lundi 26 juin 2023

Cinéma - Comment rire des limites de l’effet “Wahou !”

Le quotidien de deux agents immobilier est prétexte pour Bruno Podalydès de rire de la société française.

Un film simple, fin et intelligent. Avec la possibilité de sourire à de multiples occasions, tout en sortant de la séance en étant persuadé d’en savoir un peu plus sur les dérives de la société française actuelle. Parfois, un film bien écrit, interprété avec justesse et réalisé avec sérieux peut se révéler beaucoup plus édifiant que n’importe quel blockbuster coûtant 100 fois plus cher. En réalité, le titre du nouveau film de Bruno Podalydès est parfaitement adapté : « Wahou ! » serait-on tenté de résumer ce “presque” film à sketches. 

Le principe est simple : deux agents immobiliers Oracio (Bruno Podalydès) et Catherine (Karin Viard), de l’agence Wahou ! cherchent à vendre deux biens très différents : une superbe maison de caractère avec jardin arboré et un appartement moderne, avec dressing parental. « Wahou ! » s’exclament les visiteurs. Mais rares sont ceux qui vont plus loin… Un wahou ne fait pas la vente ! 

Le défilé des potentiels acheteurs donne tout son sel au film. Il y a la bande d’amis musiciens qui aimeraient vivre en colocation, la bourgeoise charmée par les vieilles boiseries mais dont le mari veut avant tout remplacer le piano par un billard, les deux frères, promoteurs, sortes de clones qui découvrent avec satisfaction les nuisances sonores de la ligne de chemin de fer au fond du jardin, ce qui permettra de faire baisser le prix, le petit couple parfait se déplaçant à vélo, moderne et aseptisé, ou l’infirmière à bout qui cherche une solution de repli pour sa mère grabataire. 

 Toute la société française est passée au crible et parfois violemment dézinguée, avec en plus un stagiaire caustique et malin (Victor Lefebvre), un peintre en bâtiment trop curieux et des propriétaires récalcitrants (Sabine Azéma et Eddy Mitchell). Sans oublier nos deux vendeurs, récitant leur leçon mais croyant de moins en moins en leur utilité. Karin Viard, en femme au bord de la rupture, permet de saisir toute la violence de ce métier souvent décrié. 

Bruno Podalydès, devant et derrière la caméra, en analysant les limites de l’effet Wahou, nous donne des clés pour comprendre le fonctionnement de notre monde actuel. 

Ce n’est pas toujours très optimiste et encore moins réjouissant, mais certains résistent comme le personnage interprété par Eddy Mitchell, attaché à sa vieille maison délabrée, comme à ses vieux albums de Tintin qui lui permettent de retomber en enfance. 

Film de et avec Bruno Podalydès et aussi Karin Viard, Sabine Azéma, Eddy Mitchell, Victor Lefebvre, Manu Payet

dimanche 25 juin 2023

Cinéma - Astérix et Obélix mettent le cap vers l’Empire du Milieu

Production à grand spectacle, le dernier film d’Astérix et Obélix, réalisé par Guillaume Canet, arrive en vidéo avec une flopée de bonus.


Le film est passé entre les filets du Covid. Retardé lors de son tournage, puis décalé pour sa sortie, Astérix et Obélix : l’Empire du Milieu, après une très belle carrière en salles (4,6 millions d’entrées au total), débarque en vidéo dans une édition bourrée de bonus. Super production à la française, ce nouvel opus des aventures du petit Gaulois et de son gros (non, enveloppé) ami a donc été réalisé par Guillaume Canet. Qui, sur la demande insistante de son producteur, a endossé aussi le costume du héros. 

Obélix aussi change d’interprète et revient à Gilles Lellouche, très convaincant dans une composition très touchante d’un timide doublé d’un grand enfant. Cette aventure va propulser les deux héros en Chine, au secours de l’impératrice victime d’un complot dans lequel César (Vincent Cassel) joue un rôle primordial. Si de nombreux youtubers ont de petits rôles et manquent de relief, il faut cependant souligner les très bonnes prestations de quelques pointures de la comédie française comme Manu Payet, Jérôme Commandeur, Pierre Richard ou José Garcia. 

On rit souvent durant le film qui propose aussi de belles scènes d’actions (hommage indirect aux films de kung-fu). 

Les bonus, dans un second DVD, sont composés d’un long making of reprenant la préparation et l’arrêt du film pour cause de confinement mondial. Ensuite, c’est la météo qui a compliqué la vie du réalisateur. On découvre aussi une dizaine de scènes coupées et les interviews des interprètes principaux. Près de 2 h 30 de plongée dans l’univers toujours enchanteur du personnage de fiction français le plus connu au monde.

samedi 24 juin 2023

Une anthologie - Toute la finesse de François Weyergans


Prix Goncourt en 2005 pour Trois jours chez ma mère, François Weyergans a peu publié durant sa carrière. Ce gros volume de Quarto reprend sept romans majeurs de cet écrivain français expert en description de l’angoisse de la page blanche. 

L’occasion aussi de redécouvrir le François Weyergans critique de cinéma (aux Cahiers du cinéma) avec l’intégralité de ses textes ainsi qu’une filmographie détaillée. Enfin pour comprendre le parcours de cet artiste aux multiples casquettes et d’une grande finesse dans on écriture, il suffit de lire les 70 pages de sa vie et son œuvre, de 1941 à 2019. 

« Romans de François Weyergans », Quarto Gallimard, 1 376 pages, 34 €

vendredi 23 juin 2023

Une réédition - Plages estivales

Introuvable depuis des années, ce roman de Jean-Philippe Blondel est idéal pour se mettre dans l’ambiance des vacances. Le récit se déroule sur quatre plages (Capbreton, Hyères, Perros-Guirec et Arromanches) durant quatre étés entre 1972 et 2002. 

On a parfois l’impression d’être face à des nouvelles disparates, mais au final tous les personnages ont un lien entre eux. Des portraits touchants, criants de vérité, des parents qui se déchirent à l’adolescent qui rêve d’ailleurs ou au vieillard dans son meublé qui s’ennuie en passant par l’homme qui fantasme sur l’amie de sa femme. 

Un texte ensoleillé et authentique, des vacances, mais à la Jean-Philippe Blondel. 

« Accès direct à la plage » de Jean-Philippe Blondel, Finitude, 17 €

jeudi 22 juin 2023

Polar - Javier Cercas délaisse en partie la Catalogne pour les Baléares

Melchor Martin, le héros de la trilogie Terra Alta de Javier Cercas, enquête à Palma sur les exactions d’un prédateur sexuel. Ce dernier a fait l’erreur de s’approcher de Cosette, la fille de Melchor.


Le troisième volet de Terra Alta, série policière imaginée par Javier Cercas, se déplace en grande partie aux Baléares. Les deux premières avaient pour cadre la Catalogne. La région de Terra Alta d’abord puis Barcelone. Le château de Barbe Bleue est implanté près de Pollença, petite ville touristique de Palma de Majorque. C’est là que disparaît, du jour au lendemain, Cosette, la fille de Melchor Martin. 

Les relations entre l’ancien policier, devenu simple bibliothécaire, et son adolescente ne sont pas au beau fixe. Cosette a récemment appris les circonstances exactes de la mort de sa mère. Un simple accident de la circulation selon son père. En réalité, Olga a été volontairement renversée pour faire peur à Melchor qui devenait trop pressant dans son enquête (lire le tome 1, Terra Alta chez Actes Sud et Babel en poche). Ce mensonge Cosette ne l’admet pas. Non seulement elle se sent trahie par son père, mais elle se persuade que c’est à cause de lui si sa mère est morte quand elle avait 3 ans. Durant les vacances de Pâques, avec une amie, elle va passer quelques jours de vacances aux Baléares. Mais le jour prévu, l’amie revient, pas Cosette. Fugue ou enlèvement ? Melchor se persuade rapidement que sa fille n’agit pas normalement. Il mobilise toutes ses anciennes connaissances policières pour retrouver la trace de Cosette. 

Un silence acheté

C’est l’essentiel de la première partie de ce roman où il est question, comme toujours, des Misérables, le roman de Victor Hugo qui conditionne en grande partie la vie du héros. Une partie assez technique, au cours de laquelle il va devoir se rendre sur place et se frotter à l’inertie (voire la corruption) de la Guardia Civil. 

C’est finalement une lettre anonyme qui va le conduire dans un mas perdu dans la montagne. Là, il rencontre Carasco, un ancien policier, persuadé que Cosette, comme des dizaines d’autres auparavant, a été enlevée (ou du moins appâtée) par les rabatteuses de Mattson, un milliardaire suédois. Tellement riche qu’il peut acheter toute l’île. Les terres mais aussi les consciences des policiers et des juges.  En se lançant dans la recherche de sa fille, Melchor se fait vite remarquer. 

Et à peine deux jours après, la jeune fille réapparaît, traumatisée mais vivante. En partie amnésique aussi. Une seule certitude, une fois de retour à Terra Alta, les médecins et psychiatres ont la certitude qu’elle a été abusée sexuellement à plusieurs reprises. 

La suite du roman est plus musclée. Comprenant qu’attaquer en justice Mattson est peine perdue, Melchor va s’allier à Carasco et retourner à Pollença pour tenter de mettre la main sur des preuves irréfutables des exactions du délinquant sexuel. 

Toujours féru de références littéraires, Javier Cercas explore cette fois Don Quichotte et le combat, qui semble vain, de Melchor contre les moulins personnifiés par Mattson. Un roman puissant, sur les relations compliquées entre père et fille, les secrets de famille et les choix que l’on fait dans l’urgence, pas toujours excellents mais jamais sans conséquence sur le futur.  

« Le château de Barbe Bleue » de Javier Cercas, Actes Sud, 23 €

mercredi 21 juin 2023

Thriller - Les derniers crimes du serial killer Urizen

Dernier titre de la trilogie du démon signée Mathieu Lecerf, « La mort dans l’âme » offre en final l’affrontement des frères de Almeida avec le serial killer Urizen.


Mieux vaut avoir le cœur bien accroché en plongeant dans ce polar de Mathieu Lecerf. Le troisième de sa saga ayant pour personnages principaux un flic et un journaliste, deux frères, Manuel de Almeida, capitaine à la criminelle de Paris et Cristian, journaliste spécialisé dans les faits divers. Deux visions différentes et parfois opposées de ce monde où la violence et la cruauté règnent en maîtres.

Dans les deux premiers romans, le lecteur s’est familiarisé avec les personnalités des deux hommes d’origine portugaise, très proches malgré leurs parcours différents. Ils se retrouvent une nouvelle fois sur le chemin d’un tueur en série qui sévit sur Paris. Baptisé Urizen par Cristian dans un de ses articles, le monstre ne s’attaque qu’à des femmes. Brunes et jeunes. Il les étrangle puis découpe les paupières et les tétons de ses victimes. Urizen est en réalité le nom d’un dieu qui « s’est laissé séduire par une soif immodérée de puissance et de pouvoir. Il s’est transformé en une figure satanique, déchue, un démon qui inventa la Colère ». Sa dernière victime est une jeune top model. Manuel va devoir tenter d’infiltrer un milieu où la drogue et la perversité sont monnaie courante. Il va au passage recevoir l’aide de son adjointe, Esperanza, en pleine dépression après l’assassinat de sa fille âgée de 10 ans.

L’auteur, dans un roman dense et parfois dur, pour terminer cette trilogie, va impliquer directement les deux frères dans le parcours d’Urizen. Ils ne le savent pas, mais ce monstre sévit depuis des années. Et sa première victime était très liée à la famille de Almeida. Si la scène finale est un peu courte, elle est cependant très judicieuse car elle permet de faire un parallèle avec la naissance de la « vocation » d’Urizen. Une trilogie achevée, mais espérons que les deux héros de ces trois polars reviendront pour une autre saison et de nouveaux démons à combattre.    

« La mort dans l’âme » de Mathieu Lecerf, Robert Laffont - La Bête noire, 19,90 €

mardi 20 juin 2023

Cinéma - “Stars at noon”, fuite et espionnage

Film d’espionnage, romance, road movie… Question catégorie, Stars at noon de Claire Denis coche plusieurs cases. Ce manque d’évidence dans le genre a sans doute nui au film présenté en compétition au festival de cannes 2022. La réalisatrice française, dans cette production aux vedettes anglo-saxonnes et entièrement tournée en Amérique centrale, est quand même repartie de la Croisette avec le Grand Prix.

Tiré d’un roman de Denis Johnson, le film raconte la dérive d’une jeune journaliste américaine coincée dans un Nicaragua en proie à une dictature militaire implacable. Trish (Margaret Qualley) s’est fait confisquer son passeport. Après avoir écrit un article à charge sur le pouvoir, la simple pigiste tente par tous les moyens de se tirer d’un mauvais pas. Il lui faut des dollars pour payer un billet d’avion. Et surtout récupérer ce passeport sans lequel elle n’est plus rien. 

Cette course contre la montre est semée d’obstacles. Elle doit accepter de coucher avec un policier et a une dernière carte majeure dans son jeu : son amitié (et un peu plus évidemment), avec un vice-ministre, sénile mais encore un peu influent. Pour assurer le jour le jour (hôtel, repas, alcool…), elle va jusqu’à se prostituer et rôde dans l’hôtel réservé aux journalistes occidentaux. Elle croit ferrer un plumitif anglais, Daniel (Joe Alwyn), mais en réalité c’est un activiste aux desseins troubles, pas du tout du goût de la police locale, aidée par la CIA.

Nuits torrides

Le film bascule alors dans la romance un peu facile et factice. Mais Claire Denis semble avoir pris beaucoup de plaisir à filmer au plus près le coup de foudre puis les nuits torrides de Margaret Qualley (sublime) et Joe Alwyn. Des corps malmenés par la chaleur et l’humidité, une osmose d’une étonnante beauté, simple, sans fausse pudeur ni vulgarité. Sans doute la séquence la plus aboutie du film qui se transforme en relation intimiste entre deux êtres aux intérêts radicalement opposés mais qui éprouvent pourtant une attirance irrésistible l’un pour l’autre. 

La dernière partie du film a des airs de grand complot doublé d’une paranoïa absolue. Daniel sent que le vent tourne, qu’il est dans le viseur de la CIA. Il décide de quitter le pays. Mais la pandémie et les contrôles aux frontières compliquent le périple. Une séquence « action » réaliste, loin des blockbusters américains. Le pragmatisme de Trish, l’efficacité de l’agent de la CIA (Benny Safdie), l’abnégation de Daniel et le cynisme de la police locale font de Stars at noon un film avant tout politique et contemporain. Une ultime catégorie pour un long-métrage hybride, typique des œuvres de Claire Denis, exigeantes et engagées.

Film de Claire Denis avec Margaret Qualley, Joe Alwyn, Benny Safdie

lundi 19 juin 2023

Polar historique - Arlequin et le Minotaure donnent du fil à retordre à Jeremy Nelson

Nouvelle enquête de Jeremy Nelson, le musicien détective imaginé par Claude Izner. Elle se déroule dans le milieu du théâtre amateur parisien.


Dans tout polar qui se respecte, il y a un mort. Dans Qui a tué le minotaure, cinquième et peut-être dernière aventure de Jeremy Nelson, il y en a deux. Le minotaure, au centre de l’intrigue du roman. Mais aussi Liliane Korb, la moitié de Claude Izner. Derrière ce pseudonyme se cachaient deux sœurs qui ont longtemps été bouquinistes sur les quais de la Seine. L’an dernier, Liliane est décédée. Laurence a tenu à ce que le roman paraisse quand même et elle lui rend hommage en fin de volume. Quel sera l’avenir de Jeremy ? Ce n’est pas précisé, mais ce serait dommage que cette saga parisienne si subtile disparaisse.

Place donc à l’enquête du jeune musicien américain installé à Paris. Tout commence à mi-carême. Alors que la foule défile, déguisée dans les rues de la capitale, un homme est retrouvé mort, poignardé au cœur. Il avait endossé un costume de minotaure. Peu de temps auparavant, les membres d’une troupe de théâtre qui profitait des festivités pour faire de la publicité pour sa nouvelle pièce, étaient à la recherche de ce fameux minotaure, poursuivi par un Arlequin. La police, en démarrant son enquête, découvre que sous le masque de minotaure se cachait le docteur Étienne Gilbert, riche mécène qui finance la troupe.

Toute la troupe est suspecte

Ces faits arrivent à l’entrée de l’appartement de Jeremy Nelson par l’intermédiaire de son meilleur ami, Sammy Eidelmann, par ailleurs producteur de la pièce. Comme il pourrait être considéré comme suspect par la police, il demande à Jeremy de lui servir d’alibi. 

En réalité Sammy, grand séducteur, était avec une amoureuse un peu trop jeune. Jeremy qui devait en plus écrire la musique de la pièce. Pour disculper totalement Sammy, le musicien, aidé de sa fiancée, Camille, se lance dans une enquête mouvementée où tous les membres de la troupe ont un bon motif d’avoir occis le minotaure. Alors qui est le coupable entre l’écrivain et interprète véritable du minotaure, Gaëtan Bardin, Julien Sarde, barman, Tom Brighton, bibliothécaire, Catherine Cognat, réceptionniste d’hôtel ou Guillaume Fleury, souffleur au chômage. 

Ce dernier est le seul qui est véritable du milieu. Même s’il a raté sa vocation de comédien : Souffleur, « il était condamné à rester dans un trou, pauvre épave de l’art dramatique, homme des cavernes qui vivait le plus souvent dans le passé conçu par des auteurs incapables de s’imaginer que le futur ressemblerait à un pandémonium empli de voyous adonnés à la drogue. » De la drogue il y en a un peu avec un trafic de cocaïne. Les soupçons se portent aussi sur la femme du docteur, Hélène, grande bourgeoise émotive. 

Enfin, cerise sur le gâteau, pour achever cette aventure très mouvementée, Jeremy reçoit l’aide de Victor Legris, le précédent héros imaginé par Claude Izner et qui vit depuis deux décennies à Londres. Un final en beauté ou une occasion de relancer la machine ?

« Qui a tué le minotaure ? » de Claude Izner, 10/18, 16,90 €

dimanche 18 juin 2023

Cinéma - « Vers un avenir radieux » de Nanni Moretti, le cinéma de l’utopie

Le grand réalisateur italien Nanni Moretti se raconte dans ce film gigogne sur le cinéma, ses travers, sa force, sa poésie.


Plus qu’une simple leçon de cinéma, Vers un avenir radieux de Nanni Moretti est un film qui respire la joie de filmer, de créer, d’imaginer et de faire rêver. Une œuvre à part, où le 7e art est le véritable héros, n’en déplaise à certains producteurs grossiers qui n’imaginent pas un film sans un moment « what the fuck ? » Présenté en compétition à Cannes et revenu bredouille, le film a sans doute souffert de son côté trop léger et optimiste. Étrange paradoxe de notre époque où le cinéma ne peut qu’être noir et sombre, alors qu’il compte, avant tout, dans la vie des gens pour les divertir, les faire s’évader.

Pour parler de son art, Nanni Moretti interprète Giovanni, un cinéaste (sans doute inspiré de son propre parcours), qui se lance dans le tournage d’un film sur la position du parti communiste italien lors de l’insurrection de Budapest en 1956. Un sujet hautement politique, alors que Giovanni rêve de tourner un film d’amour truffé de chansons italiennes.

Netflix, violence gratuite

Produit par sa femme, Paola (Margherita Buy), et Pierre (Mathieu Amalric), un Français un peu mythomane, le film avance lentement. Car Giovanni est exigeant. Il supervise tout, des titres des journaux de l’époque aux fausses bouteilles d’eau minérale utilisées par les acteurs. Ces derniers doivent suivre ses dialogues à la lettre et ne pas improviser « à la Cassavettes », comme tente de le faire la vedette féminine Vera (Barbora Bobulova). Le tournage est de plus en plus laborieux et plus rien ne va dans la vie privée de Giovanni. Sa femme décide de le quitter. L’argent arrive à manquer, la production s’arrête à mi-chemin.

Alors, il ne reste plus qu’une solution à Giovanni : accepter de rencontrer les nouveaux rois de la production audiovisuelle : Netflix. Une scène hilarante, où les technocrates de la plateforme de streaming n’ont de cesse de faire remarquer que le film, s’ils acceptent de l’acheter et de le produire, sera diffusé dans 190 pays. 190 pays ! Vous vous rendez compte, 190 pays…

On appréciera aussi la séquence où Giovanni débarque sur le tournage d’une comédie d’action d’un jeune cinéaste prometteur et va dynamiter l’ultime scène, trop violente à son goût. Entre petits tracas quotidiens, éclairs de génie d’un grand cinéaste, négociations avec les comédiens et les fournisseurs, lubies et rituels à la limite de la superstition, on en apprend beaucoup sur le quotidien d’un réalisateur. Mais que cela ne vous empêche pas d’apprécier, à sa juste mesure, le très joli final de Vers un avenir radieux, film d’une utopie qui redonne foi dans la vie.

Film de et avec Nanni Moretti et aussi Margherita Buy, Silvio Orlando, Mathieu Amalric

samedi 17 juin 2023

Cinéma - Maître Poutifard a la rancune tenace

Le nouveau film de Pierre-François Martin-Laval, "Les vengeance de maître Poutifard", avec Christian Clavier et Isabelle Nanty, est une comédie sur le harcèlement. Des profs par les élèves !


On a tous eu, au cours de notre scolarité, un prof tête de turc. Un maître insupportable auquel on ne pouvait pas s’empêcher de jouer des tours pendables. Robert Poutifard, instituteur dans une petite école de province, fait partie de cette partie de la population qui est toujours du mauvais côté, celui des faibles qui se font au mieux manipuler, au pire humilier. Une situation d’autant plus regrettable, pour cet instituteur interprété par Christian Clavier, qu’il est la victime préférée de ses élèves.

Le film de Pierre-François Martin-Laval est adapté d’un roman de Jean-Claude Mourvelat. On découvre un instituteur aigri, persuadé que ses élèves lui ont gâché sa vie. Surtout un petit groupe de quatre, mené par la petite Audrey. Elle a fait capoter sa seule histoire d’amour avec une collègue québécoise. Depuis, il vit toujours chez sa mère (Isabelle Nanty), ruminant ses malheurs.

Aujourd’hui, il part enfin à la retraite. Un nouveau départ pour un nouveau Poutifard. Il va profiter d e son temps libre pour mettre en pratique sa vengeance. Car le professeur des écoles est rancunier. Très rancunier.

Les vengeances de Maître Poutifard, après un début dans une classe d’il y a 20 ans, se déplace à nos jours. Les petites terreurs sont devenues des hommes et femmes installés, reconnus, aimés même. Alors Poutifard va imaginer des plans machiavéliques pour les faire tomber de leur piédestal. Premier à subir sa foudre : Anthony. Devenu chef cuisinier qui tyrannise ses employés pour conserver ses trois étoiles, il va passer une soirée cauchemardesque à cause d’un chien. La partie la plus mouvementée du film, la plus cartoonesque.

Poutifard va ensuite s’occuper des jumelles Camille et Mélanie. Insupportables jeunes, elles le sont encore plus devenues influenceuses beauté. Bêtes comme leurs pieds, elles seront humiliées en présence du président de la République, brillamment interprété par Pef en personne.

Quant à Audrey, devenue star de la chanson, elle sera l’apothéose de la vengeance de Poutifard. A moins que… L’histoire, très linéaire et rigolote, devient plus nuancée et profonde. Preuve que même une vengeance ruminée plusieurs décennies n’est pas toujours la meilleure solution pour dormir en paix.

Film de Pierre-François Martin-Laval avec Christian Clavier, Isabelle Nanty, Jennie-Anne Walker

 

vendredi 16 juin 2023

DVD - L’astronaute de Nicolas Giraud

Toucher les étoiles. Tel est le rêve de Jim, ingénieur en aéronautique chez ArianeGroup et raconté par L’astronaute qui sort en vidéo chez Diaphana. S’il travaille sur les fusées, il veut avant tout aller dans l’espace. Non sélectionné pour un vol habité, il décide de fabriquer dans une ferme isolée son propre engin.

Un film sur l’espace mais surtout la passion. Passion d’un homme pour son travail et la volonté de se dépasser. Si le scénario est un peu léger, le réalisateur, Nicolas Giraud, qui endosse également le scaphandre de Jim, a mis beaucoup de passion dans ce rôle que l’on devine très personnel. La distribution est magistralement complétée par Mathieu Kassovitz et Hélène Vincent.

En bonus, des entretiens avec le réalisateur, Mathieu Kassovitz et Jean-François Clervoy, ancien spationaute et conseiller technique sur le long-métrage.

jeudi 15 juin 2023

BD - La vie erratique de Patience

Comme dans Blue Flame (voir note précédente), des questions existentielles, il y en a aussi treize à la douzaine dans Patience, roman graphique de Daniel Clowes. Tout commence par une bonne nouvelle. Patience, la petite amie de Jack, lui annonce qu’elle est enceinte. 

Ils s’aiment mais sont sans le sou. Patience voudrait reprendre des études. Jack, distribue des prospectus dans la rue. Mais il prétend avoir un vrai boulot, dans un bureau. Le jour où il décide de l’annoncer à sa copine, il la retrouve morte dans le salon. Étranglée. La police l’interroge, le soupçonne. Sa vie s’écroule et termine en prison.

Un début très drame social noir mais qui va prendre une tout autre tournure. Des décennies plus tard, dépressif, alcoolique, Jack rencontre un geek qui prétend avoir inventé une machine à voyager dans le temps. Résultat le veuf va faire un voyage dans le passé pour empêcher le meurtre de son amour. 

Un étrange récit, plein de paradoxes temporels, d’imbroglios et de fausses pistes. C’est étonnant, parfaitement mené avec une fin déroutante, preuve que Daniel Clowes est un des meilleurs auteurs contemporains US. L’ensemble de son œuvre est actuellement réédité par les éditions Delcourt.

« Patience », Delcourt, 28,50 €

mercredi 14 juin 2023

BD - Prise de tête US avec The Blue Flame


Sam Brausam est plus connu sous le nom de The Blue Flame. Cet ouvrier frigoriste le jour, devient la nuit le superhéros qui vole grâce à ses réacteurs alimentés par un carburant se transformant en flamme bleue. Écrite par Christopher Cantwell et dessinée par Adam Gorham, The Blue Flame est très loin des histoires classiques de Marvel ou DC. Blue Flame, et tous ses compagnons héros, sont pris dans un attentat. Des dizaines de morts. Il est le seul à s’en sortir, mais marche désormais avec des béquilles.

Quand il remet son costume, il va jusqu’aux confins de l’univers et se retrouve prisonnier d’un conglomérat de nations extraterrestres. Il vient d’être désigné avocat des Humains. S’il persuade le jury, la Terre ne sera pas détruite.

La BD, dense, qui fait d’incessants allers-retours entre le tribunal, avant et après l’attentat, se transforme en traité philosophique. Mais les dessins superbes et l’évidence des réactions de Blue Flame transforme le tout en petit chef-d’œuvre qui passionnera tous ceux qui parfois se posent des questions sur notre place dans l’univers.

« The Blue Flame », 404 Éditions, 26,50 €


mardi 13 juin 2023

BD - Bombardiers de légende durant la seconde guerre mondiale


Après les chars ou les batailles navales, ce sont les avions de guerre qui ont leur propre collection de BD. Avec Nolane au scénario, après le Stuka allemand, c’est au tour du B-25 Mitchell américain d’être glorifié dans cet album dessiné par Aleksic.

Ce bombardier, encore en phase de test lors de l’attaque de Pearl Harbor, a servi de couteau suisse tout au long de la guerre du Pacifique. Mais il a surtout permis aux Américains de reprendre un peu confiance en frappant le Japon quelques semaines après l’attaque surprise. Avec réservoirs supplémentaires, moins d’armes pour alléger et des bombes puissantes, une vingtaine de ces avions ont décollé d’un porte-avions pour déverser un déluge de feu sur les installations militaires nippones.

C’est cette expédition, risquée, totalement folle, qui est racontée dans cet album héroïque. Notamment après l’attaque, quand les avions ont rejoint vaille que vaille la Chine pour sauver les équipages. Une BD à conseiller aux amateurs de batailles aériennes réalistes.

« Warbirds » (B-25 Mitchell – Tonnerre sur Tokyo), Soleil, 15,50 €

lundi 12 juin 2023

BD - La Légion étrangère et Camerone au centre de cet album

Formidable destin que celui de Casimir Laï, orphelin des rues, malmené par la vie mais qui trouve une seconde chance en intégrant la Légion étrangère. Le héros de cette série historique écrite par Jean-Yves Yerlès et dessinée par Marc-Antoine Boidin, est en fâcheuse posture. Un de ses pires ennemis vient lui aussi de rejoindre le corps expéditionnaire de l’armée française.

La tension est forte en Afrique du Nord. Elle n’ira qu’en augmentant quand les soldats partent pour le Mexique. Sous la conduite du capitaine Danjou, ils vont aller sécuriser la route entre un port et une garnison. Une petite fortune va être convoyée. C’est sur cette route, perdue, loin de tout, que Casimir et ses amis tombent dans une embuscade. Ils se réfugient dans le hameau de Camerone. La suite appartient à l’Histoire de la Légion. C’est donc au plus près des combattants que l’on suit ce combat épique, héroïque.

Mais l’album va un peu plus loin car il y est aussi question des conditions sanitaires de l’arrivée des Français au Mexique, notamment de l’épidémie de fièvre jaune, le fameux vomito negro longuement expliqué dans un cahier scientifique en fin de volume.

« Legio Patria Nostra » (tome 3), Glénat, 14,50 €

dimanche 11 juin 2023

BD - Sauver les aviateurs alliés avec « Le Réseau Comète »


La Résistance en France durant la seconde Guerre mondiale a pris de nombreuses formes. Certains ont pris les armes, d’autres ont attendus le dernier moment pour changer de camp. Et puis il y a les discrets, ceux qui ont essentiellement œuvré pour aider les Alliés. Pas d’armes, pas d’éclats, mais des risques énormes et souvent la prison, la déportation voire la mort devant un peloton d’exécution.

Dans ce récit très détaillé, en partie basé que les souvenirs de la plus jeune membre du réseau, Jean-Yves Le Naour raconte comment, de Bruxelles à l’Espagne, des hommes et des femmes ont pris tous les risques pour permettre à des aviateurs alliés, abattus au-dessus de l’Europe, de revenir vers Londres et de repartir au combat. Cachés chez l’habitant, ils avaient de faux papiers pour traverser la France en train.

Mais arrivé à la frontière entre la France et l’Espagne, côté Pays basque, il fallait passer par les chemins de contrebande et éviter les nombreuses patrouilles allemandes. Marko et Holgado, deux dessinateurs originaires de la région (le premier est Français, le second Espagnol), ont dessiné les exploits de ces résistants de l’ombre. Un devoir de mémoire bienvenu alors que les derniers témoins vivants sont en train de disparaître.

« Le Réseau Comète », Bamboo Grand Angle, 14,90 €

samedi 10 juin 2023

BD - Un témoignage dans le "Journal d’une invasion"


Igort, dessinateur italien, a déjà signé deux ouvrages sur la Russie et l’Ukraine. Quand il apprend l’attaque russe contre Kiev, il décide de raconter cette invasion sous forme de BD.

Marié à une Ukrainienne, il connaît parfaitement les lieux. Il ne peut pas s’y rendre mais recueille de nombreux témoignages au téléphone.


Dans ces 168 pages, on découvre le quotidien de simples civils, de militaires ukrainiens mais aussi de jeunes Russes, embarqués avec leur unité dans une guerre qui semble partie pour durer encore de trop longues années. Des témoignages essentiels alors que cela fait plus d’un an que le pays est pris en tenaille par les forces russes, qu’il résiste et envisage même de lancer une contre-offensive.

« Journal d’une invasion », Futuropolis, 24 €

vendredi 9 juin 2023

BD - Quand Tebo revisite l’univers des Schtroumpfs


Il est des univers compliqués à modifier. On pensait que les Schtroumpfs imaginés par Peyo étaient inamovibles. Et puis le petit génie Tebo s’empare des petits bonshommes en bleu et tout devient évident. De série un peu simpliste, moralisatrices et aux dessins de plus en plus figés, il en fait une aventure désopilante, dynamique et très novatrice. Les puristes vont s’étrangler, tous les autres (la grande majorité des lecteurs de BD intelligente) vont apprécier.

Tout commence par la chute d’un Schtroumpf du haut du toit d’une maison champignon. Quand il se réveille, un collègue lui demande s’il va bien. Mais comme il ne parle pas le schtroumpf (en clair il remplace un mot sur deux par « Schtroumpf »), le nouveau ne comprend pas. Le village doit rapidement de rendre à l’évidence, ce Schtroumpf n’est pas d’ici.


Qui est-il ? C’est la question qui va servir de fil rouge à cet album de 56 pages, avec une incroyable révélation dans les dix dernières pages.

Pour retrouver l’origine de ce Schtroumpf mystère, Costaud, Lunettes et la Schtroumpfette vont aller explorer les environs en sa compagnie, se retrouver aux prises avec un poisson carnivore, une chauve-souris agressive, un dragon et une poule idiote. Sans oublier le nouveau méchant de la série : l’alchimiste Haltegadin. Une reprise hommage qui devrait être la norme.

« Qui est ce Schtroumpf », Le Lombard, 11,50 €

jeudi 8 juin 2023

Cinéma et littérature - Les lettres de François Truffaut à Helen Scott, son agent américaine


Entre 1960 et 1965, François Truffaut a entretenu une correspondance avec Helen Scott, son agent aux USA. Dans Mon petit Truffe, ma grande Scottie, commenté et annoté par Serge Toubiana, on découvre la vision du cinéma américain par le réalisateur français. Il y est beaucoup question de Hitchcok et des grands maîtres.

Mais ces lettres montrent surtout la grande complicité entre cette femme enjouée, au service de la promotion du cinéma français en Amérique et un Truffaut sensible à son admiration et surtout sa grande connaissance du milieu. (Denoël, 24,90 €)

mercredi 7 juin 2023

BD - "Supercanon", le rêveur de conquête spatiale devient marchand d'armes



Le jeune Gerry est un surdoué. Maths, physique et chimie n'ont pas de secret pour cet enfant précoce. Un petit garçon vite orphelin. Mais le jeune Canadien est recueilli par sa tante et va pouvoir intégrer de grandes écoles. Un scientifique qui ose rêver, tel est le thème central de Supercanon !, roman graphique signé du Québécois Philippe Girard. 

La lecture des romans de Jules Verne (dans les années 30), lui donne l'envie de conquérir les étoiles. Et il est persuadé que l'utilisation de canon géants, comme imaginé par le romancier français,  est la solution à tous les problèmes. Il va rapidement se lancer dans des recherches pour le gouvernement canadien, sous le regard de plus en plus intéressé des Américains. Il n'arrivera pas à toucher la lune, mais sa connaissance de la balistique le propulse excellent fabricant de canons. 

Et pour atteindre les étoiles, il faut de l'argent, beaucoup d'argent... Gerry va créer une entreprise et fabriquer des canons surpuissants, d'une rare efficacité, engrangeant des millions de bénéfices. Problème, le rêveur est peu regardant sur ses acheteurs. Afrique du Sud, Israël, Irak... il est de tous les conflits locaux. 

La CIA ne va pas apprécier et il sera condamné à quelques mois de prison. Ruiné aussi... Il va tenter de tout recommencer depuis sa filiale belge qui a échappé à la banqueroute. Bruxelles, capitale de l'espionnage et des meurtres politiques.  

"Supercanon !", Casterman, 152 pages, 24 €

mardi 6 juin 2023

Un roman d’horreur - Le clown et le maïs


Amateurs de littérature de genre, réjouissez-vous, Sonatine fait désormais dans l’horreur. Un clown dans un champ de maïs d’Adam Cesare est un bel hommage aux films d’horreur des bouseux américains.

Quand une petite famille de la grande ville débarque à Kettle Springs, bled paumé du Missouri, elle remarque surtout les dessins de Frendo dans la rue, un clown pas spécialement marrant. Quand quelqu’un déguisé en Frendo décide de se lancer dans un grand massacre, Quinn, l’héroïne, va regretter d’avoir suivi son père dans ce déménagement.

Dans des champs de maïs infinis, elle va devoir beaucoup courir pour tenter d’échapper à cette future star de la littérature d’horreur.

« Un clown dans un champ de maïs », Adam Cesare, Sonatine, 20,90 €

lundi 5 juin 2023

Poches - Olivia Ruiz raconte Carmen dans "Ecoute la pluie tomber"


Escota quand plóu
en occitan, Écoute la pluie tomber en français, tel est le titre du second roman d’Olivia Ruiz. L’Audoise, après le succès fulgurant de son premier livre témoignage, la commode aux tiroirs de couleur, prolonge l’histoire romancée des femmes de sa famille. On retrouve Rita, le café de Marseillette mais surtout Carmen, personnage central de cette histoire qui va de Narbonne aux environs de Madrid, parle de danse, de tauromachie, de traversée de l’Atlantique en paquebot et de mort prématurée. Carmen, une de sœurs Ruiz, est la plus libre. Elle se rend utile en nettoyant l’hôtel-restaurant de Marseillette, et profite de la vie en se donnant aux garçons de la région. Une féministe indépendante avant la lettre. Pas forcément heureuse de son sort, mais trop humaine pour rejeter cette vie familiale.

« Ce café c’est aussi le mien. C’est là que j’ai commencé à dévorer la vie avec mon appétit d’ogresse. […] J’essaie de m’en extraire, mais il est irrésistible, ce café, avec sa galerie de gueules cassées. Ce sont des figures. Des atypiques. Des authentiques. Chargés de leur terre, d’une histoire. Et riches des enseignements qu’elles leur ont laissés. »

Il y a donc toute une partie sur cette Aude si attachante dans le roman. Mais la vie de Carmen bascule quand un matador madrilène fait étape à l’hôtel. Elle partira avec lui, vivre quelques mois dans son hacienda où il forme des jeunes, élève des toros… et trafique avec la mafia. Elle finira en prison. Pas facile les geôles pour femmes sous Franco. C’est la partie dure du roman, même si Carmen en ressort radicalement changée :

« J’ai beaucoup lu. Moi qui suis peu causante et qui ne m’intéressais à rien ni personne, ça m’a permis de rester en vie. De ne pas céder aux idées noires qui m’envahissaient. »

Ensuite, à son retour à Marseillette, Carmen va retrouver le petit Escouto. Un gitan, quasiment muet qui ne sait dire que « Escota quand plóu » d’où son surnom, qui a longtemps travaillé sur un paquebot. Malgré la différence d’âge, c’est une belle histoire d’amour qui se noue avec Carmen. Une note d’espoir dans un roman plein de bruit, de fureur et de passion.

« Écoute la pluie tomber » d’Olivia Ruiz, Le Livre de Poche, 7,70 €

dimanche 4 juin 2023

Science-fiction - Pluies d’acide dans « Les profondeurs de Vénus »

Grande saga signée Derek Künsken, le roman de science-fiction « Les profondeurs de Vénus » raconte la colonisation de cette planète très inhospitalière du système solaire par des colons québécois très débrouillards.


Mieux vaut retenir sa respiration quand on s’immerge dans ce roman signé du canadien Derek Künsken. Le voyage proposé dans l’atmosphère de Vénus est dépaysant et très dangereux. S’il est impossible de vivre sur la surface de cette planète brûlante, il existe une petite zone dans l’atmosphère propice au développement d’habitats autonomes. Mais attention de ne pas tomber trop bas, au milieu des tempêtes et des pluies d’acide sulfurique.
Délaissée par les grandes puissances terriennes pour son manque de ressource minière, Vénus a pourtant été colonisée par une petite communauté de Québécois. De rudes artisans, rois de la débrouille, capables de survivre malgré un danger omniprésent et l’absence de ressources propres. Au-dessus des nuages toxiques, on trouve les grands habitats de la Colonie, avec gouvernement et présidente autoritaire. Même si son pouvoir n’est que virtuel, les vrais maîtres ce sont les banquiers qui ont prêté les devises pour construire les immenses dirigeables qui permettent aux quelques milliers de Vénusiens d’envisager un avenir radieux.

La fronde des Coureurs des Vents 

Mais il y a aussi les Coureurs des vents, sorte de descendants des Coureurs des bois, braconniers et contrebandiers du temps de la découverte du Canada. Des familles qui vivent plus bas, dans des conditions extrêmes. Au milieu de pluies acides, ils ne doivent leur survie qu’à des combinaisons ultrarésistantes et aussi à leur capacité à domestiquer des chalutiers, sortes de grosses plantes flottantes qui se nourrissent de l’électricité des orages. Les colons peuvent capturer puis aménager ces organismes pour y vivre à l’intérieur, à l’abri.
Le roman raconte comment la famille d’Aquilon survit dans cet enfer. Il y a le père, fier et têtu, le fils, Pascal, ingénieur et très intelligent, Jean-Eudes, l’aîné, trisomique, et Alexis, le petit-fils encore gamin. Alexis a perdu ses parents. Morte également la mère, épouse du père, victime de l’intransigeance de Vénus.
Deux autres enfants ont quitté les profondeurs de l’atmosphère de Vénus, Émile, en violent désaccord avec son père et Marthe, la plus intelligente, chargée de représenter la famille au Parlement de la colonie.

Entre vénération et haine de Vénus 

Une fois que l’on a bien compris comment survivre dans cet environnement, l’auteur déploie son intrigue principale : les d’Aquilon découvrent à la surface de Vénus un véritable trésor qui pourrait changer la face de l’Humanité. Le roman prend des airs de space-opéra mais aussi de traquenard politique car la Colonie et surtout les banques risquent de s’accaparer du trésor. Classique duel entre les petits, intègres et solidaires contre les gros, manipulateurs, menteurs et procéduriers, cette partie du roman reste pourtant tout aussi passionnante que les plongées dans les nuages d’acide.
Reste la relation entre les colons et Vénus. Une passion qui vire parfois à la haine ou la folie, au point de faire des expériences très dangereuses : « Vénus les toucha de ses doigts les plus froids et les plus fantomatiques. Il ne pouvait pas reprendre une respiration, pas une vraie, mais il pouvait goûter Vénus, refermer les lèvres sur l’atmosphère à panteler qu’elle offrait. Ses nuages arides avaient un goût de soufre amer, de sel mordant et de stérilité éventée, plus secs que tout ce avec quoi il avait été en contact. »
Première partie d’un diptyque, Les profondeurs de Vénus, au-delà du volet spatial et colonisation du système solaire, est aussi le portrait d’une famille forte, avec des individualités attachantes. Marthe séduit grâce à sa diplomatie, sa vision de l’avenir et son sens du sacrifice. Et puis il y a Pascal, adolescent de 16 ans, découvrant l’amour tout en se posant des questions existentielles sur son apparence, son genre. Une modernité de bon aloi dans ce futur proche où la survie n’empêche pas de s’interroger sur ses aspirations profondes.
 

« Les profondeurs de Vénus » de Derek Künsken, Albin Michel, 24,90 €

samedi 3 juin 2023

BD - Trois récits, trois exils


Jordan Mechner aussi a fait autre chose avant de se consacrer entièrement à la bande dessinée. Cet Américain a notamment créé le jeu vidéo Prince of Persia. Installé à Montpellier depuis quelques années, il ne se consacre plus qu’à la BD, signant de nombreux scénarios et ce premier album, Replay, gros roman graphique de 320 pages en bichromie. 

Sous-titré « Mémoires d’une famille », il s’agit de la biographie croisée de son grand-père, de son père et en partie de sa propre vie. Avec un point commun : l’exil. La famille Mechner, d’origine juive, a subi de plein fouet, les soubresauts de l’Histoire européenne du XXe siècle. Jordan, pour raconter cette saga, a récupéré les mémoires de son grand-père, Bubi Mechner.

Ce médecin autrichien, installé à Vienne, a vu arriver le pire en 1938. Il a fait le nécessaire pour que sa famille soit mise à l’abri. Lui parvient à obtenir un visa pour Cuba. Mais au dernier moment, il s’embarque seul, laisse son fils, Franzi, 9 ans, le futur père de Jordan, à Paris aux bons soins de sa tante, Lisa. Séparé de sa mère (restée à Vienne) et de son père (réfugié à Cuba), Franzi va voir l’arrivée des Allemands en France, subir les bombardements, souffrir de la faim pour finalement quitter la France juste avant la mise en place de la politique de déportation massive des Juifs par le gouvernement de Pétain.

En parallèle à ce récit, le plus poignant, Jordan Mechner se raconte, comment il a imaginé son jeu vidéo vedette et pourquoi, quelques années plus tard, avec ses deux enfants adolescents, il repart de zéro à Montpellier, dans cette France qui a marqué son père.
Le schéma narratif, s’appuyant sur un code couleur pour les différentes époques, est d’une grande fluidité. On passe du présent au passé avec facilité. Les dessins, juste ce qu’il faut de réalistes, permettent aussi de faire accepter les scènes les plus dures. Un grand livre, une belle réussite, que l’on devrait faire lire dans les lycées français pour que les jeunes de notre époque comprennent un peu mieux cette période historique nationale parfois juste survolée en cours quand elle n’est pas dénaturée comme le constate, horrifiée, Jane, la fille de Jordan Mechner, en classe avec un prof révisionniste.

« Replay », Delcourt, 29,95 €

vendredi 2 juin 2023

BD - La vie de famille autour de Grand Louis


Louis est dessinateur. Il travaille à la maison et peut ainsi s’occuper de ses trois enfants. La maman, enseignante, est beaucoup moins présente. A son grand regret souvent car Louis est loin d’être un papa strict. Il aurait tendance à être un peu trop cool avec les deux plus grands, Merlin, le garçon aux cheveux longs et Alma, adorable fillette aux couettes blondes. 

La dernière, Monelle, est encore au temps des couches mais commence à parler et sait marcher.
Dans leur appartement parisien, ils découvrent tout à coup une souris. Mais pire, un marcassin traverse le salon et va se cacher dans le placard de la chambre des enfants. Rebaptisé Porcinet par ces derniers, il est rapidement adopté car dans la ville c’est une invasion d’animaux sauvage qui déferle. Sans raison aucune, sangliers, cerfs, lynx et même loups errent dans les rues, transformant Paris en vaste zoo… sans cage. La population est confinée, les animaux pourchassés.


Sur cette situation de fiction, Louis de la Taille a greffé la vie de sa famille, avec tensions entre sa femme et lui (à propos des animaux sauvages, justement), confinement des enfants (les rues devenant dangereuses, les écoles ferment). Dans ce bazar incompréhensible, la question récurrente reste « que va devenir Porcinet ? » Les enfants ont une solution : autant aller à la campagne chez Papi, là où il y a un jardin et de la nourriture à volonté.
Un dangereux périple pour toute la famille, raconté avec poésie par un auteur qui maîtrise parfaitement son sujet bien que cela soit son premier album. 

Moins étonnant quand on sait que cela fait plusieurs années qu’il travaille dans le secteur de l’animation, notamment sur l’adaptation de Aya de Yapougon ou 50 nuances de Grecs.

« Grand Louis », Dupuis, 15,50 €

jeudi 1 juin 2023

Roman - Mylène Desclaux analyse l'amour maternel


"Dans la famille Desclaux, je veux la fille." 
Jouer aux 7 familles a longtemps été impossible chez les Desclaux, célèbre dynastie de Collioure. Car en près d'un siècle, il n'y a eu qu'une seule et unique fille : Mylène. C'est sans doute la raison qui a conduit l'ancienne entrepreneuse reconvertie en écrivain à prendre comme sujet central de son premier roman les relations compliquées entre une mère et sa fille adolescente.

Écrit à la première personne, Gala et moi est la vision fraîche et amusante des déboires d'Andréa, une mère solo de 50 ans, dépassée par les multiples lubies et écarts de sa fille, Gala, 14 ans. Un roman en partie inspiré de la véritable vie de l'autrice, qui a longtemps été publicitaire à Paris et a élevé ses enfants seule. Souhaitons simplement que ses rejetons n'aient pas fait autant de "bêtises" que la Gala du roman.

Autopsie de l'amour maternel

Un roman qui débute en Californie. Andréa, pour se rapprocher de sa fille en pleine crise adolescente, décide de passer une semaine de vacances découverte. Mais dès le premier jour, dans la voiture de location, c'est la soupe à la grimace. Gala veut conduire. Or elle n'a pas l'âge et pas de permis. Le ton monte et la mère craque. Car Gala a une propension affirmée pour faire exploser sa mère. Après une incroyable péripétie (le roman est parfois très mouvementé et plein de suspense), les vacances redeviennent presque reposantes. Mais de retour à Paris, Andréa doit gérer les errements de sa fille au collège catholique sélect où elle poursuit laborieusement ses études. Le début d'un engrenage fatal pour les nerfs d'une maman de plus ne plus au bord de la crise. 

Ce roman, le premier de Mylène Desclaux qui avait publié en 2018, déjà chez Lattès, un essai sur Les jeunes femmes de 50 ans, propose le portrait de deux femmes modernes. La mère, sortie d'une éducation patriarcale, tient à son indépendance, sa réussite professionnelle et sa liberté d'aimer. La seconde, jeune pousse pleine de certitudes, semble une caricature de ces adolescentes trop intelligentes, un peu séductrices, beaucoup manipulatrices. Mais tout aussi attachée à son indépendance et sa liberté que maman. Comment de dépêtrer de cette liaison presque toxique ? Car "l'amour maternel est quelque chose d'indulgent, d'éternel et de complètement tordu. Il est lié à cette acceptation immanente d'endurer à nouveau sa propre enfance, en changeant de rôle."

Souvent comique (l'histoire du tatouage ou de l'usurpation d'identité d'une photographe en vogue), le texte permet aussi à Mylène Desclaux de distiller l'air de rien quelques conseils aux mères face aux jeunes filles rebelles. 

"Gala et moi" de Mylène Desclaux, J.-C. Lattès, 283 pages, 20,90 €