mercredi 30 avril 2025

BD - Coup de foudre improbable dans le nouveau monde d'Ales Kot et Tradd Moore

La science-fiction n'empêche pas les sentiments. Dans un futur apocalyptique, Ales Kot et Tradd Moore racontent un coup de foudre aussi bizarre qu'improbable. Mais avant de faire connaissance avec les nouveaux Roméo et Juliette de la Nouvelle Californie, petit rappel de la situation. En 2037, plusieurs bombes atomiques ont pulvérisé simultanément les grandes agglomérations américaines. Le pays est en ruines. 

Une guerre civile se déclenche, les USA se partagent en plusieurs zones plus ou moins indépendantes et sûres. La Nouvelle Californie s'en tire le mieux. Grâce à un mur qui assure sa sécurité au Sud. Mais c'est au prix d'une politique implacable. Toute infraction est punie par les Gardiens, des flics surarmés qui officient en direct à la télévision. La nouvelle téléréalité qui se transforme en tribunal populaire, le coupable, une fois capturé, est au centre d'un dernier sondage où les téléspectateurs se transforment en juges. Deux choix : épargner ou supprimer. La mort en direct. 

Parmi les Gardiens, Stella Marris est la plus célèbre. Une jeune femme, petite fille du président, qui a la particularité de toujours épargner ses prisonniers, même si le public réclame la mort. Un état policier combattu par quelques idéalistes dont Kirby, fils d'un vétéran, hacker de génie. La flic et l'anarchiste. La rencontre est torride. Et comme Kirby est désigné ennemi public numéro 1, Stella doit choisir entre l'ordre et l'amour. 

Une incroyable cavale, dans ce pays qui a tout l'air d'être sorti de l'esprit tordu de Trump, alimente ce comics au dessin très original, tout en courbes et plein de couleurs, de Tradd Moore. Le côté fleur bleue est peut-être un peu trop présent, mais les amateurs de combats, duels et grosses bastons ainsi que les purs et durs en matière de science-fiction qui pousse à la réflexion en auront quand même pour leur argent.    

"The new world", Hi Graphics, 176 pages, 24,95 €

vendredi 25 avril 2025

BD - A la recherche de son totem


Ernesto ne sait pas grand chose de son passé. Ce gamin vit avec sa mère aux USA depuis qu'elle est mariée à un riche Blanc, aux affaires sulfureuses. Ernesto voudrait qu'elle lui raconte ses premières années en Haïti. Elle refuse, pour le protéger, le ménager. Son beau-père par contre a décidé de transformer cet enfant de 13 ans en homme. Il décide de l'amener avec lui à Cuba où il fait des affaires. Affaires louches avec le dictateur au pouvoir et la mafia. Alors Ernesto découvre La Havane la nuit, les petites frappes, la police corrompue, les rumeurs sur les Barbudos, ces révolutionnaires cachés dans la montagne. Un gamin abandonné dans une immense villa face à la mer, avec pour seule compagnie une petite tortue et une gouvernante. Cette femme est une activiste révolutionnaire. Elle profite de son poste pour voler des milliers de dollars au beau-père d'Ernesto. 

Cette BD, entre politique, histoire et fantastique, est écrite par Charlotte Girard et Jean-Marie Omont. Dessinée par Grégory Charlet, elle devient quasi mystique quand l'enfant rencontre une fillette farouche. C'est avec elle qu'il va aller dans des grottes pour trouver quel est son animal totem. Un récit puissant illustré par un trait de toute beauté.  

"L'île crocodile" (tome 1), Métamorphose, 88 pages, 18,50 €

jeudi 24 avril 2025

BD - Se sentir vivre... au moins "Dix secondes"

Trouver sa place, avoir un but, se forger un avenir. Des actions essentielles pour tout être humain qui se respecte. Sauf peut-être pour Marco, grand adolescent belge traînant son ennui chronique dans la province wallonne. Marco n'est pourtant pas malheureux. Il a une famille, des amis, craque parfois pour une fille, n'est pas trop mauvais en classe. Mais il lui manque ce petit quelque chose qui nous pousse à nous lever le matin. Alors il tente des expériences. Aime ce qui est interdit. Fumer des joints, tester de nouvelles drogues, boire à tomber par terre... 

Max de Radiguès, auteur devenu incontournable dans la nouvelle BD belge indépendante, a proposé ce roman graphique sous forme de feuilleton dans un fanzine. Une fois bouclé, il est logiquement édité chez Casterman, sa maison d'édition grand public de prédilection. L’occasion pour l'auteur de raconter une partie de sa jeunesse : scooter, nuit dans les bois ou les champs, école buissonnière et autres petites bêtises. 


En lisant les non-aventures de Marco, on a parfois envie de le secouer. Lui dire entre quatre yeux d'arrêter ses dérives. Qu'il risque gros. Que la vie vaut le coup, même si elle n'est pas aussi palpitante qu'un jeu vidéo. Marco, tête à claques, qui semble totalement imperméable à tous ces avertissements. Venant de ses potes ou de la jolie Zoé. Et puis il trouve enfin un dérivatif qui lui donne l'impression d'être vivant. Le jeu des dix secondes... 

Ce roman graphique est une chronique authentique, un peu nostalgique, très amère.  

"Dix secondes", Casterman, 120 pages, 22 €

mercredi 23 avril 2025

Roman – Moments de flottement

Paru l'an dernier aux USA, ce roman de Jessica Anthony semble pourtant écrit au moment des faits, à la fin des années 50, alors que les Russes viennent de lancer leur premier Spoutnik dans l'espace et que les Américains tentent de profiter de la vie après une longue guerre et malgré la « menace rouge ». Kathleen et Virgil Beckett est le couple témoin de ces USA triomphants. 

Il gagne bien sa vie, elle s'occupe de leurs deux enfants. Ils vivent dans un bel appartement d'une résidence avec piscine. Mais un dimanche de novembre, sous un timide soleil, Kathleen décide d'aller profiter de la piscine. Elle plonge, nage, farniente et n'en sort plus de la journée. Sur ce simple petit événement, l'autrice décortique la vie du couple. On découvre les doutes de Virgil, son immobilisme et conformisme. 

Puis on plonge dans les frustrations de Kathleen, femme se sentant de plus en plus enfermée dans un rôle, trouvant dans cette piscine l'occasion de sortir des rails, d'en faire une scène pour les plus grand plaisir des autres habitants de la résidence. 

Un roman amer sur ces moments de flottement que l'on affronte forcément au cours de notre vie. 

« Nage libre » de Jessica Anthony, Le Cherche Midi, 144 pages, 18 €

mardi 22 avril 2025

BD - L'enfance simple et enchantée du petit Nekomaki


Un chat, un canard, la passion des trains, un papa joueur, une maman attentionnée : l'enfance de Nekomaki dans la campagne japonaise dans les années 70 a tout du conte de fées. Même s'il n'y a rien de magique dans ce quotidien d'un gamin âgé de 7 ou 8  ans. Ce récit, constitué de petites histoires, plonge le lecteur dans un Japon insoupçonnable. Celui des années 70, quand tout était encore simple. 

Ken a le sommeil lourd. Il dort le plus possible sur son futon, en compagnie de Momo, son gros chat, tendre, câlin et farceur. Un gros matou qui le suit comme un petit chien quand Ken part se promener le long des canaux, pas loin des rizières. Là, il joue avec des grenouilles, des scarabées ou à marcher comme un géant sur ses échasses fabriquées par son père avec des boites de conserves vides. Il aime aussi regarder passer les trains au loin. Il les connait tous, nom, horaires, type de locomotive. Une BD qui va vous réconcilier avec la vie familiale. 

Papa rentre parfois pompette du travail, mais il a souvent des cadeaux pour son fils. Il revient une fois avec une petite boule jaune. Un caneton qui grandira très vite (couvé par Momo qui finalement est une chatte et vient de donner naissance à trois adorables chatons). Le canard très dégourdi répond au nom de Mimosa. 

Le trio est constitué. Place à de grandes aventures dans ces 160 pages dessinées avec douceur et colorées dans des tons pastels  lumineux. Bref, c'est un bijou à offrir à toute personne encore capable de s'émouvoir pour les choses simples de la vie.   

"Mimosa, Momo et moi", Le Renard Doré, 160 pages en couleur, 12,90 €

lundi 21 avril 2025

Thriller – Dante et son enfer reviennent

L'âme pèse-t-elle véritablement 21 grammes ? Et où se cache-t-elle dans notre cerveau ? Deux questions parmi des dizaines qui émaillent ce thriller scientifico-mystique signé d'un maître du genre : Fabrice Papillon. Après « Aliénés », on retrouve la commissaire Louise Vernay au centre de cette enquête internationale qui va de Paris à Londres en passant par le Portugal ou Rome. De nombreux retours dans le passé permettent aussi aux lecteurs les moins savants de réviser les vies (et morts surtout) de quelques génies comme Einstein, Descartes ou Dante, justement. 

L'écrivain italien tient une place particulière au cœur de ce tsunami de menaces. Dans cette tension allant crescendo, Louise Vernay tente d'avancer à sa façon : sans mettre de gants. Ce flic très individualiste, limite borderline, est en pleine dépression. Son grand amour vient de mourir dans l'espace (relire « Aliénés ») et son petit frère, dans le coma depuis des années, est sur le point d'être « débranché ». Alors quand la fin du monde menace, elle n'y va pas avec des pincettes. 

Un thriller mené tambour battant, l'héroïne multipliant les difficultés. Mais comment va-t-elle s'en tirer ? 

« La conjuration de Dante », Fabrice Papillon, Points, 528 pages, 9,90 €

dimanche 20 avril 2025

BD - Les futurs angoissants de Koren Shadmi


L'évolution actuelle de la société vous inquiète ? Il risque pourtant y avoir pire. Comme dans les romans graphiques de Koren Shadmi parus récemment chez Marabulles. Un titre déjà connu, "Le voyageur" et un plus récent, "La passe visage". Des thématiques inquiétantes et assez angoissantes sur la fin du monde ou la prépondérance de la technologie dans nos existences d'humains si imparfaits. 


Dans "Le voyageur" on suit le périple d'un homme dans l'Amérique du futur. Il fait de l'auto-stop, semble chercher quelque chose, un but, une finalité. Il se lie avec plusieurs conducteurs. Se désespère de leur peu d'intelligence. Parfois il fait des mauvaises rencontres. Y laisse la vie. Enfin reste simplement mort quelques minutes. Car ce voyageur est immortel. Le but du voyage risque de nous faire cauchemarder...

L'autre album de Koren Shadmi disponible dans les librairies est très récent. "La passe visage" est une jeune comédienne. Rose court les cachets. Sans grand succès.

Alors elle accepte des boulots alimentaires. Elle se glisse dans différentes personnalités à la demande de clients qui veulent des véritables rencontres. De l'improvisation facilitée par son aspect physique. Car Rose a subi une intervention médicale qui lui permet de modifier les traits de son visage. A partir d'une simple photo, elle peut devenir sa cible. Épouse partie, fille morte trop jeune, mère irremplaçable : elle dîne avec ses clients, voire passe une soirée avec eux. Mais ce petit jeu de caméléon a l'inconvénient de chambouler la psyché de Rose qui ne sait plus trop qui elle est. A-t-elle même une propre personnalité ? 

Une réflexion fine et intelligente sur notre côté unique par un auteur à découvrir. Le tout dessiné dans un style très ligne claire, avec décors futuristes, ville dantesque et solitude imposée.   

"Le voyageur", "La passe visage", Koren Shadmi, Marabulles, 176 et 192 pages, 25 € chaque volume

samedi 19 avril 2025

Science-fiction – Le destin d'Elia

Surtout connue pour des comédies sentimentales, Marie Vareille, autrice française, a voulu diversifier ses écrits. Elle s'est donc lancée dans la rédaction d'une trilogie de science-fiction qui bénéficie d'une réédition au format poche, en trois volumes copieux qui vous assureront des heures de dépaysement. Dans un futur proche, la terre est ravagée après une guerre de cent ans. 

Ne reste que quelques survivants dans une société où les castes sont prépondérantes. Une élite, dominée par les passeurs d'âmes, a tous les pouvoirs et exploite la majorité. Elia, jeune fille rousse, est passeuse d'âmes. Son rôle dans ce monde inégalitaire : tuer les vieux, les faibles, les récalcitrants. Les passeurs d'âmes n'ont pas de sentiments. Pas de remords. Alors pourquoi Elia épargne Sol, jeune révolutionnaire ? Elia et Sol, un couple en devenir, qui va s'aimer, se déchirer, lutter ensemble ou l'un contre l'autre. Une histoire d'amour compliquée qui ne prend pas trop de place dans cette longue marche vers plus de justice et d'égalité. Un beau récit sur le prix à payer pour vivre libre. 

De la SF assez sombre, mais qui fera forcément réfléchir les adolescents et jeunes adultes, public privilégié de cette saga.   

« Elia, la passeuse d'âmes » (intégrale en trois volumes), PKJ, 450 pages, 8,10 €

vendredi 18 avril 2025

BD - "Somna", récits de cauchemars sortis de l'enfer


Durant de longs siècles, le sort des femmes dans les sociétés dites "civilisées" était tout sauf enviable. En plus de donner du plaisir aux hommes, elles étaient les porteuses de leur descendance. Sans oublier les contraintes de la vie quotidienne. Mais à une époque, cela ne suffisait pas. Le clergé a donc inventé des faits de sorcellerie, bonne occasion de se débarrasser sans trop de difficulté des rares individualités qui ne se contentaient pas de cette vie de misère. Un procès vite expédié et direct au bûcher !

"Somna", long récit graphique de Becky Clooman et Tula Lotay est l'histoire d'une de ces épouses qui ont eu le tort d'espérer. Dans un village anglais du XVIIe siècle, Ingrid est mariée au bailli, juge et bourreau faisant office de chef des inquisiteurs. 


Ce matin-là, elle refuse de l'accompagner à son travail. Pas étonnant, il a pour mission de tuer en place publique Greta, la femme du charpentier. Ingrid ne pourra cependant pas rater le cadavre de la malheureuse laissé une semaine au centre du village. Une image qui vient s'immiscer dans les cauchemars de la jeune femme. Des rêves où un homme sombre fait aussi de régulières apparitions. Il l'incite à se rebeller. L'entraîne vers le plaisir, la jouissance. Solitaire. Rêves érotiques qu'elle attribue à Satan. De là se prendre pour une sorcière elle aussi... Ce que ses voisins vont rapidement croire. 

Une belle histoire sur le véritable esclavage subi par les femmes. Un récit d'horreur, dessiné dans deux styles différents. Très réaliste pour les rêves, plus comics pour la réalité. L'oeuvre de deux femmes qui ont clairement choisi leur camp. Seul bémol, c'est un peu long et bavard. En d'autres temps (les années 80 par exemple, riches en BD de sorcellerie), un auteur pressé aurait condensé l'ensemble de l'histoire en dix pages.     

"Somna", Delcourt, 180 pages, 23,50 €

jeudi 17 avril 2025

Biographie – Olympe de Gouges, visionnaire


Longtemps oubliée par les historiens, Olympe de Gouges est revenue sur le devant de la Révolution française ces dernières années quand un certain féminisme a de plus en plus eu l'occasion de se faire entendre. Cette année, la révolutionnaire, première à revendiquer l'égalité entre hommes et femmes, était doublement dans l'actualité. D'abord grâce au film de Julie Gayet, tourné en Occitanie et diffusé sur France Télévisions. 

Ensuite par cette biographie signée Florence Lotterie et Elise Pavy-Guilbert, deux historiennes qui ont tenté de raconter le combat et la vie (brève) de cette Montalbanaise devenue célèbre à Paris. On apprend notamment qu'Olympe ne se battait pas que pour les femmes. Elle était aussi du côté de tous les exclus, en raison de leur précarité ou de leur couleur. Elle tenait salon et placardait des journaux dans les rues de la capitale. 

Rapidement elle s'est retrouvée enfermée, victime des purges. Une fin de vie entre quatre murs, malade mais digne. Jusqu'à ce 3 novembre 1793 où elle est exécutée en place publique. 

Moins romantique que le film ou les célébrations féministes, la vie de cette lanceuse d'alerte avant l'heure prouve que les convictions payent. Même s'il faut attendre quelques siècles.

« Olympe de Gouges, une femme dans la Révolution », Flammarion, 176 pages, 22 €

mercredi 16 avril 2025

Littérature fantastique - Les Cartographes chassent les erreurs

Experts en cartes anciennes, les Cartographes découvrent un secret caché derrière une banale erreur : certains villages imaginaires peuvent parfois devenir réels.


Qui n'a pas rêvé en parcourant une simple carte routière ? Imaginer des vies en découvrant des noms de village dont on ne connaissait pas l'existence ? Une carte, c'est le début du voyage, vers de nouveaux paysages, l'inconnu, des aventures, des rencontres. Tout un monde contenu dans une feuille de papier plié et parfois oubliée depuis des années au fond de la boîte à gants d'une voiture.

Peng Shepherd, jeune romancière américaine, a passé de longues heures à sillonner des contrées inconnues à l'aide de cartes. Des pays réels, d'autres imaginaires. Et son roman Les Cartographes débute exactement à l'intersection des deux, quand un village fictif, ajouté dans une véritable carte de l'Etat de New York en 1930, devient réel pour les détenteurs de la carte erronée. Un postulat particulièrement troublant pour les professionnels. Car une carte doit reproduire, à la perfection, le monde mesuré, étalonné et répertorié par ces fameux cartographes.

Pour rajouter un peu de fantastique dans ce monde cartésien, l'autrice raconte la vie passionnée de la famille Young. D'abord Tamara et Daniel, deux étudiants, amoureux, mariés et parents de Nell. Le roman débute le jour où Nell, la trentaine, apprend la mort de son père. Retrouvé sans vie dans son bureau de la New York Public Library, immense bibliothèque, au milieu de son bureau sans dessus dessous. Nell était brouillée avec son père. Depuis plusieurs années. Elle raconte comment la découverte dans les dons à classer d'une simple carte de l'état de New York imprimée en 1930 a provoqué l'ire du paternel. Une carte qu'elle retrouve dans le tiroir secret du bureau de Daniel Young. Cachette qu'elle seule connait.

Avec son ancien petit ami, Felix, et quelques amis du père, Nell va étudier la carte et découvrir sa particularité : un village fictif, Agloe, a été ajouté. Et si Agloe, village chimère destiné à tromper les copieurs, existait réellement dans une autre dimension ? Le roman, de saga policière et familiale, devient variation fantastique permettant à tout le monde de rêver encore dix fois plus en parcourant une carte. A la recherche de son propre village d'Agloe.

« Les Cartographes », Peng Shepherd, Le Livre de Poche, 640 pages, 10,90 €

mardi 15 avril 2025

Roman graphique - La vie vaut-elle le coup d'être prolongée ?

Étrange roman graphique que ce "Prolongement" signé Gwendal Le Bec chez Casterman. Dans un futur proche, alors que dérèglement climatique a transformé la Bretagne en région méditerranéenne particulièrement agréable, Camille et Gloria sont sur le point de fêter chacun leurs 80 ans. Un couple heureux, vivant dans une grande maison, avec piscine, océan à proximité et jardin potager. Mais quand ils sont ensemble, on croirait plutôt à une jeune femme avec son grand-père. Dans ce futur où le cancer se guérit aussi facilement qu'une grippe, la médecine a mis au point un protocole de "prolongement". Une semaine dans une clinique spécialisée, et vous ne vieillirez plus durant les cinq prochaines années. Gloria est adepte de la méthode depuis des décennies. Camille a toujours refusé. 

Il a donc 80 ans, est barbu et bedonnant, elle en fait à peine plus de 35. Ils s'aiment pourtant dans cette société où les riches semblent exonérés de tout problème. Cependant la fortune de Gloria n'est pas immortelle elle. Pour assurer son prochain prolongement, elle doit vendre un restaurant. Et très vite. C'est Camille qui va se charger de régler l'affaire car les acheteurs sont toujours contents quand "un petit vieux peut les amadouer avec des souvenirs", dixit Gloria.

L'intrigue du roman graphique (comment payer le prochain prolongement de Gloria) n'est qu'un prétexte pour détailler les vies de ces deux habitants du futur. Camille est nostalgique d'une certaine époque. Il rejette les nouveautés, délaisse la technologie pour regarder, à la télévision linéaire, des feuilletons qataris en compagnie de sa voisine, elle aussi non prolongée et à ses yeux plus désirable que sa presque jeune femme. Gloria, elle, profite de ces progrès, même si souvent elle en devient l'esclave. 

Le dessin, très simple, aux couleurs pastels, essentiellement des bleus et des roses, donne un côté encore plus irréaliste à l'ensemble. La fin étonnera le lecteur, mais cela semble être une des caractéristique du style de Gwendal Le Bec : dire sans crier, conclure sans artifice.  

"Le prolongement", Casterman, 208 pages 25 €

lundi 14 avril 2025

BD - Spa 1906 : qui en veut à la princesse Clémentine ?


Du polar historique tendance chronique royale. Spa 1906, seconde enquête du commissaire Ansor, écrite par Patrick Weber et dessinée par Olivier Wozniak passionnera les Belges et intriguera les Français. En effet comment, Républicains purs et durs, s'intéresser et surtout saisir toutes les subtilités des petites intrigues de la cour belge ? Reste une BD délicieusement rétro, avec les dessins d'un artiste qui a longtemps été un pilier des éditions Dupuis et un scénariste qui a quelques Alix et Lefranc à son palmarès. 

Après une première aventure à Ostende, la ville où il officie officiellement, le commissaire Ansor quitte les rives de la mer du Nord pour les paysages vallonnés des Ardennes. Il se rend à Spa à la demande de la princesse Clémentine. 

Cette dernière est au centre de l'intrigue. Elle serait victime d'un chantage. Mais reste très discrète. Et le commissaire n'est pas curieux. Il est des cercles qu'il ne faut pas froisser... Par contre il enquête dans le milieu des notables de la célèbre station thermale. Et se retrouve face à une inquiétante épidémie de suicides. Un mystérieux "Pierre le Grand" réclame de jolies sommes d'argent. Qui est-il ? Pourquoi s'en prendre à la princesse et aux bourgeois de la ville ? 

Ansor, avec sa bonhomie habituelle (il passe beaucoup de temps à table et ne crache pas sur un petit flirt avec les gentilles demoiselles qui rentrent à Bruxelles en train), va lentement mais sûrement découvrir le pot-aux-roses. 

On est emballé par la reconstitution du Spa des grandes heures et par les portraits criants de vérité des personnages secondaires. Enfin, pour ne pas mourir idiot, le scénariste Patrick Weber, propose en fin d'album un dossier didactique sur la princesse Clémentine, Spa et, d'une façon plus générale, la royauté en Belgique.       

"Spa 1906", Editions Anspach, 64 pages, 16,95 €

dimanche 13 avril 2025

Roman – Elle est trop sensible

Pour son troisième roman paru aux éditions du Rouergue en mars dernier, Damien Ribeiro, grand barbu vivant depuis quelques années dans les Pyrénées-Orientales, change de camp. Il ose se pencher sur le sort des femmes dans notre société où, selon les prétendus oppressés par la sororité triomphante, « on ne peut plus rien dire ». Et ils rajoutent souvent à destination de ces femmes qui osent protester « Taisez-vous ! ». 

Sandrine Maurin née Stievenard, un jour, a décidé de se faire entendre. Cette fille du Nord, passée par l'Aude où habitait son mari (le fameux Maurin, expert-comptable au ras des pâquerettes), vient de crever les yeux de la femme représentée par Rembrandt dans un tableau star (et excessivement cher) du Louvre-Lens. Avant de l'inculper, le juge d’instruction a besoin de l'avis d'un expert en art. Ce sera Pascal Berthomeau, l'autre personnage principal du roman. 

Un petit professeur en arts plastiques, sans talent, blessé depuis que Lucie, celle qu'il considère être la femme de sa vie, l'a largué. Pour oublier Lucie et tenter de comprendre le geste de Sandrine Maurin née Stievenard, il va se rendre à Port-l'Annonciade, dans l'Aude, puis à Amélie-les-Eaux dans les Pyrénées. Les lecteurs de la région reconnaîtront sans problème la cimenterie et les quais balayés par la Tramontane de Port la-Nouvelle et les hordes de curistes d’Amélie-le-Bains. 

C'est à proximité de la fameuse station thermale, dans la forêt, loin de toute civilisation et de ces ondes omniprésentes qui colonisent les esprits, en compagnie d'un footballeur récemment sorti de prison, que Sandrine a imaginé et réalisé ses premiers « nids », sortes de constructions primitives en branches dans la terre creusée. 

Un roman ample, beau et sans illusion. De ces textes qui, comme un uppercut inattendu, vous sèche sur place.   

« Electrosensibles », Damien Ribeiro, Le Rouergue, 240 pages, 21,50 €

samedi 12 avril 2025

Thriller - La glace et le feu

Alors que Trump espérait annexer le Groenland, ce thriller de Simon Mockler, inspiré de faits réels intervenus durant les années 60, prouve que la grande terre glacée est depuis longtemps un enjeu stratégique pour les USA. 

En pleine guerre froide, une base secrète, construite dans la glace du Groenland, abrite des missiles nucléaires. Quand elle est démantelée, les trois derniers militaires restés sur place sont victimes d'un accident. Deux sont morts dans les flammes d'un incendie, le troisième grièvement brûlé. Un survivant interrogé à Washington par le docteur Jack Miller, intermittent de la CIA, lui-même ancien militaire. Ce poche, paru initialement chez Belfond, est très cérébral dans sa première partie. Le psy tente de ne pas brusquer le grand brûlé. Découvrir s'il dit la vérité. Accident ou double meurtre ? 

La suite devient un véritable thriller d'espionnage, avec action et rebondissements. Passionnant et étonnant jusqu'à la dernière page.

« Projet Iceworm », 10/18, 408 pages, 9,50 €

vendredi 11 avril 2025

BD - Louve, la petite sœur qui gardait les moutons de son frère


Un pur bonheur, 200 pages en noir et blanc de beauté, de poésie et de tendresse. Le tome 1 de Louve, manga signé par Miyako Miiya est unique. on ne peut que tomber sous le charme de Ur et Juf, le petit berger et sa sœur. Ur vit dans une maison perdue près du Mont Gémissant. Une zone étrange, où d'étranges histoires circulent. Notamment qu'il abrite des bêtes sauvages et agressives. Un loup-garou notamment. Or il se trouve que Juf est très grande, couverte de poils noirs, a des yeux perçants et une grande gueule. Si Ur veut rester loin des hommes c'est pour protéger sa petite sœur de leur folie. 


Un berger, des moutons, une louve : étrange casting de cette BD composée de 9 histoires indépendantes avec à chaque fois un personnage secondaire en vedette. La plus mignonne est celle de Chibi le petit agneau. Un bébé découvrant la grande ville et ses dangers. La plus touchante est celle de Tétée la mémère. Tétée c'est la chienne de Ur. Une bonne gardienne. Mais qui se fait un peu vieille. Des pages qui permettent d'appréhender la fin de vie en toute sérénité. 

La plus touchante reste celle de Céline, la jeune duchesse. Une ode aux plaisirs simples du  présent. Un second tome est annoncé. En attendant vous pouvez découvrir, toujours aux éditions du Renard doré, les Contes fabuleux de la nuit, les autres titres signés Miyako Miiya.   

"Louve" (tome 1), Le Renard Doré, 208 pages, 9,90 € 

jeudi 10 avril 2025

BD - Quand les femmes d'aujourd'hui se transforment en fauves

A quoi ressemblent les jeunes femmes d'aujourd'hui ? Si votre milieu, votre âge ou votre isolement vous empêchent d'avoir des réponses en direct, plongez dans cet album d'Aurelle Gaillard (scénario) et Francesca Marinelli (dessin). Dans "Les Fauves", elles racontent le quotidien de trois copines, des colocataires, surfant sur l'époque, les galères et l'amitié. Aïdée, Pénélope et Zora partagent cet appartement en ville. La première est encore étudiante, aux Beaux-Arts. La seconde est serveuse dans un bar. La troisième occupe toutes ses journées à militer contre le capitalisme et l'exploitation des plus faibles. Des tempéraments différents mais qui s'accordent facilement, avec des horaires décalés, des envies communes et surtout une grande bienveillance. 

Quand Aïdée revient de cours énervée après avoir subi les remarques phallocrates d'un prof, une idée germe dans son esprit d'artiste provocatrice. Pourquoi ne pas lui montrer la force de la vulve ? Et les trois filles entrent par effraction chez les vieux grincheux et dessinent une superbe vulve de toutes les couleurs sur le mur du salon. Voilà comment un petit dessin prend de l'importance et devient un symbole de la résistance des femmes face à l'oppression de la société patriarcale. 

Dans ce long roman graphique au dessin simple et coloré, expressif sans être trop caricatural, on suit aussi les aventures amoureuses des trois copines. Amoureuses très libres, dans l'air du temps, avec la greffe au trio d'un quatrième membre, Andy, garçon androgyne qui n'est attiré ni par les filles ni les garçons. Le récit prend un tour plus dramatique quand elles décident de s'attaquer à des petits nazillons. La violence débarque dans leur quotidien. 

Un livre témoignage sur la jeunesse d'aujourd'hui. Elle est dynamique, pleine d'espoir et d'ambition. Rafraîchissant.   

"Les fauves", Glénat, 136 pages, 20,50 €

mercredi 9 avril 2025

Polar – Ladouce justicière

Si vous avez des difficultés à comprendre le concept de sororité, plongez dans ce roman d'Ingrid Desjours et vous n'aurez plus aucune excuse. L'héroïne imaginée par la romancière (essentiellement connue pour des romans noirs et durs), Capucine Ladouce, a un passé trouble. Elle met à profit sa froide colère contre la société patriarcale pour voler au secours des femmes maltraitées. 

Ainsi elle emménage dans un quartier résidentiel pour aider une femme craignant pour sa vie. Reste à savoir qui. Seul indice, son prénom débute par un C. Capucine va donc explorer le quotidien de Charlène, Cordélia, Clotilde et Camille. Et devenir leur amie. 

Un roman subtil, futé et surtout humoristique dans ses premiers chapitres. Car la romancière n'est pas tendre pour ces habitants de la banlieue, entre train-train, espionnage des voisins et ragots. La seconde partie est plus dramatique. Le méchant est identifié et Capucine va tout faire pour l'empêcher de nuire. Les mâles en prennent pour leur grade. 

« Capucine Ladouce », Ingrid Desjours, Hauteville, 384 pages, 8,95 €

mardi 8 avril 2025

Romans français - A chacun ses problèmes familiaux

Si Laurent Bazin règle ses comptes avec son père au moment de ses obsèques, Antoine Laurain est plus indulgent pour sa famille face à l'épreuve de la... dictée de Mérimée.

Deux romans français sur la famille en général, deux ambiances totalement différentes. Antoine Laurain propose un texte léger sur les affrontements entre générations autour de l'amour de la langue française alors que Laurent Bazin, célèbre journaliste télé installé dans l'Aude, transforme l'annonce de la mort de son père en psychanalyse qui vire au règlement de comptes sans concession. Si vous avez l'humeur joyeuse et riante, profitez du premier texte. Si la tristesse ou la rancoeur minent votre quotidien, découvrez qu'il y a pire ailleurs concernant la mésentente dans une famille. 

Nous avons tous un souvenir de dictée qui ne s'est pas bien passée. Benjamin, écolier, ramène une très mauvaise note. Ses parents, un peu catastrophés, décident de lui prouver qu'ils étaient bien meilleur que lui à son âge. Et se trompent un peu. Un mini psychodrame qui va déboucher sur l'organisation d'une dictée en plein air, sous la supervision d'un membre de l'Académie française. Et pas n'importe quelle dictée puisqu'il faudra éviter les pièges de Prosper Mérimée. Outre quelques mots incongrus, c'est le fond de ce petit texte qui va devenir célèbre. Dans cette dictée, « les notables y étaient ridiculisés, les bourgeois passaient pour des crétins, les militaires pour des ivrognes, la religion tournait à la farce. Un bijou d'insolence. Un chef-d'oeuvre de provocation. » Rien que pour l'exhumation de ce texte, le roman mérite le détour.

Moins d'humour dans le récit de Laurent Bazin. C'est le parfait exemple que l'on peut réussir sans népotisme. Car très vite son père s'est désintéressé de sa carrière de journaliste. Ce médecin, volage, criblé de dettes, a vécu ses dernières années dans une grande solitude. Laurent Bazin, en une semaine, va devoir faire un gros travail sur lui pour accepter d'organiser les obsèques, le dernier adieu. Avec l'impossibilité de se réconcilier. Juste une sorte de piqûre de rappel sur son rôle de père qu'il veut, au contraire du mort, exemplaire, attentif et aimant. L'étrange confession sèche et parfois caustique d'un homme public à l'image chaleureuse et bienveillante.  

« La dictée », Antoine Laurain, Flammarion, 160 pages, 20 €

« L'homme qui ne voulait pas être mon père », Laurent Bazin, Robert Laffont, 320 pages, 21,50 €

lundi 7 avril 2025

BD - Une femme trop parfaite pour être réelle ?


Ce beau et gros roman graphique oscille entre réflexion psychologique, psychanalyse et science-fiction. Avec au centre, une femme d'une exceptionnelle beauté. La femme parfaite pour Alan, ancien militaire remontant doucement la pente après un traumatisme. 

Alan, après des années en Afrique où il attrape le paludisme, une version très agressive qui provoque des hallucinations, est muté au Moyen Orient. Il est chargé de décrypter les messages des groupes terroristes. C'est en se trompant dans un code qu'il envoie une compagnie dans un véritable guet-apens. Une erreur qui pousse sa hiérarchie à demander sa démission. De retour en France, dans sa maison de campagne en banlieue, il espère enfin trouver la paix auprès de Catherine, la femme qu'il aime, "sa femme parfaite". Problème, cette jolie blonde, médecin, refuse son amour. Elle sait qu'il va dépérir et rapidement mourir. Elle préfère l'oublier en rejoignant une association humanitaire en Afrique. 

Seul, dépressif, Alan sombre malgré l'aide de son médecin, par ailleurs meilleur ami. Tout bascule quand un matin il découvre dans un champ de blé devant chez lui, une femme nue, enveloppée dans une grande toile rose. Il reconnait immédiatement Catherine. Erreur. Ce serait la copie de ce que son esprit estime être "la femme parfaite", forme choisie par une entité extraterrestre à la recherche d'un géniteur pour assurer l'avenir de l'espèce. De très intellectuelle, l'histoire bascule dans la pure SF, un peu tirée par les cheveux parfois. Reste les questionnements d'Alan. Cette femme parfaite venue d'ailleurs peut-elle remplacer la véritable Catherine ? Et si c'était l'occasion de changer son avenir, de guérir ?

Makyo, au scénario, propose un condensé des thèmes qu'il aime aborder dans ses romans ou séries, de Grimion gant de cuir à la Balade au bout du monde en passant par ADN. C'est plus intellectuel que les films à effets spéciaux... Tout se passe essentiellement dans des dialogues écrits au cordeau. Les décors, de la maison d'Alan aux plages où ils vont se baigner, nus et heureux, n'ont rien d'exceptionnels. C'est donc une véritable prouesse que réalise Bruno Cannucciari, le dessinateur italien de cet album : il parvient à insuffler mystère et ambiance extraordinaire dans des scènes d'une simplicité a priori banales.    

"Le chant de la femme parfaite", Delcourt, 104 pages, 22,50 €

dimanche 6 avril 2025

BD – Chez Smitch, le travail c'est une vaste rigolade

Personnellement à la retraite depuis quelques mois, lire cette BD d'Erik Tartrais sur le monde du travail c'est pour moi la possibilité de retrouver avec une certaine nostalgie les douces odeurs de la machine à café, le matin, avant de commencer à bosser (ou de faire semblant pour pas mal de mes collègues). Dire que je regrette serait mentir. Oui, on est mieux en télétravail. Voire au chômage que dans ces entreprises où personne ne sait exactement quelle est sa fonction. L'auteur a visiblement passé pas mal de temps dans cet entourage toxique. Et comme il n'est pas dénué d'humour (en plus d'un bon coup de crayon), il transforme  ce qui semble furieusement à de véritables anecdotes en scénettes au comique irrésistible. 

On suit notamment le PDG de l'entreprise Lambertin & Fils, société française, première dans son secteur (mais on ne saura jamais lequel...). Laurent, le fils du grand patron, bête comme ses pieds, arrogant et hors sol, traite ses employés comme des enfants de maternelle. Ils ne sont pas dupes. Mais préfèrent en profiter tant qu'il est temps. Car la boite est en passe d'être rachetée par les Américains de chez Mitch. Une révolution que le pauvre Lambertin aura bien des difficultés à comprendre. 

Rions donc avec les dactylos (devenues assistantes de direction...), les délégués syndicaux et autres staffs de l'informatique ou des « forces commerciales ». C'est impitoyable, d'une rare méchanceté, notamment quand Erik Tartrais s'attaque à quelques figures du management, du Codir en passant par le fameux bâton de parole. 

Une BD qui va vous faire rire. Mais aussi envie de démissionner si vous avez le malheur de bosser pour une société du style Lambertin & Fils.     

« Bienvenue chez Smitch » d'Erik Tartrais, Fluide Glacial, 56 pages, 13,90 €

samedi 5 avril 2025

BD - Franck Pé partage sa passion pour le dessin


Dessinateur à la production rare, Frank Pé fait partie des meilleurs de sa génération. Dans cet essai, richement illustré de dessins de ses collègues et amis, il explique pourquoi c'est en dessinant que "tu connaîtras l'univers et les dieux." Des textes écrits avec les tripes. Car il se dévoile en grande partie dans ces chapitres consacrés au plaisir de dessiner, aux trucs acquis au fil des années, à la recherche perpétuelle de l'image juste, le bon trait qui vibre, exprime beauté, sensualité et message. 

Le créateur de Broussaille ose mettre en avant ses "trucs de magicien". Même si au final, il s'agit avant tout d'être doué, d'avoir l'oeil et ne pas hésiter à recommencer sans cesse un dessin qui ne vous convient pas à 100 %. 

On a droit aussi à une galerie de ses idoles. Des signatures très connues comme Giraud, Hermann ou Franquin, d'autres moins célèbres mais qui ont compté dans la carrière de Frank, de Claire Wendling (les animaux) à R. M. Guéra (pour sa gestion des noirs). Un essai à conseiller pour tous les passionnés, notamment ceux qui gribouillent dans leur coin.

"Dessine !" de Frank Pé, Glénat, 200 pages, 25 €

vendredi 4 avril 2025

Thriller - « La lame » tranche dans le vif


Frédéric Mars signe un roman ambitieux sur l'Europe en 2031. L'intrigue se déroule en trois lieux. A Marseille, ville toujours aussi gangrenée par les trafics au grand désespoir du policier Simon Mardikian chargé d'enquêter après la découverte du corps d'une jeune prostituée africaine sauvagement assassinée. 

A Lagos, au Nigeria, où un professeur tente de sauver quelques enfants dans un immense bidonville flottant. Enfin à l'Elysée, occupé par Bako Jackson, un homme politique improbable, vainqueur face à la présidente sortante issue de l’extrême droite. Bako, fils d'un réfugié d'Afrique noire. 

Comme dans une partie d'échecs, l'auteur met en place ses pièces pour un final haletant, assez pessimiste car hautement probable. Un livre plus politique qu'il n'y paraît, mais sans parti-pris excessif. De la politique fiction qui fait réfléchir. Notamment avant de glisser son bulletin de vote dans l'urne.

« La lame », Points, 576 pages, 9,90 €

jeudi 3 avril 2025

Polar historique - « Les Furieuses » attaquent

« Yiiiiiii ! Ce cri de guerre strident vous déchire l'âme comme une feuille de papier. Un cri insupportable. On dirait la pointe d'un couteau crissant sur un miroir. » Le soldat français qui raconte l'attaque des insurgés espagnols surnommés les Furieuses ne survivra pas. Comme nombre de ses amis dans ce roman historique d'Armand Cabasson. 

Avant de croiser la folie des Furieuses, le romancier, par ailleurs médecin psychiatre dans le civil, exploite une autre démence. A Paris, en 1807, l'aliéniste Gabriel Dalvers tente de découvrir qui trucide des femmes et transforme les cadavres en copies d'un tableau représentant une inconnue dans une robe noire. Avec l'inspecteur Candelet, il va découvrir un lien entre ces meurtres et la redoutée « Reine sorcière », meneuse des Furieuses. 

Un parfait mélange entre divers genres littéraires : historique, médical et thriller.

« Les Furieuses », Armand Cabasson, 10/18, 312 pages, 9,20 €

mercredi 2 avril 2025

Polar - La guerre des Croix


Le département S, composé de deux personnes, Paule Nirsen, archiviste, et l'ancien gendarme Guillaume Lassire, va devoir se pencher, dans sa troisième enquête toujours signée Joseph Macé-Scaron, sur des meurtres agitant la petite ville de Baugé en Anjou. Des hommes retrouvés décapités et éventrés. Fou sanguinaire ou bête maléfique ? 

L'auteur déroule son intrigue entre présent et passé. Le présent c'est la menace de l'islamisme, thème récurrent dans les interventions du romancier, par ailleurs éditorialiste tendance droite tradi-catho. De religion il en est aussi question dans le passé quand il revient sur la révolte des gentils Chouans (quand le wokisme est de droite) ou l'histoire de la vraie Croix du Christ, célèbre relique de Baugé. Un polar de terroir dans l'air du temps : à droite toute !  

« La croix des ténèbres », Joseph Macé-Scaron, Presses de la Cité, 320 pages, 22 €

mardi 1 avril 2025

BD - La dérive mortelle de l'extrême-gauche japonaise

"Banzai !" Le cri des samourais a été récupéré, dans les années 70, par les révolutionnaires japonais. Preuve qu'entre les idéologies extrémistes, il y a toujours moyen de trouver des points communs. Assez peu connue en Europe, l'épopée tragique de l'ARU, l'Armée rouge unifiée, est détaillée dans cette BD écrite par Frédéric Maffre et dessinée par François Ruiz. Le scénariste, passionné de cinéma nippon, a découvert l'existence de ce groupuscule violent d'extrême-gauche en visionnant certains films de l'époque qui y faisaient référence. Le second, dessinateur, avoue découvrir le sujet avec le scénario et s'être enthousiasmé pour les destins de ces jeunes hommes et femmes, aveuglés par leur idéal, au point de faire pire que la société qu'ils rejetaient. 

La scène d'ouverture est symbolique. En 1976, un jeune extrémiste, comédien raté de films érotiques dans la vie civile, décide de faire s'écraser son avion de tourisme sur la maison d'un homme d'affaires corrompu. Il rate son coup (mais pas son suicide) à quelques mètres près. Comme une répétition pour d'autres terroristes qui feront trembler le monde libre un jour de septembre 2001. 

Pour raconter cette révolution manquée, débutée en 1968, c'est un rescapé qui se confie à des journalistes. Il se souvent comment les militants politiques ont intensifié leurs actions, basculant de plus en plus vers la violence, comme la police et le gouvernement qui n'ont jamais cherché l'apaisement. Et comme en Occident, ce sont les rivalités intérieures qui seront les plus dommageables à la "révolution". Les quelques centaines de militants se divisent en petits groupuscules isolés. On suit notamment celui mené par Nagata et Mori. Une intellectuelle et un homme violent. Retirés dans un chalet dans la montagne avec une vingtaine de fidèles, ils vont mettre tous les militants à l'épreuve. La moitié d'entre eux vont mourir dans d'atroces souffrances. 

Le second passage emblématique est l'arrivée de Kozo Okamoto dans un camp palestinien au Liban. C'est de là que de nombreux terroristes vont partir pour tenter de faire fléchir l'Occident et l'ennemi absolu : Israël. Kozo deviendra un "héros" pour la mouvance quand il parviendra à tuer une dizaine d'innocents à l'aéroport de Tel Aviv. Des méthodes imaginées par des "gauchistes révolutionnaires", reprises de nos jours par des "intégristes religieux". C'est sans doute le côté les plus intéressant de la BD, ce parallèle entre les luttes sociales des années 70 et cette politique de la terreur absolue, chère au Hamas et autre Etat islamique, et son jusqu'au-boutisme. 

"Terorisuto", Glénat, 136 pages, 22,50 €