dimanche 10 mai 2009

Mes BD Souvenirs (10)

Cela fait plus de 30 ans que je lis des BD. Trois décennies au cours desquelles j'ai pu voir l'évolution de certains dessinateurs. Ils sont reconnus et ont du succès aujourd'hui, mais cela n'a pas toujours été vrai. Les débuts ont parfois été durs pour certains. La maîtrise n'était pas complète.


Exemple le plus frappant : Christian Rossi. Je découvrais sa signature dans Circus durant les années 80. Il dessinait les aventures de Frédéric Joubert sur un scénario de Filippini. Il tentait de faire du réaliste. Mais j'avais toujours l'impression que quelque chose clochait dans ses dessins. Problème de perspective ou d'anatomie, tout paraissait faux et bancal. A côté d'un Giraud ou d'un Blanc-Dumont, je le trouvais nul. Mais il ne s'est pas découragé. Et à force de travail, il a trouvé les clés pour rendre son dessin plus aérien et juste. Une bascule évidente dans la série « Le chariot de Thespis ». Ensuite il s'est imposé comme un des plus grands de Jim Cutlass à WEST. Il n'est pas le seul à avoir un trait maladroit à ses débuts. Prenez les premiers Bernard Prince. Hermann avait un trait noir et foncé, trop encré, avec des héros aux muscles hypertrophiés. Il faudra des planches et des planches pour qu'il acquière cette dextérité incomparable.

Certains dessinateurs ont également eu des problèmes à leurs débuts pour des erreurs de castings. En clair, leur première série n'était pas du tout ce qu'ils pouvaient dessiner de mieux. Une sorte d'apprentissage, presque de bizutage. Ainsi comment imaginer que Griffo, dessinateur de SOS Bonheur, Giacomo C. , Sade ou Ellis Group a débuté en reprenant... Modeste et Pompon. Cette série de gags, imaginée par Franquin et animée durant de nombreuses années par Mittéi était orpheline. Griffo, postulant à la rédaction de Tintin, en a signé une petite trentaine. Un petit galop d'essai avant de s'imposer comme dessinateur réaliste dans les pages de Spirou.

Franz aussi a longtemps hésité entre dessin réaliste et humoristique. Alors même qu'il se lançait sur les traces de Jugurtha, il amusait les lecteurs de Tintin avec Korrigan, des histoires complètes écrites par Vicq. Frais, sans prétention, cette série a rencontré un joli succès. Mais il a fallu que Franz choisisse. Son amour des chevaux et des belles femmes a certainement fait pencher la balance vers Jugurtha et Lester Cockney.

Autre débutant des années 70 devenu un dessinateur reconnu aujourd'hui : Renaud. Sa première série a surtout marqué les esprit par la complexité du scénario. Aymone, héroïne sortie de l'imagination de Jean-Marie Brouyère, évoluait dans des décors enneigés au milieu de nombreux militaires. Une belle jeune femme, toute en formes. Renaud a continué dans cette voie, dénudant de plus en plus ses personnages féminins, notamment la sublime Jessica Blandy sur un scénario de Jean Dufaux.

Ces débuts hésitants de dessinateurs ont parfois été réédités en album bien des années après leurs publications dans les revues. Certains sont totalement introuvables comme les gags de Modeste et Pompon. Heureusement, le site officiel de Griffo a exhumé ces planches que l'on peut visionner dans un « musée des antiquités ». Pour ma part, toutes ces BD sont encore bien présentes dans ma mémoire tant elles m'avaient marqué, par leurs défauts ou leurs différences.

A l'inverse, la vieillesse a parfois joué des tours à certains auteurs qui ont lentement perdu leur coup de crayon. Exemple avec Raymond Macherot. Son trait, très classique, au sommet de sa carrière, est devenu tremblant et hésitant dans les dernières années. Il n'a pas su s'arrêter à temps. Mais parfois, les dessinateurs n'ont pas le choix, même si leur santé est chancelante, ils doivent continuer à produire pour assurer les fins de mois. Ils sont rares ceux qui peuvent arrêter une série et profiter d'une retraite méritée. Berck (Sammy) et Deliège (Bobo) en font partie. Et pour ces deux derniers, on regretterait presque ce retrait du monde de la BD tant ils sont partis au sommet de leur art. 

samedi 9 mai 2009

BD - Passion victorienne


La collection Ex-libris propose des adaptations en BD de grands classiques de la littérature. Toute la difficulté est de trouver le bon illustrateur pour la bonne histoire. Certains duos ne sont pas spécialement concluants, d'autres sont remarquables. 

Le choix d'Edith pour dessiner le sombre et passionné « Hauts de Hurlevent » d'Emily Brontë fait indéniablement partie de cette seconde catégorie. Elle a toujours apprécié les ambiances victoriennes (Basil et Victoria) et elle le prouve en proposant des vues sublimes de ces landes sauvages et froides. Remarquable également la représentation de Heathcliff, le jeune bohémien recueilli par le maitre de maison. De petit sauvageon il devient le souffre-douleur du frère aîné et l'amour secret de sa sœur. 

Pour finalement être chassé de la maison. Passion, déchirement, haine et décadence sont le ciment de cette histoire qui a bouleversé le paysage littéraire anglais à sa parution. L'adaptation de Yann est entièrement au service du roman et de la dessinatrice.

« Les Hauts de Hurlevent » (tome 1), Delcourt, 9,95 € 

vendredi 8 mai 2009

BD - Mayotte, enfer tropical


Charles Masson, médecin à la Réunion, a passé plusieurs mois à Mayotte. C'était en 2004. Il voulait en faire un livre sur le miracle d'une île ouverte, accueillant sur son sol des migrants, essentiels pour le développement de ce petit territoire. Mais il est arrivé au moment où le gouvernement, avec un certain Nicolas Sarkozy au ministère de l'Intérieur, a durci les règles. 

Centre de rétention, expulsions massives, descente dans les hôpitaux et les écoles. Un véritable cauchemar pour cet humanitaire. Il raconte ce basculement dans un imposant roman graphique de 400 pages. On suit le parcours de quatre « expatriés », de l'instit révolté au commercial nostalgique des colonies en passant par la sage-femme de plus en plus au bord de la crise de nerfs. Un réquisitoire contre une dérive de la République. 

Depuis, Mayotte est devenue département d'Outre-mer. Et des Comoriens tentés par le rêve occidental meurent toujours noyés dans le lagon en tentant de rejoindre ce bout de sol français.

« Droit du sol », Casterman, 24 € 

jeudi 7 mai 2009

Fantastique - Chasseur d'enfant

Lutte à mort entre un tueur d'enfant, Killjoy, et le père d'une de ses petites victimes dans ce roman très sombre de Tom Piccirilli.

Le bonheur est éphémère. Le bonheur ne tient souvent qu'à un fil. Le malheur, par contre, est trop souvent éternel. La vie d'Eddie Whitt bascule quand il découvre sa fillette, Sarah, morte dans son lit. Elle vient d'être assassinée par un tueur en série. Etouffée avec son oreiller. Le monstre signe son forfait en dessinant un visage d'enfant stylisé sur l'arme du crime. En quelques mois, une dizaine d'enfants seront tués de la sorte. Cela fait cinq ans que Sarah est morte. Cinq ans que Whitt tente de démasquer Killjoy. C'est lui qui a trouvé ce nom. Le marchand de sable, le tueur à l'oreiller.

Eddie, réalisateur de films publicitaires, ne travaille plus. Il n'a plus qu'une obsession : se venger. Sa femme a sombré dans la folie. Elle est internée dans une clinique psychiatrique. Seul, il est lui aussi de plus en plus au bord de la démence ; il traque le serial killer.

Mais depuis quelques temps, la donne a changé. Killjoy a changé du tout au tout. Après avoir plongé des familles dans le deuil, il se décide de leur redonner un espoir. Il ne tue plus mais enlève des enfants. Des gamins maltraités. Et les offre aux parents de ses premières victimes. Eddie ne supporte pas ce revirement qui transforme le tueur en bienfaiteur. Quand il découvre, un matin, un bébé dans un couffin devant la porte de son appartement, il ne le garde pas. Il avertit la police qui rend l'enfant aux parents légitimes. Et Eddie d'être encore plus tourmenté se demandant s'il a été un bon père ?

Enlevés au malheur

Ce roman de Tom Piccirilli, sans être à proprement parlé fantastique, explore si profondément l'âme humaine qu'il en devient presque irréel. D'autant que la première scène se déroule dans une maison glauque abritant une secte. La mère de famille, gourou tyrannique, reconnaît qu'un enfant lui a été enlevé. Eddie y voit la signature de Killjoy. Mais il découvre également que la secte a assassiné les parents, de même que d'autres disciples pas assez coopératifs. Bref, pour la police et la presse, l'enlèvement de l'enfant l'a sauvé des griffes d'affreux tortionnaires.

Eddie, que l'on suit du début à la fin du roman, n'admet pas cette nouvelle perception de Killjoy. Cela reste avant tout un tueur d'enfant. Le tueur de son enfant. Un roman d'une noirceur absolue, détaillant avec un luxe de détails la névrose du héros.

Quand il n'en peut plus, qu'il sent qu'il va lâcher prise, il se maintient en mordant du métal comme cette scène se déroulant en pleine rue : « Il se pencha en avant, colla les lèvres au fond du coffre, le mordit en gémissant d'angoisse contre la ferraille, tandis que la brise lui promenait les cheveux devant les yeux. Les plombages de ses molaires et de ses prémolaires se déformèrent puis s'effritèrent contre ses gencives. » Douloureux, mais efficace. « Un éclair scintillant de douleur en fusion l'emplit tout entier avant de refluer lentement, jusqu'à ce qu'il reprenne la maîtrise de soi et parvienne à desserrer les mâchoires. » Cet extrait donne un assez bon aperçu du ton de ce roman, aussi noir que les cauchemars des petits enfants.

« La rédemption du marchand de sable », Tom Piccirilli (traduction de Michelle Charrier), Denoël, 22 €

mercredi 6 mai 2009

BD - Oublier l'Algérie


Jacques Ferrandez avec cet album intitulé « Terre fatale » met un point final à sa série relatant la colonisation de l'Algérie. Un dernier épisode entre 1960 et 1962. Le héros, militaire dans l'armée française a préféré quitter l'institution en constatant que les politiques allaient gâcher l'unique chance de construire une Algérie unie et mélangée. 

Il retrouve la belle Samia, enceinte. Elle accouchera à Paris alors que lui mènera une dernière mission en territoire ennemi. Mais les extrémistes, dans les deux camps ont gagné. La dernière partie de l'album montre le départ des Pieds-Noirs avec l'image de sa mère, sur le quai, s'apprêtant à monter à bord du Ville de Marseille, se promettant de retourner, un jour, à Alger. 

Mais on connaît la fin de l'histoire pour ce million de déplacés...

« Carnets d'Orient » (tome 10), Casterman, 15 euros 

mardi 5 mai 2009

BD - Fillette cachée


Ce gros roman BD de 200 pages noir et blanc dessinées par Marc-Rénier, vous plonge au cœur de l'univers imaginaire d'une fillette cachée. Dans la préface de cette quasi autobiographie, la scénariste, Virginie Cady explique qu'elle n'était pas désirée. 

Dans les années 70, sa mère, encore lycéenne, cache sa grossesse. Le bébé sera confié à la grand-mère. Encore jeune et active, c'est en fait l'arrière grand-mère qui s'occupera de la fillette. Elle sera coupée du mode, de la réalité, ne connaissant du monde que ce qu'en montre la télévision ses deux parentes. Enfermée, peureuse, elle se réfugie dans les coins sombres. A l'abri de l'extérieur, pas de ses terreurs intérieures. 

Une histoire d'enfance volée qui prend aux tripes mais qui n'empêche pas l'enfant d'être heureuse.

« Clandestine » (volume 1), Futuropolis, 23 euros 

lundi 4 mai 2009

BD - Japonais muet

Assister à une course de bébés dormeurs, voir son boomerang rejoindre un vol de ses congénères migrer vers le Sud, se battre en duel armé d'un plumeau... ce sont quelques unes des actions qui jalonnent ce livre de gags absurdes d'un Japonais inventif, Tori Miki. Le héros, petit personnage court sur patte, libraire et solitaire, se retrouve confronté à des situations toutes plus délirantes les unes que les autres. 

Chaque planche est muette, carrée, et composée de 9 cases. L'auteur joue aussi sur cet aspect visuel, n'hésitant pas à faire passer ses personnages de l'autre côté du papier. 

Si vous aimez l'incongru et l'inattendu, vous aurez votre quota avec cette centaine d'historiettes farfelues.

« Intermezzo » (tome 4), Imho, 10,95 euros 

dimanche 3 mai 2009

Mes BD souvenirs (9)

Le site BD Paradisio propose régulièrement des forums pour les fondus de 9e art. Récemment, l'un d'entre eux m'a interpellé : « Les BD qui vous quittent... » Intrigué par ce titre, il faisait en fait le pendant du forum, beaucoup plus fréquenté, des BD récemment achetées. C'est le problème numéro 1 des collectionneurs : la place. 

A moins d'habiter un palace (ou d'avoir un immense grenier), il arrive un moment où les albums envahissent tout l'espace vital. Ce problème est devenu encore plus énorme quand j'ai régulièrement signé des chroniques BD dans les divers titres qui m'ont employé. Un collègue m'a fait découvrir les services de presse. J'ai commencé à recevoir des albums. Gratuitement. De plus en plus. Comme je continuais à en acheter par ailleurs, mes étagères ont vite été complètes. En fait, après avoir mis en place un système de comptage et de classement rudimentaire, je décidais qu'il était inutile d'avoir plus de 2000 BD.


J'ai revendu pas mal de titres à des bouquinistes ou lors de vide-greniers. Mais impossible de me séparer de certaines séries. Par exemple, pour rien au monde je ne me séparerai de ma collection de Spirou. Et je continue en achetant les intégrales Franquin. Par contre je n'ai plus un seul Tintin... Hermann, impossible de m'en séparer. Même si, comme le fait remarquer un membre du forum, on peut bazarder tous les titres scénarisés par son fils, Yves H. C'est vrai que ce n'est pas génial, mais le dessin reste toujours aussi merveilleux.

J'ai également beaucoup donné de titres à des enfants de la famille, notamment les séries Dupuis comme l'Agent 212, les Tuniques Bleues ou Sammy. Il y a trois ans et demi, déménageant une nouvelle fois, pour la Martinique cette fois, je réduisais encore mon fond. 1000 albums. Là, j'avoue, j'ai eu du mal. Et aujourd'hui encore je regrette certains titres, notamment de chez Delcourt ou la série complète des Valérian.

 Mais qu'importe, comme le faisait remarquer un autre habitué de BD Paradisio, il faut qu'une collection vive. En recevant une trentaine d'albums en service de presse chaque mois, je ne serai jamais à court de lecture. Au contraire, je suis toujours en retard, ratant quelques beaux titres. 

Je vends beaucoup moins. Et aujourd'hui j'ai à nouveau plus de 2 000 albums dans mon minuscule appartement. Près de la moitié sont dans des cartons dans le garage. Un jour, peut-être... 

samedi 2 mai 2009

BD - Fuite en avant


Il ne faut pas découcher. Surtout quand on a une jolie fille qui vous attend dans votre lit. Pourtant, une nouvelle fois, la musique et l'alcool ont été les plus forts. Alexis, un saxophoniste, après une nuit bien arrosée, se retrouve au poste de police pour ivresse sur la voie publique. 

Au petit matin, il découvre sur la table de la cuisine un mot d'adieu signé de sa petite amie Mary : « Alexis, je crois que je ne t'aime plus tout entier ». Il ne sait même pas où elle aurait pu aller. Descendant les bouteilles de whisky comme d'autres mâchent des chewing-gum, le musicien va errer quelques temps avant de prendre la direction de Dinard. Mary y aurait une maison de famille. 

Sur 80 pages, Bruno Le Floc'h va raconter ce road movie sur les routes françaises des années 60. Le héros, de plus en plus à la dérive, fera diverses rencontres, entre dure réalité et poésie fantastique. Le dessin, volontairement épuré, laisse plus deviner que voir. Cela donne une dimension éthérée supplémentaire à ce livre noyé dans les brumes de l'alcool.

« Saint-Germain, puis rouler vers l'Ouest ! », Dargaud, 15,50 € 

vendredi 1 mai 2009

BD - Oiseau noir


Christophe Bec est omniprésent ces derniers temps dans les bacs des libraires. Plusieurs nouvelles séries voient le jour dont « Redemption » avec Paolo Mottura au dessin. Le scénariste originaire de l'Aveyron connaît bien ce dessinateur italien pour avoir réalisé en duo le très beau et poétique « Carême ». 

Pour cette nouvelle collaboration, l'univers décrit est moins féerique. Le héros, Chogan Tomkins, Américain d'origine indienne, surnommé « Oiseau noir », roule au volant de sa décapotable vers l'Ouest. Le désert. Il semble très blasé, presque désespéré. Au détour d'un virage, il prend une jolie autostoppeuse dont la voiture est en panne. Ils vont chercher un garagiste dans la bourgade de « Death of Redemption ». C'est là que le véritable cauchemar débute. 

Chogan, étranger dans une petite ville repliée sur elle-même, se découvre prisonnier d'un monde clos et engendrant une forte paranoïa. Il tentera de fuir, mais en vain. 

Un premier tome comme un cauchemar sans fin. Sans espoir. A moins que dans le second tome...

« Redemption » (tome 1), Dupuis, 13,50 €