Le métier de pêcheur est rude, mais ils n'en changeraient pour rien au monde, ces « Moissonneurs de l'Opale » dont Daniel Cario dépeint si bien toutes les facettes.
Sur la côte d'Opale, en 1900, pas question de mélanger les torchons et les serviettes. Dans le village d'Etaples, le quartier de la Marine abrite les familles de pêcheurs. Les hommes partent en mer toute la semaine, les femmes sont sautrières (elles ramassent les crevettes) ou autres petits métiers d'appoint, toujours en rapport avec leur mer nourricière. Ces margats (marins) éprouvent un profond mépris pour les quénias – fermiers et autres travailleurs de la terre, lesquels le leur rendent bien.
Rivalité ancestrale qui n'est pas pour arranger les affaires de Cathy et Gabin. La première, fille de Guillaume Dormont, l'un des patrons-pêcheurs les plus respectés, devient sautrière dès ses 14 ans. Le second, même âge, fraîchement débarqué dans le pays, est aussi blond que les blés que cultivent ses grands-parents. Mais, c'est bien connu, l'amour n'a que faire de ce genre d'antagonisme.
Non, à vrai dire, Cathy a bien d'autres sujets de préoccupations. Elle découvre que Gabin connaît « d'avant » Angèle, surnommée la « Crabesse », femme étrange et solitaire qui se prend d'affection pour la jeune fille. Mais flotte entre ces trois-là le fantôme d'une certaine Sophie, la fille aujourd'hui disparue d'Angèle et amour d'enfance de Gabin. Le sosie de Cathy. Silences, mystères, malaise. La jeune sautrière finit par se demander si c'est elle qu'on aime, ou son image.
La rudesse du métier
Le moins que l'on puisse dire de Daniel Cario, c'est qu'il est bien documenté. Ses descriptions des métiers de la mer en ce début de siècle s'avèrent passionnantes, au point qu'il est difficile de lâcher les « Moissonneurs » en cours de lecture.
On apprend mille et une choses sur le quotidien des hommes en mer mais aussi des femmes, obligées non seulement d'être présentes à l'arrivée du chalutier pour réceptionner le poisson frais pêché et ensuite d'aller le vendre à la criée. Ce n'est que le début de la journée pour les épouses des pêcheurs, dites « matelotes », pour la plupart sautrières aussi.
Elles empoignent leur harnachement et accomplissent, pieds nus, même en plein froid, les cinq kilomètres qui séparent le village de la plage. « Elle (…) déplia son filet et s'aventura dans le flot, après avoir assuré son panier contre sa hanche et son tamis derrière elle. A pousser le haveneau, Cathy avait le temps de réfléchir... ». C'est un euphémisme d'affirmer que la température de l'eau en hiver sur la côte d'Opale est plutôt fraîche. Ces femmes courageuses y entrent cependant jusqu'à la taille, ou pire, perdent pied et boivent carrément la tasse, puis, la pêche terminée, trempées jusqu'aux os, sont obligées de refaire le trajet de retour, toujours à pied, grelottantes.
Bien sûr, l'histoire se passe en 1900, et le progrès a considérablement amélioré les conditions de travail. N'empêche, la vie de ces gens à l'époque donne à réfléchir et permet de relativiser pas mal de nos petites récriminations.
Outre une intrigue savamment ficelée, Daniel Cario nous offre ici un roman bien écrit, chaleureux et riche en découvertes.
Fabienne HUART
« Les Moissonneurs de l'Opale », Daniel Cario, Presses de la Cité (Terres de France), 21 euros.