A quelques mètres des fours d’Auschwitz, sollicités à outrance, une famille profite d’une existence bucolique. Jonathan Glazer filme un certain paradis aux portes de l’enfer.
Au lendemain de la diffusion sur France 2 de Shoah (disponible en replay), film documentaire aux images édifiantes de Claude Lanzmann, la sortie en salles de La zone d’intérêt de Jonathan Glazer prouve qu’il existe plusieurs façons pour dénoncer l’abomination des crimes nazis. Présenté à Cannes en compétition officielle (récompensé du Grand Prix), ce film prend le parti de raconter le quotidien du camp d’extermination d’Auschwitz du point de vue des tortionnaires.
C’est l’été. Une famille bronze et se baigne dans un lac en Pologne. Petites filles blondes qui ramassent des mures, jeunes hommes musclés, épanouis. Quand ils rentrent chez eux, on devine au loin des miradors, des barbelés au sommet des murs et de grosses cheminées qui crachent de la fumée noire. La petite famille exemplaire est celle de Rudolf Höss (Christian Friedel), le commandant du camp d’Auschwitz.
Petit paradis aux portes de l’enfer
Avec sa femme Hedwig (Sandra Hüller), ils ont transformé leur maison en petit paradis. Chambres spacieuses, chauffage central, grand jardin avec piscine, potager et quantité de fleurs. Même de la vigne au fond du terrain. Mais surtout, pour cacher les premiers baraquements du camp. Un camp qu’on ne voit jamais à l’écran. Par contre, on entend tout ce qu’il s’y passe.
Comme l’a expliqué le réalisateur, la bande-son, sorte de parasite auditif à la limite du soutenable, est un film dans le film. Pendant que Hedwig se prélasse au soleil dans son jardin, des rafales d’armes automatiques font régner l’ordre de l’autre côté. Elle essaie un manteau de fourrure volé à une déportée qui, si ça se trouve, est cette femme qui hurle sous la torture. Certes la mère et ses enfants ne voient pas les horreurs à l’intérieur du camp, mais ils ne peuvent ignorer ce qui s’y trame. Comment dès lors arriver à vivre dans ces conditions ? Pourtant, jamais ils ne se rebelleront, ne feront le moindre geste vers les condamnés. Ils profitent du système, de la mort planifiée. A ces images ensoleillées, presque jolies et bucoliques, s’opposent les sons mais aussi la musique, omniprésente. Elle donne parfois l’impression que ce ne sont pas des instruments qui jouent mais que le compositeur, Mica Levi, a mixé les millions de hurlements des Juifs assassinés à Auschwitz.
On ne sort pas indemne de La zone d’intérêt. Mais c’est toujours le cas quand le cinéma raconte, montre ou dénonce, cette solution finale pourtant toujours remise en cause au XXIe siècle par des négationnistes.
Film de Jonathan Glazer avec Christian Friedel, Sandra Hüller, Johann Karthaus
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