Cela a tout l'air d'être l'antichambre du paradis. Petites maisons coquettes, golf verdoyant, piscines olympiques, larges allées ombragées ; des maisons de retraite de ce standing tout le monde en rêve. Clifford Estates a un seul inconvénient : être implantée aux confins de la Chine et de la Mongolie. Pas moins d'une semaine de trajet en train pour rejoindre cet îlot de verdure et de fraîcheur après les contrées désertiques du Gobi.
Dans ce futur très proche décrit par Jean-Michel Truong (une petite vingtaine d’années), les retraités n'ont plus leur place dans la société occidentale. Plus de logement pour les accueillir ni de ressources pour subvenir à leurs besoins. Les gouvernements européens ont lancé une vaste opération de délocalisation du 3e âge. Tout retraité aura droit à une place dans une maison de retraite… mais en Chine, coût de la vie oblige.
Des sociétés se sont créées de toutes pièces, alliance d'assureurs, d'entreprises du bâtiment et des loisirs, pour répondre aux appels d'offres. Des concessions ont été attribuées en échange d'une somme forfaitaire par retraité. Cet avenir peu reluisant, le lecteur le découvre progressivement, au fil des kilomètres avalés par le train qui conduit plusieurs centaines de retraités de France en Chine. On suit plus particulièrement Jonathan, un ancien médecin, qui connaît bien la Chine pour y avoir vécu durant quelques années. Sa prestance et son amabilité lui permettent de devenir le confident de ces exilés volontaires. Un banquier pratiquement ruiné, un informaticien dépassé par les nouveautés, des spéculateurs sur la paille et autre vieillard laissé pour compte dans cette société qui n'en a que pour la jeunesse.
Et certains dans le train se posent des questions sur la rentabilité de Clifford Estates. Ils se demandent notamment comment cette entreprise peut devenir rentable alors que sans cesse l'espérance de vie s'allonge et que par conséquent, mathématiquement, les coûts augmentent. Ils s'interrogent, complotent, tentent de se renseigner… et meurent mystérieusement entre Moscou et Oulan-Bator. Ce paradis semble trop beau pour être vrai.
Un des amis de Jonathan, ponte du Parti au pouvoir, tempête contre la trop grande efficacité de la médecine : « Nous nous trouvons dans la situation d'une espèce sans prédateurs, de chiens de prairie sans faucons, de lapins de garenne sans renards : ses effectifs croissent bien au-delà de ce que son environnement est en mesure de supporter. »
Et le final du roman ne devrait pas rassurer le quadra qui pourrait se reconnaître dans les passagers (marchandise) de cet "Eternity Express".
« Eternity Express » de Jean-Michel Truong, Albin Michel, 19,50 € (également disponible chez Pocket)
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