Portrait au vitriol d'une partie de la magistrature, ce « Parquet flottant » basé sur une expérience réelle est édifiant et un peu inquiétant.
Qui ne craint pas la justice ? Et notamment le parquet, ces juges qui accusent, demandent réparation. Samuel Corto (il s'agit d'un pseudonyme) a décidé de transformer son expérience de substitut du procureur en un roman acidulé. L'homme, qui se revendique aujourd'hui écrivain à temps complet, a débuté de l'autre côté des prétoires. Avocat, il a perdu de ses convictions au fil des années et des affaires. Il tente une reconversion dans le camp de l'adversaire : juge au parquet.
Le roman débute donc par l'arrivée d'Etienne Lanos, en plein été, dans ce petit tribunal de province. La justice, il connaît. Le parquet, il découvre. Et de détailler par le menu ce petit monde, imbu de sa personne, fonctionnaire jusqu'au bout des ongles, respectueux de la hiérarchie et prêt à tout pour plaire à son chef. Le roi, c'est le président. Vient ensuite le procureur. Etienne a le défaut de ne pas jouer le jeu. N'étant pas passé par le moule de l'Ecole nationale de la Magistrature, il ne pense pas comme ses collègues. Ou du moins, lui, il pense, comprend ce qu'il fait, quelles sont les conséquences de ses décisions.
Il explique ainsi que toute ouverture de dossier doit déboucher sur, au minimum, une mise en examen. La garde à vue, cela fait mieux dans le dossier pour l'avancement. Mais attention, le pire c'est la relaxe au moment du procès. Mais il y a peu de risque : même si leur fonction est tout autre, les juges du siège rendant les décisions sont souvent amis et solidaires de ceux rattachés au Parquet. Magouille ? Non, simplement de la bonne intelligence entre amis et connaissances. Une connivence visible dès le cérémonial. « Précédés d'une sonnette d'un autre temps, nous étions entrés en rang d'oignons, solennellement et dans un ordre immuable, avant de nous installer derrière nos bureaux-bunkers, empêtrés dans nos panoplies de corbeau, l'air grave. Devant nos allures de comédiens professionnels, n'importe quel esprit raisonnable pourrait croire que ce protocole usé, nous ne ferions que le subir, comme un tribut dû à l'Histoire. Qu'il se détrompe immédiatement : rien n'est plus important que ces privilèges d'autorité visuelle. »
Un peu trop misogyne
Rapidement Etienne va se rebeller contre ce système qui écrase les justiciables. Il va notamment prendre en grippe une collègue femme. C'est aussi la partie la plus criticable du roman, une certaine forme de misogynie semblant justifier toutes ses positions. Valérie, qui « prenait régulièrement fait et cause pour les justiciables de ses dossiers », serait avant tout une féministe se vengeant des hommes. « Le massacre était en piste, ronronnant, légal, conforme à l'esprit du siècle : toutes les plaintes des femmes, même les moins étayées, les plus farfelues, aboutissaient directement devant le tribunal, avec la bénédiction bienveillante de la hiérarchie tout à ses statistiques ministérielles. » Certes la Justice s'est féminisée depuis quelques années. Mais force est de reconnaître qu'il faudra encore pas mal de siècles pour rattraper le déséquilibre qui a frappé le sexe dit faible. Il n'y a pas très longtemps, les femmes soupçonnées de sorcellerie étaient brûlées en place publique alors que les notables, violeurs de soubrettes, ou les prêtres, notoirement pédophiles, étaient donnés en exemple...
Reste que ce roman, si l'on met de côté ces attaques misogynes d'un autre âge, est une plongée dans un monde qui semble avoir oublié l'essentiel de son rôle : juger avec humanité.
« Parquet flottant », Samuel Corto, Denoël, 16 €
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