mercredi 31 août 2022

Cinéma - “Les volets verts” avec Gérard Depardieu ou le crépuscule d’une star

Jean-Loup Dabadie au scénario d’après un roman de Simenon : le film de Jean Becker met Depardieu en vedette.


En acceptant son âge et ses ennuis de santé, Gérard Depardieu, au fil des films, est en train d’acquérir une nouvelle dimension. Déjà au sommet (et ce depuis des années), il a lentement mais sûrement endossé les habits d’un doyen qui a tout vu et tout vécu. Il est devenu le Gabin des années 2000.

Logiquement il se retrouve en tête d’affiche de ce film qui a des airs de succès des années 70-80. Jean Becker (84 ans) réalise Les volets verts sur un scénario de Jean-Loup Dabadie (mort à 81 ans en 2020) d’après un roman de Simenon paru en 1950 (72 ans déjà…). Amateurs d’effets spéciaux, de wokisme ou de résilience, passez votre chemin.

Cœur brisé 

Dans les années 70, Jules Maugin, acteur vieillissant, est encore très populaire. Tous les soirs, le théâtre est complet. Il fait aussi des films et même des publicités pour la bière sans alcool. Paradoxe pour cet homme qui carbure uniquement à la vodka.

Maugin qui ne se remet pas de sa rupture avec Jeanne Swann (Fanny Ardant), autre vedette qui lui donne la réplique tous les soirs sur les planches. Le film (comme le roman de l’époque), est le portrait d’un homme au cœur brisé, dans tous les sens du terme. Malheureux en amour, mais aussi en piètre condition physique. Son médecin est formel : Maugin doit arrêter l’alcool. Il n’essaie même pas.

Par contre pour soigner son blues, il va se prendre d’affection pour Alice (Stefi Celma), charmante et jeune souffleuse. Il va même se transformer en protecteur de cette mère célibataire et vivre les joies simples d’être un grand-père de substitution pour sa fillette de 5 ans. La partie la plus bucolique et apaisée du film, quand ils trouvent refuge tous les trois dans la grande villa d’Antibes aux volets verts.

Ce film, réalisé par un vétéran du cinéma français, est subtilement éclairé par Yves Angelo. Ce directeur de la photographie sait amener une ambiance vintage sur la pellicule. On lui doit le Maigret de Patrice Leconte, déjà avec Depardieu. La reconstitution de Paris la nuit, notamment au Bœuf sur le toit, « cantine » du célèbre comédien, est criante de vérité. En opposition, la luminosité des scènes tournées en Provence apporte vie et espoir au crépuscule de la vie de cette star. Un message qu’on ne peut que transposer à l’acteur principal d’un film qui prend des airs de testament artistique.

Film de Jean Becker avec Gérard Depardieu, Fanny Ardant, Benoît Poelvoorde, Stefi Celma

 

BD - Terreur maritime

Perdus au milieu de l’Océan, on ne les entendra pas hurler de terreur. En cette année 1789, plusieurs marins de l’Alicante, un grand voilier marchand, sont assassinés les uns après les autres. Avec une signature sur le visage : un A tracé avec leur sang sur le visage. Pour le mousse, Rêveur, l’explication est simple : ce sont les grands monstres des profondeurs qui viennent se venger. Et il les dessine dans son carnet et les montre aux survivants, terrorisés.

Écrite par Kristok Mishel et dessinée par Béatrice Penco Seshi, cette histoire complète intitulée Les damnés du grand large, débute véritablement 20 ans plus tard. Un conteur tente de captiver la clientèle d’une taverne avec son récit glaçant. Lui-même fait très peur avec son corps entièrement tatoué. Sur le bateau, la rencontre d’un vaisseau fantôme va encore plus faire angoisser ce qui reste de l’équipage.

Paru dans la collection Drakoo, dédiée à la fantasy, ce récit est pourtant très éloigné du fantastique. Et même si le final est aussi effrayant qu’abominable, on reste dans le rationnel et explicable.

« Les damnés du grand large », Bamboo Drakoo, 15,90 €

mardi 30 août 2022

BD - Destin héroïque pour Radiant Black


Comment réagiriez vous si des superpouvoirs vous tombez dessus ? C’est la question à laquelle va devoir répondre Nathan, un écrivain raté de 30 ans. 


Criblé de dettes, il est obligé de retourner dans la petite ville de son enfance et de vivre de nouveau chez ses parents.

Pourtant une nuit, il est frappé par une sorte de mini-trou noir et se retrouve doté de pouvoirs extraordinaires. Cette BD de Higgins et Costa raconte les cas de conscience quand on est propulsé du jour au lendemain Superhéros. Et ce n’est pas que du bonheur !

« Radiant Black » (tome 1), Delcourt, 15,95 €

Polar - Nouvelles jalousies par Jo Nesbø

Un nouveau livre de Jo Nesbø est un événement pour tous les amateurs de polar et de thriller. Mais attention, De la jalousie est un recueil de nouvelles, genre qui a toujours tendance à moins satisfaire la majorité des lecteurs, plutôt avide de pavés et de récits au long cours. Le romancier norvégien qui a connu la célébrité mondiale avec les enquêtes de l’inspecteur Harry Hole propose six textes très courts et un plus long presque assimilable à un petit roman. Avec à chaque fois un problème de jalousie comme déclencheur du drame.

Dans Phtonos, la plus longue nouvelle, l’action se situe sur une petite île grecque. Un policier venu d’Athènes doit déterminer si la disparition d’un touriste américain est liée à une querelle amoureuse avec son frère jumeau. Très rapidement, le lecteur se pose des questions sur la véritable identité du suspect, son mobile et surtout où est le corps du disparu. Un engrenage fatal dans lequel le flic d’Athènes va tenter de démêler le vrai du faux, l’apparent de l’invisible.

Les autres textes, plus incisifs, ciselés telles des pierres précieuses, sont parfaits pour s’évader un bref moment, loin de notre quotidien et, qui sait, de nos crises de jalousie…

« De la jalousie » de Jo Nesbø, Gallimard, Série Noire, 19,50 €

lundi 29 août 2022

BD - Amour en morceaux


Belle histoire positive que ce roman graphique écrit par Félix et Legeard (derrière lequel se cache Lidwine, génial dessinateur du Dernier Loup d’Oz) et dessiné par Janolle. A la base ce projet a servi de scénario à un film sur la réalisation d’un puzzle dans un petit village de bord de mer.


Un sacré challenge pour un veuf qui tente de reprendre l’animation du village après la mort prématurée de son épouse.

La BD raconte en plus les amours contrariées d’une jolie baby-sitter dont le cœur balance entre un marin au long cours et un gentil instituteur.

«Ces petits riens qui changent tout», Bamboo, 16,90 €

BD - Guerre moderne

La guerre en Ukraine n’est pas la première guerre moderne de ces dernières décennies entre deux nations disposant d’armées puissantes. En 1982, en plein océan Atlantique sud, l’Argentine a envahi les îles Falklands, possessions anglaises.

La dictature militaire voulait faire oublier au peuple les difficultés économiques (inflation, déjà…) en glorifiant le sentiment national. La Grande-Bretagne, dirigée par Thatcher qui a du coup renforcé son image de Dame de fer, a répliqué et, après de quelques combats aériens et batailles navales à repris possession de ces bouts de terre désolés, peuplés de « 700 000 moutons et d’un millier d’âmes ».

Jean-Yves Delitte raconte cette guerre des Malouines dans la collection qu’il dirige, Les grandes batailles navales. S’il signe la couverture (il est peintre de la Marine), il a confié le dessin de ce récit à Marco Bianchini, Italien qui manie parfaitement le dessin réaliste. Du moins les avions, bateaux et autres missiles Exocet. Pour ce qui est des humains, c’est moins convaincant.

Mais c’est le grand regret de cet album, les soldats sont peu présents et trop souvent caricaturaux. Reste la vérité historique, implacable et à ne pas oublier.

« Falklands, la guerre des Malouines », Glénat, 15,50 €

dimanche 28 août 2022

BD : Le futur inquiétant de « Space Connexion »

Dans cette seconde livraison de Space Connexion, ElDiablo et Baudy ne proposent que trois histoires complètes. Trois nouvelles copieuses, un peu plus détaillées que les récits du tome 1. Il y est encore question de rencontres entre extraterrestres et humains.

L’intérêt réside dans la diversité, non pas des aliens, mais des personnes qui se retrouvent, du jour au lendemain, confrontées à l’inimaginable. De l’enfant battu au savant visionnaire en passant par les voyous au service d’un cartel de la drogue, les réactions sont parfois diamétralement opposées. Le gamin qui vit un enfer dans une maison retirée de la forêt canadienne, en sauvant un cerf amoché par le père violent, ne se doute pas qu’il vient en réalité de permettre à un alien de survivre.

Ce dernier lui sera tellement reconnaissant qu’il va lui permettre de prendre sa revanche sur le tortionnaire. Dans la jungle d’Amérique du Sud aussi les extraterrestres se révèlent une belle opportunité pour les dealers amateurs. Mais finalement, ils vont faire le choix de la raison : préserver le marché et opter pour l’extermination de masse.

Des histoires parfois violentes mais toujours politiques et qui sous couvert de SF délivrent des messages universels.

« Space Connexion » (tome 2), Glénat, 15,50 €

Rentrée littéraire - Frère fantôme

Une fois passé le 15 août, tous les libraires de France sont sur le pont. C’est en effet durant cette semaine que commence la traditionnelle rentrée littéraire. Des centaines de nouveaux romans dont quelques perles comme ce Petite sœur de Marie Nimier. Un récit poignant sur l’amitié entre un frère et une sœur. Alice, la narratrice, a toujours été dans l’ombre de son petit frère. Bien que plus jeune de 13 mois, Mika a rapidement dépassé son aînée. Plus vif, intelligent et charismatique, il était pourtant très dépendant d’elle, plus discrète et timide.

Quand Mika meurt, la vie d’Alice s’écroule. Elle décide d’aller vivre durant quelques semaines dans un appartement au bord d’un fleuve, à nourrir un chat (invisible) et des plantes (dont une carnivore) et surtout écrire sur leur enfance heureuse. Avec des passages émouvants, d’autres édifiants comme quand elle cherche la première phrase de son roman. Réponse de sa grand-mère « La difficulté des premières phrases, c’est qu’il n’y en a qu’une seule ». Une attaque essentielle car « on entre dans un récit comme on entre dans un théâtre, en acceptant d’y croire. » De la très grande littérature.

« Petite sœur » de Marie Nimier, Gallimard, 19 €

samedi 27 août 2022

Roman - Femme intransigeante

Nouvelle voix de la littérature catalane, Eva Baltasar propose pour cette rentrée littéraire la traduction en français de son second roman Boulder.

Après Permafrost, la romancière barcelonaise propose un nouveau voyage loin du soleil de la péninsule ibérique. La narratrice, cuisinière dans un navire de commerce qui longe indéfiniment la côte Pacifique de l’Amérique du sud, est farouchement attachée à son indépendance, sa solitude. Elle se contente de maîtresses éphémères rencontrées dans les petits ports.

Jusqu’à Samsa. Elle s’attache, se résigne à la suivre en Islande. Une vie commune, presque normale, puis apparaît chez Samsa une envie d’enfant. Dès lors l’amour va laisser place à une autre urgence dans laquelle la narratrice ne trouve plus sa place. « La vie est maintenant une pente descendante. Un souffle d’air qui me pousse vers elle, sitôt que je me lève. Je m’enfonce dans les jours comme un explorateur dans un territoire déjà arpenté, d’une manière apathique, sans prendre de précaution. »

Roman radical sur des thèmes peu consensuels - (homosexualité, refus de la maternité), Boulder est un texte minéral, comme ces roches isolées au milieu du paysage.

« Boulder » d’Eva Baltasar, Verdier, 18,50 €

BD - Enquête enflammée

Tout brûle. Des gigantesques incendies en France, des Landes à la Bretagne. De ces feux monstrueux comme il y en a depuis quelques années chaque été en Californie. Blacking Out, paru en 2020 aux USA, est un thriller dessiné où les forêts qui entourent Edendale, ville moyenne de 26826 habitants, flambent de plus belle pour le second été consécutif. Conrad, ancien flic local, viré pour alcoolisme, est de retour. Il a été embauché par un avocat désireux d’innocenter son client.

Un père de famille accusé d’avoir tué et brûlé Karen, sa fille adolescente. Et c’est en répandant de l’essence sur le corps qu’il aurait en plus cramé la moitié de la commune. Conrad, toujours alcoolique, va démontrer que l’enquête a été bâclée.

Il va trouver des preuves (ou plus exactement les fabriquer) contre le petit ami de Karen, également petite frappe redoutée de tous. Un polar très sombre, écrit par Chip Mosher et dessiné par Peter Krause au trait simple, obscur et d’une rare efficacité pour planter une ambiance.

Alors laissez-vous porter par les errances d’un Conrad entouré de flammes meurtrières ; vous ne serez pas déçu par la conclusion de ce récit encore plus noir que noir.

« Blacking Out », Delcourt, 14,95 €

vendredi 26 août 2022

BD - Classiques revisités


Il y a un peu de la folie de Daniel Goossens dans ce recueil d’histoires parues dans Fluide Glacial et signées B-Gnet. Si le titre affirme que La plume est plus forte que l’épée, le dessin en couverture prouve malheureusement le contraire dans les faits. B-Gnet connaît ses classiques, de Cyrano à Hamlet en passant par le plus populaire Robin des Bois. C’est dans ce monde qu’il trouve le plus d’inspiration.

Il délaisse le protecteur des pauvres pour se focaliser sur le Shérif de Nottingham. Ce dernier se transforme en « Inspecteur Nottingham », sorte de parodie de Derrick à la sauce forêt de Sherwood. Un inspecteur rarement efficace, toujours à côté de la plaque et qui peut passer du bon copain de taverne à tortionnaire cruel des geôles humides. Le tout avec une dérision, une façon de se comporter entre bêtise et non-sens qui ravira tous ceux qui aiment les récits abscons qui jouent sans cesse sur les références.

On apprécie aussi la version de Cyrano, qui ne semble due qu’à une faute de frappe, le héros devenant Tyrano de Bergerac et prenant l’aspect d’un tyrannosaure honteux de ses petits bras comme le héros de Rostand détestait son nez.

« La plume est plus forte que l’épée », Fluide Glacial, 13,90 €

Roman - Histoire andorrane

L’Andorre, principauté si proche et si différente. Pourtant les vallées ont toujours été très liées (voire dépendantes) de la France ou de l’Espagne. Dans Dernier été à Ordino, Joan Peruga retrace une partie de l’histoire de la principauté en racontant la courte vie de Sumpta d’Areny-Plandolit. Cette jeune fille de très bonne famille, née en 1960, morte 32 ans plus tard en 1892, a connu l’Andorre de la tradition mais aussi la principauté qui tente de tirer son épingle du jeu en créant station thermale et hôtels de luxe. Pour Sumpta, l’Andorre c’est avant tout des étés passés dans la grande maison d’Ordino, avec ses frères et sœurs. L’été, toute la famille se réfugiait à Barcelone.

Le roman, paru en 1998, véritable best-seller en Andorre, alterne descriptions d’une campagne sereine, manigances religieuses pour maintenir la région dans la tradition et vie agitée dans la Barcelone de plus en plus capitale européenne moderne.

Reste le portrait de cette femme, marquée par un amour impossible avec un séminariste et qui a vu le pouvoir de sa famille s’effriter au fil des ans. Un texte essentiel pour mieux connaître nos voisins montagnards.

« Dernier été à Ordino » de Joan Peruga, Éditions Trabucaire, 10 €

jeudi 25 août 2022

Roman - Hugo Boris débarque

L’entame d’un roman est toujours essentielle. Les 40 premières pages de Débarquer d’Hugo Boris sont un modèle du genre. Il parle pourtant d’un événement vu et revu depuis des décennies : le débarquement allié sur les plages de Normandie. Il parvient avec son style direct sans temps mort à plonger le lecteur au cœur de l’action, l’obligeant à lire ce passage en apnée, comme les protagonistes dont Andrew, jeune Américain tétanisé par l’enjeu. Le fracas, la mort, la peur, le désir font irruption dans les souvenirs honteux de ce vétéran que l’on retrouvera des années plus tard sur ces plages normandes, sorte de sanctuaire du courage.

De l’horreur aussi. Car une fois débarqué, rien ne se passe comme prévu pour Andrew. Il a l’impression que « chaque explosion lui est destinée, chaque tir le vise personnellement. Des morceaux de fer veulent pénétrer sa chair. Sa peur ne connaît plus de pause. […] Il rampe à reculons, se rejette lui-même à la mer, bat en retraite. »

Et finalement il « bascule sur le dos, fait le mort pour rester en vie, les narines palpitantes, les bras en croix, les oreilles immergées pour étouffer les cris. » Un très grand roman sur une autre forme de résilience.

« Débarquer » d’Hugo Boris, Grasset, 18,50 €

BD - Fin de parcours pour le Spirou d'Emile Bravo


Quand les éditions Dupuis ont décidé de décliner les aventures de Spirou et Fantasio en différentes sous-séries, Émile Bravo a eu l’idée géniale de choisir la période juste avant-guerre. Cela a donné un Journal d’un ingénu se prolongeant dans la longue saga des années de guerre, L’espoir malgré tout. Le quatrième et dernier tome vient de sortir. Un événement tant cette histoire aura marqué les lecteurs, petits et grands. Spirou, jeune idéaliste qui découvre la vie, l’amour, l’espoir, se retrouve confronté à la guerre et à l’horreur nazie.

De Bruxelles à la France occupée, avec son ami inconscient et toujours aussi farfelu Fantasio, ils vont voir les exactions de l’occupant, risquer leur vie, comprendre que les déportés sont envoyés vers des camps où aucun retour n’est possible. Après trois longs tomes (entre 80 et 110 pages), l’épisode final est plus ramassé. À peine 40 pages, mais d’une densité étonnante. Car c’est la fin de la guerre qui est racontée.

Les Alliés viennent de débarquer et les deux héros participent activement à la Résistance. Mais une fois la France puis la Belgique libérées, le retour à la vie normale est quasi impossible. Émile Bravo raconte sans fard la réalité des camps d’extermination et les exactions de l’épuration.

« Spirou, l’espoir malgré tout » (tome 4), Dupuis, 13,50 €

mercredi 24 août 2022

BD - Cauchemars de Vesper

Dessinateur virtuose à l’imagination foisonnante, Jérémy s’est longtemps contenté d’illustré les inventions des autres. En imaginant Vesper, héroïne de cette série dérivée du monde du jeu Final Fantasy, il se donne l’occasion d’aller encore plus loin dans des trouvailles graphiques époustouflantes. Vesper est une hybride, moitié humaine, moitié chimère.

Elle a tenté de sauver Crimson, chef des chevaliers de Nyx dans le premier tome. En vain. Elle repart au combat dans le second tome, et pour avoir un peu plus de chance de vaincre Murgeis, elle va invoquer l’Archimériste, une entité supérieure qui fait chèrement payée quand on la dérange.

L’histoire est complexe, digne des meilleurs récits de Fantasy. Mais l’intérêt de l’album réside essentiellement dans la réalisation graphique de cet univers enchanté. Il y a tant de virtuosité que chaque planche, chaque dessin, chaque détail mérite que l’on s’attarde dessus.

« Vesper » (tome 2), Dargaud, 15 €

Cinéma - « La dernière tentation des Belges » de Jan Bucquoy : comme une lettre d’amour à sa fille disparue

Le film de Jan Bucquoy sera présenté en avant-première en sa présence le samedi 20 août à Canet-en-Roussillon, le dimanche 21 août à Leucate et le lundi 22 août à Sigean


Pas encore distribué en France, La dernière tentation des Belges de Jan Bucquoy est une œuvre beaucoup plus tendre et émouvante que ses précédentes réalisations. Celui qui ose tout dans l’humour trash a voulu mettre en images l’histoire tragique de sa fille Marie (Alice Dutoit).

Le film débute par une image forte. La jeune fille est au bord d’une falaise. Son père (Wim Willaert) juste à côté. Elle est sur le point de se jeter dans le vide. Il tente de l’en dissuader. Pour cela il s’engage à lui raconter des histoires. Mais ce qu’elle voudrait plutôt, c’est que son père, si souvent absent, se raconte pour une fois. Alors il commence par le début, la rencontre avec sa mère.

Une spectatrice dans un de ses spectacles d’humour (en compagnie d’Alex Vizorek, l’humoriste qui a réussi à Paris) où il tapait sur tout ce qui bouge. Malgré leurs différences, l’amour est total et Marie devient ce qu’il a de plus précieux. Même s’il quitte la mère et abandonne quasiment son enfant.

Mais Jan Bucquoy mène une vie de saltimbanque et de provocateur. Entre la bande dessinée, les performances, le musée du slip et autres films avec quelques Belges bien cintrés (Noël Godin par exemple, le célèbre entartreur), il surfe sur la dérision. Alors il raconte les femmes de sa vie, parle un peu de la Wallonie, la partie francophone de la Belgique, lui qui est Flamand, des femmes, de son infidélité, des femmes, encore et toujours…

Le film est une sorte de longue lettre d’amour à destination de sa fille. Elle ne le comprend pas, constate simplement qu’il est un peu tard pour regretter. Que de son côté, rien ne la retient sur terre. Et ce qui aurait pu n’être qu’une grosse farce se transforme en témoignage tendre et émouvant sur la perte d’un enfant. Depuis, Jan Bucquoy fait « semblant de vivre ».

mardi 23 août 2022

Roman - Face-à-face glacial

Parmi les romans de la rentrée littéraire de 2022, L’homme peuplé de Franck Bouysse marquera durablement ses lecteurs et lectrices. Un face-à-face indirect entre Harry, écrivain en mal d’inspiration et Caleb, paysan taciturne. Le premier, après un premier texte couronné de succès, se retrouve bloqué devant la page blanche. Il décide d’acheter une vieille ferme en l’état (avec les meubles des anciens propriétaires) perdue dans la campagne française et tente de retrouver l’inspiration dans cet environnement nouveau.

En parallèle à sa découverte de ce lieu froid et peu engageant, on découvre comment Caleb, éleveur de moutons dans la bâtisse voisine voit l’arrivée de cet étranger. Caleb, solitaire, rejeté de tous car il a un don de guérisseur. Mais pour les villageois, c’est un sorcier dangereux. Ce texte très littéraire, écrit avec un classicisme formel, alterne les deux points de vue.

Deux hommes radicalement différents, qui s’évitent mais qui sont reliés par l’employée de l’épicerie du village, Emma, qui joue au final un rôle central dans l’intrigue. Entre thriller psychologique, conte fantastique et réflexion philosophique sur l’inspiration et l’exclusion, L’homme peuplé est un roman fort et multiple à ne pas manquer.

« L’homme peuplé » de Franck Bouysse, Albin Michel, 21,90 €

Roman - Rentrée littéraire 2022 : le roman "GPS" de Lucie Rico fait parler de lui

Parmi les 490 romans de la rentrée littéraire, GPS de la Perpignanaise Lucie Rico est souvent cité parmi les titres à suivre pour les prix de l'automne.

Son premier roman avait fait forte impression. Un beau succès critique gâché par le confinement puisque Le chant du poulet sous vide de Lucie Rico était sorti en plein confinement. Un peu plus de deux années plus tard, la jeune romancière, originaire de Perpignan, récidive avec GPS. Mais cette fois, son roman sort en pleine rentrée littéraire, il est arrivé hier dans toutes les librairies de France.

Loin d’être un handicap, cela semble être tout bénéfice pour ce roman qui raconte l’histoire d’une jeune fille en grande difficulté sociale. Elle reste cloîtrée chez elle. mais quand sa meilleure amie l’invite à ses fiançailles, elle doit obligatoirement sortir. Et pour l’aider, elle va suivre le signal GPS de son amie. Jusqu’à ce qu’elle disparaisse.

Dans l’air du temps, avec suspense et analyse de notre société, ce texte a déjà été repéré par nombre de critiques littéraires qui lui voient des chances dans les différents prix littéraires. L’Agence France Presse, dans sa présentation de la rentrée, a clairement laissé entendre que parmi « les jeunes auteurs », GPS de Lucie Rico (avec également Émilienne Malfatto ou Guillaume Lopez), « pourraient causer la surprise. »

« GPS » de Lucie Rico, éditions P.O.L., 224 pages, 19 €

lundi 22 août 2022

De choses et d'autres - Ah bon ? Danse !

Du sang et des larmes ! Le discours préliminaire d’Emmanuel Macron au premier conseil des ministres de rentrée la semaine dernière a donné le ton de ce qui nous attend. Terminé le bon vieux temps du « koikilenkoute », place à la fin de l’abondance et de l’insouciance. Alors que les gastronomes se rassurent, le président ne parle pas de cette spécialité de Haute-Savoie qui tire son nom de la race de vache dont est issu ce fromage. Quand il parle d’abondance, c’est plutôt de biens de consommation, comme fruits, légumes et autres produits manufacturés. De l’essence aussi. Et peut-être de l’électricité.

Il y a un peu plus de deux ans il nous a annoncé un soir à la télé, l’air grave qu’on était en guerre. Aujourd’hui, encore moins souriant, place logiquement au rationnement. Mais il est passé où le président en vacances en train de surfer sur les vagues de la Méditerranée au guidon de son jet ski ? De retour à Paris, il a toujours le bronzage mais a perdu le sourire. Alors que franchement, ceux qui devraient tirer la tronche, ce sont les Français qui se demandent s’ils pourront se chauffer en hiver, voire s’éclairer autrement qu’à la bougie.
Pour ce qui est de l’alimentation, je sens une vague forte d’adhésion au vegan. Pas par conviction, juste à cause du prix de la viande qui va devenir une valeur de placement au même titre que l’or. Et pour ce qui est des légumes, il faudra se contenter de patates et de rutabagas (bien que ces tubercules, très populaires durant la dernière guerre, soient devenus des signes extérieurs de boboïsme).
Sans oublier les pissenlits. Évitez quand même de les déguster par la racine. Mais la rentrée n’est pas encore véritablement là. Profitez de ces trois derniers jours d’août et ne cédez pas au pessimisme ! Et comme le dirait la cigale de la fable : Ah bon ? Danse ! Maintenant.

Chronique parue en dernière page de l’Indépendant le lundi 29 août 2022

Témoignage - Marie Rouanet raconte Pierre Soulages

Marie Rouanet vient de publier un texte court, très poétique, sur Pierre Soulages, son art et sa vie aveyronnaise.

La romancière Marie Rouanet, installée depuis des années à Camarès dans l’Aveyron, avoue une grande admiration pour Pierre Soulages. Un autre Aveyronnais, peintre centenaire, maître du noir obscur, vivant désormais à Sète mais qui a conservé des racines dans cette terre rude du nord de l’Occitanie. Marie Rouanet a mis sa plume au service de l’artiste. Elle signe un petit livre, sorte de long poème en prose, racontant, imaginant, le parcours d’un Soulages jeune, ouvert à la vie, aux couleurs, odeurs et sons de son quotidien d’enfant ruthénois.

Il aime découvrir les échoppes des artisans, admirer leur travail, leurs outils, leurs créations : « Les mains des ouvriers, épaisses, durcies de cals, fortes comme des étaux devaient pourtant être minutieuses. » Inconsciemment, il découvrait ce qui allait conditionner sa vie, son destin : « Tout cet enchaînement de forces aboutissait à la main nue, seule, capable de ce point d’orgue : l’art. » Attachée à la culture occitane, Marie Rouanet s’est trouvé un point commun avec Pierre Soulages quand il parle de son appartenance au « Pays ». « Lorsque l’on me demande si je suis Aveyronnais, je réponds : ‘Je suis Rouergat’. Le mot désigne un espace qui n’a aucune existence administrative. Il s’agit d’une certaine superficie où je me sens chez moi. Je n’y vais pas tous les jours mais assez pour y avoir des habitudes et des amis. »

« Le silence est l’écrin de la vie intérieure » 

Enfin ce petit fascicule s’achève avec un chapitre sur l’abbaye Sainte-Foy de Conques, sublimée par les vitraux de Soulages. Certainement la partie la plus poétique, belle, lumineuse. Comme si l’inspiration était évidente dans ce lieu ou « le silence est l’écrin de la vie intérieure ». Et Marie Rouanet d’expliquer qu’en ce lieu, « à la place de l’éblouissement des yeux tu trouves l’indicible, l’invisible. Conques, mon chef-d’œuvre. Mon chant du cygne. »

Cet hommage de Marie Rouanet, une grande écrivaine d’Occitanie à Pierre Soulages, un autre grand de la culture régionale, prouve combien le territoire regorge de talents mondialement reconnus permettant de faire rayonner ce petit bout du Sud de la France bien au-delà de nos frontières.

« Les dits de Pierre Soulages » de Marie Rouanet, Fleurines, 6 €

dimanche 21 août 2022

De choses et d’autres - A chacun son abondance

En déclarant la fin de l’abondance à brève échéance, Emmanuel Macron nous a forcés à faire un rapide tour d’horizon de nos fameuses abondances. Force est de constater que ce mot a des implications souvent très différentes en fonction de nos origines. Pour les traders, rentiers et les 1 % des Français qui ont 50 % de la richesse du pays, la fin de l’abondance ce n’est pas pour demain.

Au contraire, la situation économique se détériorant, ils vont pouvoir gonfler les effectifs de leur petit personnel pour le même budget. Et être encore plus exigeants puisque les places seront de plus en plus chères.

Les cadres moyens vont devoir, à partir du 20 de chaque mois, se contenter des marques blanches de la grande distribution et revivre pour les plus anciens la pub du Canada Dry : la ressemblance est là, pas le goût ni la qualité. Pour la grande majorité des autres, des ouvriers aux chômeurs en passant par les petits retraités, l’abondance n’était qu’un vague souvenir, lointain, très lointain. Il y a longtemps qu’ils ont pris l’habitude de tout compter, de faire attention aux prix, de ne jamais dépenser avec insouciance.

En clair, rien de nouveau sous le ciel des pauvres. Si quand même, l’impression que désormais il sera malheureusement plus facile de basculer dans la grande pauvreté. Plus de chauffage, d’électricité, de toit… Se retrouver à la rue.

Ils sont déjà nombreux à y survivre et paradoxalement ils ont un point commun avec les premiers cités : malgré les prédictions à la Nostradamus du président Macron, leur quotidien ne changera pas d’un iota. Car quoi qu’il arrive, les riches semblent toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le mardi 30 août 2022

Cinéma - “Les vieux fourneaux 2”, si sympathiques vieux !

 Le trio des Vieux fourneaux n’a rien perdu de sa folie iconoclaste. Un second film avec des migrants et des ruraux.


Toujours d’attaque les Vieux fourneaux. Malgré quelques années de plus au compteur, ils reviennent sur le devant de la scène pour un second film tiré des bandes dessinées. Un trio toujours aussi iconoclaste, militant et empêcheur de tourner en rond. Imaginés par Wilfried Lupano (6 albums parus aux éditions Dargaud, dessins de Paul Cauuet), ces trois retraités ont frôlé le million d’entrées dans leur premier film.

En cet été 2022, on retrouve Pierrot (Pierre Richard), le plus déterminé, en train de mettre en place un happening contre les riches devant l’ambassade de Suisse. Ils finissent tous au poste, Pierrot avec une rotule en vrac après une évacuation musclée. Dans la vraie vie, le genou du comédien audois est réellement en vrac. Résultat Pierrot se déplace avec une béquille customisée, bourrée de gadgets, de la réserve d’alcool au taser en passant par le lance boulon, si pratique dans les manifs. Une adaptation du scénario montrant combien Pierre Richard est essentiel au projet.

Mimile et Berthe, longue histoire d’amour 

Pour le militant infatigable des droits de l’Homme, le plus gros problème reste l’hébergement des réfugiés. L’hôtel particulier de Fanfan (amie de Pierrot, riche héritière mais d’extrême-gauche) va être perquisitionné. Pierrot décide de revenir dans son village gersois de Montcoeur pour cacher le groupe composé de Syriens, d’Afghans et d’Africains. Il débarque à l’improviste chez son pote Antoine (Bernard Le Coq qui reprend le rôle de Roland Giraud) et va bousculer les habitudes du petit bourg campagnard endormi.

Le film prend une tournure politique certaine, pour dénoncer les fausses peurs de cette population rurale face à des hommes et femmes fuyant dictature et mort certaine. L’histoire parle aussi de désertification, de la lente mort de ces villages de la campagne, désertés par les forces vives, devenus malgré eux les mouroirs de toute une génération. Par chance, à Montcoeur il y a quelques spécimens assez typiques. Comme Mimile (Eddy Mitchell), qui tente toujours d’inviter Berthe (Myriam Boyer), 40 ans après le premier refus de la paysanne bougonne.

Les vieux fourneaux 2 est un peu un brûlot politique, mais l’ensemble reste très marrant, avec des comédiens au top. Notamment Pierre Richard qui n’a pas perdu une miette de son dynamisme. Réponse cinglante à tous les oiseaux de mauvais augure qui distillent de fausses informations sur son état de santé. Parfois, des coups de béquilles se perdent !

Film français de Christophe Duthuron avec Pierre Richard, Eddy Mitchell, Bernard Le Coq, Alice Pol

 

samedi 20 août 2022

Anticipation - La nouvelle menace

Et si dans un futur proche, la plus grande menace pour l’Humanité n’était plus le réchauffement climatique, la montée des intégrismes ou l’envolée des prix des carburants mais l’émergence des intelligences artificielles ? Dans Control, thriller de Singer et Cole, deux experts américains du sujet, on est plongé dans une Amérique qui n’a plus de travail. Les robots ont commencé par les tâches répétitives et compliquées, puis, plus leur intelligence et capacité d’apprendre progressaient, ils ont aussi remplacé des professionnels comme avocats, banquiers ou journalistes.

Lisa Keegan, ancienne Marine, agent du FBI, doit apprendre le métier de policier et d’enquêteur à une nouvelle recrue, TAMS. Un robot qui lui est 100 fois supérieur dans tous les domaines. Lisa et TAMS qui devront unir leurs forces pour déjouer un vaste complot ayant pour but d’éradiquer les intelligences artificielles.

Ce thriller, parfois un peu compliqué, où toutes les innovations sont référencées, fait parfois très peur. Car déjà, dans notre quotidien, les intelligences artificielles interviennent régulièrement, sans qu’on le sache.

« Control » de P. W. Singer et August Cole, Buchet-Chastel, 22,90 €

vendredi 19 août 2022

Cinéma - Réécrire sa vie sur “La page blanche”

 "La page blanche", premier film de Murielle Magellan qui sort ce mercredi 31 août au cinéma, est une jolie comédie romantique avec une Sara Giraudeau omniprésente.


Tiré d’une BD dessinée par une femme (Pénélope Bagieu), ce film réalisé par une femme (Murielle Magellan) met une jeune femme en vedette. Eloïse (Sara Giraudeau) souffre d’une amnésie très particulière. Elle se souvient de tout excepté de ce qui à trait à sa vie. Quand elle reprend ses esprits sur le banc public d’une place parisienne, elle est incapable de se souvenir son nom, où elle habite et ce qu’elle fait dans la vie.

Déboussolée, elle va devoir se transformer dans les premières minutes du film en détective amateur pour tenter de retrouver les bases de son existence. Un début tonitruant, où la voix fluette de Sara Giraudeau, sa bouille d’ange aux grands yeux innocents font des merveilles. De la pure comédie. Mais cela se transforme petit à petit en cauchemar. Car plus Eloïse découvre ce qu’elle faisait et était dans la vie d’avant, moins elle apprécie cette jeune femme prétentieuse, ambitieuse et sans tabou.

L’égarement de la provinciale 

Vendeuse dans une librairie, elle se découvre une liaison avec son chef hiérarchique, une propension à se moquer d’une collègue (Sarah Suco) et des amitiés avec d’autres vendeurs tous plus mesquins et mauvaises langues les uns que les autres. Trop c’est trop, Eloïse décide de réécrire sa vie, avec plus de sensibilité, plus d’empathie. Mais en réalité cette provinciale qui est arrivée à Paris depuis un peu plus d’un an va tout simplement redevenir elle-même.

Car La page blanche, plus qu’un film sur l’amnésie ou la solitude des jeunes Parisiennes, est une très belle réflexion sur les origines, la famille et son cortège de secrets. Autre thématique abordé, le problème des provinciales qui perdent leurs racines en «montant» à la capitale, une problématique qui a souvent intéressé Murielle Magellan, qui a toujours essayé de poursuivre sa carrière artistique (elle est également écrivaine et met en scène des spectacles vivants) tout en conservant des attaches fortes avec sa ville d’origine, Montauban.

Un film distrayant, entre futilité et recherche de sens, qui reste une belle comédie romantique, avec happy end entre Eloïse, redevenue « humaine » et un informaticien frappadingue Moby Dick (Pierre Deladonchamps), celui qui permettra à la belle amnésique de retrouver sa fantaisie et de perdre sa morgue arrogante.

"La page blance", un film de Murielle Magellan avec Sara Giraudeau, Pierre Deladonchamps, Grégoire Ludig, Sarah Suco

 

De choses et d’autres - Braises ardentes

Être une femme politique c’est avant tout apprendre à prendre des coups. En provenance de ses collègues mâles qui en ont dans le slip, eux. Edith Cresson ou Cécile Duflot sont passées par là. Désormais la place peu enviée de femme politique française la plus détestée est occupée par Sandrine Rousseau.

Élue députée écologiste en juin dernier, elle aime aborder les sujets qui fâchent, ceux que les hommes évitent. Sandrine Rousseau ne paye pas de mine mais, telle un moustique estival affamé, elle ne cesse de tournoyer autour de ses proies qui en deviennent complètement folles. Au point de se dévoiler avec leurs gros sabots, incapables d’admettre que oui, finalement, ce qu’elle affirme est censé.

Sa dernière saillie sur la masculinité autour des barbecues en est l’exemple parfait. Immédiatement, ils sont des légions à se moquer. Comme s’il n’y avait pas des sujets plus importants à traiter...

Et pourtant, voilà bien résumé autour des braises ardentes toute la décomplexion du mec persuadé qu’il est le roi de la cuisson de la bidoche, expliquant doctement à son beau-frère quand et comment placer les entrecôtes, saucisses ou merguez sur la grille pour qu’elle soient saisies à point. Généralement, le beauf a lui aussi une théorie arrêtée sur le sujet.

Et pendant qu’ils se dorent la pilule dans les fumées âcres de la cuisson, maniant la pique comme leurs ancêtres ferraillaient avec une épée de mousquetaire, les femmes épluchent les légumes, font la vinaigrette et dressent la table. Pourtant, à les écouter, ce sont eux qui ont tout fait pour ce médiocre repas constitué de quelques morceaux de viande carbonisés (ou pas assez cuits, ça dépend).

Bref, merci Sandrine Rousseau de donner une si bonne image de la masculinité en France en cette année 2022.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le mercredi 31 août 2022

BD - Genèse robotique


Il y a un peu plus d’un siècle, un auteur tchèque signait une pièce de théâtre dans laquelle il imaginait que des hommes mécaniques se soulevaient. Pour les désigner, il a inventé le terme de robot qui est dérivé de l’expression « travail forcé ».

Aujourd’hui les robots sont de plus en plus présents et l’utopie de Karel Capek toujours d’actualité. Katerina Cupova, dessinatrice tchèque, propose l’adaptation fidèle de cette pièce de théâtre (R.U.R. Le soulèvement des robots) dans un vaste roman graphique de 240 pages dessiné en douceur et teintes pastel.

Les robots, de plus en plus intelligents, décident de se passer des Humains. La jeune héroïne de l’album, Héléna Glory, fille du président, milite pour l’émancipation de ces machines pensantes. L’action se déroule sur une île isolée, dans l’usine de la Rossums Universal Robots, là où sont fabriqués ces robots de plus en plus vindicatifs.

Va-t-on assister à la fin de l’Humanité ? Faut-il accéder aux demandes des robots ? Les questions restent toujours d’actualité un siècle plus tard.

« R. U. R. Le soulèvement des robots », Glénat, 25 €

jeudi 18 août 2022

Thriller - Best-seller de Floride

Second roman de Mark Miller, Sur la route de Key West est le prototype parfait du best-seller estival qui devrait vous passionner quelques jours à la plage ou la nuit dans la chaleur étouffante de la caravane ou du mobil-home. Écriture simple et efficace, personnages typés et attachants : l’intrigue vient renforcer cette arme fatale de lecture de masse. Tom Baldwin est écrivain. Il s’est retiré dans une villa paradisiaque des Key West en Floride après un drame personnel, un accident la veille de Noël.

Il sort du coma et apprend que son fils est mort dans la collision.
Auteur de plusieurs best-sellers, il change de vie, mais n’arrive pas à oublier son petit garçon. Trois ans plus tard, il reçoit un message anonyme lui affirmant que son enfant est vivant. Assailli d’un doute doublé d’un fol espoir, Tom se lance dans une enquête où le rôle de son riche et peu honnête ex-beau-père s’avère peu reluisant.
Si l’on passe outre quelques clichés (« Cerné par le clapotis des vagues léchant les pilotis, je plissai les yeux, ébloui par le disque de feu qui embrasait l’horizon »), ce roman est un excellent moyen d’oublier les soucis du quotidien le temps de ses vacances.

« Sur la route de Key West » de Mark Miller, XO Éditions, 19,90 €

mercredi 17 août 2022

BD - Mortelle écluse

 

Une nouveauté au rayon BD en ce 10 août ! Étonnant et pourtant certains éditeurs osent sortir des sentiers battus. Saluons dont Bamboo de proposer ce roman graphique se déroulant dans le Lot au cœur de l’été, bien avant la rentrée littéraire.

Philippe Pelaez raconte comment le petit village de Douelle, le long du Lot, a connu des jours sombres quand plusieurs femmes sont découvertes violentées et noyées dans l’écluse du village. Or, l’éclusier, Octave, est un simple d’esprit, bossu et au visage difforme. Une sorte de Quasimodo que tout le monde a tendance à accuser.

Pourtant Octave est doux comme un agneau, innocent comme un poussin. Par contre Alban, le jeune caïd local, n’hésite pas à menacer les jeunes filles du cru pour obtenir des faveurs sexuelles. Tout le monde le sait. Personne ne réagit. Alban est trop dangereux. Et les policiers envoyés de Cahors ne vont pas permettre de faire cesser les crimes.
Un polar rural sombre et crépusculaire, se déroulant dans les années 60, mis en images par Gilles Aris, Toulousain connaissant parfaitement la région.

« L’écluse », Bamboo Grand Angle, 15,90 €

mardi 16 août 2022

Roman - Substitut paternel

Anne Goscinny ne semble s’être lancée dans l’écriture que pour tirer un trait sur le drame de la mort de son père, René Goscinny, le créateur d’Astérix et Obélix. Elle n’était qu’une fillette quand il a succombé en plein test d’effort chez un cardiologue. Depuis, la petite Anne est devenue une femme, mais a conservé des séquelles de cette absence.

En signant Romance, elle semble avoir enfin fait le tour de ce traumatisme. Un roman puissant, prenant, envoûtant et parfois angoissant. Jeanne, la narratrice, après des années à veiller sur son fils unique, décide de déménager, de couper les ponts avec ce jeune adulte. Elle emménage dans un appartement logé à l’étage d’une grande maison.
Elle est accueillie par Romance, la petite fille du propriétaire. Un médecin. Et Jeanne comprend que ce toubib c’est le chirurgien qui l’a soignée enfant et dont elle est tombée amoureuse, juste car il était devenu un père de substitution.
On explore dans ce roman à la limite du fantastique, les méandres de l’esprit humain, les impasses et aveuglements. Jeanne va se réveiller et Anne Goscinny passer à autre chose.

« Romance » d’Anne Goscinny, Grasset, 17,50 €

lundi 15 août 2022

BD - Mexico à l’envers

Cette BD de Barbucci (dessin) et Arleston (scénario) va mettre un peu de piquant dans votre été. Du relevé dans votre bouche, l’action se passe au Mexique et la cuisine y est très épicée, du très ébouriffant pour vos yeux, la belle héroïne, Fourmille, se dénudant de plus en plus dans les premières pages.

Avec Yuri, son compagnon d’aventure, elle va mettre le cap sur Mexico. La belle, dans le monde d’Ekho (le même que le nôtre, mais sans électricité et beaucoup de magie), a la possibilité d’accueillir les âmes des morts en errance. Cette fois elle va devoir aider Juan à trouver le chemin du Paradis.

Après l’Afrique, l’Asie, l’Europe ou l’Amérique, Arleston s’attaque donc à l’Amérique centrale. Le Mexique qui y est décrit est chatoyant, joyeux et aussi très violent. Il y est question d’un produit permettant de retrouver la mémoire. Mais aussi d’un virus qui la fait disparaître.

En creux, les amateurs de complots en tout genre y liront l’histoire du Covid, inventé par les laboratoires pharmaceutiques pour écouler leurs milliards de doses de vaccins. Comme si la vie était aussi simple qu’une BD…

« Ekho, monde miroir » (tome 11), Soleil, 14,95 €


dimanche 14 août 2022

BD - Tim, fils rêveur

Tim est autiste. Il vit en permanence avec sa mère. Son père, Marc, s’est éloigné de cet enfant anormal, compliqué à gérer, qui vit dans son monde et n’a aucun repère social. Quand Marc reçoit un message de son ancienne épouse lui expliquant qu’elle n’en peut plus et qu’elle doit prendre du recul, il ne comprend pas immédiatement que désormais, c’est lui qui aurait la lourde responsabilité de s’occuper de Tim.

Un changement radical de vie pour cet homme actif qui aime sa liberté.

Écrit par Bernard Villiot, auteur de littérature jeunesse, et dessiné par Alexandra Brijatoff, ce long roman graphique explique comment on perçoit les enfants comme Tim et surtout comment eux, perçoivent notre réalité. Édifiant.

« Dans la tête de Tim », MaraBulles, 17,95 €

samedi 13 août 2022

Cinéma - Nouvelle lutte de “La très très grande classe”

Deux profs, une mutation : la lutte sera rude entre ces modèles de l’éducation à la française.

Comédie française bâtie autour du personnage de Mlle Sofia Boudaoui (Melha Bedia), la présence d’Audrey Fleurot au casting, devenue l’actrice la plus vue dans une série française (HPI sur TF1, plus de 10 millions de téléspectateurs pour chaque épisode), a propulsé cette dernière en grand sur les affiches. Pourtant elle incarne la « méchante sorcière » de l’histoire, une caricature d’une certaine bourgeoisie française, trop distinguée pour être honnête. Un rôle hautement antipathique qui ne perturbe en rien celle qui a un réel talent dans la comédie.

De toute manière elle est beaucoup moins présente que Melha Bedia, la « gentille princesse », présente dans toutes les scènes. Sofia est professeur de français dans un lycée de banlieue. Elle a une classe de seconde qui lui mène la vie dure. Timide, complexée par ses rondeurs, elle n’a qu’une envie : être mutée. Quand elle reçoit enfin sa nouvelle destination, c’est une explosion de joie : lycée français de Barcelone.

Retrouver la vocation 

Tellement contente que pour le dernier jour de cours, elle déballe tout aux élèves et dit tout le mal qu’elle pense de ces « puceaux boutonneux ». Ça soulage. Moins quand elle apprend dans la foulée que la mutation est suspendue, Une autre candidate veut un réexamen des dossiers. Pas n’importe quelle enseignante : Mme Delahaye, femme d’un diplomate qui va être muté à Barcelone, appréciée de ses élèves dans un collège privé catholique.


Ce film écrit et réalisé par Frédéric Quiring prend dans sa première demi-heure des airs de lutte des classes. D’un côté l’élite française, blanche et bien-pensante, de l’autre l’exemple de la diversité, avec ses difficultés et ses désespoirs face à une administration qui montre un peu trop ses préférences. Les deux profs vont être évaluées par un inspecteur (Arié Elmaleh). Sofia, sur les conseils d’un voisin (François Berléand), va tenter de le séduire. En vain. Par contre, quand il découvre qu’elle aide la femme de ménage guinéenne du lycée à apprendre le français, il salue cette action de philanthropie. Et Sofia de monter une association d’alphabétisation pour étoffer son dossier.

L’intrigue, tout en continuant à distiller les pièges et chausse-trapes que s’infligent les deux femmes, prend une couleur plus sociale. Avec quelques belles tirades sur l’importance d’apprendre. Et rapidement Sofia va retrouver la foi et la vocation en son métier et se découvrir indispensable à ces hommes et femmes pour qui lire et écrire le français leur offre un nouveau départ dans leur vie.

Plus qu’une comédie, La très très grande classe est un beau plaidoyer pour l’émancipation par l’éducation.

Film français de Frédéric Quiring avec Melha Bedia, Audrey Fleurot, François Berléand, Arié Elmaleh