissan chez sa tante, il apprend que sa maman vient de mourir. Elle n'aura jamais pu vivre dans la maison que son mari a entièrement construite de ses mains, L'Ensouleiado, L'Ensoleillée. Roger et ses deux enfants déménagent quelques jours après les obsèques. Ils entrent dans cette maison comme on entre en mélancolie. Si Régis quitte l'Aude à 18 ans, "c'est pour m'extraire de cette mélancolie".
Il ne reviendra que de façon intermittente dans ce Sud. Et n'est pas toujours compris comme il le raconte dans ce récit : "Les gens du village qui veulent lui parler lorsqu'il réapparaît dans le secteur en sont pour leur frais. Il balance des blagues qu'ils ne comprennent pas. Ça ne fait pas plaisir." Après coup, Régis Franc reconnaît qu'il était comme dans la peau d'un personnage et qu'il "surjouait".
Dans ce récit, on apprend aussi comment il a failli mourir quand il a été éjecté du plateau d'une camionnette de retour de la plage. Coma, plusieurs semaines à l'hôpital. Il n'en garde que de bons souvenirs : "C'était formidable car tout le monde s'intéressait au pauvre petit qui avait failli mourir." Il raconte aussi une séquence particulièrement émouvante quand Renée, au guidon de sa mobylette, rejoint Régis, en colonie de vacances à la Franqui, risquant sa vie entre les camions sur la nationale 9. "J'étais terrifié, persuadé qu’elle venait pour me dire quelque chose qui va arriver, de terrible. La chose qui, je crois, a le plus changé ma vie."
La "fugue" de la petite soeur
Quelques années plus tard, c'est sa sœur qui abandonnait la famille. Une fugue définitive qui a encore plus anéanti le père. Régis, lui, se désespère : il n'arrive pas à sauver les siens. Dans son récit, il se demande "quand ai-je su que je ne sauverais personne ?" Et de se souvenir de ce constat, alors qu'il est au bord d'un terrain de sport : "L'absurdité de ma vie de rien me glaçait. J'écoutais la musique du vent froid soufflant sans faiblir de novembre à avril. La tramontane qui envoyait le ballon par-dessus la clôture où il disparaissait à jamais. Et ma mère venait de mourir. Je devrais m'y faire."
Aujourd'hui, Régis Franc n'a plus d'attache audoise. Il a exploité durant une quinzaine d'années quelques vignes près de Fontcouverte, mais a revendu son domaine. De même, la maison construite par le père pour la mère, a été revendue. L'Ensoleiado est toujours à Lézignan-Corbières. Mais chaque fois que Régis Franc passait devant, il avait un pincement au cœur. "C'était la maison de ma mère, celle où elle n'a jamais pu habiter." Avec ce livre, l'auteur entend aussi rendre un dernier hommage à sa famille : "J'ai une vraie tendresse pour les miens. Je ne les vois pas comme des gens qui m'ont rendu malheureux. Ils ont simplement fait ce qu’ils ont pu. Mon père en particulier."
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