Poignant. Dérangeant. « L'envol du papillon » de Lisa Genova nous emmène dans un autre monde, là où rien n'est sûr, là où les jours ne se ressemblent pas.
Imaginez-vous, le temps d'une lecture, réduits à combattre cet ennemi perfide, invisible et insaisissable qu'est la folie. Le mot est fort, peut-être, mais les faits parlent d'eux-mêmes.Alice Howland, titulaire d'une chaire à Harvard, assiste, impuissante, à la dégradation de ses facultés mentales. Les trous de mémoire font désormais partie de son quotidien, et tous, autour d'elle, y compris son médecin, les mettent sur le compte des bouleversements de la ménopause et d'un stress élevé dû à son travail.
Seule Alice se rend compte que ses troubles ne sont pas anodins et va consulter un neurologue. Tests à l'appui, le verdict est terrible. Alice est atteinte d'une forme précoce de la maladie d'Alzheimer.
Lisa Genova, diplômée en neuroscience, a choisi de conter l'histoire du point de vue d'Alice.
Touchés au cœur
Au fil des pages, Alice nous entraîne dans son monde si différent et effrayant à la fois. Au tout début de la maladie, elle est victime de faits étranges. Lors d'un de ses joggings quotidien, elle est incapable de se rappeler le chemin de la maison. Un peu plus tard, dans un des amphis de Harvard, elle ne se rappelle plus que c'est elle, le professeur que ses étudiants attendent, et, au lieu de donner son cours, s'installe dans les rangées du fond de la salle, pestant contre le retard de l'intervenant ! Sous l'œil interloqué de ses élèves.
Autre torture, assortie d'un immense sentiment de culpabilité, la maladie se transmet par les gènes, de génération en génération. Les enfants d'Alice ont cinquante pour cent de « chance » de la développer, mais aussi de la transmettre à leurs propres enfants. Et le problème est d'autant plus crucial que la fille aînée d'Alice essaie d'avoir un bébé...
Alice, sous la plume de Lisa Genova, nous entraîne dans les méandres de son cerveau en perdition. « Alice n'avait plus de cours à donner, plus de demandes de bourse à rédiger, plus de nouvelles recherches à diriger, plus de communications à préparer. Elle n'en aurait plus jamais. La part la plus importante de son être, celle qu'elle avait portée au pinacle, astiquée régulièrement sur son piédestal de marbre, lui semblait morte. Et les autres parts – de minuscules parcelles – se lamentaient, s'apitoyant sur leur sort, se demandant comment obtenir un peu de considération ».
Et c'est bien là le cœur du roman. Lisa Genova, spécialiste en la matière, nous ouvre les yeux sur le calvaire que vivent les malades atteint d'Alzheimer et leur avidité d'être reconnus en tant que personne. Au début de la maladie, ils se rendent compte de tout ce qui leur arrive mais sont impuissants face à cette force brutale qui leur ronge le cerveau de manière sournoise et imprévisible.
Mais la maladie précipite les choses. En quelques mois, les malades sont figés dans leur monde, impuissants qu'ils sont à affronter la réalité.
Leur perception, bien que réduite, leur permet quand même d'éprouver des sensations. Tel l'exemple d'Alice, qui, sans reconnaître ses propres enfants, trouve un bonheur infini à respirer l'odeur des bébés de sa fille aînée...
Un roman qui résonne comme le ferait un témoignage, et nous laisse tour à tour indignés, attendris et finalement conquis. Un véritable hymne à la vie.
Fabienne HUART
« L'envol du papillon », Lisa Genova, Presses de la Cité, 20 euros