Dans New York en effervescence culturelle permanente, Siri Hustvedt raconte l’évolution de deux couples des années 70 à nos jours dans « Tout ce que j’aimais ».
L’un est critique d’art, l’autre peintre. Leo est marié à Erica, Bill vit avec Lucille. Les deux couples viennent de se former et le courant passe entre eux. Leo est impressionné par les peintures de Bill, artiste exigeant, mettant de longues années avant de concrétiser une série de toiles. L’amitié et le parcours en parallèle de ces deux hommes sont au cœur du roman de Siri Hustvedt.
C’est Leo qui raconte ces petites anecdotes qui, au fil des ans, tisseront des liens d’une grande force entre deux familles aux vies entièrement consacrées à l’art sous toutes ses formes. L’art est leur raison de vivre tout en étant un art de vivre…
Violet, la muse.
Erica et Lucille tombent enceinte presque au même moment et les deux garçons qui naîtront à quelques jours d’écart seront amis tout au long de leur enfance. Mais autant cet enfant consolide le couple de Leo, autant Lucille est totalement déboussolée par cette nouvelle bouche à nourrir. Bill, de plus en plus dans sa peinture, s’éloigne de sa femme qui préfère la séparation à l’affrontement. Deux appartements dans New York puis le départ vers le Texas pour Lucille, avec l’enfant. Bill perd son fils mais gagne un véritable amour. Il succombe au charme de Violet, le modèle de ses œuvres de jeunesse. Violet Blom, belle et extravagante muse d’un peintre de plus en plus côté sur le marché de l’art contemporain. A l’abri du besoin, Bill met encore plus de temps pour finaliser ses projets. Mais ce n’est pas par fainéantise, il passe des heures et des heures à créer, dessiner, faire des études et des croquis, commencer des toiles qu’il met ensuite de côté, ne se sentant pas encore prêt pour y apporter la touche finale. Finalement, pour une dizaine d’œuvres exposées, il accumule des centaines et des centaines de brouillons et études. La vente de quelques bribes de son art suffit largement à subvenir aux besoins du couple. Une situation rêvée pour cet artiste hors norme.
Hystérie et anorexie.
Libérés des contraintes matérielles de la vie quotidienne, ces purs esprits vont pouvoir s’interroger sur des sujets pointus, futiles pour certains, essentiels pour d’autres. Violet va ainsi faire de longues recherches sur l’hystérie avant de diriger ses travaux vers l’anorexie, le mal des femmes de la fin du siècle dernier. Bill trouvera dans les écrits de Violet matière à création. Simples tableaux ou constructions plus élaborées en trois dimensions, l’auteur décrit longuement ces œuvres, leur interprétation et sens caché. Erica aura cette réflexion pour décrire une des premières compositions de Bill, une représentation hyper réaliste de Violet intitulé « Autoportrait » : « C’est comme si on regardait le rêve de quelqu’un d’autre ».
Mais ces vies ne sont pas que art et création. Il y a également ces coups du sort qui font que même les génies, parfois, souffrent et en veulent à toute la planète. Alors que Leo est en train de perdre la vue, il explique comment ce handicap peut se transformer en atout. Il suffit de savoir faire fonctionner sa mémoire. Il redécouvre alors des détails qui lui avaient échappé lors des premiers examens.
Tout en traitant essentiellement de considérations cérébrales, ce roman de Siri Hustvedt est ancré dans une réalité très forte. Ainsi on se reconnaîtra forcément dans un des personnages : maris, femmes ou enfants, on n’a que l’embarras du choix.
« Tout ce que j’aimais » de Siri Hustvedt (traduction de Christine Le Bœuf), Actes Sud, 23 € (également en poche chez Babel)
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