mercredi 7 octobre 2009

Roman - Lettres d'oubli écrites par Jean-François Chabas

Roman crépusculaire de Jean-François Chabas, « Les ivresses » raconte la rencontre, mortelle, entre un quadra et une jeune femme.


Une lettre par jour. Jonas, le narrateur, s'impose cette contrainte pour raconter ses derniers moments à une jeune fille, Ava, rencontrée quelques temps plus tôt dans des circonstances qui resteront longtemps mystérieuses pour le lecteur. Une lettre chaque jour, mais que Jonas ne poste pas. Il garde tout soigneusement, préférant léguer le tout, en lot, à sa correspondante quand il sera mort. Il sait que c'est dans peu de temps. Condamné par la maladie, il va se retirer dans une petite maison à Saint-Pierre et Miquelon, archipel français loin de tout, perdu en Atlantique Nord.

A travers ces lettres, il va raconter sa vie dans cette nouvelle maison, ses relations avec ses voisins, se remémorer cette rencontre cruciale avec Ava et surtout faire le point sur son existence à quelques jours de l'échéance finale. C'est la partie la plus copieuse du roman de Jean-François Chabas, mais pas forcément la plus passionnante, ses relations avec le jeune couple d'épiciers installé près de chez lui devenant, au fil des jours et de sa déchéance physique, de plus en plus étrange, voire mystique.

Souvenirs de jeunesse

Par petites touches quotidiennes, comme ses peintures qui lui ont procuré une grande liberté financière, Jonas se raconte. Son enfance, la mort de ses parents naturels dans un accident, son placement dans des orphelinats puis son adoption par des Polonais, propriétaires d'une salle de sport, de boxe exactement. La boxe, la première ivresse du jeune Jonas. Les autres ivresses ce sont « la nature, les femmes et leur plaisir, le dessin, la peinture. Je compte sur mes doigts, par ordre d'apparition. Elles sont toutes là. Mes ivresses. Quelles sont, ou quelles seront les vôtres ? » questionne Jonas dans cette nouvelle lettre à Ava. La boxe, il l'a pratiquée avec passion, méthodiquement : « travailler des heures à en baver comme une limace sur des combinaisons compliquées, à prendre mes premiers marrons à travers le casque, et puis petit à petit, vous sentez votre corps qui comprend ce qu'on lui demande, et qui obéit. Ce n'est pas comme on imagine, une sorte de rage brute, une explosion. C'est un rouage d'horloge suisse. » La salle de boxe dans laquelle il verra ses deux parents adoptifs se faire assassiner.

Nouveau placement en institution. Mais il se rebelle, fugue, découvre la rue et finalement la nature sauvage, réfugié dans un chalet isolé en montagne. C'est peut-être un peu de ce sentiment qu'il tente de retrouver en décidant de mourir à Saint-Pierre. Affaibli physiquement, il profite pourtant au maximum d'une tempête, en plein mois de décembre. « Le paysage s'est modifié, les congères ont changé de place, c'est une mer ici, une mer de neige, avec les vagues presque aussi mouvantes. » Seul un fou pourrait prendre plaisir à vivre dans de telles conditions. C'est pourtant le choix de Jonas : « Au moins, le climat ne nous laisse-t-il pas de loisir. Il s'impose, et tant pis pour nos préoccupations humaines. »

Ce roman, entre rage humaine et désespérance de la maladie, est une ode à la vie, à la jeunesse et au besoin d'oubli face à l'éternité.

« Les ivresses », Jean-François Chabas, Calmann-Lévy, 14,90 € 

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