mercredi 5 novembre 2025

BD - Saint-Roustan, concentré de France absurde


Depuis leur départ-éviction de France Inter, les humoristes les plus terribles du moment ont trouvé refuge sur les ondes de Radio Nova. Tous les dimanches, dans la Dernière, de 18h à 20h, ils passent à la moulinette l’actualité française. Dans la bande de Guillaume Meurice, on retrouve Pierre-Emmanuel Barré qui raconte avec verve la vie quotidienne de la petite bourgade de Saint-Roustan. Un lieu imaginaire mais où tout le monde pourrait reconnaître un peu de son village. 

Des sketches déclinés désormais en bande dessinée dans ce premier tome des “Chroniques de Saint-Roustan”. Si Barré, avec la complicité d’Arsen, assure les textes, les dessins sont confiés à plusieurs illustrateurs, habitués des pages de Fluide Glacial. On retrouve donc Etienne Le Roux et Damien Geoffroy pour raconter les aventures du maire Guilhem Maurice et de ses administrés, les fameux Rassilariens


Des histoires courtes entrecoupées de faux articles du journal municipal, illustrés par Loïc Chevallier. Enfin, pour compléter ce véritable gang d’amuseurs publics, n’oublions pas Relom qui chapeaute les scénarios et dessine quelques strips et gags ayant pour héros le pitoyable Eric Lanpré, caricature (mais à peine…) d’Aymeric Lompret, autre comique à entendre les dimanches sur Radio Nova. 

Dans ces chroniques vous apprendrez pourquoi l’opération Saint-Roustan plage est toujours un échec, comment une presque sorcière a sauvé le village au Moyen Age et la signification des runes inscrites sur une pierre ancestrale trônant au milieu du bourg. C’est souvent très hard, de l’humour extrême, comme on n’en fait plus beaucoup dans notre société policée. Réjouissant. Quasiment salutaire face à la bêtise ambiante.  

“Les chroniques de Saint-Roustan”, Delcourt, 56 pages, 15,50 €


jeudi 30 octobre 2025

BD - Une vie sauvée par “Le piano de Leipzig”


Certains “génocides” ne sont plus d’actualité. Pourtant ils sont récents et ne souffrent d’aucune contestation de la part des historiens. Alors que le Vietnam est en pleine guerre de décolonisation, le Cambodge voisin bascule dans la sphère soviétique. Les Khmers rouges prennent le pouvoir et rapidement les libertés reculent. Tout citoyen récalcitrant sera emprisonné, rééduqué voire exterminé. Ce contexte sert de fil rouge à ce roman graphique signé Tian, dessinateur cambodgien réfugié en France et qui a décidé de raconter cette période trouble en BD. Il va dans “Le piano de Leipzig” se pencher sur le destin d’une de ses tantes. 

Dani, contre l’avis de son père, quitte le Cambodge en 1965. Direction Leipzig en RDA (Allemagne de l’Est) pour y suivre des cours de piano. Une vie rude dans le froid et les privations mais qui donne l’occasion à la jeune femme de rompre avec le chef de famille intransigeant et violent. 


Elle va faire sa vie dans ce pays satellite de l’URSS, se perfectionnant dans son art et décrochant un poste de professeur de musique. Pour progresser et conserver ses chances de rester en Allemagne, Dani fait le sacrifice d’acheter un piano neuf. Un investissement qui va finalement lui sauver la vie. Quand elle voudra revenir au pays, alors que les Khmers rouges commencent à mettre en place leur système totalitaire mortifère, elle est découragée par le prix du transport de son instrument de musique. La musique lui a certainement sauvé la vie deux fois. 

Tian raconte cette vie simple, entre passion artistique, quotidien compliqué d’une mère célibataire et refus de l’évidence de la fin du bloc de l’Est. Dani ne viendra en France retrouver l’autre branche de sa famille exilée que très tard. L’occasion pour Tian de découvrir ce pan de son histoire longtemps resté secret. Un témoignage essentiel sur la vie des expatriés cambodgiens, le fonctionnement de la société du temps de l’Allemagne coupée en deux ou les conséquences de ces quelques années de terreur imposées par un petit groupe de fanatiques. Le dessin, faussement simple et presque doux, apporte encore plus de force à ce récit intrinsèquement très violent.

“Le piano de Leipzig”, Gallimard bande dessinée, 176 pages, 24,90 €


mercredi 29 octobre 2025

Roman - Titaÿna, célébrité catalane oubliée

Découvrez dans le nouveau roman d'Hélène Legrais le destin et la chute d'une journaliste pionnière de l'entre deux guerres, Elisabeth Sauvy de Villeneuve-de-la-Raho en Pays Catalan, alias Titaÿna de son nom de plume.

Sujet brûlant d'actualité au centre du nouveau roman d'Hélène Legrais, écrivaine qui a toujours profité de l'histoire de son cher Pays Catalan pour signer des récits finalement universels. En décidant de remettre sur le devant de la scène la figure oubliée de Titaÿna, c'est tout un pan un peu honteux de l'histoire contemporaine française que l'ancienne journaliste de France Inter et Europe 1 sort des limbes de l'oubli. Mais ce n'est pas un hasard si elle raconte l'existence de cette femme indépendante, totalement effacée des radars après sa période, courte mais intense, de collaboration avec les journaux à la botte de l'occupant nazi. En fin d'ouvrage, elle s'en explique : « 85 ans après, crise économique, crispation sociale et montée des extrêmes semblent à nouveau se conjuguer pour nous mener dans la même funeste direction. L'Histoire bégaie et redonner vie à cette période ainsi qu'à la façon dont nos aïeux l'ont traversée, c'est un peu nous présenter un miroir pour nous regarder au fond de l'âme. Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas... » 

Pour raconter Titaÿna et cette France déjà en plein recul dans le concert des Nations, Hélène Legrais utilise avec intelligence le contre-point. D'abord un ancrage local (collection Territoires oblige), la montée à Paris, en 1928, de Baptiste, le fils de l'épicier de Villeneuve-de-la-Raho, village près de Perpignan. Il veut voler de ses propres ailes, conquérir la capitale. Il va aller sonner chez une vague connaissance, Elisabeth Sauvy, de Villeneuve elle aussi, devenue une célèbre journaliste sous le nom énigmatique de Titaÿna. « Regard de braise, teint mat et menton pointu, volontaire. » « Une femme de trente ans sûre d'elle, enroulée dans une sorte de peignoir de soie brodé d'oiseaux exotiques qui ondulait autour de son corps mince et nerveux. » Baptiste aurait pu tomber amoureux. Mais c'est une autre femme, de son âge, qui va lui faire encore plus d'effet, Nicolette. Elle aussi est fascinée par Titaÿna, son métier, son indépendance. Nicolette veut devenir une grande et célèbre journaliste, comme son modèle. Le roman raconte cette double fascination pour Titaÿna la rebelle, du petit Catalan et de l'intellectuelle parisienne en mal d'émancipation. 

Titaÿna, au début de sa carrière, a beaucoup fait pour la cause des femmes et des peuples dits « primitifs » dans ses reportages autour du monde. Mais avec la célébrité, elle a oublié ses idéaux et quand les nazis déferlent sur la France et occupent Paris, elle accepte de signer dans des journaux collaborationnistes des articles violemment antisémites. Au grand dégoût de Nicolette qui elle préfère ne plus écrire une ligne et résister secrètement. Deux femmes, deux journalistes, une inventée, une très réelle pour permettre aux lectrices et lecteurs du roman de se demander quelle aurait été leur attitude. Un conditionnel qui n'est presque plus de mise tant les événements nous rattrapent à la vitesse d'un cheval au galop.   

« La fascination Titaÿna » d'Hélène Legrais, Calmann-Lévy, 368 pages, 20,90 €

mercredi 22 octobre 2025

BD - “M is for Monster”, corps réparé, esprit en lambeaux


Encore une variation sur la trame de Frankenstein. Version familiale. Frances et Maura sont deux sœurs. Des scientifiques à la recherche de nouveaux progrès pour améliorer la société. De grosses têtes obnubilées par leurs découvertes. Au point d’être imprudentes. Maura est électrocutée. Tuée sur le coup. Il en faut plus pour démoraliser Frances

En compagnie de son mari, elle abandonne tous ses projets en cours, met les restes de sa sœur à l’abri et tente de découvrir comment remettre ce corps en marche. Après plusieurs échecs elle parvient enfin à la réveiller. Une seconde naissance pour une enveloppe charnelle rapiécée de toutes parts mais qui a complètement oublié son passé. La nouvelle entité adopte le nom de M. M. comme monstre… 

La BD de Talia Dutton, jeune diplômée californienne, s’écarte assez vite de la trame du roman fantastique. L’apparence n’est qu’un prétexte. La véritable monstruosité de M se place plutôt dans son manque de personnalité. Comment vivre si on ne sait pas qui on est. Il y est aussi beaucoup question d’étouffement. Mura était sous l’emprise de sa sœur Frances. Comment profiter de ce second départ pour changer les choses ? 

Le dessin, entre ligne claire et hommage au style des dessins animés US, bonifié par une judicieuse et parcimonieuse utilisation des couleurs, donne un côté enfantin à ce roman graphique. Et c’est normal. M est un peu un bébé qui a tout à apprendre. Avec un autre challenge : parvenir à changer sa sœur.  

M is for Monster”, Delcourt - Waves, 224 pages, 14,95 €


jeudi 16 octobre 2025

Polar poétique - Baudelaire et l'affaire de la femme sans tête

Nadine Monfils, après Magritte, transforme Baudelaire en héros d'une série de polars dans le Paris du milieu du XIXe siècle. 

Charles Baudelaire meilleur que Vidocq ? Le poète parisien n'est pas connu pour ses polars. Mais comme Nadine Monfils aime ce genre, elle n'a pas hésité à convoquer l'auteur des Fleurs du mal pour lancer cette nouvelle série entre hommage littéraire, polar historique et biographie romancée. La femme de lettres belge, sans jamais avoir renié son pays d'origine, bien au contraire, a mis toute sa connaissance parisienne dans cette déambulation de Baudelaire dans les rues de la capitale. De l'hôtel Pimodan (siège du club des Haschischins) à la rue de la Femme sans tête en passant par le pont Marie et toutes les petites venelles de l'île Saint-Louis, il va tenter de découvrir qui a tué cette femme dont on a retrouvé que le corps décapité dans la rue. 

Si Baudelaire s'intéresse à l'affaire (outre le fait qu'il a trébuché sur le corps au petit matin en rentrant chez lui ivre mort), c'est que la tête lui a été livré à domicile. Dans un grand carton à chapeau. Il l'ouvre en présence de sa maîtresse adorée, Jeanne Duval, une métisse, comédienne à l'occasion, un peu prostituée par obligation pécuniaire. Il sera même encouragé à démasquer l'assassin par un mystérieux personnage qui lui paiera chaque avancée dans l'enquête. Une rentrée d'argent inespérée pour un Baudelaire en perpétuelle recherche de devises. Bien obligé pour assumer son goût du luxe, le train de vie de sa maîtresse, les multiples sorties culturelles et gastronomiques ou les tournées des bars. 

Concierge envahissante

Nadine Monfils, dans des chapitres courts et rythmés, profite de la première moitié du roman pour raconter dans le détail la vie du génie de la poésie française. Et de dresser la revue de ceux qui gravitent dans son entourage. Les connus (Allan Kardec, Victor Hugo ou Vidocq) mais aussi les anonymes qui participent à l'enquête. On apprécie particulièrement le policier, l'inspecteur Delâbre, débonnaire, vivant seul avec sa chienne, manipulant ses hommes, Baudelaire et la pègre pour démasquer le  découpeur de femmes. Au pluriel car une seconde inconnue est retrouvée dans Paris. Toujours en deux morceaux... 

La concierge de Baudelaire devient aussi une figure marquante. Elle a des vues sur le poète et tente de l'exciter en expliquant qu'une de ses amies a « retrouvé un asticot dans sa culotte... » Dégoût de Baudelaire. Alors la concierge en remet une couche : « Bah, à notre âge, du moment que ça frétille ! » On retrouve dans ces trognes iconoclastes toute la richesse et  excès du style de Nadine Monfils. Car la poésie ne doit pas faire oublier la vie. Même triviale. Seul bémol à ce roman aussi riche en informations sur le Paris de l'époque qu'en scènes croquignolesques : la résolution de l'intrigue est trop vite expédiée. Comme s'il fallait terminer un poème avec une rime riche au détriment de sa beauté globale.    

« Les fleurs du crime de Monsieur Baudelaire – La femme sans tête », Nadine Monfils, Verso – Seuil, 320 pages, 17,90 €

mercredi 15 octobre 2025

BD - Dan, le virtuose, imagine le monde futuriste de “Dehors”


Les éditions Kennes, en prétendant que “Dehors”, l’album de Dan paru le 15 octobre dernier, est “la claque visuelle de l’année”, ne prennent pas trop de risque. Personne, du milieu ou simple amateur de BD, ne pourra nier cette évidence. Dan, longtemps cantonné à un rôle d’assistant de Janry sur les gags du Petit Spirou, a mis du temps à prendre de l’assurance. Après un faux départ avec Soda (qui finalement restera dessiné par Gazzotti…), il semble avoir trouvé dans le scénario d’Hemberg, le genre et l’univers qui lui permettent de briller de mille feux. Pourtant la beauté n’est pas toujours facile à retranscrire quand on se lance dans une saga de SF post-apocalyptique tendance Blade runner. Ses décors comme ses personnages ou les véhicules utilisés sont sublimés par son trait entre pur réalisme et rondeur de la si lisible franco-belge. Alors plongez (sans jeu de mot) dans ce monde pourtant peu accueillant, vous ne regretterez pas après avoir fait la connaissance de Zac, l’orphelin devenu adulte et Silo, la jeune fille pressée.


Dans un futur lointain, le dérèglement climatique a provoqué la montée des eaux. Toutes les villes ont été submergées. L’atmosphère est devenue invivable. Dans les profondeurs, des communautés ont survécu. Rien à manger si ce n’est une infâme bouillie. Les drogues par contre circulent facilement. malgré l’emprise d’une secte qui exploite les enfants et interdit à quiconque de rejoindre le “Dehors”. Zac quitte enfin le statut d’enfant assimilé dans cette société à esclave. Devenu adulte, il espère avoir un emploi de pilote de bathyscaphe. Silo, elle, vit chez son père adoptif. Comme deux jumeaux encore bébés. Amis depuis toujours, ils vont devoir bouleverser leurs plans. Et fuir plus tôt que prévu vers ce “Dehors” légendaire. 

Ces 112 pages, denses et mouvementées, nous promènent dans les méandres inhospitalières de cette cité obscure et sale. Si le scénario souffre parfois de quelques petites faiblesses ou facilités, le tout est rattrapé par le dessin de Dan. Il a mis des années pour boucler ce livre. Espérons qu’il sortira plus rapidement la suite. Car les aventures de Zac et Silo sur la route du Dehors sont loin d’être bouclées.

“Dehors”, Kennes, 112 pages, 19,95 €


mercredi 8 octobre 2025

BD - Picsou peut devenir le capitaliste le plus marrant de la planète


Depuis que les éditions Glénat ont passé un accord avec la licence Disney, les grands noms de la BD ont la possibilité de s’approprier ces personnages mythiques (Mickey, Donald, Picsou), pour les embarquer dans des aventures radicalement différentes des récits parfois un peu formatés. Une nouvelle fois, Kéramidas se frotte à cet univers graphique qu’il connaît et apprécie particulièrement. Un Mickey, un Donald et cette fois, avec Jul au scénario, il s’attaque au plus grand capitaliste de tous les temps, l’abominable Picsou. 


Le milliardaire, avare au possible, est en pleine déprime. Il n’est plus l’homme le plus riche du monde. Un inconnu, Carsten Duck, en quelques semaines, lui a chipé le trône. Une fortune colossale mais virtuelle puisqu’elle est constituée de bit-coincoins. Picsou va vouloir investir dans cette crypto-monnaie. Mais c’est plus compliqué qu’il n’y paraît et les revers de fortune sont rapides et radicaux. 

Sur une thématique moderne et actuelle, les deux auteurs signent une BD finalement très politique. Avec message caché contre un certain modernisme et les apparences trompeuses. 

Le meilleur reste cependant le déferlement de jeux de mots et caricatures des travers de notre société actuelle. Les Castors juniors deviennent de redoutables influenceurs, Picsou héros de téléréalité… Le tout dessiné par un Kéramidas parfait dans l’interprétation du trait Disney tout en y insufflant son style.  

 “Picsou et les bit-coincoins”, Glénat, 48 pages, 11,50 € (il existe une éditions collector grand format de 56 pages à 17,50 €) 


vendredi 3 octobre 2025

BD - Romance à la fête durant “Un Noël à Paris”


Encore une histoire d’amour au menu du nouvel album scénarisé par Jim et dessiné par Giuseppe Liotti. Mais une histoire d’amour compliquée, de celles qui ont péniblement survécu à de longues années de train-train et de sédentarisation. 

Rien ne va plus entre Eve et Simon. Lui l’aime toujours à la folie, mais elle semble avoir tourné la page. Comme résignée. Envie de passer à autre chose, ne plus croire que les folies d’antan pourront se réveiller. Ils s'apprêtent à passer d’ultimes fêtes en famille. Dernière trêve avant la grande annonce, une fois les cadeaux remisés au fond du grenier : “On a décidé de divorcer !” A moins que…

En plantant son intrigue en plein préparatif des fêtes de fin d’année, Jim semble vouloir jouer au Père Noël un peu avant l’heure. Il décrit un Simon naïf et bien maladroit, mais décidé à sauver son couple. 


Eve est plus complexe. Surchargée de travail, déçue de ne plus avoir de grands projets, elle semble perdue. Il lui faut une nouvelle boussole. Le deux quadras, parents d’adorables enfants, vont faire leur crise en même temps face aux attaques incessantes de la mère d’Eve. Le 24, la dinde ne sera pas la pauvre Eve pour une fois. Elle déballe tout, claque la porte et part à l’aventure. Simon va tenter de la retrouver. Pour la calmer. Ou la suivre dans son envie de tout bazarder ? 

Cela donne un réveillon qui pète le feu, avec grand magasin privatisé, cocktails dégustés dans un bar en glace, fuite face à des policiers zélés et départ au petit matin pour Londres et une jeunesse à revivre. C’est très optimiste, avec ce qu’il faut de clinquant dans ce milieu bourgeois qui n’a pas de problème de fin de mois. Encore moins en décembre… 

Si vous cherchez une critique sociale de notre société consumériste à outrance, passez votre chemin. Par contre tous les romantiques vibreront aux décisions extrêmes des deux tourtereaux. Un gros roman graphique de plus de 100 pages, enluminé par Giuseppe Liotti, dessinateur italien installé en France au trait précis et humain apportant beaucoup de vie aux deux principaux protagonistes. Maintenant il ne reste plus qu’à attendre une année (vers Noël 2026 a priori…) pour connaître la suite de ce Noël se prolongeant à Londres. 

“Un Noël à Paris” (tome 1), Le Lombard, 104 pages, 20,45 € 


vendredi 26 septembre 2025

BD - Trondheim et Tarrin signent un Spirou classique très réussi


Superbe couverture pour ce nouveau titre de la toute nouvelle collection des “Aventures de Spirou et Fantasio, classique”. Fabrice Tarrin s’est surpassé pour mettre en un dessin toute l’ambiance de cette histoire écrite par le très drolatique Lewis Trondheim. Dans une immense grotte, le jeune héros, dans ses habits de groom rouge, porte le Marsupilami dans ses bras, tel un enfant apeuré. Leur ombre, immense, se projette sur une paroi près d’un orifice contenant les restes de momies aztèques. On se doute que le héros, période Franquin, est à la recherche de ce fameux “Trésor de San Inferno”, titre de l’album. 


Si le premier titre, “La baie des Cochons” par Elric, Lemoine et Baril laissait un peu sur sa faim, les nostalgiques et adorateurs du dessin de Franquin seront conquis, tant sur le fond que la forme. Car c’est tout à fait naturellement que Fabrice Tarrin dessine dans la plus pure tradition de la BD franco-belge. Il n’a pas à se forcer, à tenter de singer un maître. Il a cette souplesse, cette précision, cette expressivité dans le poignet. C’est aussi beau que du Franquin ou de l’Uderzo, autre maestro qui n’a plus de secret pour le dessinateur installé depuis quelques années à Narbonne, pas loin de l’atelier montpelliérain de Lewis Trondheim. Un atelier qu’il rejoint deux fois par semaine. Sans doute le lieu où “Le trésor de San Inferno” a vu le jour. 

Tout commence avec un Fantasio surexcité. Il est sur la piste d’un scoop. A San Inferno, petit village perdu dans le désert d’un état imaginaire d’Amérique du Sud, une étrange momie a fait son apparition dans un ossuaire. Ce seraient les restes… On n’en dit pas plus, mais c’est suffisamment gros pour attirer l’autre gloire du journalisme de l’époque : Seccotine. Une aventure de Spirou et Fantasio, avec Seccotine, c’est l’assurance de gags multiples et variés provoqués par la jeune femme, très moderne, experte pour ridiculiser un Fantasio trop macho ou un Spirou trop timide. Dans des décors minimalistes (désert, grotte sombres…), Tarrin prend beaucoup de plaisir à animer ces personnages légendaires. Trondheim encore plus à les plonger dans des situations cocasses, périlleuses mais toujours humoristiques.  

La Russie soviétique, Cuba, l’Amérique du Sud… Mais quelle sera la prochaine destination du héros ? Sans doute notre plus proche satellite puisque l’album suivant devrait s’intituler “Opération Lune”. On retrouve au dessin Fabrice Tarrin, aidé de Ghorbani et sur un scénario de Neidhardt.  

“Le trésor de San Inferno”, Dupuis, 48 pages, 13,50 €


vendredi 19 septembre 2025

BD - “Pump”, l’histoire d’un pourri dans la conquête de l’Ouest


Le genre du western, et plus généralement les récits autour de la conquête de l’Ouest américain, fait parfois rêver la jeunesse mais reste, pour les historiens, une période brutale et violente au cours de laquelle les pires psychopathes ont pu s’enrichir et assouvir leurs pires instincts. Ce petit rappel essentiel avant d’ouvrir le premier album de la nouvelle série “Pump”, écrite par Rodolphe et dessinée par Laurent Gnoni. 

A la base, c’est une idée de l’éditeur, Nicolas Anspach. Quand il apprend que l'ancêtre de Donald Trump, en arrivant en Amérique en provenance de sa Bavière natale, a fait fortune en ouvrant un bordel en Colombie Britannique, il sent qu’il y a là matière à saga. C’est Rodolphe, scénariste expérimenté, déjà auteur du western Trent avec Léo, qui se charge de romancer le pitch. Tout débute lors de l’attaque d’une diligence en 1871 en Arizona. Les malfrats tuent tous les passagers et l’équipage. Le shérif arrive avant qu’ils ne détroussent les cadavres. Et au milieu, il découvre un survivant, Eddie Pump, 17 ans. Un blond mutique. 


Il le recueille et quelques jours plus tard Eddie a suffisamment récupéré de forces pour se lever et dévoiler son double jeu au lecteur, complice de ses agissements. Ed a la beauté d’un ange mais la perversité du diable. Il va endosser l’identité de ce Eddie, s’approprier l’héritage e sa soi-disant tante, tuée dans l’attaque, s’installer chez le shériff, séduire sa femme et sa fille. Embauché dans un saloon, Eddie devient le protecteur d’une prostituée et commence à manigancer pour devenir le propriétaire des locaux. 

Un western économique et machiavélique dessiné par Laurent Gnoni au trait réaliste très aérien. Comme pour donner un peu de légèreté à cette histoire lourde de symboles et pesant comme un cauchemar. On ne peut qu’être fasciné par ce héros très négatif. Il est odieux, abject, détestable. Pourtant tout lui réussi. Jusqu’à la dernière planche du tome 1. Un rebondissement parfait pour tout remettre en question et espérer découvrir, au plus vite, la suite de la vie de Pump et, qui sait, de ses descendants.    

“Pump” (tome 1), Anspach, 46 pages, 15.50 €


jeudi 18 septembre 2025

BD - Les géniaux généalogistes successoraux de “Success Story”


Ils enquêtent dans le passé. Jeanne et Angelo, héros de "Success Story" grosse BD écrite par Fabien Grolleau et dessinée par Nico Cado, sont des détectives très originaux. Ils ne cherchent pas les indices du présent mais recherchent les petits cailloux du passé qui leur permettront de remonter le chemin des vies d’hommes et de femmes décédés et sans descendants.

Le sujet aurait pu être très sérieux. Ou traité sur un mode polar et suspense. Mais Fabien Grolleau a préféré dans un premier temps se concentrer sur la personnalité de ce couple, à la vie comme au travail. Des originaux. Surtout Angelo, amoureux comme au premier jour, romantique lyrique et imaginatif, capable de retracer des vies entières juste en observant un objet du passé, un livre ou un tableau. 

C’est d’ailleurs une toile qui est à la base de cette histoire (on espère la première même si ce n’est pas présenté comme une possible série). Dans un appartement parisien resté fermé durant des décennies ayant appartenu à une certaine Suzanne Godart, épicière dans les Cévennes, ils découvrent des souvenirs datant de la seconde guerre et surtout un superbe tableau d’Andrei Wakowsky, peintre ukrainien assez renommé et réfugié en France au moment de la prise du pouvoir en Europe centrale par les nazis. Andrei, Juif, qui fait partie des millions de sacrifiés dans les camps de la mort. 


Ce probable chef-d’œuvre, au prix exorbitant selon les spécialistes, fait donc partie de l’héritage. Suzanne avait trois enfants. Deux résident toujours dans les Cévennes, la plus jeune, fâchée avec ses parents, a totalement disparue. Angelo et Jeanne ont donc plusieurs missions pour le notaire chargé de la succession : retrouver la fille évaporée et déterminer quelle est la relation entre l’appartement parisien, le peintre ukrainien et l’épicière de province. Une longue enquête sur le terrain qui passe par les Cévennes, évidemment, l’Italie, le Canada et l’Ukraine, pays en guerre actuellement, exactement comme dans les années 40, moment charnière de la vie de Suzanne Godart. Ou plus exactement, les vies. 

Une BD qui ne paye pas de mine, le dessin très gros nez  (notamment celui d’Angelo) donne l’impression d’une pochade comique. Alors certes les saillies d’Angelo sont marrantes, mais l’intrigue est finalement très sérieuse et raconte indirectement les soubresauts de cette Europe des Nations du début du XXe siècle.  

“Success Story”, Delcourt, 10 pages, 19,50 €


mercredi 17 septembre 2025

BD - Lefranc affronte les éléments et des méchants dans “La régate”


Contre vents et marées, l'œuvre de Jacques Martin se prolonge avec rigueur et régularité. Alix (et ses multiples déclinaisons) mais aussi les aventures de Guy Lefranc. A l’époque, c’était une série réaliste, campée dans les années 50 , l’époque de leur création. Grâce à la magie de la BD, Lefranc est toujours jeune, journaliste et curieux des évolutions de la société de ces années 50. Une bascule dans la catégorie “historique”... 

Pour assurer cette fidélité aux origines, le choix de Roger Seiter au scénario est judicieux. Cet historien de formation a une solide expérience en BD. Sa première série, Fog, a marqué les lecteurs de l’époque. Il a sans doute un peu perdu de son originalité en se coulant dans le moule de Jacques Martin, mais côté véracité des faits, il est parfait. Exactement exploitation de faits réels pour en tirer une aventure palpitante à rebondissements.



Côté dessin, c’est de nouveau Régric qui officie. Il a calqué son trait sur celui de Jacques Martin. Composition des cases et des planches, c’est bluffant. On est bien au-delà de la reprise appliquée. Un régal pour les amateurs de BD vintage. 

Le 36e titre de la série se déroule en mer et sur une petite île de la toute jeune république d’Indonésie. Lefranc est envoyé par son journal français couvrir une course maritime entre Australie et Asie. Une régate réservée à quelques riches amateurs. Il embarque sur le bateau de Théa, la fille d’un armateur hollandais. Le récit se déroule sur deux plans : les préparatifs de la régate et les premiers jours en mer et, par ailleurs, le mystérieux voyage d’un cargo de l’Europe vers l’Indonésie avec à son bord des armes et des mercenaires. Les deux intrigues vont se croiser quand le voilier de Lefranc fait naufrage au large de l’île de Walang, dernière étape du périple de l’armée privée. Un peu de politique fiction, d’apologie de la démocratie et de dénonciation du capitalisme destructeur donnent à cet album un côté plus actuel qu’il n’y paraît.   

“Guy Lefranc” (tome 36), Casterman, 48 pages, 13,50 €


lundi 15 septembre 2025

BD - “Automne”, très belle fable écologique par Cécile et Lionel Marty


Il était une fois, dans un monde imaginaire, une forêt magique. Un immense arbre, en son milieu, assurait l’équilibre de tous les habitants, de la plus petite bestiole aux humains en passant par les êtres fantastiques. Un fragile bonheur surveillé par Automne, sorte de jeune sorcière rousse. Quand elle devine l’arrivée d’une ville mouvante du peuple de fer dans la forêt magique, elle décide de tout faire pour arrêter ces pilleurs de ressources. 
Si la trame du scénario de cet “Automne” à forte valeur ajoutée écologique semble un peu réductrice, c’est pour la bonne raison que le danger, dans la fiction mais aussi dans la vraie vie, est très réel.


Le peuple de fer veut atteindre la forêt, non pas pour y vivre en paix mais bien pour en massacrer toutes les ressources. Juste le temps de vivre dans l’abondance durant une génération. Ensuite ? Nouvel exil et recherche d’une nouvelle mine à exploiter.
Comment contrer l’inéluctable ? En intégrant juste un peu d’amour. Romance entre Automne et le beau jeune homme qui est éclaireur du peuple de fer. Il va succomber au chrome d’Automne et réfléchir aux conséquences de ses actes. Une petite prise de conscience qui ferait beaucoup pour l’avenir de notre planète si elle était partagée par un peu plus de monde.
On peut reprocher le simplisme de la démarche des deux auteurs. Et pourtant… Quelle solution différente peut changer durablement l’avenir de notre société ? Une BD qui bénéficie du talent des deux auteurs, Cécile et Lionel Marty, ensemble dans la vie et qui ont fait le choix de vivre loin des dégâts de l’urbanisation. Un quotidien en accord avec son travail artistique. Chapeau !    
“Automne”, Delcourt, 64 pages, 16,50 €

dimanche 14 septembre 2025

BD - La dernière enquête de Jack Palmer dessinée par Manu Larcenet


René Pétillon nous manque. Tant au niveau du dessin de presse (sa seule présence, avec Cabu, justifiait chaque semaine l’achat du Canard Enchaîné), qu’en tant que créateur de BD. Jack Palmer, après des débuts abscons et discrets dans les pages de la première version de l’Echo des Savanes est devenu un héros culte de la BD d’humour. Ses grandes aventures devenues populaires, ont même donné des idées à des cinéastes. 

Aujourd’hui, quelques années après la disparition de son créateur, Jack Palmer fait un dernier tour de piste. Le détective au gros nez, au feutre mou et à l’imperméable d’une propreté douteuse se rend dans le bordelais, région viticole renommée. C’est un des personnages de “L’enquête corse” qui met en relation Palmer et des propriétaires. Leur fille a disparu. Elle devait se marier avec un riche Américain, planche de salut de l’exploitation à la limite du Médoc. 

Si cet album ne sort que maintenant, c’est pour la bonne raison que Pétillon n’en avait pas dessiné la moindre case. Le projet n’était qu’un scénario inachevé. Les éditions Dargaud ont décidé de trouver un auteur capable de relever le défi. Car l’univers de Pétillon, celui de Jack Palmer exactement, est loin des canons de la BD humoristique habituelle. On est loin d’une simple reprise d’Astérix… C’est pourtant un grand copain de Ferri qui a accepté le challenge. Et pas n’importe qui : Manu Larcenet himself ! 


Le dessinateur de Blast ou de La route, maître du noir et blanc apocalyptique, a retrouvé son trait d’humoriste très gros nez (ça tombe bien) pour plonger “Palmer dans le rouge”, titre à double sens de cet album qui se déguste comme un bon pinard oublié quelques années dans la cave. 

Palmer, sans son scooter, va déambuler entre châteaux et vignes taillées au cordeau pour tenter de retrouver l’héritière. Rien ne se passera comme prévu. Seule certitude, le Médoc, bon ou mauvais, file mal au crâne si on en abuse. Palmer le confirme durant une bonne partie de ses recherches hasardeuses et tout sauf professionnelles. Avec sa nonchalance habituelle, il découvre un trafic de vin, démasque des fraudeurs, retrouve presque la jeune fille et remplit son contrat, même s’il se fait virer en cours de route. Le dessin de Larcenet ne tente pas de ressusciter le Palmer de Pétillon. Il fait du Larcenet, tendance Ferri, rond et caricatural. Juste ce qu’il faut pour que les fans de Pétillon ne s’offusquent pas et que les siens (plus nombreux…) ne renient pas leur idole artistique. Un album qui finalement permet un dernier retour en nostalgie. Quand Pétillon était un “Prince de la BD” et que Larcenet justifiait, à lui tout seul, l’achat chaque mois de Fluide Glacial. 

“Palmer dans le rouge”, Dargaud, 64 pages, 17,50 €


samedi 13 septembre 2025

BD - « Le petit frère » et « Un père » : la vie de famille de JeanLouis Tripp en dessins

Raconter sa famille, faire bonifier ses souvenirs et surtout ne pas les oublier. Telle semble la démarche de JeanLouis Tripp, auteur de bande dessinée lauréat du Prix Coup de Cœur des Vendanges littéraires, présent à Rivesaltes les 4 et 5 octobre.


Après une longue carrière dans la bande dessinée, parfois en pointillé, il a attendu d'avoir largement plus de 50 ans pour se recentrer sur ce qu'il connaît le mieux : sa propre vie. Et s'il parle de ses premiers émois sexuels dans les deux tomes d'« Extases », il change de registre avec « Le petit frère » et « Un père ». Deux gros romans graphiques de plus de 300 pages, essentiellement en noir et blanc. L'émotion y est omniprésente. Le lecteur ne peut que se reconnaître dans ces parcours racontés et dessinés avec talent et sans tabou.

Il faut parfois qu'un drame nous frappe de plein fouet pour prendre conscience de l'importance de la vie. En cet été 1976, Jean-Louis a 18 ans. Il est en vacances avec une partie de sa famille. Un mois à sillonner la Bretagne à bord d'une roulotte tiré par des chevaux. Une bulle de bonheur. Jusqu'à ce jour où Gilles, le petit frère, se fait mortellement renverser par un chauffard. Terminée la parenthèse enchantée, finie l'insouciance. Le malheur s'invite. L'été ne sera plus heureux, avec baignades, mures cueillies au bord de la route et nuits au calme, loin de tout danger... 

L'album, sorti en 2021, revient sur l'accident mais se penche aussi sur les suites. Comment la vie a continué, la façon dont la famille a survécu au procès. Ce récit, entre intime et universalité, entre douceur (souvenir des jours heureux) et rage (peut-on pardonner à l'assassin ?) a marqué les esprits. Preuve que la BD, loin de clichés, est devenue un art majeur, animé par de formidables artistes, créateurs novateurs, capables de s'accaparer et de révolutionner un média aux possibilités infinies.


Place au père !

Toujours dans cette veine de l'autobiographie familiale, JeanLouis Tripp s'attaque à un autre monument de sa vie : son père. Pour se comprendre, encore faut-il maîtriser ses origines, savoir d'où l'on vient, de qui on a appris à vivre en société. Parle-t-on avant tout de soi quand on entreprend de raconter la vie de son père ? Cette interrogation est omniprésente dans ces plus de 350 pages. La confrontation est parfois violente. Dans « Un père », l'auteur passe de l'admiration au rejet, de la joie simple à la tristesse infinie. Récit forcément subjectif, le roman graphique a pour cadre les lieux qui ont compté dans la famille : les petits villages du Tarn-et-Garonne, affectations des parents, Francis et Monique Tripier, instituteurs, la Cerdagne et la maison de vacances, les Corbières et le bord de la Méditerranée. Un des premiers souvenirs de Jean-Louis, ou du moins une des premières histoires que sa mère lui a raconté des dizaines de fois date de ses 1 an et demi. Ils sont en vacances chez ses grands-parents, à Mont-Louis en Cerdagne dans le chalet, véritable cœur battant de la famille. Laissé seul sans surveillance, le petit Tripier fait sa première fugue. Quelques heures dans les bois, au bord de la rivière, provoquant une belle panique. Retrouvé intact et sourient par deux jolies randonneuses.


Une entrée en matière très douce, positive. La suite est parfois plus compliquée. Notamment quand Jean-Louis, adolescent, rêve qu'il tue son père et l'enterre. D'où vient cette violence ? Des fessées reçues quand il était gamin et n'obéissait pas ? Ou plus simplement à un banal rejet de la figure paternelle à laquelle on refuse de ressembler ? Pourtant il a de nombreux bons souvenirs avec son père. Quand ils lui apprend à faire du ski, toujours en Cerdagne. Quand ils jouent au rugby. Quand il lui achète Vaillant, le journal communiste à destination des jeunes, là où JeanLouis Tripp découvre la bande dessinée. Quand ils visitent ensemble la Roumanie, pays communiste vénéré par ce père refusant longtemps d'abandonner son rêve universaliste et soviétique. Mais il y a aussi les mauvais jours, quand il se met en colère, cassant la vaisselle, faisant des scènes à sa femme devant les enfants. Un couple progressiste, de gauche, mais qui n'a pas évité la déchirure, le divorce.

Comme souvent, les relations se distendent. Le fils et le père se voient moins. JeanLouis Tripp, dans des pages d'une extrême sensibilité, s'interroge sur la vision que son père avait de ce fils, dessinateur, mais aussi professeur comme lui, dans une université au Canada.

Aujourd'hui, JeanLouis Tripp n'a plus de père. Sa mère aussi est morte. C'est paradoxalement le moment qu'il a choisi pour revenir vers le bercail familial. Installé à mi-temps puis totalement depuis l'an dernier, dans les Corbières audoises, c'est en partie là qu'il a imaginé et dessiné l'histoire de ses proches. Son histoire aussi. Dans ce Sud qu'il aime tant, entre montagne et mer, avec la garrigue au milieu. Des paysages que l'on retrouve en fin de ce roman graphique dans la scène sans doute la plus émouvante, du chalet à la mer, avec la Têt pour ultime voyage.

« Le petit frère », Casterman, 344 pages, 28 €

« Un père », Casterman, 360 pages, 28 €

vendredi 12 septembre 2025

Thriller - Une vengeance vieille et implacable

A chaque cadavre son indice. Puzzle macabre pour le profileur suédois  Sebastian Bergman dans « Le fardeau du passé » de Hjorth et Rosenfeldt.

Débutées en 2011, les aventures de Sebastian Bergman comptent désormais 8 titres. Tous réédités ou édités par Actes Sud et Babel Noir. Le nouvel opus, « Le fardeau du passé », arrive dans les librairies pour cette rentrée littéraire. On peut tout à fait le lire sans avoir découvert les sept précédents, mais on y « divulgache » forcément les intrigues des précédents romans tant les deux auteurs, Michael Hjorth et Hans Rosenfeldt, manient avec brio les ressorts du feuilleton. Pas étonnant quand on sait qu'ils ont débuté dans la production de séries télé policières en Suède, pays qui s'est imposé dans ce genre. 

On retrouve au centre du thriller le fameux psychologue et profileur Sebastian Bergman. Un peu plus de 60 ans, toujours aussi séducteur et amateur de jolies femmes. Il a cependant un peu levé le pied sur son « addiction au sexe » depuis qu'il est grand-père. Une petite fille qu'il va parfois chercher à la sortie de l'école maternelle, quand sa mère, Vanja Lithner, chef de la brigade criminelle de Stockholm, le lui demande. 

Sa relation avec Vanja s'apaise depuis qu'il a décidé de ne plus travailler pour son service. Pas pour longtemps cependant. La policière d'élite, dont le service est sur la sellette, récupère une affaire complexe. Une femme assassinée est découverte dans une ferme porcine. Sur les murs cette phrase inscrite en peinture rouge « Résous ça Sebastian Bergman ». Sebastian et Vanja vont donc de nouveau enquêter de concert. Rapidement, un second meurtre, avec une nouvelle énigme à la clé, les oblige à aller très vite. Quitte à s'affranchir de quelques règles légales. La tempête reprend de plus belle dans le service et ils ont fort à faire pour rester à leur poste tout en traquant un meurtrier vicieux et très retors, comme seuls les grands de la littérature nordique savent les imaginer. 

Enquête mouvementée sur laquelle se greffe plusieurs intrigues annexes, explications des romans précédents ou pierres posées pour les prochains épisodes. Il y est question de ce « maudit Billy », ancien collègue de Vanja mais aussi tueur en série attendant son procès, d'une jeune Australienne à l'identité incertaine ou de l'arrivée d'une nouvelle enquêtrice, belle et effrontée : tout pour plaire à Sebastian.   

« Le fardeau du passé » de  Hjorth et Rosenfeldt, Actes Sud, 400 pages, 23,50 €

jeudi 11 septembre 2025

Thriller – Le diamant de l'apocalypse

Alexandre Murat est un érudit. Sa parfaite connaissance de l'histoire napoléonienne lui a donné l'envie de partager son savoir. Mais au lieu de pondre des études savantes, il a utilisé ces faits parfois extraordinaires pour alimenter en rebondissements des thrillers haletants. Pour se plonger dans l'Histoire, deux héros : Alex et Mary. Un couple. Lui universitaire, elle femme d'action. Pour cette nouvelle enquête, le voyage dans le temps est plus profond. Alex et Mary se lancent à la recherche d'un diamant façonné en 1492 en pleine inquisition espagnole. Sur cette pierre unique, inestimable, est gravée la clé permettant de retrouver un parchemin révolutionnaire pour l’Église catholique. Une secte de fanatiques, espérant la fin du monde, l'Apocalypse, quitte à la provoquer, désire aussi posséder aussi ce diamant. Des USA à Anvers, en passant par Rome, Munich ou l'abbaye de Montserrat en Catalogne, un thriller passionnant par « le Dan Brown français » selon Philippe Labro.

« La prophétie du diamant », Alexandre Murat, Fleuve Noir, 336 pages, 20,95 €

samedi 6 septembre 2025

BD - Les dangers de la délinquance, du net vers l’“IRL”


On trouve à peu près de tout sur les nouvelles plateformes de vente du net genre Shein ou Temu. Le “à peu près” n’est plus de mise sur le dark web, ce net caché, souterrain, là où la loi n’existe plus. Un sujet souvent abordé dans les polars contemporains et qui est au centre de ce gros roman graphique écrit par Mark Eacersall et Henri Scala et dessiné par Jérôme Savoyen. 

La différence avec cet ouvrage, c’est la seconde signature du scénario. Henri Scala est commissaire de police depuis 20 ans. Il a travaillé dans tous les services, de la police du quotidien aux gros dossiers criminels. Sa connaissance de la délinquance numérique est particulièrement importante dans cette histoire de jeune fille un peu trop douée avec les codes et attirée par l’interdit. Roxane est en terminale. Elle passe beaucoup de temps sur son téléphone portable. 


Mais contrairement à ses collègues de classe (pas amies, Roxane est solitaire), ce ne sont pas les dernières idioties de TikTok ou Snap qui l’accaparent. Elle est un intermédiaire entre des vendeurs du dark web et des acheteurs. Elle a un pseudo, met en contact des gens qui ne se connaissent pas. Et n’auront jamais la moindre interaction l’un avec l’autre. Un rôle pivot stratégique dans cette nouvelle économie de l’ombre. 

Tout est sous contrôle, les rentrées d’argent conséquentes jusqu’au jour où un client, pour finaliser une transaction, réclame de la rencontrer IRL, in real life, dans la vraie vie… 

Cette descente aux enfers de la jeune fille, on la suit avec angoisse directement à ses côtés mais aussi avec la policière spécialisée dans ce genre de délits et qui piste sur le réseau l’avatar virtuel de Roxane depuis quelques mois, persuadée qu’elle va forcément faire une erreur. 

Un véritable polar rondement mené, dense, avec de multiples rebondissements, vrais méchants, faux gentils et des flics trop souvent impuissants (et trop peu nombreux), face à un mouvement d’ampleur. Édifiant.   

“IRL (In Real Life)”, Glénat, 208 pages, 23 €


vendredi 5 septembre 2025

Poche – Caryl Férey se souvient de "Magali"

Auteur de plusieurs romans policiers, Caryl Férey avoue pourtant ne pas s'intéresser plus que cela aux faits divers. Cependant quand il apprend la mort d'une certaine Magali Blandin, 42 ans, tuée par son mari, il tend l'oreille. Tout simplement car le crime s'est déroulé à Montfort-sur-Meu, le village de son enfance. Qui était Magali ? L'a-t-il connue ? Que sont devenus ses amis ? 

Il se pose des questions et décide d'y apporter des réponses dans ce texte à la fois enquête sociétale de terrain et grosses bouffées de souvenirs de l'auteur. On préférera d'ailleurs la partie plus personnelle du livre. Parfait pour les voyeurs-fans de ce romancier au prénom bizarre (vous aurez la réponse), assez secret et qui ose se dévoiler en partie. Un peu de son quotidien, beaucoup de son passé. 

Quant à Magali, elle revient en force dans les dernières pages. Pour que jamais on ne l'oublie. 

« Magali », Caryl Férey, Pocket, 160 pages, 7,70 €

jeudi 4 septembre 2025

Autobiographie - L'étonnante romance de Lydie Salvayre

En racontant son quotidien avec beaucoup d'humour, Lydie Salvayre parle aussi de ses parents, avec amour.

Il ne faut pas demander conseil à sa voisine quand on entreprend un travail d'écriture très personnel. Lydie Salvayre le constate dans les premières pages de cet « Autoportrait à l'encre noire », livre de commande dans lequel elle s'engage à satisfaire la curiosité de ses lecteurs. La romancière, prix Goncourt en 2014 avec « Pas pleurer » est devenue amie avec Albane, sa voisine de palier. Albane adore la lecture. Son genre préféré : la romance. Plus que préféré, exclusif. Donc quand Lydie Salvayre lui explique qu'elle est un peu bloquée dans la rédaction de son autoportrait, Albane, enthousiaste, lui conseille d'appliquer à ce texte les codes éprouvés de ces récits d'amour, toujours positifs, si beaux, si réconfortants... Si mièvres et mal écrits du point de vue de l'écrivain. Mais pourquoi pas ?

Sur la plage d'Argelès...

Véritable exercice de style, introspection comique mais aussi profonde, ce texte, si différent des autres signés Lydie Salvayre, oscille toujours entre farce assumée et révélations intimes douloureuses. Et avant d'oser évoquer son propre cas, elle se penche sur l'idylle entre ses parents. Drôle de romance. Notamment à cause du cadre. Andrés et Montserrat, tous les deux espagnols se sont rencontré en 1939 dans un « cadre de rêve : le camp de concentration d'Argelès-sur-Mer où ma mère vient d'arriver rompue de fatigue et blanche de la poussière des routes après des jours et des jours de marche sous les bombes pour atteindre la frontière française. » Lydia naîtra en 1946, dans cette famille pauvre, marquée par la Retirada. Elle deviendra Lydie et prendra vite le nom, français, de son premier mari, comme pour se défaire de cette peau de réfugiés espagnols, ce cette famille de miséreux. Et entre les interventions désopilantes d'Albane, toujours persuadée que seul l'amour, le vrai, l'unique, l'exceptionnel, est intéressant, elle raconte la vie entre une mère qu'elle adore et un père redouté. Le père deviendra d'ailleurs « le grand méchant », étape incontournable de toute romance digne de ce nom. Car pour connaître une fin heureuse, une histoire doit être contrariée par un personnage hostile.

Ce père détesté, elle va le raconter en explorant ses souvenirs, relativiser et finalement comprendre pourquoi il a tout le temps été si dur pour sa femme et ses filles. Comme si en faisant ce travail d'écriture, des années après sa disparition, Lydie Salvayre parvenait enfin à nouer un vrai dialogue avec cette figure intimidante, implacable, terrifiante. On retrouve alors la profondeur des romans de cette grande signature des Lettres françaises. Tout en souriant aux saillies d'Albane et aux répliques acerbes et pleines de mauvaise foi assumée de sa voisine, contrariée de ne pas réussir à boucler cet autoportrait comme une véritable romance.

« Autoportrait à l'encre noire », Lydie Salvayre, Robert Laffont, 224 pages, 20 €