Dans ce polar ténébreux de Claude Bathany se déroulant dans une ferme en Bretagne, ce qui reste d'une famille tente de survivre à l'infamie du père.
Cela aurait pu s'appeler « Bienvenue chez les frenchy freaks ». Ce roman de Claude Bathany est avant tout une galerie de personnages tous plus barrés les uns que les autres. Et tous de la même famille, vivant ensemble dans un grand corps de ferme entre pâturages, vaches laitières et clapiers à lapins. Il fut un temps où il faisait bon vivre dans ce petit coin préservé. Quand le père, Etienne Argol, ancienne vedette de la chanson française s'était retiré sur ces terres pour y élever, en compagnie de sa femme, sa petite tribu : deux garçons, une fille et des jumeaux. Mais un jour, la star est tombée de son piédestal. Depuis la ferme est devenue « le trou du cul du monde », une sorte de lieu malsain où régulièrement des malades viennent voir l'endroit où vivait le « monstre ». Etienne Argol a été retrouvé pendu. Avec un bref mot manuscrit. Il s'accusait d'avoir enlevé et tué plusieurs enfants de la région. La dernière victime étant sa propre fille, la jumelle de Lucas.
Le texte est présenté sous forme de longs monologues de chaque personnages. Les membres de la famille Argol mais également les autres protagonistes de l'affaire, vieille de quelques années. Premier à entrer en scène, Dany. C'est le playboy, celui qui tient le plus de son père qui fut en son temps un grand coureur de jupons. Dany qui a décidé de relancer l'exploitation agricole. Il passe donc ses journées à s'occuper de ses vaches laitières. Le soir, il va culbuter les bourgeoises qui savent toutes qu'elles ne seront pas déçues.
Lucas et sa marionnette
L'aîné, Jean-Bruno, est un ancien boxeur. Il continue à s'entraîner sur le ring placé au milieu de la grange. Malgré le souvenir. C'est là qu'ils ont découvert leur père, pendu à une poutre. Jean-Bruno qui s'est lancé dans une grande tâche : édifier un mur tout autour de la propriété. Un mur pour le protéger des autres, de l'extérieur. Lucas, le plus jeune, est limite mongolien. Il a complètement viré schizophrène après la mort de sa sœur jumelle. Il l'a remplacée par une marionnette, Olive, qu'il a presque en permanence sur la main. C'est elle qui s'exprime à sa place. Olive, marionnette apaisante. Quand Lucas l'abandonne (notamment quand elle a ses règles...), il peut rapidement partir en vrille. Mieux vaut l'éloigner des armes à feu et des fillettes.
Enfin il y a Cécile. La seule fille de la maison. Grosse, lesbienne, passionnée par les armes à feu : elle semble en guerre contre tout le monde, notamment les tarés qui lui servent de famille. Elle est caissière dans une supérette, rêve de partir, loin. Mais elle est surtout lucide, très lucide : « Accepter sa laideur, c'est souvent une force, on peut mourir sans regret parce qu'on a un avantage sur les autres : on sait qu'on n'est qu'une bête. » Pour compléter le tout, cerise sur le gâteau, il y a la mère. Atteinte d'Alzheimer, elle passe ses journées à chasser les mouches, regarder la télé sans le son et se faire sur elle. La corvée de couches, à tour de rôle, est ce qui est le mieux partagé entre ses rejetons.
Cette galerie de portraits hallucinante, l'auteur nous la distille par touches subtiles. De l'incrédulité, on passe rapidement à l'effroi puis à la pitié. Ce petit coin de Bretagne survit comme il peut, dans la routine, dans le souvenir de l'horreur. Tout change quand Lucas ramène à la maison Flora, une jeune routarde qui semble égarée. Mais Flora n'est pas là par hasard. Dany puis Cécile vont se casser les dents dans leurs tentatives de séduction. C'est tout autre chose que Flora recherche : la vérité dans cette affaire qui paraissait un peu trop évidente à l'époque.
Ce roman policier hors normes, dérangeant, loin des sentiers battus ne vous décevra pas si vous êtes lassé par le politiquement correct. Même la fin imaginée par Claude Bathany aura ce goût amer, si caractéristique de la triste réalité.
« Country Blues », Claude Bathany, Métailié Noir, 8 €
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