Échanges de lettres entre une mère, son fils et la maîtresse de ce dernier. Succulent trio animé par Régis Jauffret.
Petit bijou de style et d'érudition, « Cannibales », roman épistolaire de Régis Jauffret, dans la première liste du Goncourt, désarçonne dans sa forme. Pas de description ni de dialogues, les 180 pages sont constituées d'une suite de lettres que les trois personnages principaux s'envoient chronologiquement. Noémie, la première, écrit à Jeanne, la mère de son amant Geoffrey. Elle lui explique pourquoi elle a préféré rompre avec cet architecte de trente ans son ainé. La mère, furieuse dans un premier temps, se laisse séduire par les lettres légères et très personnelles de la belle Noémie. Au point qu'on a l'impression que la mère tombe à son tour amoureuse de cette jeune artiste peintre. Jeanne ne se prive pas de donner des conseils à la jeune femme « Un dernier mot : aimez. L'amour est une picoterie, une démangeaison dont on ne saura jamais si le plaisir du soulagement que nous procure la caresse de l'amant vaut les désagréments de son incessant prurit. » Noémie, de son côté, est bien consciente que Geoffrey souffre de sa rupture. Elle le raconte sans fioritures à sa génitrice. « Avec moi, de l'amour il (Geoffrey) en a peut-être eu le goût sur la langue. C'est ça le chagrin, le souvenir d'un instant défunt. » La poésie, la grâce et la beauté s'invitent souvent dans les lettres des deux femmes. Comme si au calme face à leur page blanche elles parvenaient à merveille comprendre le sens du monde.
A la broche
Mais elles dérapent aussi parfois. Une fois proches, elles se délectent à imaginer une mort violente pour ce Geoffrey qui, au final, les aura toujours un peu déçu. On comprend alors le titre du roman, « Cannibales », quand Noémie s'imagine cuisiner son cadavre. « Après avoir salé et poivré sa dépouille, tenant chacune une extrémité du manche sur lequel nous l'aurons empalé, nous le ferons griller à la broche au-dessus d'un feu de sarments de vigne et de bois d'olivier. Nous pilerons ses os dans un mortier afin de pouvoir nous repaître de sa moelle montée en mousseline avec un kilo de bon beurre. » Moins glamour cette obsession, qui s'achèvera en un étrange barbecue.
« Cannibales » de Régis Jauffret, Seuil, 17 €
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