jeudi 4 février 2010

Roman - Dérive africaine

Un bateau de croisière sur un fleuve africain est capturé par des rebelles. Une prise d'otages sur fond de confrontation de civilisations.

Tourisme et exotisme. Tel était le programme de cette croisière à bord du Katarina sur un fleuve africain. Le luxueux bateau embarque dans ses cabines un groupe de riches occidentaux. Toute une palette représentative de ce monde aux certitudes bien ancrées. Il y a des Américaines, « deux bigotes évangélistes », Nagimpaul, un écrivain alcoolique, provocateur et obèse, deux Italiennes douces et charmantes, Louis, un ami du narrateur, le docteur Saulnier, Marie, la femme de compagnie d'un vieillard qui se meurt dans le lit de sa cabine, Dasqueneuil, « homme gras et rougeaud » au « verbe haut ». Et puis le narrateur. Un journaliste et cinéaste qui ne fait pas du tourisme mais des repérages pour un film qu'il compte réaliser sur une région particulière de ce pays à la faune riche et typique.

La croisière suit son cours, lentement, rythmée par les repas et les soirées au bar. Mais déjà les premiers signes du bouleversement à venir apparaissent. Il est de plus en plus question de Elimane Ba, le chef de la rébellion. Une révolte qui prend un peu plus de réalité quand les touristes apprennent dans un texto : « Ils ont pris la télévision ».

Enfants soldats

Mais tout le monde n'a pas la même perception de la réalité. Alors que certains commencent à s'inquiéter, d'autres n'ont qu'un but : profiter de leur coûteuse croisière. C'est le cas de Nagimpaul découvrant, gourmand, que trois belles et jeunes autochtones ont réussi à monter à bord. Elles sont entrées « dans la salle à manger du bateau avec leurs airs candides, leurs jupes satinées moulantes et leur démarche vacillante à cause des chaussures à talons aiguilles ». Un petit scandale qui offusque les Américaines et les Italiennes. Le lendemain, le brouhaha est encore plus grand quand on découvre dans la cabine de Nagimpaul une des Africaines, nue et morte. L'écrivain, lui, cuve ses alcools forts dans un fauteuil du solarium.


Ce fait divers sordide vient encore plus plomber l'ambiance. Le bateau a sauté une escale, pour raison de sécurité, et quelques heures plus tard un groupe armé parvient à monter à bord et à s'emparer du navire. Les touristes deviennent otages... Le narrateur explique parfaitement le changement d'état d'esprit : « Jusque-là je m'étais senti protégé par un sentiment d'irréalité, d'incrédulité, l'idée, la relative certitude que notre statut d'étranger nous garantissait à jamais contre les périls, les fléaux, les guerres. Mais écrasé contre le métal graisseux avec au-dessus de moi le bourdon du haut-parleur, je découvrais que ma vie ne tenait à presque rien : une rafale de fusil-mitrailleur, un doigt d'enfant sur une gâchette. »

Le roman de François Emmanuel raconte ces huit jours particuliers. Comme un condensé de toutes les émotions possibles dans une existence. Certains ne s'en sortiront pas, d'autres auront la chance de survivre. Le narrateur, avec sa caméra, deviendra un témoin privilégié de l'histoire en mouvement. Loin du thriller à l'américaine au rythme échevelé et au suspense allant crescendo, le texte de cet écrivain belge ayant déjà signé une quinzaine d'ouvrages est dense, cérébral, introspectif. Il ne décrit pas l'action mais nous laisse la deviner. Comme un hommage à cette malédiction africaine entre fatalisme et résignation.

« Jours de tremblement », François Emmanuel, Seuil, 16 € (Photo John Foley)

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