Amélie Nothomb dans « Le crime du comte Neville » dresse un portrait étonnant de la noblesse belge actuelle, entre tradition et décrépitude.
Les temps sont durs pour les nobliaux du plat pays. Prenez les Neville. Le comte, Henri, n'arrive plus à joindre les deux bouts. Malgré son travail bien rémunéré, ses finances sont un gouffre sans fin. La faute au domaine du Pluvier, dans la famille depuis des siècles mais beaucoup trop cher à entretenir. La retraite approchant, le pauvre comte doit se résoudre à faire l'impensable : vendre.
Comme chaque fin août, depuis une vingtaine d'années, Amélie Nothomb nous gratifie d'un nouveau roman assuré de ventes conséquentes. Une tradition devenue immuable, comme la chute des feuilles en automne ou l'achat d'un nouveau cartable pour le petit dernier. Chaque année on se laisse avoir par ce petit livre (à peine 130 pages) qui ne nous prend que deux heures de notre précieux temps mais qui parvient quand même à nous en mettre plein la vue. La faute à ce style simple et efficace, entre rédaction de 3e et brillantes envolées lyriques bourrées de références.
Sérieuse et Cléophas
Ce roman nous touche également par ses personnages aux prénoms improbables. La fille du comte, 17 ans, vient de faire une fugue. Elle s'appelle Sérieuse... Une voyante, partie la nuit cueillir des herbes spéciales, lui vient en aide. Le lendemain, elle contacte le comte pour qu'il récupère sa progéniture. La voyante fait alors une révélation au père : il tuera un invité lors de sa prochaine réception au château. Comment va-t-il réagir ? « Si l'un de ses amis s'était vu adresser une prophétie semblable et l'avait raconté à Henri, celui-ci aurait éclaté de rire et lui aurait dit avec la dernière conviction de ne pas croire à ces histoires de bonne femme. Malheureusement, il était presque comme tout le monde : il ne croyait les prédictions que si elles le concernaient. Même le sceptique le plus cartésien croit son horoscope. » Cette annonce perturbe au plus haut point le comte car la prochaine réception, où il compte dépenser ses dernières économies, devait être somptueuse, flamboyante. Pour une bonne raison : il n'y en aurait plus d'autres.
Toute la subtilité du roman consiste à raconter l'étonnant cheminement de l'esprit du comte et de sa fille Sérieuse. Tuer un invité lui est égal. D'autant que certains méritent amplement la mort comme ce Cléophas de Tuynen, odieux parmi les odieux. Par contre que l'infamie retombe sur ses proches lui est insupportable. Devenu meurtrier, il ira en prison mais surtout sa femme et ses enfants seront exclus du petit milieu de la noblesse belge. Sérieuse a alors une idée pour tirer son père de l'embarras.
La suite du roman se résume à ce tête-à-tête entre le père et sa fille. Des dialogues d'une extraordinaire force, au déroulé implacable et à la fin prévisible. A moins qu'Amélie ne nous sorte de son chapeau une astuce, un revirement, un rebondissement digne des romans d'Agatha Christie. En inversé puisque l'on sait qui est le meurtrier mais que l'identité de la victime est incertaine jusqu'à la dernière page. Et voilà comment, une fois de plus, Amélie Nothomb, par sa voix singulière, parvient à charmer anciens et nouveaux lecteurs.
« Le crime du comte Neville », Amélie Nothomb, Albin Michel, 15 €
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