Abandonné
par ses parents dix jours après sa naissance, Petit Piment grandit
dans un orphelinat du Congo. De quoi gâcher une vie racontée dans
sa verve habituelle par Alain Mabanckou.
Bébé abandonné à
l'entrée d'un orphelinat, Moïse est baptisé par Papa Moupelo, le
prêtre qui vient chaque semaine faire chanter les gamins de
l'institution. Moïse n'est qu'une petite partie de son nom, long
comme un jour sans pain. Mais c'est sous le sobriquet de Petit Piment
que cet enfant va faire parler de lui.
Le roman d'Alain
Mabanckou, à la première personne, est construit à l'inverse d'une
vie. Au début, on galère, puis arrive le temps de l'épanouissement.
Avec Petit Piment, c'est l'inverse. Tant que Papa Moupelo venait
chaque semaine, la vie valait le coup. Mais du jour au lendemain il
disparaît. Encore gamin, notre héros ne comprend pas que le
religieux vient d'être victime de la révolution socialiste imposée
par le pouvoir. Terminés les chants liturgiques, place aux odes au
président. Sous la houlette du directeur, un certain Dieudonné
Ngoulmoumako, la vie change. Brimades, punitions, corrections :
c'est l'enfer. Les gardiens sont intransigeants, les autres
pensionnaire pires. Notamment des jumeaux qui font régner la terreur
dans les dortoirs. Quand ils s'en prennent à Bonaventure, le
meilleur ami de Moïse, ce dernier décide de le venger.
Subrepticement, il introduit une forte dose de piment dans la
nourriture des tyrans. Ils passent une nuit terrible. Les trois jours
suivants sont abominables. Voilà comment le gamin de Pointe-Noire
devient Petit Piment. Les deux caïds, flairant le gars dégourdi et
peu impressionnable, lui pardonnent et le nomment second de leur
bande.
La première partie du
roman, entièrement située dans l'orphelinat, est la plus émouvante.
Encore enfant, Petit Piment a un fond d'humanité, de gentillesse et
d'empathie. Malgré les coups durs, les injustices et un horizon
bouché, il croit encore en l'Homme, comme si l'enseignement de Papa
Moupelo persistait tel un phosphène au fond de la rétine. Le drame
de Petit Piment, c'est sa gentillesse. Et sa peur de décevoir. Quand
les jumeaux décident de s'évader, il n'ose pas refuser de
participer au plan. Et le voilà devenu petit voyou dans le grand
marché de Pointe-Noire.
Ami des prostituées
Heureusement il croisera
une nouvelle fois une bonne âme qui tentera de le sauver. Maman Fiat
500 est une mère maquerelle. Elle se prend d'amitié pour ce gentil
garçon, serviable et si prévenant pour ses dix filles. Surtout il
ne juge pas sa profession quand elle lui explique. « A-t-on
jamais cherché à savoir ce qu'il y a derrière chaque femme qui
marchande ses attributs ? On ne naît pas pute, on le devient.
(…) Et puis on franchit le pas, on propose à un passant son corps
avec un sourire de circonstance, parce qu'il faut aguicher comme dans
tout commerce. On se dit que ce corps, même si on le déprécie un
soir, on le lavera le lendemain afin de lui rendre sa pureté. Et on
le lave une fois à l'eau de javel, on le lave deux fois avec de
l'alcool, puis on ne le lave plus du tout, on assume désormais ses
actes parce que les eaux de la terre ne pourront jamais procurer de
la pureté à qui que ce soit. » Dans le giron de Maman Fiat
500, quelques douces années s'écoulent.
Mais la malédiction
frappe de nouveau. Et cette fois ce ne sont pas quelques pincées de
poudre de piment qui le sortiront d'affaire. Aussi tragique que
l'histoire de ce continent, le roman d'Alain Mabanckou raconte
surtout l'énorme gâchis de talent et d'intelligence causé par la
misère d'une majorité et l'ambition d'une minorité.
Michel
Litout
« Petit Piment »,
Alain Mabanckou, Seuil, 18,50 €
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire