lundi 29 août 2022

BD - Amour en morceaux


Belle histoire positive que ce roman graphique écrit par Félix et Legeard (derrière lequel se cache Lidwine, génial dessinateur du Dernier Loup d’Oz) et dessiné par Janolle. A la base ce projet a servi de scénario à un film sur la réalisation d’un puzzle dans un petit village de bord de mer.


Un sacré challenge pour un veuf qui tente de reprendre l’animation du village après la mort prématurée de son épouse.

La BD raconte en plus les amours contrariées d’une jolie baby-sitter dont le cœur balance entre un marin au long cours et un gentil instituteur.

«Ces petits riens qui changent tout», Bamboo, 16,90 €

BD - Guerre moderne

La guerre en Ukraine n’est pas la première guerre moderne de ces dernières décennies entre deux nations disposant d’armées puissantes. En 1982, en plein océan Atlantique sud, l’Argentine a envahi les îles Falklands, possessions anglaises.

La dictature militaire voulait faire oublier au peuple les difficultés économiques (inflation, déjà…) en glorifiant le sentiment national. La Grande-Bretagne, dirigée par Thatcher qui a du coup renforcé son image de Dame de fer, a répliqué et, après de quelques combats aériens et batailles navales à repris possession de ces bouts de terre désolés, peuplés de « 700 000 moutons et d’un millier d’âmes ».

Jean-Yves Delitte raconte cette guerre des Malouines dans la collection qu’il dirige, Les grandes batailles navales. S’il signe la couverture (il est peintre de la Marine), il a confié le dessin de ce récit à Marco Bianchini, Italien qui manie parfaitement le dessin réaliste. Du moins les avions, bateaux et autres missiles Exocet. Pour ce qui est des humains, c’est moins convaincant.

Mais c’est le grand regret de cet album, les soldats sont peu présents et trop souvent caricaturaux. Reste la vérité historique, implacable et à ne pas oublier.

« Falklands, la guerre des Malouines », Glénat, 15,50 €

dimanche 28 août 2022

BD : Le futur inquiétant de « Space Connexion »

Dans cette seconde livraison de Space Connexion, ElDiablo et Baudy ne proposent que trois histoires complètes. Trois nouvelles copieuses, un peu plus détaillées que les récits du tome 1. Il y est encore question de rencontres entre extraterrestres et humains.

L’intérêt réside dans la diversité, non pas des aliens, mais des personnes qui se retrouvent, du jour au lendemain, confrontées à l’inimaginable. De l’enfant battu au savant visionnaire en passant par les voyous au service d’un cartel de la drogue, les réactions sont parfois diamétralement opposées. Le gamin qui vit un enfer dans une maison retirée de la forêt canadienne, en sauvant un cerf amoché par le père violent, ne se doute pas qu’il vient en réalité de permettre à un alien de survivre.

Ce dernier lui sera tellement reconnaissant qu’il va lui permettre de prendre sa revanche sur le tortionnaire. Dans la jungle d’Amérique du Sud aussi les extraterrestres se révèlent une belle opportunité pour les dealers amateurs. Mais finalement, ils vont faire le choix de la raison : préserver le marché et opter pour l’extermination de masse.

Des histoires parfois violentes mais toujours politiques et qui sous couvert de SF délivrent des messages universels.

« Space Connexion » (tome 2), Glénat, 15,50 €

Rentrée littéraire - Frère fantôme

Une fois passé le 15 août, tous les libraires de France sont sur le pont. C’est en effet durant cette semaine que commence la traditionnelle rentrée littéraire. Des centaines de nouveaux romans dont quelques perles comme ce Petite sœur de Marie Nimier. Un récit poignant sur l’amitié entre un frère et une sœur. Alice, la narratrice, a toujours été dans l’ombre de son petit frère. Bien que plus jeune de 13 mois, Mika a rapidement dépassé son aînée. Plus vif, intelligent et charismatique, il était pourtant très dépendant d’elle, plus discrète et timide.

Quand Mika meurt, la vie d’Alice s’écroule. Elle décide d’aller vivre durant quelques semaines dans un appartement au bord d’un fleuve, à nourrir un chat (invisible) et des plantes (dont une carnivore) et surtout écrire sur leur enfance heureuse. Avec des passages émouvants, d’autres édifiants comme quand elle cherche la première phrase de son roman. Réponse de sa grand-mère « La difficulté des premières phrases, c’est qu’il n’y en a qu’une seule ». Une attaque essentielle car « on entre dans un récit comme on entre dans un théâtre, en acceptant d’y croire. » De la très grande littérature.

« Petite sœur » de Marie Nimier, Gallimard, 19 €

samedi 27 août 2022

Roman - Femme intransigeante

Nouvelle voix de la littérature catalane, Eva Baltasar propose pour cette rentrée littéraire la traduction en français de son second roman Boulder.

Après Permafrost, la romancière barcelonaise propose un nouveau voyage loin du soleil de la péninsule ibérique. La narratrice, cuisinière dans un navire de commerce qui longe indéfiniment la côte Pacifique de l’Amérique du sud, est farouchement attachée à son indépendance, sa solitude. Elle se contente de maîtresses éphémères rencontrées dans les petits ports.

Jusqu’à Samsa. Elle s’attache, se résigne à la suivre en Islande. Une vie commune, presque normale, puis apparaît chez Samsa une envie d’enfant. Dès lors l’amour va laisser place à une autre urgence dans laquelle la narratrice ne trouve plus sa place. « La vie est maintenant une pente descendante. Un souffle d’air qui me pousse vers elle, sitôt que je me lève. Je m’enfonce dans les jours comme un explorateur dans un territoire déjà arpenté, d’une manière apathique, sans prendre de précaution. »

Roman radical sur des thèmes peu consensuels - (homosexualité, refus de la maternité), Boulder est un texte minéral, comme ces roches isolées au milieu du paysage.

« Boulder » d’Eva Baltasar, Verdier, 18,50 €

BD - Enquête enflammée

Tout brûle. Des gigantesques incendies en France, des Landes à la Bretagne. De ces feux monstrueux comme il y en a depuis quelques années chaque été en Californie. Blacking Out, paru en 2020 aux USA, est un thriller dessiné où les forêts qui entourent Edendale, ville moyenne de 26826 habitants, flambent de plus belle pour le second été consécutif. Conrad, ancien flic local, viré pour alcoolisme, est de retour. Il a été embauché par un avocat désireux d’innocenter son client.

Un père de famille accusé d’avoir tué et brûlé Karen, sa fille adolescente. Et c’est en répandant de l’essence sur le corps qu’il aurait en plus cramé la moitié de la commune. Conrad, toujours alcoolique, va démontrer que l’enquête a été bâclée.

Il va trouver des preuves (ou plus exactement les fabriquer) contre le petit ami de Karen, également petite frappe redoutée de tous. Un polar très sombre, écrit par Chip Mosher et dessiné par Peter Krause au trait simple, obscur et d’une rare efficacité pour planter une ambiance.

Alors laissez-vous porter par les errances d’un Conrad entouré de flammes meurtrières ; vous ne serez pas déçu par la conclusion de ce récit encore plus noir que noir.

« Blacking Out », Delcourt, 14,95 €

vendredi 26 août 2022

BD - Classiques revisités


Il y a un peu de la folie de Daniel Goossens dans ce recueil d’histoires parues dans Fluide Glacial et signées B-Gnet. Si le titre affirme que La plume est plus forte que l’épée, le dessin en couverture prouve malheureusement le contraire dans les faits. B-Gnet connaît ses classiques, de Cyrano à Hamlet en passant par le plus populaire Robin des Bois. C’est dans ce monde qu’il trouve le plus d’inspiration.

Il délaisse le protecteur des pauvres pour se focaliser sur le Shérif de Nottingham. Ce dernier se transforme en « Inspecteur Nottingham », sorte de parodie de Derrick à la sauce forêt de Sherwood. Un inspecteur rarement efficace, toujours à côté de la plaque et qui peut passer du bon copain de taverne à tortionnaire cruel des geôles humides. Le tout avec une dérision, une façon de se comporter entre bêtise et non-sens qui ravira tous ceux qui aiment les récits abscons qui jouent sans cesse sur les références.

On apprécie aussi la version de Cyrano, qui ne semble due qu’à une faute de frappe, le héros devenant Tyrano de Bergerac et prenant l’aspect d’un tyrannosaure honteux de ses petits bras comme le héros de Rostand détestait son nez.

« La plume est plus forte que l’épée », Fluide Glacial, 13,90 €

Roman - Histoire andorrane

L’Andorre, principauté si proche et si différente. Pourtant les vallées ont toujours été très liées (voire dépendantes) de la France ou de l’Espagne. Dans Dernier été à Ordino, Joan Peruga retrace une partie de l’histoire de la principauté en racontant la courte vie de Sumpta d’Areny-Plandolit. Cette jeune fille de très bonne famille, née en 1960, morte 32 ans plus tard en 1892, a connu l’Andorre de la tradition mais aussi la principauté qui tente de tirer son épingle du jeu en créant station thermale et hôtels de luxe. Pour Sumpta, l’Andorre c’est avant tout des étés passés dans la grande maison d’Ordino, avec ses frères et sœurs. L’été, toute la famille se réfugiait à Barcelone.

Le roman, paru en 1998, véritable best-seller en Andorre, alterne descriptions d’une campagne sereine, manigances religieuses pour maintenir la région dans la tradition et vie agitée dans la Barcelone de plus en plus capitale européenne moderne.

Reste le portrait de cette femme, marquée par un amour impossible avec un séminariste et qui a vu le pouvoir de sa famille s’effriter au fil des ans. Un texte essentiel pour mieux connaître nos voisins montagnards.

« Dernier été à Ordino » de Joan Peruga, Éditions Trabucaire, 10 €

jeudi 25 août 2022

Roman - Hugo Boris débarque

L’entame d’un roman est toujours essentielle. Les 40 premières pages de Débarquer d’Hugo Boris sont un modèle du genre. Il parle pourtant d’un événement vu et revu depuis des décennies : le débarquement allié sur les plages de Normandie. Il parvient avec son style direct sans temps mort à plonger le lecteur au cœur de l’action, l’obligeant à lire ce passage en apnée, comme les protagonistes dont Andrew, jeune Américain tétanisé par l’enjeu. Le fracas, la mort, la peur, le désir font irruption dans les souvenirs honteux de ce vétéran que l’on retrouvera des années plus tard sur ces plages normandes, sorte de sanctuaire du courage.

De l’horreur aussi. Car une fois débarqué, rien ne se passe comme prévu pour Andrew. Il a l’impression que « chaque explosion lui est destinée, chaque tir le vise personnellement. Des morceaux de fer veulent pénétrer sa chair. Sa peur ne connaît plus de pause. […] Il rampe à reculons, se rejette lui-même à la mer, bat en retraite. »

Et finalement il « bascule sur le dos, fait le mort pour rester en vie, les narines palpitantes, les bras en croix, les oreilles immergées pour étouffer les cris. » Un très grand roman sur une autre forme de résilience.

« Débarquer » d’Hugo Boris, Grasset, 18,50 €

BD - Fin de parcours pour le Spirou d'Emile Bravo


Quand les éditions Dupuis ont décidé de décliner les aventures de Spirou et Fantasio en différentes sous-séries, Émile Bravo a eu l’idée géniale de choisir la période juste avant-guerre. Cela a donné un Journal d’un ingénu se prolongeant dans la longue saga des années de guerre, L’espoir malgré tout. Le quatrième et dernier tome vient de sortir. Un événement tant cette histoire aura marqué les lecteurs, petits et grands. Spirou, jeune idéaliste qui découvre la vie, l’amour, l’espoir, se retrouve confronté à la guerre et à l’horreur nazie.

De Bruxelles à la France occupée, avec son ami inconscient et toujours aussi farfelu Fantasio, ils vont voir les exactions de l’occupant, risquer leur vie, comprendre que les déportés sont envoyés vers des camps où aucun retour n’est possible. Après trois longs tomes (entre 80 et 110 pages), l’épisode final est plus ramassé. À peine 40 pages, mais d’une densité étonnante. Car c’est la fin de la guerre qui est racontée.

Les Alliés viennent de débarquer et les deux héros participent activement à la Résistance. Mais une fois la France puis la Belgique libérées, le retour à la vie normale est quasi impossible. Émile Bravo raconte sans fard la réalité des camps d’extermination et les exactions de l’épuration.

« Spirou, l’espoir malgré tout » (tome 4), Dupuis, 13,50 €