Cela fait plus de 30 ans que je lis des BD. Trois décennies au cours desquelles j'ai pu voir l'évolution de certains dessinateurs. Ils sont reconnus et ont du succès aujourd'hui, mais cela n'a pas toujours été vrai. Les débuts ont parfois été durs pour certains. La maîtrise n'était pas complète.
Exemple le plus frappant : Christian Rossi. Je découvrais sa signature dans Circus durant les années 80. Il dessinait les aventures de Frédéric Joubert sur un scénario de Filippini. Il tentait de faire du réaliste. Mais j'avais toujours l'impression que quelque chose clochait dans ses dessins. Problème de perspective ou d'anatomie, tout paraissait faux et bancal. A côté d'un Giraud ou d'un Blanc-Dumont, je le trouvais nul. Mais il ne s'est pas découragé. Et à force de travail, il a trouvé les clés pour rendre son dessin plus aérien et juste. Une bascule évidente dans la série « Le chariot de Thespis ». Ensuite il s'est imposé comme un des plus grands de Jim Cutlass à WEST. Il n'est pas le seul à avoir un trait maladroit à ses débuts. Prenez les premiers Bernard Prince. Hermann avait un trait noir et foncé, trop encré, avec des héros aux muscles hypertrophiés. Il faudra des planches et des planches pour qu'il acquière cette dextérité incomparable.
Certains dessinateurs ont également eu des problèmes à leurs débuts pour des erreurs de castings. En clair, leur première série n'était pas du tout ce qu'ils pouvaient dessiner de mieux. Une sorte d'apprentissage, presque de bizutage. Ainsi comment imaginer que Griffo, dessinateur de SOS Bonheur, Giacomo C. , Sade ou Ellis Group a débuté en reprenant... Modeste et Pompon. Cette série de gags, imaginée par Franquin et animée durant de nombreuses années par Mittéi était orpheline. Griffo, postulant à la rédaction de Tintin, en a signé une petite trentaine. Un petit galop d'essai avant de s'imposer comme dessinateur réaliste dans les pages de Spirou.
Franz aussi a longtemps hésité entre dessin réaliste et humoristique. Alors même qu'il se lançait sur les traces de Jugurtha, il amusait les lecteurs de Tintin avec Korrigan, des histoires complètes écrites par Vicq. Frais, sans prétention, cette série a rencontré un joli succès. Mais il a fallu que Franz choisisse. Son amour des chevaux et des belles femmes a certainement fait pencher la balance vers Jugurtha et Lester Cockney.
Autre débutant des années 70 devenu un dessinateur reconnu aujourd'hui : Renaud. Sa première série a surtout marqué les esprit par la complexité du scénario. Aymone, héroïne sortie de l'imagination de Jean-Marie Brouyère, évoluait dans des décors enneigés au milieu de nombreux militaires. Une belle jeune femme, toute en formes. Renaud a continué dans cette voie, dénudant de plus en plus ses personnages féminins, notamment la sublime Jessica Blandy sur un scénario de Jean Dufaux.
Ces débuts hésitants de dessinateurs ont parfois été réédités en album bien des années après leurs publications dans les revues. Certains sont totalement introuvables comme les gags de Modeste et Pompon. Heureusement, le site officiel de Griffo a exhumé ces planches que l'on peut visionner dans un « musée des antiquités ». Pour ma part, toutes ces BD sont encore bien présentes dans ma mémoire tant elles m'avaient marqué, par leurs défauts ou leurs différences.
A l'inverse, la vieillesse a parfois joué des tours à certains auteurs qui ont lentement perdu leur coup de crayon. Exemple avec Raymond Macherot. Son trait, très classique, au sommet de sa carrière, est devenu tremblant et hésitant dans les dernières années. Il n'a pas su s'arrêter à temps. Mais parfois, les dessinateurs n'ont pas le choix, même si leur santé est chancelante, ils doivent continuer à produire pour assurer les fins de mois. Ils sont rares ceux qui peuvent arrêter une série et profiter d'une retraite méritée. Berck (Sammy) et Deliège (Bobo) en font partie. Et pour ces deux derniers, on regretterait presque ce retrait du monde de la BD tant ils sont partis au sommet de leur art.