jeudi 9 novembre 2006

BD - Un barbare et son monde


Krän, en quelques années, est parvenu à s'imposer en tête des hit-barbares. Toujours armé de sa hache, flanqué de son garou, petite boule de poil se transformant en monstre de 12 mètres de haut (canines acérées de 1 mètres...) et de Kunu, gnome puant et lubrique, lâche de surcroît, donc source de gags inépuisable. 

Et des gags, ce premier album de Krän Univers, en regorge. Hérenguel, le créateur de cette série hilarante, creuse la veine en imaginant des scènes cocasses indépendantes les unes des autres. Exit la grande aventure, place au format court. On retrouve au fil de ces 46 planches les seconds rôles classiques que sont les zombies, les Huns, les damoiselles peu farouches à fortes poitrines et des trolls. 

C'est parfois vulgaire, toujours macho, jamais très fin et pourtant, on se délecte des réflexions à deux balles de cette grosse brute. Certainement un vieux, très vieux souvenir de nos ancêtres, quand les différends se réglaient à grands coups de torgnoles. Une régression qui ne peut pas faire de mal si cela ne dure que quelques minutes.

Krän Univers, Vents d'Ouest, 9,40 €

mercredi 8 novembre 2006

BD - La question que doit se poser tout fan de bande dessinée


«Pour partager mes rêves et mes émotions", "Parce que j’ai grandi avec", "Pour sa capacité à surprendre", "Parce que c’est difficile…"
: voilà quelques-unes des réponses apportées par des auteurs à la question qui donne son titre à l’album "Pourquoi aimez-vous la bande dessinée ?". Publié dans le cadre des 20 ans des éditions Delcourt, ce recueil offre à certains auteurs la possibilité de développer plus originalement cette passion qui pour beaucoup est devenue un métier. 

Plus de 60 réponses, autant de bonnes raisons pour franchir le cap, de lecteur, devenir auteur. Un constance cependant dans plusieurs réponses : le fait que la bande dessinée a bercé leur jeunesse. Pour beaucoup, leur imaginaire a été modelé au fil des semaines en dévorant les Spirou, Tintin et autres Pif Gadget. Et souvent, l'évolution naturelle les a conduit vers une BD plus adulte, plus expérimentale. 

Bref, ils ont appris la vie en parcourant ces pages. Le talent aidant, ils ont plongé dans ce monde une fois devenus adultes. Les bénéfices de cet ouvrage seront entièrement reversés à la Croix-Rouge au profit de la lutte contre l’illettrisme.

"Pourquoi aimez-vous la bande dessinée ?", Delcourt, 12,90 euros

mardi 7 novembre 2006

BD - Le bourreau voit la vie en rouge


Giovan Battista Mori, surnommé le Maître rouge, est menuisier. Un très bon artisan, mais ce n’est pas en raison de ses qualités professionnelles qu’il est redouté de tous à Rome. Mori est surtout le bourreau, impitoyable manieur de hache qui ne recule pas devant la tâche. Avant d’exécuter une sentence, cet homme à la forte stature toujours revêtu d’une cape rouge, cherche à comprendre pourquoi il doit tuer de sang froid un meurtrier. Il se transforme alors en détective amateur. 

Créé par Artibani et Milazzo, cette série italienne intègre la collection dédales de polars historiques. Les deux premiers tomes, formant une seule enquête, paraissent simultanément. Une jeune fille est enlevée. Les brigands demandent une rançon. Mais dès le lendemain, son beau-père est assassiné. Le coupable affirme que c'est un acte politique révolutionnaire. Mori veut en savoir un peu plus. Il se doute que les motifs sont autres, plus complexes et secrets.

Le maître rouge, Les Humanoïdes Associés, 10,40 euros.

lundi 6 novembre 2006

BD - La véritable histoire du soldat inconnu

La résurrection des éditions Futuropolis permet la réédition de ce court récit de Tardi, suivi de "La bascule à Charlot", réquisitoire contre la peine de mort. Noir et blanc expressif, scénario cauchemardesque, ces deux histoires sont fondatrices dans l’œuvre de Tardi, et représentent parfaitement ce que faisait Futuropolis, maison d'édition créée par Etienne Robial dans les années 70, prolongé en 2005 par Gallimard qui a décidé de relancer cette prestigieuse marque avec Blutch, De Crécy ou David B. pour ce qui est des nouveautés. 

Le soldat inconnu, d'après Tardi, est un écrivain de romans populaires. On le suit dans un cauchemar le mettant en présence de tous ses personnages négatifs donnant tant de saveurs à ses récits d'aventure. Tardi dans la préface parle "d'erreur de jeunesse", relevant des "maladresses de dessin". Mais il reconnaît qu'"il y a là, en désordre, à peu près tous les sujets que je reprendrai pas la suite dans la Blanc-Sec et ailleurs : savants fous, délires à la Jules Verne, dinosaures et 14-18". (Futuropolis, 14,50 €)

dimanche 5 novembre 2006

Roman - Chasseur de chair fraîche

Avec cette plongée vertigineuse dans le capitalisme sauvage des chasseurs de têtes, Clémence Boulouque raconte dans "Chasse à courre" comment un homme se déshumanise.


 Frédéric Marquez est ambitieux. Sûr de lui et toujours gagnant. Après des études brillantes en France et aux USA, il intègre une banque et progresse rapidement dans la hiérarchie faisant ses classes à Londres. C'est là qu'il est contacté pour la première fois par Sonia, une chasseuse de têtes. Un premier contact froid, Frédéric ne désirant pas changer d'emploi dans l'immédiat. 

Mais l'impensable arrive et il tombe sous le charme de cette femme audacieuse et active. Il l'invitera à dîner et en même temps qu'il la découvre, il en apprend beaucoup plus sur ce travail de l'ombre. Sonia lui explique que le "problème de ce métier, c'est l'argent et le pouvoir. Beaucoup viennent à la chasse pour de mauvaises raisons, vous mettez en place des dirigeants ou des cadres importants, certains vous demandent de les conseiller pour des décisions à prendre, s'en remettent à vous, ou presque, pour se faire aiguiller, des confiances se nouent, aux allures de dépendance... Vous savez ce qui se passe dans de nombreuses entreprises, vous avez le pouvoir de l'ombre. Et puis, si vous êtes futé, en travaillant nettement moins, vous gagnez presque autant qu'un banquier". Pour la séduire, ou mieux la connaître, Frédéric va intégrer un cabinet de recrutement et devenir en peu de temps un des éléments les plus performants. Il travaille beaucoup et dans ce milieu c'est peu de le dire quand vos collègues vous demandent si vous prenez votre demi-journée lorsque vous partez vers 20 heures... 

Chasseur de têtes sans scrupule, Frédéric ne parvient cependant pas à entraîner dans sa vie Sonia qui reste fidèle à son compagnon. Ils sont amis, partent souvent en chasse à l'étranger ensemble, mais passé les premiers moments magiques, quelque chose se dérègle dans leur relation et Frédéric Marquez de noter "C'est à cette période-là que j'ai commencé à la perdre. De plus en plus souvent, quand je la blessais, je sentais un fourmillement de bonheur me monter dans le corps". Lentement mais sûrement, le héros est en train de changer. Il n'en a pas conscience, mais c'est évident. Il se déshumanise en orientant sa carrière vers la grande manipulation. Il se persuade de plus en plus qu'il est le champion à ce petit jeu jusqu'à l'apparition de Richard Pétrel, considéré par Frédéric comme un "candidat sans consistance". Sa description est abominable : "Tout ce qu'il revêtait semblait de piètre qualité. Son imperméable était un peu froissé. Son écharpe lui mangeait le cou. (...) Avec ses toussotements, sa façon de s'éclaircir sa gorge comme s'il allait parler même lorsqu'il ne disait rien, il m'a insupporté dans les premières minutes de l'entretien." Richard Pétrel, la quarantaine tranquille, brillant sans être exceptionnel, avec une vie de famille rationnelle et équilibrée. C'est cette image qui va avoir de graves conséquences pour Frédéric, précipitant son passage dans le côté obscur du métier, là où on commence véritablement à considérer les candidat comme du simple gibier. 

Clémence Boulouque parvient même dans son écriture, de plus en plus synthétique au fil des pages à nous faire prendre conscience des transformations de Frédéric. Il croit manipuler les acteurs du système mais n'est-il pas lui aussi une simple marionnette obéissant à ces fils invisibles tirés par d'autres ?


"Chasse à courre", Clémence Boulouque, Gallimard, 16,50 euros (également en poche chez Folio)

BD - Alix, la renaissance

Ce 25e album d'Alix, "C'était à Khorsabad", est à lire en parallèle avec le premier tome, paru il y a maintenant plus d'un demi-siècle. Le jeune héros, imaginé par Jacques Martin, qui est toujours le scénariste de cette série entrée il y a longtemps au Panthéon de la BD, revient dans l'antique cité de Khorsabad à la recherche de ses parents, notamment de sa sœur. Il est en mission pour César. Le roi de la région veut offrir à l'empereur romain un vase en or. Alix sera chargé de convoyer le cadeau. Mais avant de repartir vers Rome, il tient à revoir Khorsabad. Mauvaise idée, la cité est sous la férule d'un Grec, Andrinoüs, dictateur aux visées expansionnistes. 

Quand Alix et Enak arrivent dans la ville en pleine reconstruction ils découvrent que derrière cette noire barbe se cache Arbacès, un « méchant » récurrent de l'univers d'Alix. Cet album voit l'arrivée de deux nouveaux dessinateurs, Cédric Hervan et Christophe Simon. Et force est de constater que cette aventure retrouve un souffle et une qualité graphique qui faisait défaut depuis quelques années. 

Rien que la couverture, remarquablement composée, devrait donner un signe aux nostalgiques de la grande époque, quand Jacques Martin, en plus d'écrire, dessinait les aventures de son héros vedette. (Casterman, 9,50 €)

vendredi 3 novembre 2006

BD - Redécouvrons Julia Verlanger, alias Gilles Thomas


Soltrois, dessinée par Mauro de Luca, adaptée par Jean-Martial Lefranc, cette nouvelle série est tirée du roman éponyme de Gilles Thomas. Cet auteur de science-fiction, qui a fait les beaux jours de la regrettée collection « Anticipation » de Fleuve Noir, mérite d'être tiré de l'oubli. 

Gilles Thomas, pseudonyme de Julia Verlanger, a beaucoup écrit d'héroïc fantasy avant de dévier vers des romans plus réalistes, décrivant un monde moderne en totale décomposition après un affrontement nucléaire. « L'autoroute sauvage » est un roman culte, troublant car totalement vraisemblable. « Soltrois » se déroule sur une planète colonisée il y a des siècles par des hommes venus de l'espace.  

Mais très rapidement, les plantes ont pris le dessus. Des spores ont fécondé les femmes, donnant naissance à ces mutants verts, réduisant en esclavage les humains pourtant dotés de la technologie. Une technologie qui ne fait pas les poids face à une puissante magie. Pour la première fois, un humain pourrait devenir roi, mais les Verts s'y opposent. C'est la lutte de Djellal contre son oncle félon qui est racontée dans ce premier tome. (Les Humanoïdes Associés, 12,99 €)

jeudi 2 novembre 2006

BD - Du Griffo futuriste


Troisième série lancée dans la nouvelle collection « Portail » du Lombard, Ellis n'est malheureusement pas la meilleure. Pourtant, dessinées par Griffo, valeur sûre de la BD d'anticipation, les aventures de Deep O'Neil imaginées par Sébastien Latour ont un fort potentiel, mais ce premier album, sorte de pilote de la série, laisse une impression de fouillis, de brouillon. Trop de bonnes idées ce n'est pas évident à faire passer en 54 pages. 

Le jeune policier, Deep, rencontre Sax, le coéquipier de son père grièvement blessé par un truand. Deep apprend qu'ils travaillent pour le groupe Ellis, unité d'élite qui traque les phénomènes paranormaux sur New York. Des « abominations » qui profitent des cauchemars pour les transformer en réalité. Alors que l'enquête progresse, Deep prend conscience qu'il n'est que l'apparence physique d'un rêve de son père plongé dans le coma. Cela ne l'empêche pas de s'investir totalement pour mettre hors d'état de nuire Roméo, abomination à la solde de la mafia. 

Entre fantastique et polar américain classique, la frontière fluctue. Griffo, s'essaie avec réussite à la couleur directe. Le deuxième tome devrait être plus évident. (Le Lombard, 13 €)

mercredi 1 novembre 2006

BD _ Lewis Trondheim et ses doutes en papier

Ce sont avec des petits riens que l’on bâti une grande œuvre. Lewis

Trondheim, créateur de Lapinot, scénariste de Donjon et chantre d’une certaine bande dessinée très intellectuelle tout en restant classique, dessine dans ses carnets des scènes de sa vie quotidienne. Il en a diffusé quelques uns sur son site internet, là, ce sont 128 pages de « petits riens » qui sont compilés sous le titre "La malédiction du parapluie". 

La vie qu’un quadra, marié, père de deux enfants, par ailleurs dessinateur de BD. L’inspiration il la puise dans sa famille ou son milieu professionnel. Le lecteur découvre un homme légèrement parano, toujours grand enfant, prêt à faire des blagues de potaches avec ses collègues. La panaroïa est très forte quand, en voyage à la Réunion, il découvre que le Chikungunya fait des ravages. Se recouvrant de spray anti-moustiques toutes les 10 minutes, il constate qu'il n'est pas le seul à redouter la moindre piqûre. 

A Angoulême, avant d'être désigné grand prix 2007, avec Joann Sfar, autre « intello » du 9e art, il accumule les bêtises, cassant sans cesse son image de penseur et de créateur. Un humour distancié irrésistible car bourré d’autodérision. (Delcourt, 11,50 €)