Au rythme des changements de président de la République, Jean-Paul Dubois retrace la vie de Paul Blick : « Une vie française ».
Ce roman de Jean-Paul Dubois fait partie des rares œuvres qui vous imprègnent totalement, laissant forcément une trace longue et indélébile au plus profond de votre être. Paul Blick, héros omniprésent de ces 350 pages, débute son récit le jour de la mort de son frère aîné, Vincent. Il a huit ans, Vincent venait d’en avoir dix. De ce jour, les parents de Paul abdiquent toute joie de vivre. Paul, ne voit qu’un seul et unique intérêt à la mort de son aîné : il peut accaparer un carrosse doré qui lui faisait envie depuis des années. Une trahison, acte fondateur du début de ses mémoires en même temps que De Gaulle fonde la Ve république qui le suivra jusqu’à aujourd’hui, 44 ans et quelques présidents plus tard.
Mai 68 et après…
L’adolescent suivra une scolarité simple et anonyme jusqu’à l’arrivée de mai 68, l’année de sa terminale. Il est le premier sur les barricades de la ville rose, allant même jusqu’à briser les vitrines du garage de son père avec des pavés on ne peut plus symboliques. De ce grand chambardement, il gardera un engagement politique résolument anarchiste. Il n’a jamais voté et ne le regrettera jamais, trouvant dans les années qui passent mille bonnes raisons de ne pas avoir donné sa voix au nobliau Giscard, à Mitterrand et ses pratiques monarchiques ou Chirac en 2002 « qui n’était pas grand-chose face à l’Autre qui était encore moins ». Mais cela n’empêche pas Paul Blick de tout faire pour voler de ses propres ailes et trouver sa place dans cette société qu’il supporte plus qu’il ne cautionne. Premier boulot dans un hebdomadaire sportif. Il signe ses premiers compte-rendus de rugby. Il rencontre surtout la fille du patron, Anna, et en tombe follement amoureux. Il mettra du temps à la conquérir, parviendra à évincer le fiancé officiel pour finalement l’épouser, un compromis qu’il regrettera longtemps. Deux enfants naîtront de cette passion : Vincent (prénom évident pour Paul) et Marie.
Arbres immobiles.
Il abandonnera les bords de terrain pour se consacrer entièrement à l’éducation de ses petits pendant que la mère, executive women avant l’heure, reprend une société de son père pour lui donner un coup de fouet et atteindre « une croissance à deux chiffres ». La scolarisation des enfants lui laisse un peu plus de temps libre et il se remet à la photographie, ne fixant sur sa pellicule que des arbres, calmes et immobiles. Il trouvera dans ces représentations une philosophie de la vie qu’il résume en quelques mots : « Je vois la vie comme un exercice solitaire, une traversée sans but, un voyage sur un lac à la fois calme et nauséabond. Parfois, sous l’effet de notre propre poids, nous glissons vers le fond. Lorsque nous le touchons, lorsque nous sentons sous nos pieds la substance molle et écœurante de nos origines, alors nous éprouvons la peur ancestrale qui habite tous les têtards voués à l’abattoir. Une vie n’est que ça. Un exercice de patience, avec toujours un peu de vase au fond du vase. »
La vieillesse.
Les photos des arbres, regroupées dans un livre luxueux, lui donne une indépendance financière inespérée. Il vieillira inexorablement, avec son cortège de deuils, de petits bonheurs et de désillusions. Mort du père, lente agonie de la mère, disparition de sa femme dans un accident d’avion : la vie ne lui fait pas de cadeaux. Avec la ruine au bout du chemin et la folie de sa fille. Et l’amour ? Il résume amèrement ce sentiment : « Nous avons tous la faiblesse de croire que chaque histoire d’amour est unique, exceptionnelle. Rien n’est plus faux. Tous nos élans du cœur sont identiques, reproductibles, prévisibles. Passé le foudroiement initial, viennent les longues journées de l’habitude qui précèdent le couloir infini de l’ennui. »
Si ce roman de Jean-Paul Dubois est parfois émouvant, il est également souvent comique. L’auteur parvient à faire alterner scènes bouleversantes et sketches hilarants. Comme une vie bien remplie offre normalement à tout homme qui se respecte, qu’il soit Français ou de n’importe qu’elle autre nationalité.
« Une vie française », Jean-Paul Dubois, éditions de l’Olivier, 21 € (également en poche chez Points)