Denise, 22 ans, cherche à mieux connaître son père. Un acteur, mort à 40 ans après avoir brûlé sa vie et oublié de s'intéresser à sa petite fille.
Découpé en trois parties égales, le roman « Les Patriarches » d'Anne Berest, est une étude clinique sur la quête d'une jeune fille mal dans sa peau, taraudée par des souvenirs enfuis. Obstinément, elle cherche à savoir où son père a passé l'année 1985. Et pourquoi personne ne veut lui parler de ce qui s'est passé après son retour. Roman sur les secrets, les non-dits et l'oubli, on ne sort pas indemne de ce texte parfois très dur.
Denise, le personnage pivot de ce roman, est dans un premier temps très attendrissante. Âgée de 22 ans, elle va devenir, durant un mois, l'assistante d'un photographe huppé. Il a pour projet de faire un tour de France des ronds-points. Denise est chargée de conduire la voiture, assurer l'intendance, enregistrer les considérations du maître et transmettre, au quotidien, la bonne parole à la maison d'édition qui mettra le tout au propre pour en faire un de ces beaux livres si plaisants à offrir aux fêtes de fin d'années.
Touchante, Denise tente tant bien que mal de satisfaire les caprices de la star. Durant cinquante pages, ce duo sur les routes ferait presque rire le lecteur. Mais Anne Berest, dans son roman, n'accorde que peu de respiration à Denise. La jeune fille, provinciale, profite de sa présence à Paris pour rencontrer Gérard Rambert. Ce dandy, un peu galeriste et marchand d'art, serait le seul à avoir croisé le chemin de Patrice Maisse en 1985, le père de Denise. Elle l'interroge, enregistre la conversation et par erreur envoie la bande à la maison d'édition. Virée avec pertes et fracas, Denise décide de profiter de son temps libre forcé pour relancer Rambert. Un autre face-à-face se met en place, beaucoup plus tendu et lourd de secrets.
Icône transgenre
Tout en dévoilant quelques pans de la vie de Denise, en conflit avec sa mère, dominée par son frère, Anne Berest raconte la vie de bohème de Patrice Maisse, acteur génial à la carrière aussi courte que foudroyante. Pour son premier film, en 1979, il a fait la une des Cahiers du cinéma : « on peut y admirer le torse nu d'un jeune homme à qui l'on donnerait treize comme vingt ans. Beau, mais d'une lumière froide et silencieuse, il surgit d'un buisson, dans sa main droite levée on distingue un animal mort. » A l'intérieur, les critiques lui tressent des louanges : « Patrice Maisse, érigé au rang d’icône transgenre, était déclaré capable de balayer par sa mutique fantaisie, toutes les idoles caricaturales d'une jeunesse lénifiée par le changement de décennie. » En réalité, Patrice est rapidement tombé dans la drogue. Carrière interrompue, il délaisse sa famille et survit en devenant l'amant de riches excentriques.
Reste l'énigme de l'année 1985. Elle est racontée dans la troisième partie. C'est dans un centre de désintoxication du Patriarche qu'il a rencontré Gérard Rambert. Le roman prend alors un air de documentaire, décrivant sans concession le dur sevrage, l'endoctrinement et les dérives de l'association créée par Lucien Engelmajer. Les dernières pages donnent les clés du roman. Pourquoi tout le monde cachait à Denise cette période de la vie de son père. De la sienne aussi. Elle avait 6 ans.
Michel LITOUT
« Les Patriarches », Anne Berest, Grasset, 18,50 € (Photo Jérôme Bonnet)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire