Jérôme Fansten est deux. Le romancier raconte comment il cherche à tuer ses pères avec son frère fantôme, issu comme lui d'un viol collectif.
Roman inclassable avec de véritables moments de réalité vraie, le « Manuel de dramaturgie à l'usage des assassins » est un tour de force dans le petit monde de la littérature française, tendance autofiction. Jérôme Fansten est scénariste de cinéma. Cela fait mieux qu'écrivain dans les soirées bobos. Même si les scénaristes sont les moins importants des créateurs dans le long et couteux processus de fabrication d'un long-métrage.
Il profite à plusieurs titres de cette soirée organisée par une grosse société de production française. Premièrement il boit et mange à l'œil. Mais ça, c'est l'apanage de 90 % des participants. Ensuite il trouve des clients pour fourguer de la cocaïne, sa principale source de revenus. Écrire des scénarios cela ne nourrit pas son homme. Encore moins des romans... Dernier intérêt de sa présence voyante dans ce cocktail mortellement ennuyeux : il se forge un alibi du tonnerre. Qu'il compte renforcer en séduisant une jolie blonde (ou brune, ou rousse, ou chauve... aucune importance) et passer le reste de la nuit dans son lit.
Jérôme Fansten a besoin d'un alibi car au même moment il est en train de saboter l'installation électrique de la villa d'un certain Pelletier, homme politique d'extrême-droite. Quand Pelletier entendra du bruit dans le hall et allumera la lumière, cela provoquera une superbe explosion qui le projettera à plusieurs dizaines de mètres de son habitation. Un meurtre parfait maquillé en bête accident. Et comme Jérôme Fansten était au même moment en train de roucouler avec une certaine L., il ne peut pas être inquiété.
Le vrai du faux
Le romancier, en empruntant les codes de l'autofiction, interpelle le lecteur. Pas de doute, il a réellement couché avec L. De même, ses dialogues sur la situation du cinéma avec des collègues ou ses considérations de romancier incompris avec son éditeur, Stéphen Carrière, semblent vrais à 100 %. Mais alors pourquoi s'accuse-t-il d'un meurtre ? Et comment le croire quand il explique qu'en fait, Jérôme Fansten est deux ?
L'idée géniale du roman est là. Sa mère, tombée enceinte après un viol collectif (Fansten aime le glauque), a accouché de jumeaux chez elle, seule. Elle a décidé de ne déclarer à l'état-civil qu'il seul enfant. Depuis 30 ans, Jérôme Fansten est une entité composée de deux frères qui vivent au grand jour à tour de rôle. Cela permet à l'entité de tomber amoureux de L. tout en tuant Pelletier, un des participants au viol collectif et potentiel père de l'entité...
« Atrophie du sens moral »
Cela semble compliqué mais le roman est limpide. Notamment car l'auteur est d'une grande clairvoyance sur les ressorts de la dramaturgie des histoires inventées. Comme il le fait remarquer, alors que la police criminelle enquête sur la mort de Pelletier, « Le crime le plus débile devient parfait s'il n'a pas de suites. Le crime le plus élaboré est une barbarie merdeuse si l'assassin se fait choper. » Jérôme Fansten cherche donc ses pères. Pour les éliminer. Comme une vengeance posthume pour les souffrances endurées par la mère et l'entité. On en déduit que ce romancier est un beau salaud. Erreur : « De nos jours, l'atrophie du sens moral est plus ou moins compensée par un profond conformisme, associé à une grande capacité de dissimulation. J'ai l'intuition que ces traits de caractère, quoi qu'on en dise, expliquent la société. Toutes les sociétés. » Et s'il y avait plus d'entités Jérôme Fansten que l'on croit dans notre entourage ?
« Manuel de dramaturgie à l'usage des assassins » de Jérôme Fansten, Anne Carrière, 21 euros
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