La guerre de Jean-Claude Servan-Schreiber a duré 6 ans. De la débâcle à la Libération, parcours d'un Français d'exception sous la plume d'Andréï Makine.
Tout commence après la publication du livre « Cette France qu'on oublie d'aimer ». Dans cet essai, Andréï Makine, Russe écrivant en français, s'indigne de la perte de certains repères dans son pays d'adoption. Dans tout le courrier reçu, Andréï Makine remarque la lettre de Jean-Claude Servan-Schreiber, 88 ans, « médaille militaire à Dunkerque en 1940, débarqué le 16 août 1944 à La Nartelle à la tête de mon peloton de chars et terminé en Bavière à la frontière autrichienne en mai 1945. » Le lecteur invite l'écrivain à partager un whisky et termine sa missive par cette formule : « Je suis petit-fils de juifs allemands immigrés en 1877, et fier de m'être battu pour mon beau pays. » Cette rencontre a eu lieu. Le courant est passé entre les deux hommes. Ce livre en est la plus belle preuve.
Le lieutenant Schreiber a tout du personnage de roman. A peine âgé de 20 ans, il est aux premières loges quand les Allemands foncent sur la France. Il se battra, risquera souvent sa vie pour tenter de faire passer les ordres d'unités en unités. Sur sa moto, il sillonne le front, passant parfois derrière les lignes ennemies. Il ne sera que blessé alors que nombre de ses compagnons d'armes perdront la vie.
Antisémitisme
Arrive alors l'événement qui va bouleverser sa vie. Converti au catholicisme mais d'origine juive, il est exclu de l'armée française. Une injustice qui le poussera à quitter le pays et rejoindre les forces libres en Afrique du Nord, après un long passage en prison en Espagne. Ensuite il libèrera ce pays qu'il aime tant.
Entre le vieil homme et l'écrivain, une complicité s'instaure. Et le romancier de trouver trop injuste que cet homme, qui s'est battu durant 6 années, tombe dans l'oubli. Il lui glisse l'idée de raconter sa guerre, sa vie. Une bonne partie du livre raconte les difficultés quasi insurmontables qu'ils doivent affronter pour que le livre soit édité. Dans ces années 2000, la vie d'un soldat ne semble plus intéresser personne. D'un patriote encore moins. Et quand enfin l'autobiographie du Lieutenant Schreiber est disponible en librairie, c'est pour passer totalement inaperçue entre des romans estivaux et les considérations footballistiques de la coupe du Monde...
Paradoxalement, c'est Andréï Makine qui vit le plus mal cet échec. Il ne supporte pas cette indifférence. Et c'est certainement pour cela qu'il a décidé de le raconter dans ce livre. L'occasion de donner une nouvelle fois la parole au lieutenant Schreiber si clairvoyant quand il parle de la guerre : « La guerre est un sacré condensé du monde. La mort, l'instinct de survie, la haine, l'amour, la chair, l'esprit – le soldat a la chance de sonder tout cela jusqu'au fond et en très peu de temps. Et s'il n'est pas idiot, il apprend des choses essentielles ! » Encore une fois, merci à Andréï Makine de permettre à ce militaire français d'exception de sortir de l'oubli. Que ces leçons ne se perdent jamais dans les méandres de l'édition.
Michel Litout
« Le pays du lieutenant Schreiber », Andréï Makine, Grasset, 17 €
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