jeudi 20 février 2014

Cinéma : le Romantisme rouge sang de Jim Jarmush

Pour Jim Jarmush, réaliser Only lovers left alive, film de vampires hors normes, est surtout l'occasion de filmer romantisme, beauté, musique et littérature.

jarmush
Une bande-son à se damner, deux acteurs irréprochables, des décors chargés d’un vécu poignant, des vampires et des guitares électriques : Only lovers left alive de Jim Jarmush est le genre de film qui accumule les qualités quand d’autres en manquent cruellement. Entre rêverie romantique et réflexion philosophique sur le devenir de l’Humanité, l’histoire d’Adam et Eve est des plus vénéneuses. Adam, rocker reclus, vit dans une vieille maison en ruine dans un de ces quartiers désertés de Detroit. Eve, confortablement installée au milieu d’une constellation de coussins attend que le jour décline pour déambuler dans les ruelles de Tanger.
Le début du film montre leur réveil, à des milliers de kilomètres de distance l’un de l’autre, la caméra prise de tournis, comme un vieux vinyl sur un électrophone. Adam (Tom Hiddleston) et Eve (Tilda Swinton) tournent en rond. Sans fin. Une fois la nuit tombée, ils sortent. Adam, déguisé en toubib, se rend dans un hôpital. Eve, voilée, marche avec assurance dans cette ville marocaine aux mille sollicitations. Elle et lui sont à la recherche de la même chose : du sang frais.
Vampire et suicidaire
Vampires, ils sont quasi immortels mais doivent se méfier. Terminé le temps où il suffisait de traîner dans certains lieux interlopes pour trouver une âme perdue qui étanchait leur soif. Les maladies, notamment celles du sang, compliquent leur tâche. Adam négocie directement avec un laborantin véreux qui lui revend du sang contrôlé destiné aux transfusions. Dans un petit café fréquenté seulement par des hommes qui jouent aux dominos, Eve a un bon ami ; il lui cède une partie de son approvisionnement en provenance du stock « d’un bon docteur français ».


Eve et Adam ont été mariés. Trois fois, dont la dernière au XIXe siècle. Leur discrétion leur permet de survivre dans un monde implacable. Si le personnage interprété par Tilda Swinton éprouve encore du désir et de la curiosité, celui de Tom Hiddleston est en pleine dépression. Passionné de musique, il compose mais ne veut plus que ses œuvres soient diffusées. Les Humains (les Zombies comme il les appelle dédaigneusement) l’horripilent. Ils massacrent leur planète alors qu’il serait si simple de la préserver. Conséquence, le vampire immortel cherche un moyen efficace pour se suicider... Eve, consciente du danger, quitte l’Afrique pour Detroit. Réunis, les amants errent dans les ruines de la ville industrielle avant d’être rejoints par Ava, la sœur d’Eve, vampire elle aussi, mais jeune et extravertie. Le début des vrais ennuis car « ce n’est jamais simple la famille ».
Loin de ne s’adresser qu’aux amateurs de films de genre, Jim Jarmush truffe son œuvre de références culturelles, de Byron à Shakespeare en passant par Jack White (des White Stripes) ou le mystérieux et sulfureux Christopher Marlowe (John Hurt). Le tout avec une bande-son de toute beauté, envoûtante. On retrouve Sqürl, le groupe de Jarmush mais aussi des compositions du musicien néerlandais Jozef Van Wissem ou de la Libanaise Yasmine Hamdan. Enchantement des yeux, bonheur des oreilles et parfait excitant des méninges, le dernier film de Jim Jarmush a tout du chef-d’œuvre qui vous prend aux tripes.
Michel Litout
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Deux décors, deux mondes

YasmineCinéaste américain, Jim Jarmush a financé son dernier film avec des capitaux allemands. Si de nombreuses scènes en intérieur sont tournées à Cologne, il a planté le décor de son histoire de vampires romantiques dans deux villes radicalement différentes. D’un côté Detroit et ses immenses friches industrielles, désert de briques et de béton envahi d’herbes folles, à la splendeur passée. De l’autre Tanger, la vieille ville africaine aux ruelles tortueuses et pentues, comme dans un labyrinthe vieux de plusieurs siècles. Là, la vie grouille, on est abordé à chaque encoignure et les bars sont ouverts sur l’extérieur. C’est d’ailleurs de la rue qu’Adam entend pour la première fois Yasmine (photo) en concert dans un minuscule boui-boui.
Ce grand écart entre les décors conforte la double poésie du film. Toujours montrés de nuit, les anciens théâtres ou usines de Detroit abritent dans leur silence et leur solitude les errances des deux vampires pleurant une civilisation morte. À l’inverse, la vie exubérante de Tanger, son romantisme intact depuis des siècles, leur apportent cette petite étincelle de vie. La nuit y est belle et pleine d’espoirs.

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