mardi 31 janvier 2023

DVD - "Revoir Paris" et se souvenir des attentats


DVD et Blu-ray.
Revoir Paris (Pathé Vidéo), film d’Alice Winocour permet de se replonger dans l’ambiance après attentats terroristes qui a longuement tétanisé la France. Librement inspiré des attaques des terrasses de café et du Bataclan, le film est une plongée dans la tête d’une des victimes, Mia (Virginie Efira). Attention, on ne ressort pas de ce film intact. La force de l’interprétation, la justesse des réactions, la beauté de certaines émotions risquent de durablement vous rester en tête. Les premières minutes montrent la vie parisienne de Mia. 

Au guidon de sa moto, elle va travailler et retrouve, le soir, son compagnon, médecin. Il doit partir en urgence à l’hôpital. Elle rentre seule. Comme il pleut, elle s’arrête dans une brasserie attendre la fin de l’orage. C’est là que sa vie bascule. Les premiers tirs, une blessure au ventre, puis un grand trou noir. Trois mois plus tard, elle ose revenir à Paris. Mais ne se souvient plus de la soirée fatale. 

Pour tenter de se réapproprier sa vie, son passé, Mia revient à Paris, va sur les lieux de l’attentat, rencontre des membres de l’association des victimes, dont Thomas (Benoît Magimel). Lentement, comme à reculons, Mia va se souvenir, retrouver des détails, comprendre ce qu’elle a fait. Comment elle a pu survivre… Un film inoubliable.  

lundi 30 janvier 2023

Polar historique - Le dernier « Requiem » des Cathares d’Occitanie

Après Angélus et Magnificat, Requiem est le troisième et dernier volume de cette saga historique de François-Henri Soulié qui prend la guerre religieuse contre les Cathares pour toile de fond. Dans cette Occitanie, en 1210, les bruits de la guerre couvrent tous les travaux des champs et des villes. Près de Carcassonne, la troupe des barons du Nord, formée par le pape, s’apprête à fondre, une nouvelle fois, sur les cités des fameux « hérétiques », ces Bons Hommes ou Bonnes Femmes, comme on les appelait à l’époque, le terme de Cathare n’étant apparu qu’au XIXe siècle. 

A la tête de cette armée qui sème la désolation (Béziers, Minerve), Simon de Montfort. Avant d’aller attaquer Termes, il veut laisser un homme de confiance, à Carcassonne, pour surveiller la Cité. Mais rares sont les volontaires. Un seigneur présente ainsi la préfecture de l’Aude : « Carcassonne est un nid de vermine hérétique peuplé d’enfants de putains qui n’ont que félonie au cœur. Nuit et jour, on se doit de les avoir à l’œil… Je ne suis point porcher pour avoir envie de veiller sur pareils pourceaux dans leur bauge. » Ces soldats chrétiens semblent avoir perdu la raison et massacrent, sans le moindre état d’âme. En contrepoint de ce camp, on suit les préparatifs, chez Raimon de Termes, face à l’assaut imminent. Il espère recevoir le renfort du roi d’Aragon, alors que son fils, Olivier a disparu. 

C’est l’autre intrigue de ce roman foisonnant. Le jeune Olivier est allé demander de l’aide à la Dame au cerf, une prétendue magicienne (ou sorcière ?) qui vit dans la forêt. Olivier qui croisera la route d’un autre personnage récurrent de la saga de François-Henri Soulié, Guilhem de Malpas, troubadour, allant de ville en ville avec son âne pour distraire riches et pauvres en ces temps troubles. 

Un roman policier historique (il y a aussi quelques morts mystérieuses), marqué du sceau de la vérité et qui retranscrit, avec talent, la folie religieuse des hommes, triste constance dans l’histoire de l’humanité.

« Requiem » de François-Henri Soulié, 10/18, 16,90 €

dimanche 29 janvier 2023

Cinéma - Famille en souffrance durant “Cet été-là”

Vacances d’été dans les Landes. Loin d’être un moment magique pour Dune, 11 ans, au centre d’un couple qui se déchire. 


11 ans. Plus vraiment une enfant, pas encore une adolescente. Dune (Rose Pou Pellicer) est dans cet âge complexe qui laisse entrevoir de belles nouveautés mais occulte aussi des joies simples. Chaque été elle va passer un mois dans une maison de campagne au cœur des Landes en compagnie de ses parents, Sarah (Marina Foïs) et Thiago (Gael Garcia Bernal). Elle y retrouve sa meilleure amie, Mathilde (Juliette Havelange) avec qui elle court dans les bois, construit des cabanes et mange des sucettes achetées au camping voisin et qui colorent la langue en bleu. 

Mais cette année, Dune ne retrouve pas le plaisir des étés précédents. Elle a la bizarre sensation que le sable est moins doux, que Mathilde est trop bête, que l’employé du camping est trop beau. 

Mère absente

Tout change car Dune tombe amoureuse ?  À moins que cela ne soit car ses parents se déchirent. Sarah déprime, Thiago tente de recoller les morceaux, en vain.

Ce film d’Éric Lartigau, qui débute comme une comédie loufoque sur le regard d’enfants sur le monde des adultes, se transforme lentement en introspection d’une famille éclatée. Dune est au centre. Elle filme avec sa petite caméra vidéo, pour se faire des souvenirs. Comme si la mémoire pouvait lui faire défaut. D’ailleurs, elle ne se souvient plus exactement ce qui s’est passé il y a deux ans, lors des précédentes vacances. L’impression que la vie de sa mère a basculé, mais sans certitude. Depuis elle ne se baigne plus, reste cloîtrée, ne travaille plus et s’intéresse moins à sa petite fille. 

Un film intimiste, plein de vie, d’interrogations et de soleil. Avec en point d’orgue deux gamines qui vont subjuguer les spectateurs par leur vivacité et spontanéité.

"Cet été-là", film d’Éric Lartigau avec Rose Pou Pellicer, Juliette Havelange, Marina Foïs, Gael Garcia Bernal, Chiara Mastroianni

samedi 28 janvier 2023

Cinéma - Amour fou à “16 ans”

Il existe des histoires éternelles adaptables à toutes les époques. Roméo et Juliette est un bon exemple ce ces récits simples, dramatiques et qui malgré tout semblent se répéter au fil des siècles. Un amour fou, des querelles de famille, le drame… Philippe Lioret avait depuis longtemps envie de transposer cette trame de nos jours. La guerre entre les Capulet et les Montaigu prend un peu des airs de lutte des classes dans « 16 ans ». 

Dans une ville de province proche de Paris, banlieue sans nom où cohabitent difficilement cités HLM et quartiers résidentiels, les antagonismes sont forts. Quand une bouteille de vin (un très grand cru) disparaît dans un rayon du supermarché local, Tarek (Nassim Lyes), employé en CDD est immédiatement accusé et licencié. Un délit de sale gueule évident. Pourtant il veut s’en sortir. Comme sa sœur Nora (Sabrina Levoye) qui est encore au lycée. 

Bonne élève, concentrée sur le bac, elle est la fierté de cette famille d’immigrés. à la rentrée, elle croise la route de Léo (Teïlo Azaïs), qui débarque du privé. Entre les deux adolescents c’est le coup de foudre immédiat. Mais quand Tarek découvre cette amourette, il explose : Léo est le fils du patron du magasin qui l’a licencié sans le moindre état d’âme. Pour lui, pas question qu’elle fréquente ce garçon. D’autant qu’elle est mineure. Rapidement la tension monte entre les deux familles. Un engrenage fatal, de la violence, amplifiée par les différences sociales. Mais entre temps, Nora et Léo tentent de continuer de se voir, de s’aimer, simplement, loin de préjugés. 

Ce film ancré dans la réalité française actuelle, dresse un constant un peu caricatural des relations entre milieux aisé et défavorisé. Il faut tout le talent des deux jeunes comédiens pour donner de la consistance à ce drame qui expose un constat de difficulté du vivre ensemble, sans véritablement proposer de solution.

Film de Philippe Lioret avec Sabrina Levoye, Teïlo Azaïs, Jean-Pierre Lorit

vendredi 27 janvier 2023

Cinéma - Glass Onion, la suite des couteaux

Streaming. Rian Johnson aime aller où on ne l’attend pas. Ce réalisateur américain, passé par la case film indépendant et festival de Sundance, a réalisé un des derniers Star Wars. Il a surpris en proposant un rôle à contre-emploi à Daniel Craig dans le très futé et alambiqué A couteaux tirés. 

Succès en salles oblige (plus de 1,1 million d’entrées en France), une suite est lancée, immédiatement achetée par Netflix. Retour donc, en streaming, du détective Daniel Blanc, sorte d’Hercule Poirot moderne. 

Il enquête en Grèce cette fois, dans l’entourage d’un milliardaire de la technologie. Un peu plus long que le premier film, moins surprenant cependant, Glass Onion reste très brillant, avec une distribution époustouflante et un scénario toujours aux petits oignons. Du grand cinéma… mais en streaming. 

jeudi 26 janvier 2023

Cinéma - Avalonia, montrer un nouveau monde pour protéger l’actuel

Le film d’animation signé Disney de cette année est très politique. Sur le fond, plaidoyer contre l’utilisation excessive des ressources de la planète, apologie du vivre ensemble, humains, animaux et plantes. Sur la forme aussi puisque la multinationale a une nouvelle fois sauté la case « sortie en salles » pour aller directement sur sa plateforme Disney +. 

Toujours un désaccord avec la chronologie des médias en France. On ne peut que le regretter tant les prouesses visuelles d’Avalonia, l’étrange voyage méritent d’être vues sur un grand écran et pas une télévision, fut-elle dotée d’un écran forcément riquiqui face aux 15 ou 20 mètres des salles premium. On se contentera donc de la version télé du film de Ron Hall. 

Les Clade sont une famille d’explorateurs. Le père veut conquérir le monde au-delà des montagnes d’Avalonia. Son fils se contente d’explorer les nouvelles qualités d’une plante énergétique. Le petit-fils lui hésite. C’est en se lançant dans une nouvelle expédition de la dernière chance que les Clade vont se réconcilier et sans doute sauver Avalonia et son monde souterrain, aux inventions encore plus époustouflantes que les créatures d’Avatar. Un joli conte, particulièrement dans l’air du temps en ce qui concerne la protection de notre planète. 

Ron Hall ne s’en cache pas quand il déclare : « On ne se fait pas d’illusion, on sait qu’on ne va pas résoudre le changement climatique. Mais si on peut être au cœur des discussions, si on peut planter une petite graine pour qu’elle grandisse en quelque chose de plus grand, ça, je pense qu’on peut le faire. »

 

mercredi 25 janvier 2023

Série télé - Jack Ryan, triple héros US

Tom Clancy, romancier américain, s’est fait une spécialité de broder des thrillers sur l’actualité internationale. Pour déjouer complots et autres manipulations des ennemis des USA, il a imaginé un héros presque parfait. Jack Ryan est membre de la CIA, mais contrairement aux autres agents secrets (James Bond, Jason Bourne…), c’est à la base un simple analyste. 

Un travail de bureau que connaît bien son interprète, John Krasinski, longtemps connu pour son rôle de commercial tire-au-flanc dans la sitcom humoristique The Office. Jack Ryan, lancé malgré lui sur le terrain, entre coups de feu et explosions. Développées en série, les aventures de Jack Ryan font partie des indéniables réussites de la plateforme Prime Vidéo d’Amazon. 

De Rome à Prague

Pour la troisième saison, arrivée en ligne lors des fêtes de fin d’année, partout dans le monde, Jack a acquis de la bouteille… et du muscle. Athlétique, sachant tirer et déjouer une filature, il est en poste à Rome. Toujours analyste, mais désormais prêt à aller sur le terrain se frotter aux « vilains ». C’est en contactant une responsable russe qu’il découvre le réveil, du côté de Moscou, du projet Sokol datant des pires heures de la guerre froide. Une conspiration pour prendre le pouvoir en Russie et surtout déclencher une nouvelle guerre éclair en Europe, avec frappe nucléaire ciblée sur une capitale. Quand il amène les preuves à ses supérieurs, ces derniers sont sceptiques. Le temps de l’affrontement direct semble révolu, la Russie n’osera pas s’attaquer à l’Otan… 

On comprend dès lors que cette saison 3 sera ancrée dans la réalité. Et on espère qu’un Jack Ryan est sur le coup pour aider les Ukrainiens et contrer les plans de Poutine. Si le film de la réalité n’est pas terminé, la saison 3 de Jack Ryan elle est complète (huit épisodes d’une heure) et donne l’occasion au héros de voyager en Europe de l’Est. Rome donc, puis Athènes en Grèce, Prague, Budapest et quelques coins reculés de Russie. 

Si l’on regrette un peu le Ryan du début, toujours un peu dépassé et hésitant sur la conduite à tenir, on apprécie le nouveau Jack, plus héroïque, seul contre tous, brave et tenace. Course-poursuite trépidante, décors grandioses, machination machiavélique : tous les ingrédients sont là pour faire passer un bon moment aux spectateurs désirant se faire un peu peur. Car l’opération Sokol tient son nom d’une mini-bombe nucléaire, celle-là même que certains spécialistes craignent qu’elle ne soit utilisée par un Poutine qui n’aurait plus rien à perdre. Conséquence, une fois la saison 3 de Jack Ryan terminée, on continue à redouter l’avenir, mais dans la vraie vie cette fois. 

mardi 24 janvier 2023

Roman - « Le lac au miroir » : secret familial et tableau de maître

Premier roman tout en finesse et en émotion pour Odile Lefranc. Des paysages merveilleux à la ville de Dresde en passant par Paris, son héroïne, Hannah, va tenter de comprendre un secret de famille qui a longtemps pesé sur les relations avec sa mère. Le vecteur de cette quête sera un tableau de Walter Spies, peintre allemand réfugié à Bali dans les années 30. 

Hannah avait cette toile sous les yeux dans sa chambre d’enfant. Intitulée Le lac au miroir, elle représente « un pêcheur sur les eaux calmes d’un lac immense, tel un miroir du ciel reflétant les volcans dans le lointain. » Le roman raconte en parallèle la vie du peintre à Bali et les recherches d’Hannah. 

Cette jeune femme, à 18 ans, fâchée avec sa mère qui a toujours refusé de dire à sa fille qui était son père, a claqué la porte de l’appartement parisien et refait sa vie en Australie. Vingt ans plus tard, en vacances, elle passe quelques jours à Bali, sur les traces de Walter Spies quand elle apprend que sa mère vient de mourir. Chamboulement dans la tête d’Hannah, comme tourmentée par les secrets de sa mère, fascinée par le peintre et séduite par un employé de l’hôtel. D’où venaient ces tableaux de Walter Spies propriété de sa mère ? Qui était son père ? Comment résister aux tentations de Bali ? 

C’est cette dernière partie qui donne son sel au roman entre passion torride et contemplation de la nature et des traditions : « Au loin, les sons du gamelan d’un spectacle de kecak se mêlaient au chant des oiseaux, au parfum qu’exhalaient des fleurs de frangipaniers, à la douceur de la nuit. » Un roman exotique et familial, sur les doutes d’une femme en pleine reconstruction. Un premier roman brillant et envoûtant. 

« Le lac au miroir » d’Odile Lefranc, Viviane Hamy Éditions, 19 €


lundi 23 janvier 2023

Cinéma - “Nos soleils” brillent en Catalogne

Tourné en Catalogne dans la région d’Alcarràs, avec des comédiens amateurs, souvent eux-même paysans, Nos soleils, film  de Carla Simón est reparti de la dernière Berlinade avec l’Ours d’or. Une consécration internationale méritée  pour cette jeune cinéaste catalane à la tête d’une œuvre (même si ce n’est que son second long-métrage) marquée par un réalisme et un ancrage dans le présent. Nos soleils (Alcarràs pour son titre original) a des airs de documentaire. Pourtant c’est bien une fiction, avec scénario et comédiens. Mais pour avoir ce côté vérité vraie, la réalisatrice a planté ses caméras sur une véritable exploitation fruitière d’Alcarràs et a confié les différents rôles des membres de la famille Solé a des non professionnels, souvent paysans et donc au fait du travail de cette terre nourricière. 

En plein été, sous une chaleur écrasante, la petite équipe composée de quelques ouvriers immigrés et de la famille ramasse des pêches dans les vergers entourant la maison. Un travail dur, Quimet (Jordi Pujol Dolcet), le père, a le dos en compote, son épouse, Dolors, (Anna Otín) tente de l’obliger à se reposer, en vain. Le fils Roger (Albert Bosch) essaie de bien faire, mais subit toujours les foudres du père. Alors pour décompresser, avec son oncle, il fait pousser quatre pieds de cannabis bien cachés dans un champ de maïs. Reste les plus petits, à peine âgés de 6 ou 7 ans, une fille et deux jumeaux, cousins, profitant de cet immense terrain de jeu que sont les vergers, la ferme et la garrigue alentour. 

Panneaux solaires

Un monde qui est sur le point de s’écrouler, de disparaitre. La faute au grand-père, celui qui a repris l’exploitation de son père après la guerre d’Espagne. Les terres ne lui appartiennent pas. A l’époque, on ne signait pas de contrat, on donnait sa parole. Or le descendant du propriétaire a décidé de récupérer les terrains. Pas pour continuer l’exploitation agricole, trop coûteuse et peu rémunératrice. Il compte couper les arbres et les remplacer par des panneaux solaires. 

Lumineux de bout en bout, ce film passe de la chronique intimiste et locale (querelle de famille, fête de village avec Correfocs, repas dominical et cargolade) à l’universel avec la disparition programmée de cette agriculture qui pourtant depuis la nuit des temps nourrit la population. Une réflexion que Carla Simón mène avec brio, sans jugement à l’emporte-pièce. Juste la volonté de témoigner et de graver sur pellicule cette vie paysanne en train de disparaitre dans une indifférence la plus totale. Dans 30 ans, Nos soleils aura la même résonance que le Farrebique de Georges Rouquier.

Film de Carla Simón avec Jordi Pujol Dolcet, Anna Otín, Xenia Roset

dimanche 22 janvier 2023

Cinéma - “Babylon” joie et folie baroques de Hollywood

Damien Chazelle bouscule l’histoire de Hollywood dans un film titanesque porté par une musique envoûtante.


Quand Hollywood se regarde le nombril, cela donne Babylon, chef-d’œuvre signé Damien Chazelle avec des rôles en or pour Brad Pitt et Margot Robbie. Film titanesque de plus de trois heures, rythmé par une musique inoubliable, Babylon raconte comment le monde du cinéma en Californie est passé du grand n’importe quoi à une industrie florissante avec l’avènement du parlant. 

Pour suivre cette évolution, le réalisateur et scénariste de La La Land raconte les parcours de Jack Conrad (Brad Pitt), comédien star du muet, Nellie LaRoy (Margot Robbie), starlette effrontée et Manny Torres (Diego Calva), homme à tout faire d’un studio. On suit les hauts et les bas des trois personnages, emblématiques de ce Hollywood en devenir des années 20. Jack, alcoolique, volage, rate le train du parlant. Nellie, prête à tout pour réussir, devient une star, mais gâche toutes ses chances en cédant à ses mauvais penchants pour la drogue et les jeux d’argent. Manny Torres, lucide, va tout faire pour s’élever dans ce milieu où il restera malgré tout, pour tous et pour toujours, l’émigré mexicain. 

Margot Robbie, divinement provocatrice

L’ouverture du film, près de 30 minutes centrées sur une fête orgiaque dans la villa d’un riche producteur, en met plein la vue. La musique y joue un rôle essentiel, accompagnant la folie baroque des participants. Une prouesse cinématographique menée de main de maître par Damien Chazelle. Il a expliqué lors d’une conférence de presse le week-end dernier à Paris que « le challenge était de cacher la chorégraphie. Faire croire au spectateur que tout est spontané, capter ce côté fou. Pour cela on a énormément répété. » Margot Robbie y livre une partition phénoménale dans une robe riquiqui mettant en valeur son physique et son dynamisme. 

Une entrée en matière très physique avant une plongée dans la psychologie des personnages. Brad Pitt a reconnu avoir eu « beaucoup de mal avec la fin. Mon personnage est laissé sur le côté, abandonné. Je pense qu’au lieu de se lamenter, il faut apprécier le présent. Et profiter de ces moments car notre temps sur cette Terre est éphémère » explique le comédien, toujours au sommet après plus de 30 ans de carrière. 

Babylon restera aussi dans l’histoire du cinéma pour sa musique signée Justin Hurwitz. Il a de fortes chances de briller aux Oscars après sa victoire aux Golden Globes la semaine dernière.

Film de Damien Chazelle avec Brad Pitt, Margot Robbie, Diego Calva, Jovan Adepo, Li Jun Li

samedi 21 janvier 2023

Roman - Noire c’est noire

Roman coup de poing, de ces uppercuts qui cueillent l’adversaire par surprise et le laisse groggy de longues minutes, Assemblage de Natasha Brown prouve que les débats autour de la représentation des minorités dans tous les secteurs de la société ne sont pas spécifiques à la France. A Londres aussi les femmes noires ont toutes les peines à réussir dans un milieu masculin et blanc. 

Natasha Brown, qui a d’abord travaillé dans le secteur bancaire avant de devenir une des romancières les plus prometteuses de son pays, a sans doute puisé dans son vécu pour illustrer les obstacles rencontrés par son personnage principal. Il faut qu’elle soit parfaite. Et malgré tout elle éprouve de l’appréhension. « Chaque jour une nouvelle opportunité de merder. Chaque décision, chaque réunion, chaque rapport. Il n’y a pas de succès, seulement des échecs temporairement évités. » Une jeune femme qui vit le racisme au quotidien, même auprès de sa future belle-famille. Au point de se poser des questions sur la démarche de son petit-ami : « Je suis le genre de diversité qu’il faut. En retour, je lui offre une certaine crédibilité progressiste. J’efface en partie ses casseroles politiques de fils de bonne famille, de très bonne famille. » 

Mais plus qu’un brûlot pour la diversité, Assemblage est avant tout un constat sur la complexité du monde et la difficulté d’y trouver sa place. 

« Assemblage » de Natasha Brown, Grasset, 17 €

vendredi 20 janvier 2023

Roman - Fin de colonie

Avec un sens du suspense très maîtrisé, Guillaume Nail raconte les deux dernières journées d’un groupe d’adolescents en colonie de vacances. Une dizaine de garçons, encadrés par Benoît et Pauline. Des chapitres courts où les différents protagonistes donnent leur version de ces 48 heures. 

Il y a Tof, le plus audacieux du groupe, qui va zapper la baignade finale pour aller explorer un château abandonné. ? Pierre, le timide, un peu gros, souffre-douleur, qui par chance s’est trouvé cette année un ami, voire plus en la personne de Farid, mis à l’écart lui aussi car manchot. Pauline, complexée, tente de cadrer la sève bouillonnante de ces adolescents et craque pour Gus. Gus, le plus fort, le plus tape-à-l’œil. Toujours en représentation. Et quand il est question d’aller se baigner dans la Loire, malgré le risque, « Gus s’enflamme et motive les troupes engourdies. Facile, suffit qu’il claque des doigts pour que ces moutons embraient. Le pétillant de leur regard ne ment pas, ils le suivraient jusqu’en enfer. » 

Ce court roman, inspiré d’une histoire vraie, va crescendo. Dans la manipulation d’un groupe, dans l’apparition de passion, dans l’imprudence, dans l’horreur. Guillaume Nail convertit parfaitement son passage de la littérature jeunesse à celle plus adulte proposée dans ce texte sans concession. 

« On ne se baigne pas dans la Loire » de Guillaume Nail, Denoël, 16 €

jeudi 19 janvier 2023

BD - Enquêtes absurdes du Major Burns

Rire d’un classique de la littérature policière, c’est le parti pris de Devig, auteur complet toulousain. Il a imaginé une parodie de Sherlock Holmes en imaginant, pour la revue Fluide Glacial le duo composé du Marjor Burns et de son acolyte le docteur Wayne. 


Au cours de leurs investigations, très ligne claire entre Hergé première mouture et Jacobs, ils vont croiser (et éliminer), la légende du monstre du Loch Ness, Dracula, un chien noir rodant sur la lande et autres spectres britanniques. C’est décalé et complètement loufoque. 

« Les mystérieuses histoires du Major Burns » (tome 2), Fluide Glacial, 15,90 €

mercredi 18 janvier 2023

Série télé - « The last of us » est-elle la nouvelle « The Walking Dead » ?

Bombardée série la plus attendue de 2023, The last of us, adaptation du célèbre jeu vidéo, a failli rater sa sortie en France. Produite par HBO, chaîne payante américaine, elle aurait normalement dû arriver sur l’antenne d’OCS, plateforme française qui depuis des années diffuse toutes ces pépites comme Game of Thrones ou True Crime. Mais la Warner, propriétaire de HBO, a repris ses droits et a passé un accord avec Amazon Prime Video. En mars toutes les chaînes seront proposées à l’abonnement sur la plateforme du géant de la vente sur le net. 

Et pour attendre, ce sont les abonnés français d’Amazon qui peuvent profiter de The last of us, 24 heures après les USA. Série prévue en 9 épisodes, chaque lundi, on découvrira la difficile survie de Joel Miller (Pedro Pascal) et Ellie Williams (Bella Ramsey) dans un monde futuriste frappé par une pandémie qui transforme des humains en zombies contrôlés par des champignons. 

Le premier épisode, de plus d’une heure, raconte dans le détail l’arrivée de la catastrophe et comment réagit Joel. Cet ancien soldat, devenu artisan, vit seul avec sa fille Sarah. Face au danger, ils prennent la fuite, pourchassés par les infectés et une armée qur le point de prendre le contrôle du pays. 

La réalisation est digne d’un film de cinéma et le scénario de Craig Mazin et Neil Druckmann très équilibré entre horreur, émotion et coup de théâtre. Ceux qui ont vu le premier épisode attendront avec impatience la suite de cette série qui a des airs de The Walking Dead, toujours sur Prime Vidéo. 

mardi 17 janvier 2023

Série télé - Copenhagen Cowboy de Nicolas Winding Refn sur Netflix

Tous ceux qui sont allergiques au cinéma d’auteur, le 7e art dans toute sa splendeur, débarrassé de toutes les contingences matérielles et mercantiles vont dire beaucoup de mal de la nouvelle série de Nicolas Winding Refn, réalisateur de Drive. Ils se reconnaitront sans doute dans la première scène, un long travelling sur un élevage de porcs en batterie. Car le cinéma comme les séries originales, c’est pour les cinéphiles (une insulte dans la bouche de certains), les esthètes, pas les cochons qui se pâment sur des daubes formatées. 

Dans Copenhagen Cowboy, Miu (Angela Bundalovic), hypnotique, est une sorte de sorcière qui porte chance. Elle est achetée, utilisée, exploitée. Elle va finalement se venger et répandre un peu de terreur dans son monde trop propre. Un choc visuel à ne pas manquer sur Netflix. 

lundi 16 janvier 2023

Cinéma - “Retour à Séoul” et à ses origines

Durant des années, la Corée du Sud a servi de réservoir à bébés pour les couples français en mal d’enfants. Une filière d’adoption très active, mais qui a, forcément laissé des traces dans la construction de ces hommes et femmes coupés de leurs racines. David Chou s’empare du sujet dans Retour à Séoul, avec le cas particulier de Freddie (Park Ji-min). Elle a 25 ans, a vécu toute son enfance dans la campagne française (le Lot), habite désormais Paris et devait passer 15 jours au Japon. Le hasard a voulu qu’elle ait finalement choisi, au dernier moment, Séoul comme destination de vacances. 

Très vite, elle va entrer en contact avec l’organisme chargé des adoptions et tenter de rencontrer ses parents biologiques. Une quête de parents qui ne se passe pas comme elle le voudrait. La mère refuse de la rencontrer. Le père par contre, alcoolique et possessif, ne veut plus qu’elle reparte en France, qu’elle reste en Corée pour qu’il lui trouve un bon mari. 

Freddie, entre ces deux cultures, mais avant tout femme libre, ne trouve plus sa place. La suite du film raconte l’évolution de Fredie, sur une dizaine d’années. Elle va vivre en Corée durant quelques années, loin des traditions, dans un milieu très branché. Puis devenir marchande d’armes et sillonner le monde, revenant parfois au pays du matin calme. Avec toujours l’espoir de persuader sa mère biologique d’entrer en contact avec elle. 

Un film qui passe par toutes les facettes, de la mélancolie à la révolte en passant par l’abnégation et la résignation. Preuve que l’adoption est une solution qui, trop souvent, laisse des traces indélébiles dans l’esprit des enfants, forcément partagés entre deux origines souvent très opposées. 

Film de Davy Chou avec Park Ji-min, Oh Kwang-rok, Guka Han


dimanche 15 janvier 2023

De choses et d’autres - Créateurs de contenus à fric

Ne les appelez plus « influenceurs » mais « créateurs de contenus ». J’ai un peu halluciné à l’annonce de l’entrée de Squeezie au musée Grévin. L’influenceur, célèbre pour ses vidéos diffusées un peu partout, de YouTube à Twitch, est le premier à bénéficier d’une statue de cire.

Et pour l’annoncer, le musée ne parle pas d’influenceur, mais de créateur de contenu. Cela semble être le nouveau nom, plus positif, promotionné par une boîte de com’ pour présenter ces nouveaux hommes-sandwichs. Car ils ont beau créer des contenus, ces derniers sont surtout des vecteurs de publicité, pour des marques qui payent grassement.


Si au début, de simples échanges de produits suffisaient au bonheur des influenceurs, désormais, forts de leurs milliers (voire millions) d’abonnés, ces nouveaux princes du net privilégient le contrat en gros paquets d’euros. Il existe même une grille tarifaire officieuse pour se faire une idée des sommes brassées. Des tarifs astronomiques, dès qu’on dépasse les 100 000 fans. Vous pouvez gagner plus d’un smic avec un simple post sur Instagram. Si vous faites un live, c’est carrément le jackpot avec, en moyenne, 4 000 euros de revenus.

Sur YouTube, vous pourriez faire encore mieux. Mais la plateforme privilégie le nombre de vues. Ce qui permet à certains, avec peu d’abonnés, de faire sauter la banque avec une vidéo virale…

Par contre, Facebook est un peu à la ramasse. Quant à Twitter, même avec plus de 3 millions d’abonnés, un message sponsorisé ne vous rapportera, au mieux, que 10 000 euros. Même pas la monnaie croupissant au fond des poches d’Elon Musk, depuis trois ans.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le jeudi 8 décembre 2022

samedi 14 janvier 2023

De choses et d’autres - Remplacement

On s’en va une petite semaine pour solder les congés d’hiver qu’on n’a pas pu prendre durant les fêtes et quand on revient, on a la désagréable impression qu’on n’est plus trop utile. La faute à la fameuse (et de plus en plus envahissante), intelligence artificielle qui répond au nom de Chat GPT.

Cette chronique, pourrait désormais être écrite par le programme informatique. Pas sûr que les quelques lecteurs qui arrivent à la dernière page de l’Indépendant et jettent un œil distrait sur ces lignes après avoir salivé sur la recette et planifié leur journée du lendemain en fonction de la météo annoncée, voient une quelconque différence.

Pas que l’algorithme soit très efficace, mais que la version de base, issue de neurones vieillissants et de moins en moins nombreux, manque de talent et d’originalité.

Mais je prends sans doute le problème à l’envers. Pourquoi craindre de me faire remplacer ? Un esprit moderne, comme les jeunes d’aujourd’hui, ne voient pas Chat GPT comme un risque mais une chance. En effet, qui m’empêche de sous-traiter les 1 700 signes quotidiens de ce billet ? Il me suffirait de demander à Chat GPT de pondre ces 290 mots sur le sujet du jour.

En plus cela me permettrait de diversifier les thèmes abordés. Je pourrai enfin traiter avec humour des problématiques qui me dépassent totalement.

Par exemple le risque de relégation de l’USAP en Pro D2 à la fin de la saison de Top14. Même si l’exemple n’est pas bon : se moquer de l’USAP c’est prendre le risque de se retrouver crucifié sur les poteaux d’Aimé-Giral, même après avoir expliqué que c’est un robot qui a osé écrire que « L’USAP doit retourner en ProD2 puisque c’est d’évidence le niveau de l’équipe. »

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le lundi 30 janvier 2023

vendredi 13 janvier 2023

Thriller - Les dérives des réseaux sociaux décortiqués dans "S'adapter ou mourir" d'Antoine Renand

2011. Ambre discute sur MSN. Avec un inconnu, qui devient son confident virtuel. Elle a 17 ans, lui 25.
En conflit avec sa mère, elle décide de prendre le large avec son petit ami, Adrien. Direction la méditerranée. Avec une étape chez son pote internet, Baptiste, à Valence.
Arthur, la quarantaine, passionné de cinéma, a réalisé deux films. Deux flops, pour cause de dates de sortie "inappropriées".
Inapproprié, voilà bien le terme qu'Arthur apprend à se ficher dans le crâne dans les années qui suivent. Sa femme le somme de quitter leur appartement et son fils, il accepte un boulot de modérateur sur "Lifebook".
Ambre et Adrien, chez son pote Baptiste, vivent une soirée sublime. Le réveil l'est moins.

La maison bleue, une colocation dans laquelle a atterri Arthur, bientôt surnommé Bloomer par ses potes bien plus jeunes, "modos" comme lui, connaît de folles soirées. Alcool et weed, on en redemande.
Il le faut bien pour supporter cet infâme boulot de modérateur. Ils y côtoient le plus sombre de l'esprit humain. Les vidéos les plus gore.
Un roman où on découvre les dessous les plus retors de "Lifebook". Où l'on comprend pas mal de choses sur les signalements. Où l'on est horrifié par cette pieuvre gigantesque, bien pire que toutes les déviances humaines, qu'est ce réseau social.
Je suis sortie scotchée, presqu'assommée par ce roman.

Fabienne Huart

"S'adapter ou mourir", Antoine Renand, Robert Laffont La Bête Noire, 21 € et Pocket pour la version poche, 9,50 €

jeudi 12 janvier 2023

BD - Fatals Picards et grands rigolards

Transformer les quatre membres du groupe de rock déjanté des Fatals Picards en héros de bande dessinée fait partie de ces idée saugrenues qui germent dans la tête des scénaristes sans la moindre limite. Jean-Luc Garréra (Les Vélomaniacs, Les oiseaux en BD ou Les Musicos) fait partie des très grands fans du groupe aux 300 000 albums vendus. Et anciens représentants de la France à l’Eurovision. Depuis quelques années il porte ce projet, persuadé que l’humour des quatre musiciens est une mine inépuisable pour concocter des histoires complètes entre absurde, florilège de jeux de mots et critique acerbe de la société.

Après avoir reçu l’adoubement du groupe, toujours partant pour se fendre la poire, même si c’est à leur détriment, Jean-Luc Garréra, de son refuge à Coursan a trouvé un dessinateur prêt à se lancer dans l’aventure « picardesque ». Restait à convaincre un éditeur. Logiquement c’est la maison d’Olivier Sulpice soutien de Jean-Luc Garréra depuis ses débuts qui a donné son feu vert. Dans un esprit très Fluide Glacial, Billy, Vivou, Jim et Poupou, après quelques gags pour bien cerner leurs personnalités (le premier est guitariste-philosophe, le second passionné de guitare et bassiste émérite, le troisième batteur et très imbu de sa plastique, le dernier chanteur, passionné par les vieux tubes, le kazoo et les expériences capilaires).

Ensuite place à trois gros récits complets pour compléter les 64 pages de cette BD assez inclassable. Une histoire de zombies, de monstre du Rockness en Ecosse et une extraordinaire satire des émissions de téléréalité.
On rit beaucoup aux dialogues très travaillés et bourrés de jeux de mots ou d’allusion et hommages aux chansons des Fatals, à la musique des années 80 ou tout simplement à une certaine déconne, signature du groupe qui ne s’est jamais pris au sérieux. Cela donne envie de réécouter quelques titres des Fatals et regretter que le rock français ait pris un tournant trop sérieux alors que cela reste un formidable vecteur d’optimisme et de joie pour les jeunes de 7 à 77 ans.

« Fatals Picards Comics Club » de Jean-Luc Garréra (scénario) et Juan (dessin), Bamboo Edition, 15,90 €

mercredi 11 janvier 2023

BD - Quel avenir pour les arbres ? Réponse dans NéoForest

Elles sont rares les nouveautés BD qui allient une parfaite harmonie entre histoire et dessin. Trop souvent un bon scénario est peu mis en valeur part un dessin trop expérimental et pas assez au service de l’intrigue. D’autres fois, la virtuosité du dessinateur est noyée par un salmigondis de clichés desservant une vision unique d’un monde qui pourrait faire rêver en entraîner très loin le lecteur en mal de découverte. Alors quand les deux s’accordent parfaitement, donnant naissance à un monde nouveau et passionnant, l’amateur de BD se remet à espérer dans la force de proposition et d’invention d’un média tout sauf épuisé.

NéoForest est un récit d’anticipation post-apocalyptique imaginé par Fred Duval. Après la technologie futuriste de sa série Renaissance (dessin de Emem chez Dargaud), place à l’effondrement de la civilisation, et un retour dans un Moyen Age violent. La France (l’Europe en général et les autres continents), sont divisés en zones repliées sur elles-mêmes dominés par des seigneurs de la guerre. Dans un petit royaume autonome, recouvert d’une forêt riche et parfois dangereuse, le comte Cocto règne en maître sur ses sujets. Il n’a qu’une fille pour assurer la descendance : Blanche. Cette dernière n’est pas intéressée par le pouvoir. Sa raison de vivre d’est l’exploration de la forêt, rencontrer le petit peuple, protéger les arbres et les animaux mythiques comme les licornes et autres mutants entre sangliers et hommes.

Perdues dans les entrailles des bois, elle ne se doute pas qu’un complot vient de débuter au château pour écarter son père du pouvoir.
Une histoire de pouvoir classique, embellie par la richesses des trouvailles scénaristiques de Duval, du tournoi de chevalier en VTT en passant par des orchidées tueuses ou l’utilisation des cochons pour « réparer » les humains en mal d’organes neufs. Le meilleur reste le dessin et les couleurs de Philippe Scoffoni. Il donne une vie à part à la forêt, sa profondeur, voire sa conscience. Une BD écologique du futur.

 « NéoForest » (tome 1), de Fred Duval (scénario) et Philippe Scoffoni (dessin), Dargaud, 16,50 €

mardi 10 janvier 2023

BD - Les Amis de Spirou résistent

Plus ancien hebdomadaire de bande dessinée pour les jeunes, Le Journal de Spirou a une très longue histoire derrière ses plus de 4400 numéros hebdomadaires. Lancée en 1938 sur une intuition par Jean Dupuis, un imprimeur de Marcinelle près de Charleroi en Belgique, cette revue se voulait une concurrence directe aux titres français qui inondaient le marché outre-Quiévrain.

A sa tête Jean Doisy, journaliste regorgeant d’idées. Il a inventé l’interactivité avant l’heure en proposant aux jeunes lecteurs de lui poser des questions sur tout et n’importe quoi. Il donnerai les solutions dans sa rubrique du Fureteur. Un Fureteur qui rapidement devient une des vedettes du journal avec Spirou, bien évidemment mais aussi Tif et Tondu ou Valhardi. Et à la demande des lecteurs, dès la fin de la première année de parution, il met en place une structure ressemblant à une organisation scout, Le club des Amis de Spirou. Des milliers de membres, une charte ou code d’honneur, un langage codé et la volonté d’inculquer des valeurs à cette jeunesse pleine de vitalité. Cette belle aventure, lancée en août 1938 arrive alors que l’Europe plonge dans la guerre.

La Belgique, rapidement occupée par l’armée allemande, vit sous la coupe des nazis. La collaboration bat son plein avec l’apparition du parti Rexiste.
Mais la Résistance n’est pas en reste avec l’union des communistes et de certains groupe catholiques. Le Club des Amis de Spirou, par sa philosophie altruiste trouve toute sa place, même si ses membres ne sont que des enfants. C’est cet engagement qui est au centre de cette nouvelle série écrite par Jean-David Morvan et mis en images par David Evrard. Un duo qui connaît parfaitement cette période sombre de l’Europe après le succès de leurs séries Irena et Simone (chez Glénat, ce dernier titre remportant le prix des collèges ce week-end à Angoulême).

Ce premier gros album de 72 pages raconte la formation de cette bande de six jeunes Belges de Marcinelle, privés de leur magazine à cause de la censure allemande. Ils décident d’entrer dans la clandestinité et d’imprimer eux aussi des feuilles volantes de gags se moquant des occupants. Un récit humoristique devenant grave quand Jean Doisy prononce l’oraison funèbre de deux des six Amis de Spirou, morts au combat une année plus tard.

Entre humour, pédagogie et émotion, cet album exemplaire est capital pour que les générations futures n’oublient pas le sacrifice de certains jeunes capables de dépasser leur propre petite personne pour oeuvrer en faveur de l’intérêt général, de la liberté et d’un idéal égalitaire. Et pour bien s’imprégner de l’époque, un poster est offert en fin de volume reprenant les 9 préceptes du code d’honneur dont le premier donne son titre à l’album : Un ami de Spirou est franc et droit.

« Les amis de Spirou » (tome 1) de Jean-David Morvan (scénario), David Evrard (dessin) et Ben BK (couleurs), Dupuis, 14,95 €


lundi 9 janvier 2023

Thriller - Le manoir des sacrifiées sur « L’île de Yule »

La Suède est une terre féconde pour les auteurs de polars. Johana Gustawsson en semble un des meilleurs exemples. Pourtant, malgré son nom typiquement nordique et le fait qu’elle vit depuis quelques années à Stockholm, cette autrice est française et publie ses thrillers terrifiants directement dans la langue de Molière. Chez Calmann-Lévy, elle vient de sortir son second titre après le succès de sa trilogie Roy et Castells parue chez Bragelonnne et en cours d’adaptation en série télé. Un roman entièrement rédigé en Suède après qu’elle a abandonné le soleil de l’Espagne pour s’installer avec sa petite famille sur l’île de Lindigo dans la capitale.

Le roman, sorte de huis clos urbain, se déroule en grande partie sur la petite île de Storholmen. Sa particularité : pas de voitures. La petite communauté y vit à son rythme, loin du tumulte de la grande ville. Il y a quelques maisons individuelles, un bar restaurant près de l’embarcadère où accoste plusieurs fois par jour un bateau faisant la liaison avec Lindigo et un manoir.
Un véritable château, construit au début du XXe siècle par la riche famille des Gussman. Longtemps inhabité, le dernier héritier de la dynastie vient d’y emménager avec sa femme et son fils. Pour les 100 ans du domaine, il veut faire l’inventaire des œuvres d’art collectionnées par ses ancêtres. Il demande donc à une société spécialisée dans l’estimation puis la revente aux enchères de faire l’inventaire. Ce sera Emma Lindahl, jeune experte passée par Christie à Londres qui se retrouve chargée de répertorier ces trésors oubliés.

Sacrifice et pendaison

On découvre assez rapidement qu’Emma a un passif avec le manoir. C’est là que sa jeune sœur a été retrouvée, morte assassinée, pendue à un sapin, vidée de son sang après avoir été torturée plusieurs jours d’affilée, il y a neuf ans. Quand un autre cadavre est retrouvé dans les eaux glacées, le policier chargé de la première enquête, Karl, est persuadé que le cauchemar reprend. Il avait émis l’hypothèse à l’époque que ce crime était une réminiscence de sacrifice de l’ancienne religion viking. Karl qui malgré la disparition de son épouse quelques jours plus tard dans les eaux glacées de Stockholm, se jette à corps perdu dans cette enquête.

Le roman de Johana Gustawsson met un peu de temps à se mettre en place. Car la romancière a pris le parti de faire parler à tour de rôle les différents protagonistes de l’histoire. Emma, Karl, mais aussi une certaine Viktoria, employée de maison au manoir. Trois points de vue pour découvrir les mystères de Storholmen. Le premier coup de théâtre vient d’Emma. En faisant l’inventaire de la chambre de la femme du premier capitaine d’industrie de la dynastie Gussman, elle découvre un message, un SOS après avoir fait tomber trois brosses anciennes et finement ouvragées : « une à cheveux, deux à habits. La coque en argent s’est détachée de la brosse ronde, ouverte comme un coquillage. Tout en moi se glace. (…) J’essaie de reloger la partie métallique qui s’est détachée du manche lorsque j’aperçois un bout de papier plié à l’intérieur. Je le retire par automatisme. Il s’agit d’une note. Une note dont les mots hérissent mon corps de chair de poule : ‘Aidez-moi, je suis enfermée ici’ » Cet appel au secours est-il de la main de sa jeune sœur ? Ou d’une autre femme victime précédemment du même tueur en série ? L’enquête peut véritablement débuter pour Emma et Karl.
Quand survient un revirement incroyable, L’île de Yule acquiert une nouvelle dimension, particulièrement machiavélique et retorse. Et ce n’est qu’un début, la romancière prenant un malin plaisir à inverser les rôles, transformant des héros en méchants ou en semant le doute sur les véritables motivations des différents protagonistes. Un thriller qui parvient nous étonner, loin des sentiers battus, à l’intrigue aussi compliquée (et brillante) qu’un coup de billard à quatre bandes. 

« L’île de Yule » de Johana Gustawsson, Editions Calmann-Lévy, 342 pages, 19,90 €

dimanche 8 janvier 2023

Cinéma - Pourquoi il ne faut absolument pas rater le film Babylon de Damien Chazelle avec Brad Pitt et Margot Robbie

Un film unique, comme rarement Hollywood et l'industrie du cinéma en produit. Une œuvre d'une extraordinaire ambition et d'un souffle, d'un brio, d'une force qui balaie tout sur son passage. Plonger dans l'univers de Babylon c'est se laisser envahir par une musique entraînante, des scènes osées et délirantes. Et une distribution époustouflante avec Brad Pitt et Margot Robbie en vedettes.

L'histoire en parallèle de plusieurs personnes qui ont participé à la fabrication de la légende du cinéma hollywoodien. Un grand acteur du muet (Brad Pitt), une jeune fille qui n'a pas froid aux yeux et qui va devenir une star (Margot Robbie), un jeune Mexicain (Diego Calva), homme de confiance d'un studio puis visionnaire de l'avenir du cinéma, un trompettiste noir (Jovan Adepo) ne vivant que pour sa musique, rencontrant la célébrité quand le cinéma devient parlant et musical. Plus de trois heures intenses pour raconter la grandeur et la décadence de ce qui allait devenir une industrie mondiale.

Dans ce film, son cinquième seulement, Damien Chazelle, rencontré ce samedi 14 janvier à Paris, a voulu y mettre "tout ce qui m'a choqué dans l'histoire d'Hollywood. On pensait que c'était une époque sage et glam, mais il y avait beaucoup d'histoires cachées autour du sexe, de la drogue, des mœurs." Une ambiance "punk-rock" qu'il a filmée dans une introduction qui devrait rester dans l'anthologie du cinéma. Une fête dans la villa d'un riche producteur. Tous les excès sont permis, encouragés. La musique est entraînante, l'alcool coule à flots, les hommes et femmes perdent toute inhibition, tous des artisans du cinéma muet de l'époque, se lâchent pour une nuit de folie. "Contrairement à Lalaland, il fallait cacher la chorégraphie de cette fête, explique le réalisateur. Donner l'impression que c'est spontané capter le côté fou. Nous avons beaucoup répété pour cela.

Brad Pitt, lors d'une conférence de Presse au Bristol, toujours ce samedi 14 janvier, a confirme le côté fou de la période racontée dans le film : "On croyait qu'à l'époque tout était à sa place dans un environnement stérile. Mais il y avait une absence totale de rèles, la liberté dans tous ses excès."  

Babylon va beaucoup plus loin dans l'aspect superficiel du délire de l'époque. Le film raconte aussi comment à cette époque, "à Los Angeles, n'importe qui pouvait faire n’importe quoi." Brad Pitt incarne une star du cinéma muet, volage, alcoolique mais aussi parfaitement conscient que si ses films attirent des millions de spectateurs, ce ne sont que des œuvres mineures. Il voudrait faire plus, mieux. Mais quand arrive le parlant, il voit son monde s'effondrer, délogé du devant de la scène par les comédiens passés par le théâtre. 

Il faut aussi voir ce film pour l'incroyable composition de Margot Robbie. Elle se donne à fond dans ce rôle physique. Sa beauté, sa présence, irradie tous les plans où elle intervient. Quand elle est brillante devant la caméra, mais aussi quand elle pète les plombs, brûle ses cachets en drogue ou au casino, jusqu'à se retrouver endettée auprès d'un gangster de la pire espèce. On découvre dans ce rôle un étonnant Tobey Maguire, véritable cauchemar ambulant entre folie furieuse et violence gratuite. 

samedi 7 janvier 2023

BD - Livre fourre-tout


Sylvain Mazas aime déménager. Français, il vit en Allemagne et tente régulièrement des pays comme nous des restaurants. Il le raconte dans ses livres, mélange de roman graphique, de BD et de tableaux pleins de chiffres. Ce graphiste a le chic pour aborder des sujets très compliqués avec des termes et des dessins très simples.

Dans le 3e tome de ses aventures, il revient sur son installation en Grèce, son travail avec les réfugiés, comment il compte « réduire les inégalités entre les riches et les pauvres » et aussi rembourser sa femme.

« Ce livre devrait me permettre… » (tome 3), Delcourt, 10,50 €

vendredi 6 janvier 2023

BD - Chasseur du futur

Dans ce futur assez éloigné, les villes sont séparées en deux. Derrière les murailles, les très riches, à l’extérieur les pauvres. Akira, gamin des rues, espère devenir riche en devenant chasseur de reliques, ces objets qui datent de l’ancien monde.

Il va pouvoir compter sur Alpha, une superbe blonde pulpeuse, elle-même vestige du passé puisqu’elle n’est que l’image d’une intelligence artificielle. 

Basé sur le roman de Nahuse, ce manga de Kirihito Ayamura offre son lot de combats et de trouvailles futuristes. .

« Rebuild the world » (tome 1), Vega Dupuis, 8 €

jeudi 5 janvier 2023

BD - À la Bastille ! Avec des enfants

À Paris en 1789, le peuple a faim. Les ouvriers sont sans le sou, les artisans presque ruinés. Quant aux enfants des rues, ils se débrouillent comme ils peuvent. 

Cette nouvelle série de Bordas raconte comment Michel, fils d’un tailleur, va rejoindre une bande de petits voleurs qui vivent cachés sur les toits de la capitale.

Durant ce printemps de révolte, il se retrouve seul après que son père a été arrêté car un peu trop révolutionnaire. Du coup, Michel n’a plus qu’un but : aller libérer son père, emprisonné à la… Bastille.

« Les enfants perchés de la Révolution » (tome 1), 11,95 €

mercredi 4 janvier 2023

BD - Monstre personnel

Le concept est assez étonnant au début. Dans ce monde en tout point identique au nôtre, chaque humain naît avec un monstre associé. Il ne sort de son œuf qu’à la puberté. Une sorte d’avatar qui semble être le reflet de notre personnalité. Éloïse, jeune collégienne, n’a pas encore son monstre.

Quand il arrive, pas de chance, c’est un mauvais monstre. Il est doté de pouvoirs magiques et est beaucoup plus autonome que les normaux. Enzo Berkati raconte dans sa première BD le changement de vie de la jeune héroïne solitaire. Touchant.

« Mauvais monstre » (tome 1), Glénat, 15,50 €

mardi 3 janvier 2023

Littérature - L’amie perdue de vue et « Le secret de Sybil »

Un peu avant l’adolescence, Laurence Cossé a eu une amie absolue. De celle avec qui on partage tout, on se comprend toujours, un double intellectuel.

Laurence et Sybil étaient inséparables de 10 à 14 ans. Et puis à la faveur d’un changement d’établissement scolaire, les liens se sont distendus puis rompus. Des années plus tard, Laurence Cossé a cherché à comprendre ce qui était arrivé à Sybil et le raconte dans Le secret de Sybil, roman témoignage sur la vie en France à la fin des années 60. C’est ce que l’on retiendra essentiellement de ce texte fort et édifiant.

Ainsi, Laurence Cossé souligne qu’« une fille de ma génération portait en elle, à vie, la conviction d’être par nature moindre, et dépendante, à jamais. Une petite fille des années 60 se savait par définition une demi-portion, un accessoire, tout au plus une future femme, c’est-à-dire, en attendant, rien : rien avant d’être engrossée, unique compétence à laquelle elle pouvait prétendre, si l’on peut dire puisqu’elle n’y parviendrait jamais seule. »

Finalement les deux jeunes filles deviendront des mères de famille. Mais jamais elles ne se retrouveront et la complicité disparaîtra définitivement avec la mort prématurée de Sybil, emportant dans sa tombe ce secret si compliqué à porter.

« Le secret de Sybil » de Laurence Cossé, Gallimard, 16 €

lundi 2 janvier 2023

Littérature - « La poésie des marchés » et ses haïkus d’open-space chez Albin Michel

Certains métiers sont plus abscons que d’autres pour le grand public. Analyste de marché par exemple. Comment définir le travail de Lucie, l’héroïne du premier roman d’Anne-Laure Delaye, La poésie des marchés ? Une fois le roman terminé vous n’aurez pas plus de réponse, mais vous aurez souvent rigolé aux trouvailles de ces employés d’open-space pas très sérieux.

Lucie par exemple doit anticiper les variations du coût de l’électricité. Elle rédige des mémos qu’elle communique à des traders chargés de spéculer. Elle a longtemps essayé de comprendre le marché, puis s’est contentée de décider au hasard, ou en fonction de haïkus qu’elle compose à la cantine. ?

Voire en se fiant à un varan qu’elle héberge dans un local de la société, avec un artiste SDF et ses toiles réalisées à partir de graphiques.

Un roman hilarant et pourtant ancré dans le réel. Pour preuve, avec un collègue, Lucie se demande si la guerre va bien éclater en Ukraine. « Nous avons papoté quelques minutes en attendant l’ouverture des marchés. Benjamin regrettait de devoir annuler un voyage en transsibérien qu’il avait prévu depuis quelques temps. ‘Mais si la guerre éclate vraiment, on risque d’avoir un beau bonus sur le gaz. Je ferai un voyage deux fois plus long l’année d’après’.» Quand la fiction a le goût amer de la réalité.

« La poésie des marchés » d’Anne-Laure Delaye, Albin Michel, 19,90 €

dimanche 1 janvier 2023

Littérature : Sororité destructrice dans "Fille en colère sur un banc de pierre" de Véronique Ovaldé

Sur une île volcanique de Méditerranée au large de la Sicile, la famille Salvatore ne passe pas inaperçue. Le père, un taiseux taciturne, passionné d’opéra, s’est marié à une fille du cru, Sylvia, et lui a fait quatre filles. C’est le destin de ces quatre sœurs qui sert de trame au roman de Véronique Ovaldé. La Fille en colère sur un banc de pierre qui donne son titre au livre c’est Aïda. Aïda la pestiférée, celle qui a quitté l’île pour vivre à Palerme. Cela fait 15 ans qu’elle n’a plus de nouvelles de la famille.

Quand elle reçoit un appel de sa sœur Violetta, elle se doute que c’est pour une mauvaise nouvelle. Le père, le Vieux, sa seigneurie comme elles ont l’habitude de le surnommer, vient de mourir. Aïda décide d’aller aux obsèques malgré le lourd passif entre elle et ses sœurs.

Ce roman puissant de Véronique Ovaldé, donne l’occasion au lecteur de plonger au cœur d’une famille compliquée. Voire totalement éclatée. Pourtant à la base il y a tout pour être heureux. La romancière le reconnaît quand elle écrit : « Je pourrais écrire quelque chose comme : elles étaient quatre sœurs inséparables promises à la plus belle des vies. Il y avait Violetta la reine, Gilda la pragmatique, Aïda la préférée et Mimi le colibri. » Elles ont deux ans d’écart et tout s’écroule un soir de carnaval. Malgré l’interdiction du père, en pleine nuit, Aïda, 8 ans, va participer aux festivités. Mimi, qui dort dans la même chambre, va avec elle. Dans la foule, elles découvrent un monde joyeux, débridé. Se perdent de vue. Aïda rentrera à la maison. Pas Mimi.

Que s’est-il passé le soir fatidique ?

La disparition de la petite dernière, celle qui avait tant de fois bravé la mort (chute du premier étage, début de noyade, guêpe dans la gorge…) brise le père. Il estime Aïda responsable. Ne lui adresse plus la parole. Les deux grandes sœurs aussi changent d’attitude et deviennent méchantes avec elle. Ce qui explique sa fuite vers Palerme. L’amour déserte la famille Salvatore. Les filles ont peur : « Leurs parents étaient piégés dans la géométrie invariable des couples - elle craignait que son mari ne finisse violent, il craignait que son épouse ne finisse par devenir folle. » En revenant sur l’île, Aïda se demande si elle va comprendre ce qui s’est passé ce soir fatidique. Qu’est-il arrivé à Mimi ? Est-elle encore en vie comme le croit, l’espère, la mère ?

Le roman, en plus de raconter l’évolution des trois sœurs restantes, leurs parcours de vie si différents, a parfois des airs d’enquête policière. Et aussi de comédie romantique. Avec en toile de fond cette sororité destructrice. Car l’absence de la petite sœur plane telle un vautour sur les trois sœurs restées en vie.

« Fille en colère sur un banc de pierre » de Véronique Ovaldé, Flammarion, 21 €