Avec des « si » on refait le monde. Bernard Quiriny dans « Le village évanoui » se contente d'imaginer quelques milliers de provinciaux coupés de la civilisation.
On se souviendra longtemps de ce 15 septembre 2012 à Chatillon, charmant village de la Bierre entre Auvergne et Morvan. Pour certains habitants c'était la fin du monde. Pour d'autres, le début d'une autre ère. Ce 15 septembre, tout a commencé par l'épidémie d'une panne de voitures, au même niveau de la route conduisant à Névry, la capitale économique et départementale de la région. Arrivé à un certain endroit, le moteur cale. Quand certains travailleurs ont tenté de prévenir leurs patrons qu'ils arriveraient en retard, impossible d'avoir du réseau. Par contre ils ont pu téléphoner à familles et amis de Chatillon pour venir les récupérer. Rapidement, les élus et gendarmes se rendent sur place. Et découvrent que le phénomène est généralisé à toutes les routes du canton. Passé un certain périmètre, les véhicules s'immobilisent. Les téléphones ne passent plus. Internet est muet de même que les radios et les télévisions. A la fin de la journée l'évidence s'impose à tous : Chatillon est coupée du monde.
Le Dôme du terroir
Le début du roman de Bernard Quiriny a des airs de thriller fantastique à la Stephen King (on pense à Dôme, notamment). Mais avec un phrasé, des personnages et des réactions plus proches du roman de terroir. Un grand écart parfaitement voulu par cet auteur belge qui a remporte de nombreux prix avec ses recueils de nouvelles. Une fois le postulat de départ accepté par le lecteur (Chatillon n'a plus de contact avec l'extérieur, la communauté va devoir vivre en autarcie pour une durée indéterminée), place aux intrigues, rebondissements et autres péripéties pour ces hommes et femmes qui n'étaient pas préparés à un tel destin. Car en fait, ils vont devoir réinventer la civilisation. Pas moins.
On suit les hésitations du maire, plus gestionnaire que visionnaire. Du chef des gendarmes, bien embarrassé car toute infraction ne peut plus avoir de suite, juges et tribunal ayant disparu du canton. Le curé se réjouit du regain de foi de ses ouailles, si perdus qu'ils s'en remettent au Seigneur. Mais attention aux dérives sectaires.
Certains jouent collectif. D'autres sont d'irréductibles solitaires. Les vivres commencent à manquer. Le désespoir à gagner. Même le retour du printemps ne parvient pas à redonner le moral aux habitants de plus en dépressifs, voire suicidaires.
En fait la vie de la communauté change quand un paysan bourru, Jean-Claude Verviers, refuse de se plier aux injonctions du maire lui ordonnant de partager ses vivres. Car ce travailleur infatigable, célibataire, ne jurant que pour son troupeau de vaches et ses champs, refuse de céder la moindre de ses richesses à cette horde de paresseux vaniteux. Sa philosophie est simple : « La plupart des gens n'ont au fond aucune raison d'être malheureux ; ils ne le sont que parce qu'ils regardent au loin, apprenant ce qu'ils ne devraient pas savoir. Une cause du malaise contemporain était le ressentiment et l'envie qu'inspirait aux humbles le spectacle télévisée de la richesse et du luxe. » Sur ce postulat, il va tout simplement faire sécession, provoquant une véritable tension internationale entre sa ferme et le reste du canton. C'est la partie du roman la plus passionnante. Comment deux communautés s'affrontent, se trouvent des leaders, cherchent à dominer son voisin. Le village de Chatillon, après une année d'isolement, se retrouve à singer les Nations.
A la limite de l'étude sociologique, le roman s'emballe et le lecteur se passionne. Quant au dénouement du livre, mieux vaut ne pas en dire un mot et laisser au lecteur le plaisir de découvrir comment l'auteur se tire brillamment de cette histoire sans fin.
« Le village évanoui », Bernard Quiriny, Flammarion, 17 €
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