lundi 30 septembre 2024

Cinéma - “Ma vie ma gueule”, chute et rebond au féminin


Sophie Fillières n‘a pas eu le temps de finaliser son dernier film. Morte en 2023, ce sont ses enfants qui ont assuré la supervision du montage. Après une présentation à Cannes en mai, Ma vie ma gueule sort enfin au cinéma, sorte de testament d’une réalisatrice (également comédienne) aux projets toujours originaux.

Pour incarner le personnage principal, Agnès Jaoui est parfaite. Une femme de 55 ans, divorcée, seule, dépressive et voyant approcher la mort à grands pas. Pourtant, on a l‘impression dans la première partie de voir une comédie enlevée aux dialogues savoureux et irrésistible.

Surnommée Barbie, Barberie Bichette parle de plus en plus toute seule. Ses enfants, devenus adultes, s’éloignent inexorablement. Divorcée, elle tente de se persuader qu’elle est encore désirable. Mais quand elle prend à pleine main ses bourrelets devant la glace, elle se fait une raison. Elle a fait son temps. Alors Barbie se laisse dériver. Au travail (dans une agence de pub), elle arrive en retard à une réunion et au lieu de trouver un slogan pour des céréales avec un trou, écrit un poème sur le tableau blanc. Son humour tombe souvent à côté et au bout de quelques péripéties, quand elle rencontre un ami d’enfance qu’elle ne reconnaît pas, préfère tout arrêter et se retrouve dans un hôpital psychiatrique.

Le film devient plus sombre, réaliste. Même si des éclats de poésie (notamment avec l’intervention de Philippe Katerine) viennent adoucir le discours crépusculaire. La dernière image, contemplative et apaisée, donne le véritable ton de cette œuvre unique en son genre.

Film de Sophie Fillières avec Agnès Jaoui, Angelina Woreth, Édouard Sulpice, Philippe Katerine

dimanche 29 septembre 2024

Rentrée littéraire - « Berlin pour elles » : l’amitié contre la dictature

Dans la partie soviétique de Berlin, de 1967 à 1988, Hannah et Judith survivent grâce à une amitié indestructible. Pour son second roman, Benjamin de Laforcade touche au cœur. 

Elles se rencontrent dans un terrain vague à Berlin-Est, pas loin de ce mur qui coupe la ville en deux. Judith et Hannah ont 6 ans en cette année 1967.

Une blonde et une brune qui dès le premier regard ont senti cette connexion. « Judith a les yeux noirs, Hannah les paupières roses. Elles se fixent sans rien dire, elles sont comme pétrifiées. […] Hannah et Judith se laissent aspirer par ce qui naît entre elles. En silence, elles se racontent la joie, la curiosité, la timidité, l’envie de rire et l’envie de jouer. »

Pour son second roman, Benjamin de Laforcade, jeune écrivain français vivant à Berlin, utilise sa plume pour se glisser dans la peau de ces deux gamines. Il va les suivre jusqu’à l’âge adulte, en 1988, racontant ainsi les années noires de la RDA, le moment où l’État totalitaire et dictatorial a cédé face aux envies de liberté. Les deux héroïnes ne participent pas directement aux événements historiques.

Mais leurs vies, leurs amours, en sont profondément impactées. Judith est la fille d’un responsable de la Stasi, la police politique qui a mis en place un impitoyable système de surveillance des concitoyens. Tout le monde est suspect, tout le monde peut dénoncer son voisin. Hannah vient d’un milieu plus modeste, travailleur. Sa mère ne voulait pas s’encombrer d’un mari.

Un collègue s’est dévoué, depuis elle élève seule sa fille, courageusement. D’autres personnages jouent un rôle dans la vie de Judith et Hannah : Michael le jeune frère de Judith, un pasteur dissident ou Karl, petite frappe profitant du système pour faire régner la terreur.

Au présent, sans fioritures, ce texte raconte le réel étouffant de la vie à Berlin-Est, quand la liberté était à quelques mètres… derrière le mur.

« Berlin pour elles » de Benjamin de Laforcade, Gallimard, 208 pages, 19,50 €

samedi 28 septembre 2024

BD - Patient zéro

Journaliste américain méconnu en France, Randy Shilts est une figure de sa profession. Clément Xavier (scénario) et Héloïse Chochois (dessin), dans cette biographie partielle, réparent cet oubli.

Après avoir écrit la biographie d’Harvey Milk, homme politique américain gay, assassiné en 1978, Shilts est embauché au San Francisco Chronicle au début des années 80. Un événement car il est le premier journaliste ouvertement gay à intégrer la rédaction de ce grand quotidien.

Rapidement il va découvrir qu’un cancer gay est en train de toucher la communauté homosexuelle masculine des USA. Un cancer qui deviendra rapidement une maladie sexuellement transmissible, le sida. Il sera le premier à tenter d’alerter la population. Faisant même circuler une fake news pour faire bouger les lignes, sortant de son chapeau un prétendu patient zéro, canadien, qui aurait volontairement contaminé les jeunes Américains. C’est cette étape qui est longuement détaillée dans ce roman graphique.

On découvre également les doutes et craintes de Randy Shilts (il mourra lui aussi du sida quelques années plus tard) et la difficulté de faire prendre conscience de l’ampleur des risques à une communauté gay arc-boutée sur sa liberté, chèrement gagnée après des années de lutte.
« Randy Shilts », Glénat, 160 pages, 23 €

vendredi 27 septembre 2024

BD - Les garçons du ginseng


Craig Thompson, après une période de doute (qu’il explique au détour d’un chapitre), se remet au roman graphique autobiographique. Après Blankets, il signe un colossal Ginseng Roots de 450 pages. Au début des années 80, dans ce Wisconsin très religieux et rural, Craig et son frère Phil, passent leurs vacances d’été à travailler pour les fermiers du coin.

Cette petite ville de Marathon est la capitale du ginseng américain, racine aux vertus médicinales très prisée en Chine. Une culture exigeante, exténuante. Mais les gamins sont enthousiastes car toute leur paye est transformée en comics, leur passion de l’époque.


Le début du roman raconte ces étés de labeur. Il dévie ensuite sur les vertus du ginseng, l’histoire de cette plante. Et Craig Thompson, souffrant, va découvrir qu’en plus de lui avoir rapporté des sous enfant, peut en partie le soulager. Un auteur toujours au sommet de son art, qui parle de nouveau de sa famille, 20 ans après Blankets, et raconte ses voyages en Chine, Corée et Taïwan.

Il se dévoile, donne la parole à son frère, sa sœur, ses parents et surtout nous en apprend beaucoup sur ces tubercules de forme humaine.
« Ginseng Roots », Casterman, 448 pages, 27 €

jeudi 26 septembre 2024

Thriller - Disparition à Copenhague

Plongée dans la noirceur de Copenhague dans ce thriller de Katrine Engberg, valeur montante du polar nordique


Pays le plus au sud de cette région nordique où le polar est roi, le Danemark parvient à se tailler une place de choix entre les productions suédoises et norvégiennes. Avec son troisième roman dont les policiers Jeppe Korner et Anette Werner sont les héros, Katrine Engberg enfonce le clou : sa signature est synonyme d’intrigue élaborée, de crimes horribles et de rebondissements incessants. 

Le passé doit mourir débute par une banale disparition d’adolescent. Oscar n’est pas rentrée chez lui ce vendredi soir après les cours. Il devait passer la nuit chez sa petite amie. Mais il n’y est jamais allé. Et le samedi matin c’est le branle-bas de combat dans le groupe de Jeppe après la découverte d’un message énigmatique chez les parents d’Oscar, de riches et controversés créateurs d’une salle de ventes aux enchères. 

Le roman devient un peu plus labyrinthique quand au gré des premiers chapitres des personnages font leur apparition. Il y a un ingénieur, Kasper, chargé du fonctionnement de l’incinérateur à ordures le plus sophistiqué d’Europe, en phase de lancement dans la capitale danoise. Un homme solitaire aussi, gardien d’un ensemble fortifié placé depuis des siècles à l’entrée du port de Copenhague. Un certain Mads se revendiquant « Robinson Crusoé du port ». Or, ces deux hommes connaissaient Oscar. C’est Mads qui a retrouvé la sacoche du lycéen, sur une jetée. Mads qui intrigue doublement car la romancière, qui excelle dans la description de la vie privée compliquée de ses personnages principaux, le rend terriblement attirant aux yeux d’Anette. 

Pourtant la jeune flic est depuis peu une maman comblée. Pourquoi alors quand elle croise Mads, remarque-t-elle « ce regard couleur mer avec des éclaboussures vertes. » Et un peu plus tard, au moment de partir, « Anette observa ses doigts larges qui tenaient sa carte de visite blanche et eut en même temps envie de tendre la main vers lui et de s’enfuir. » 

Ils sont comme ça les protagonistes imaginés par Katrine Engberg, impulsifs, pleins de doutes. Jeppe n’est pas mieux loti. Il tente de refaire sa vie avec une collègue Sara. Mais elle a deux filles. Celle de 11 ans déclare la guerre au nouvel amant de sa maman. Pour la protéger. Ou se protéger ? Ces histoires annexes à l’intrigue, loin de faire perdre le fil au lecteur, apporte humanité et réalisme à un thriller qui, comme les précédents romans de la romancière, explorent les pires zones des déviances humaines. 

Parmi les décors, l’incinérateur devrait durablement marquer le lecteur. On y découvre un corps, dans une puanteur absolue. Et dans ses entrailles, aussi brûlantes qu’un enfer sur terre, se cachent bien des secrets. Un monstre de technologie, rendu nécessaire pour évacuer les ordures de la ville : « Le haut de la cheminée rougeoyait comme un mauvais œil. Le nouveau point de repère de la ville ressemblait à un animal vivant, clignotant, tapi entre les buissons et les arbres de Refhaleoen. » 

Un thriller addictif, où l’enquête occupe une semaine entière avec son lot d’actions spectaculaires et un dénouement tout sauf téléphoné.    

« Le passé doit mourir » de Katrine Engberg, Fleuve Noir, 400 pages, 21,90 €

mercredi 25 septembre 2024

Thriller - « La meilleure écrivaine du monde », née dans un Ehpad

Comment transformer une intelligence artificielle en bonne romancière ?  Un geek a l’idée de la mettre en contact avec des pensionnaires d’un Ehpad. Attention, ça va saigner ! 

Tous les auteurs (les acteurs de la culture en général) sont tracassés par l’arrivée de nouvelles intelligences artificielles (IA) de plus en plus performantes. Certains paniquent, d’autres se renseignent et en tirent même des idées pour leurs nouvelles créations. Jonathan Werber par exemple, devenu romancier après une formation d’ingénieur, fait d’une IA le personnage principal de son nouveau roman, La meilleure écrivaine du monde

Programme informatique façonné par Thomas, Eve39 (car c’est la 39e version…) n’a qu’un but : écrire un polar qui permettra à Thomas de remporter un prix et d’en vendre des millions. Et, cerise sur le gâteau, impressionner la belle Barbara, psychiatre qui travaille dans le même Ehpad que lui. Eve39 doit donc pondre un polar avec « un meurtre hors du commun, un enquêteur sans égal et un assassin retors. » C’est selon Thomas « la formule du parfait polar ». 

Ce roman d’apprentissage dans tous les sens du terme explique au lecteur comment se construit une intelligence artificielle. Emmagasiner des livres ne suffit pas. Il faut vivre au plus près des humains pour les comprendre. Eve39 va donc se glisser dans des robots permettant aux vieillards impotents de se déplacer dans l’établissement. 

Elle va emprunter caméras et capteurs pour découvrir les mystères de la vie. De la mort aussi. Car elle s’aperçoit que cet Ehpad est loin d’être parfait. Que certains pensionnaires ont des secrets, que la direction aussi cache bien son jeu. Eve39, qui balbutie encore côté intrigue, va trouver une matière originelle et originale. 

Problème, cela devient risqué. Pour des pensionnaires mais aussi pour « l’héroïne », qui pourrait être effacée et remplacée par la version 40. Un texte qui il y a 10 ans serait de la pure science-fiction. Aujourd’hui, c’est parfaitement crédible.

« La meilleure écrivaine du monde », Jonathan Werber, Robert Laffont, 364 pages, 20 € 

mardi 24 septembre 2024

Polar - Osez déguster « L’art meurtrier du lait de coco »

Enquête dans les restaurants d’une petite ville aux USA. La détective, Lila, une jeune cuisinière d’origine philippine. La victime, son ancien petit ami, critique gastronomique.

Envie d’exotisme et de mystère ? Dévorez ce roman policier de Mia P. Manansala. L’art meurtrier du lait de coco a le double avantage de nous faire découvrir toute la richesse de la cuisine des Philippines tout en nous passionnant pour une enquête policière tarabiscotée. Une nouvelle série de cosy crime dont l’héroïne récurrente et narratrice se nomme Lila. 

Cette jeune femme, orpheline, élevée par sa grand-mère et sa tante, a quitté la petite ville de Shady Palms dans l’Illinois pour faire ses études à Chicago. Une déception sentimentale de cette jeune Américaine un peu fleur bleue la pousse à revenir au pays au bout de trois ans. Sans diplôme. Elle se met alors au service de sa tante, fait office de serveuse et de pâtissière dans ce petit resto exotique qui met du lait de coco dans toutes ses préparations. Légèrement déprimée par ce retour en arrière peu satisfaisant, Lila tente d’oublier en créant de nouveaux gâteaux et profite de ses retrouvailles avec Adeena, sa meilleure amie, barista dans un établissement voisin. 

Elle retrouve aussi son ex-petit ami. Derek est devenu critique gastronomique. Il est souvent caustique et s’attaque au restaurant de Lila. Jusqu’au jour où il s’effondre dans son assiette. « Les cheveux dressés sur la nuque, je me mis à secouer Derek. Avait-il perdu connaissance ? Était-ce une réaction allergique ou je ne sais quoi ? » Derek meurt peu de temps après. Et la police découvre de l’arsenic dans son estomac… et dans le riz servi par Lila. 

Devenue suspecte numéro 1, l’héroïne va devoir retrouver le véritable meurtrier. Pour éviter la prison et surtout sauver le restaurant de sa tante de plus en plus menacé. Le suspense est omniprésent, Lila adorable en jeune femme un peu naïve mais déterminée à sauver sa famille. 

Une Lila qu’on retrouvera dès la fin de l’année pour sa seconde enquête, toujours agrémentée de succulentes recettes tirées de la tradition culinaire des Philippines.

« L’art meurtrier du lait de coco », Mia P. Manansala, Le Cherche Midi, 428 pages, 15,90 € 

lundi 23 septembre 2024

Science-fiction - Le périple intersidéral de « La porteuse de mort »

Sur la planète Factis, mourir est plus simple que survivre. Dix Low, médecin, tente de sauver des vies. Travail de titan pour un roman de SF brûlant et violent.

Un peu tombé en désuétude, le space opéra est pourtant un genre qui permet aux auteurs les plus imaginatifs de façonner des mondes nouveaux et étonnants. L’action de La porteuse de mort, roman signé par l’Anglaise Stark Holborn, est principalement concentrée sur la planète nommée Factis. 

Loin d’être un paradis. Désert, vents violents, climat aride et caniculaire, rien n’y pousse et les seules bestioles qui survivent, ce sont des serpents agressifs et venimeux. Dix Low, seule au volant de son mulet (sorte de véhicule tout-terrain), ce médecin tente, souvent en vain, de sauver des vies. Dans ses cauchemars, elle tient un compte. Qui n’est jamais à l’équilibre. Combien d’hommes et de femmes devra-t-elle encore sauver pour effacer sa dette ? 

Quand un astronef se crashe, elle a l’occasion de reprendre son travail. Une enfant sort des décombres, « des cheveux noirs encadrent un petit visage rendu gris par l’hémorragie, masqué par une couche de sang séché et de sable. » Une fillette mais qui n’est pas ce qu’elle parait. Gaby est une générale, membre de la force mineure, composée d’enfants-guerriers. 

Une orpheline transformée en bête de guerre dès son plus jeune âge. Comment ces deux femmes, dans ce milieu hostile vont-elles trouver un accord pour survivre ? D’autant qu’elles étaient dans deux camps opposés il y a peu de temps. 

La richesse du roman, en plus des rebondissements psychologiques des deux personnages principaux, réside dans la description de ce monde invivable. Les femmes y sont fortes, les esprits malins, les membres de la secte des Chercheurs, sans pitié. Et tous les autres attendent, résignés, leur fin rapide et inéluctable.  

« La porteuse de mort » de Stark Holborn, Albin Michel, 316 pages, 20,90 €

dimanche 22 septembre 2024

Un polar - "L’île" de Jérôme Loubry


Cette île, au centre du nouveau roman de Jérôme Loubry, est présentée comme « aussi belle que ténébreuse ». L’action se déroule à Porquerolles, bourrée de touristes en été, théâtre de manifestations quasi fantastiques en hiver. L’action se déroule en août 2019 puis en décembre 2024.

Un été au cours duquel une bande de jeunes Parisiens va vivre une grande expérience jusqu’au suicide de Diane dans un manoir rempli des notes de musique moderne. Diane retrouvée morte, plus de cinq ans plus tard, dans les rues de la petite ville.

Un polar aux airs angoissants, où les croyances et la musique occupent une place prépondérante.

« L’île » de Jérôme Loubry, Calmann-Lévy, 400 pages, 21,90 €

samedi 21 septembre 2024

Un album jeunesse - Le chevalier à reculons


Il prétend être « le meilleur chevalier au monde ». mais rapidement, le lecteur de cette histoire imaginée par Sophie Lamoureux et dessinée par François Soutif se révèle être surtout le chevalier le plus trouillard de la planète.

Il sait que dans ce livre il va rencontrer devoir affronter quantité de dangers. Alors il s’adresse directement au lecteur, lui ordonnant de cesser de tourner les pages.

Forcément, ça donne envie de connaître la suite… Une trépidante aventure médiévale, avec dragon, monstre et princesse. A noter que les illustrations s’inspirent des tapisseries millefleurs exposées au musée de Cluny.
« Le chevalier à reculons », L’école des loisirs, 40 pages, 14,50 €

vendredi 20 septembre 2024

Un poche - « Je vais bien » de Régis Franc


Pour raconter sa famille, Régis Franc, dessinateur, cinéaste, peintre et écrivain, avoue sans détour : « Je me suis arraché le cœur. » Il a débuté par raconter la vie de son père, puis a rajouté des chapitres sur sa mère et sa sœur. Cela donne « Je vais bien », un livre de 140 pages édité au format poche chez Pocket et disponible depuis la fin du mois d’août, en pleine rentrée littéraire.

Il décrit la vie simple d’une famille de Lézignan-Corbières, souvent frappée par le malheur. Un texte émouvant, où il refait vivre les fantômes de son passé, comme pour clore définitivement la partie lézignanaise de son existence.
« Je vais bien », Pocket, 144 pages, 7,30 €

jeudi 19 septembre 2024

BD - Aventures dans l’océan Indien


Devant servir de base à un univers de jeu vidéo d’Ubisoft, ce Skull and Bones se présente comme une excellente série de piraterie de l’océan Indien. Nicolas Jarry écrit l’histoire, profitant de la grosse pagination (plus de 80 pages) pour multiplie les rebondissements tout en détaillant les différents personnages.

Au centre on trouve le jeune Waleran. Un petit Anglais, pauvre, espérant devenir cartographe. En attendant, il est marin à bord d’un navire de guerre britannique, faisant route vers l’Europe avec un butin en or et une célèbre pirate, Dalal.


Au terme d’une première bataille, Dalal est libérée et Waleran, qui est intervenu pour l’aider, est enrôlé dans l’équipage de la belle mais redoutable pirate. Elle multiplie les attaques, cherchant, en plus de s’enrichir, à se venger. De son oncle qui l’a vendue aux Anglais et du gouverneur de Ceylan, qui l’a livré à l’armée de sa majesté.

Marco Pelliccia, dessinateur italien, propose une interprétation graphique classique et assez sombre. Les confrontations sont explosives, les intrigues tortueuses. Un bel hommage au genre.
« Skull and Bones », Glénat, 88 pages, 18 €

mercredi 18 septembre 2024

BD - Vengeance aveugle de la Tigresse Bretonne


Présentée comme étant la « première femme pirate », Jeanne de Belleville a plusieurs surnoms : La Tigresse Bretonne, la Lionne de Bretagne ou la Lionne Sanglante. Une constance dans ces petits noms : la cruauté.

Pourtant rien ne destinait cette femme de chevalier, mère de deux enfants, à devenir célèbre en étripant et décapitant ses ennemis. C’est Roger Seiter qui a retracé le parcours de la Tigresse. Le scénariste raconte comment la Bretonne, trahie par le roi de France qui a fait exécuter son mari, Olivier de Clisson, se lance dans une vengeance aveugle.


Elle fuit Paris, se retranche dans son château de l’île d’Yeu, recrute des mercenaires et affrète plusieurs bateaux, coque peinte en noir, voiles rouge écarlate. Durant neuf mois elle va écumer les côtes françaises, attaquant les navires marchands. Elle va semer la terreur, devenant une véritable légende. Une trajectoire courte car elle va cesser du jour au lendemain ses exactions.

Un album de pirates dessiné par Frédéric Blier, parfait dans les scènes de batailles, tant maritimes que de corps à corps sur les ponts des navires.
« La Tigresse Bretonne », Bamboo Grand Angle, 64 pages, 16,90 €

mardi 17 septembre 2024

BD - Pirates et esclaves : question de société pour Barbe-Rouge et ses amis


Imaginé par Charlier et Hubinon au début des années 60, Barbe-Rouge a longtemps vogué avec éclat sur les eaux du 9e art. Il est reparti à l’abordage dans une nouvelle collection, avec Jean-Charles Kraehn et Stefano Carloni à la manœuvre.

Le quatrième tome intitulé Chasseur d’esclaves, voit le terrible pirate tenter de s’adapter à son nouveau statut de corsaire du roi. Pour le gouverneur de Cap-Français, il doit capturer de mystérieux voleurs, détroussant, de nuit, les planteurs de Saint-Domingue. Ce serait des esclaves en fuite.


L’occasion pour le scénariste de plonger son petit monde dans un débat politico-humaniste. Barbe-Rouge, impétueux, veut de l’action. Baba, d’origine africaine, refuse de chasser ses frères. Triple-Pattes avoue sa honte. Une première partie explosive, avec l’arrivée d’un méchant de la pire espèce, Peet le Bordelais, le fameux chasseur d’esclaves sans morale ni pitié.

Une série reprise avec brio par un duo équilibré : les histoires sont cohérentes et palpitantes, le dessin très classique mais avec une mise en page dynamique et moderne.
« Les nouvelles aventures de Barbe-Rouge » (tome 4), Dargaud, 56 pages, 17 €

lundi 16 septembre 2024

Cinéma - Tim Burton ressuscite “Beetlejuice” l’iconoclaste

Certains héros ne meurent jamais. Dans le cas de Beetlejuice c’est évident. Plus de 30 ans après sa première apparition, il est de retour. Toujours aussi effrayant… et marrant. 

Tim Burton n’est plus le jeune cinéaste visionnaire de ses débuts. Mais il reste un incorrigible rêveur, bourré d’imagination, incapable de marcher droit. En partie révélé avec Beetlejuice sorti en 1988, le réalisateur américain fait le grand écart en proposant une suite à ce conte fantastique. Il n’est jamais facile de retrouver l’alchimie qui transforme une bonne idée en chef-d’œuvre. Un exercice au cours duquel on a beaucoup plus de chances de se fracasser contre un mur de redites que de retrouver le chemin du succès. En retrouvant plusieurs des comédiens du premier opus (Michael Keaton, Winona Ryder, Catherine O’Hara), Tim Burton parvient à faire le lien avec le Beetlejuice de 1988.

De nos jours, Lydia Deetz n’est plus l’adolescente gothique que Beetlejuice veut épouser mais une célèbre animatrice d’un show télé sur les fantômes. Elle a une fille, Astrid (Jenna Ortega), mais ne s’en occupe pas réellement, préférant se consacrer à sa carrière sous la coupe de son fiancé Rory (Justin Theroux). Elle doit retourner dans la maison hantée pour les obsèques de son père.

Un déchirement pour Astrid qui adorait ce grand-père un peu poète, le seul de la famille qui semblait normal à cette jeune fille rationnelle niant farouchement l’existence de spectres et autres esprits surnaturels.

Si la première partie du film est un peu longue, notamment pour présenter les nouveaux personnages et rappeler le contexte, la suite devient plus percutante, digne du film d’origine. Dès que la maquette de la ville dans le grenier est débarrassée du drap blanc la cachant au monde des vivants, la folie Beetlejuice s’exprime pleinement. Avec péripéties et monstres en tout genre. Winona Ryder, de gamine rebelle, se transforme en maman aimante, mais totalement terrorisée à l’idée de croiser de nouveau la route d’un Michael Keaton toujours méconnaissable sous le maquillage.

Lydia va pourtant devoir de nouveau faire appel à sa malice pour délivrer l’ado des griffes d’un méchant fantôme. Et pour corser le tout, Tim Burton invente une première épouse à Beetlejuice. Très possessive, elle veut retrouver son mari. Monica Belucci offre ses traits parfaits à cette vamp en morceaux.

L’inventivité du réalisateur semble alors débridée, entre scènes sanglantes, pastiche de Dune et critique féroce des influenceurs, tous renvoyés dans les limbes de leurs écrans de pacotille. C’est dynamique, horrible, marrant, novateur et terrifiant. Du pur Tim Burton !

Film de Tim Burton avec Michael Keaton, Winona Ryder, Jenna Ortega, Justin Theroux

dimanche 15 septembre 2024

Cinéma - “Le procès du chien”, comédie et farce tragique

Film de et avec Laetitia Dosch et aussi François Damiens, Jean-Pascal Zady, Kody le chien, Anne Dorval.

Pour son premier grand rôle au cinéma, Kody frappe les esprits. Sa composition, tout en nuance, très expressive, profonde quand il va tenter de retrouver ses racines, son cri primal, a justement été récompensée d’un prix au dernier festival de Cannes. Kody est la véritable vedette du premier film de Laetitia Dosch, Le procès du chien. Kody, 9 ans, est un griffon croisé. Un chien qui crève l’écran dans cette comédie douce-amère sur la folie des hommes.

Avril (Laetitia Dosch), avocate des causes perdues, accepte de défendre Dariuch (François Damiens), maître malvoyant du chien Cosmos (Kody). Cosmos a mordu une femme, la défigurant. Avril veut éviter l’euthanasie et plaide la responsabilité de Cosmos. Le juge la suit et le canidé se retrouve accusé en personne, risquant de nouveau l’endormissement définitif.

Ce premier film un peu bordélique par moments, presque trop riche, offre d’excellents moments de comédie (François Damiens méconnaissable, Jean-Pascal Zadi parfait en comportementaliste animalier), mais ne nous fait pas oublier la gravité du sujet. En creux, la comédienne et réalisatrice traite de la montée de l’extrême-droite, des brimades faites aux femmes, des violences contre les enfants et du simple respect de la vie, toutes les formes de vie. Avec en point d’orgue ce questionnement : pourquoi, du point de vue juridique, les animaux de compagnie ont encore de nos jours le statut d’objets, de mobilier dans un foyer ?

Tout propriétaire d’un chien, et pas forcément aussi intelligent et craquant que Kody, ou d’un autre compagnon, appréciera ce film qui quitte la comédie pure dans sa dernière partie pour se transformer en farce tragique.

samedi 14 septembre 2024

DVD et Blu-ray - “Late night with the Devil”, télé satanique



Exercice de style très réussi, Late night with the Devil des frères Cairnes sort directement en vidéo chez Wild Side.

Un film d’horreur qui lorgne vers la comédie satirique.

Jack Delroy (David Dastmalchian) est le présentateur d’un show télé quotidien sur une télé américaine dans les années 70. Son audience faiblissant, il organise une émission spéciale pour Halloween. Avec l’ambition d’invoquer Satan pour une interview ultime. Le film prend la forme de cette émission de direct, avec coulisses lors des coupures pub. On y découvre toute la morgue de l’animateur et de son producteur.

La dernière partie, véritablement horrible, permet de s’interroger : Pour rester au firmament, un animateur doit-il vendre son âme au Diable ? Certaines « vedettes » françaises devraient se poser la question.

vendredi 13 septembre 2024

Rentrée Littéraire - Reine pour toujours


Y a-t-il une vie après le départ de ses enfants ? Nos rejetons, une fois devenu adultes, nous enlèvent-ils l’envie de survivre au quotidien ? Cette question est au centre de Un jardin pour royaume, roman de Gwenaëlle Robert. Alors que la cadette quitte le domicile familial, la narratrice se retrouve presque seule dans sa grande maison.

Trois enfants qui volent de leurs propres ailes, un mari souvent absent car sous-marinier : comment occuper ses journées ? Elle décide de reprendre sa thèse sur Rousseau abandonnée pour cause de maternité. Elle se rend à Ermenonville, au château de Girardin, là où l’écrivain philosophe est mort.

A quelques kilomètres de la maison d’enfance de la romancière. Rousseau, souvenirs, solitude : ce mélange donne un texte délicat, lucide, un peu nostalgique et parfois sombre. Comme cette réflexion : « Longtemps, quand les enfants me regardaient vivre, quand mes faits et gestes étaient soumis à leur juridiction, j’ai imaginé ce que je pourrais faire quand je serais sans témoin. Maintenant j’ai la réponse : je regarde les plafonds, j’y projette mon angoisse du vide, l’impression de ne plus exister du tout. »

Une remise en cause balayée par la fabuleuse histoire de Rousseau et de son dernier bienfaiteur, Girardin.
« Un jardin pour royaume » de Gwenaëlle Robert, Presses de la Cité, 208 pages, 20 €

jeudi 12 septembre 2024

BD - L’autre Thorgal, héros de la Saga


Thorgal se démultiplie. Après les aventures parallèles (Jeunesse, Louve, Kriss…), place à la Saga. Une autre façon de satisfaire les fans de la série imaginée par Van Hamme et Rosinski. L’occasion pour certains auteurs de s’emparer d’un personnage et d’un monde dans des romans graphiques plus longs.

Le 3e titre de la collection voit le retour de deux experts des aventures du Viking : Yann et Surzhenko. Ils se proposent de combler un trou dans les albums de la série d’origine. Shaïgan raconte la vie du Thorgal devenu amnésique et « reconditionné » par la perfide Kriss de Valnor en Shaïgan-sans-merci, le sanguinaire pirate.


Un épisode prenant place juste avant Géants, paru en 1996. De plus en plus incapable de tuer, Thorgal-Shaïgan demande conseil à un sorcier qui peut lire le passé. Il lui promet de lui révéler sa véritable identité contre une épée magique enterrée avec la dépouille d’un roi. Après une présentation du contexte, le reste de l’album multiplie les combats et découvertes sur une île défendue par des morts vivants. Des combats, à terre mais aussi sur les flots, qui permettent à Surzhenko de signer de superbes planches.

Le scénario de Yann, bourré de références, est avant tout un hommage au travail de Van Hamme. Une Saga dont on ne se lassera jamais.
« Thorgal Saga - Shaïgan », Le Lombard, 88 pages, 21,50 €

mercredi 11 septembre 2024

Rentrée littéraire - Trouver sa propre lumière


Son premier roman, écrit avec ses « tripes », À l’ombre des choses d’Anatole Édouard Nicolo est un superbe témoignage sur les errements de certains jeunes, déboussolés, incapables de trouver leur voie dans une société de plus en plus exigeante et rapide. Longtemps, Anatole a été à l’ombre de son grand frère, G., devenu un célèbre chanteur de rap. Anatole cherche lui aussi à prendre un peu de lumière et raconte dans ce texte écrit à l’encre acide, comment il s’y est pris après de multiples échecs.

Un roman confession aussi, où il met à plat ses relations avec ses parents. Une mère volontaire, bosseuse, mais qui n’a pas pu éviter la case Foyer pour indigents quand elle s’est retrouvée seule avec ses deux garçons adolescents. Un père excentrique, assez absent, artiste, vivant dans un squat. Avant de s’en sortir avec le sport et l’écriture, Anatole s’appuie sur sa bande de potes.

Des jeunes de banlieue, sans grand avenir, mais unis. Capables du pire comme du meilleur. « Nous ne faisions que marcher au bord du précipice, convaincus que nous ne tomberions jamais. » Jusqu’à cette garde à vue pour vandalisme… Un texte rugueux comme du béton brut, qui sent la rue, la sueur et se lit en écoutant du rap. A fond.


« À l’ombre des choses » d’Anatole Edouard Nicolo, Calmann-Lévy, 160 pages, 18 €

mardi 10 septembre 2024

BD – Comment se moquer de l’Amérique profonde


Le rêve américain, son cinéma inégalable, ses petites villes perdues, ses flics bêtes et bornés… Tel est le menu de recueil d’histoires courtes parues dans Fluide Glacial et reprises dans un album augmenté de quelques gags intermédiaires pour lier le tout.

Maddie Edwards est officiellement la shérif du comté de Badger, chef-lieu Chapatanka. Mais son rêve est de devenir romancière. Au lieu de rédiger les rapports de ses enquêtes de routine (très routinières), elle ambitionne de pondre un best-seller. Un polar évidement. Problème : elle n’a aucune imagination. Alors elle va s’inspirer de son quotidien. Nouveau problème, le roman débute par cette phrase peu accrocheuse : « Chapatanka, une ville sans histoires. »


Pourtant, si elle était un peu plus à l’affût, elle en trouverait des idées si l’on en croit les auteurs de la BD, B-Gnet et Joret. L’histoire de ces petites filles, des jumelles, perdues dans la forêt et qui survivent en tuant et mangeant des touristes, cet écrivain fou qui séquestre sa femme dans un hôtel isolé, cette famille de freaks, typique de ce Midwest où la dernière mode est de porter un masque en peau humaine.

Chaque histoire est une relecture, très humoristique, de grands classiques du cinéma US. De Rambo à E.T.
« Chapatanka », Fluide Glacial, 56 pages, 15,90 €

Rentrée littéraire - L’art des retrouvailles


Lire La barque de Masao, roman d’Antoine Choplin, c’est s’embarquer pour un voyage artistique et émotionnel au Japon. Masao est ouvrier sur l’île de Naoshima. Une vie anonyme, discrète, sans éclat. Son seul plaisir : lire de la poésie.

Un soir, en quittant son poste de travail, sa fille Harumi l’attend. Cela fait plus de dix ans qu’il ne l’a pas vue. Devenue architecte, elle est dans la région pour la construction d’un musée dans une autre île distante de quelques kilomètres. Retrouvailles hésitantes entre le père et la fille. On ne sait pas pourquoi mais on devine un traumatisme. L’auteur, grâce des retours en arrière où il donne directement la parole à l’ouvrier, raconte la rencontre avec Kazue, une artiste, le seul amour de Masao, la mère d’Harumi. Kazue qui occupe encore l’esprit de Masao, notamment quand il avait une barque et voguait au hasard à la recherche de celle qui désirait tant « marcher dans la mer ».

Entre le père et la fille, les souvenirs sont douloureux ; l’art va les atténuer. On visite indirectement deux musées d’exception, celui de Chichu, fantastique plongée sensorielle dans les éléments et la Matrice, le musée supervisé par Harumi, œuvre d’art unique où le visiteur est au centre d’émotions insoupçonnables.
« La barque de Masao » d’Antoine Choplin, Buchet-Chastel, 208 pages, 19,50 €

lundi 9 septembre 2024

BD - Sa(ta)n Francisco



Parmi les nouveautés de la rentrée BD 2024, le second tome de la série American Parano de Bourhis et Varela était très attendu. Le premier tome, paru en mai dernier, présentait l’héroïne (une jeune policière à San Francisco à la fin des années 60) et sa première enquête, un meurtre sur fond de secte satanique.

La suite, sortie vendredi dernier, confirme l’excellente impression faite par l’ensemble. Kim Tyler arrive de l’école de police. Elle est affectée à San Francisco au même commissariat que son père. Mais ils ne travailleront pas ensemble, le paternel est mort récemment. Kim suspecte Baron Yerval, fondateur de l’Église de Satan, d’être l’ordonnateur du meurtre d’une jeune femme lors d’un rite qui a mal tourné.



Ce bon polar, quasiment historique, montre un San Francisco en pleine ébullition. Les hippies investissent les vieux quartiers, la drogue circule librement, les mœurs sont débridées, tous les excès permis. Kim tente de trouver sa place dans ce monde si différent de son enfance.

La jeune femme devra faire face à de véritables démons tout en affrontant ceux, intérieurs, qui lui pourrissent la vie. Le dessin de Varela, entre ligne claire élégante et effets très seventies, colle parfaitement à la série.
« American Parano » (tome 2), Dupuis, 64 pages, 16,50 €

dimanche 8 septembre 2024

Cinéma - “À son image” et les fractures de la lutte corse

En retraçant la vie d’Antonia, photographe corse d’un journal local, Thierry de Peretti filme l’évolution d’une jeunesse de plus en plus révoltée, de plus en plus violente. 

« Vie et mort d’un idéal » aurait aussi pu convenir comme titre au nouveau film de Thierry de Peretti. Après Une vie violente, sur la montée de la lutte armée radicale dans les milieux nationalistes corses, c’est de nouveau dans ce terreau fertile en tragédies que le réalisateur puise son inspiration pour A son image. Adapté du roman éponyme de Jérôme Ferrari, il propose une vision différente des événements. En racontant la vie d’Antonia (Clara-Maria Laredo), jeune corse devenue photographe de presse, il propose une lecture plus féminine. Antonia, à 18 ans, tombe follement amoureuse de Pascal (Louis Starace). Des allures de Jésus, mais avec une conscience politique très marquée.

Rapidement il passe à l’action violente. Premier séjour en prison. Antonia l’attend. Il revient. Replonge. Elle se résigne, vivote de ses reportages photos dans le journal local. Baigne dans ce milieu nationaliste, toujours remonté contre les « colonisateurs ». Mais jamais ne s’engagera. Par conviction, mais aussi car cela ne semble pas être dans la tradition corse.

En creux, dans ce film retraçant quinze années de la vie d’Antonia, on comprend que la lutte armée n’empêche pas le machisme. Quand Antonia annonce à Pascal, de nouveau en prison, qu’elle ne va plus l’attendre cette fois, il explose. Comme si elle devait pour toujours lui être fidèle.

Le film, de témoignage sur l’évolution de la mentalité de la jeunesse corse, bascule vers une charge contre de traditions patriarcales. Antonia, à qui l’on refuse de couvrir les événements liés au terrorisme dans son île, décide d’aller photographier la guerre des Balkans. Une grosse prise de risque, nécessaire si elle veut sortir de son marasme personnel, retrouver goût dans son métier. Ne pas se contenter de clichés d’assemblées générales ou de parties de pétanque. Elle reviendra très déçue de Belgrade, encore plus amère et désespérée de devoir admettre que ses photos ne servent à rien, même quand elles montrent toute l’horreur du monde.

Une constatation qui devrait faire parler dans les couloirs des expositions du festival Visa pour l’image qui se déroule actuellement à Perpignan.

La suite est encore plus sanglante. Le FLNC se divise. Les assassinats, à l’intérieur du mouvement, entre factions opposées, marque un tournant. Antonia s’éloigne encore plus de cette mouvance et semble s’épanouir en créant sa petite société. Mais à quel prix ?

Le film, lumineux par certains côtés (prise de conscience, émancipation…) est aussi profondément pessimiste face à une île et une jeunesse, perdant tout idéal, ne trouvant que la violence pour se faire entendre.

Film de Thierry de Peretti avec Clara-Maria Laredo, Marc’Antonu Mozziconacci, Louis Starace

BD - Le Découpeur frappe


Jean-Charles Gaudin, s'il n'a pas le succès d'Arleston, est tout de même un des scénaristes les plus productifs des éditions Soleil. Et ses séries durent, preuve que le public est au rendez-vous. 

Meilleur exemple avec les Arcanes de Midi-Minuit qui en est à son 8e titre, presque un exploit chez l'éditeur toulonnais particulièrement prompt à interrompre la vie d'un héros ne touchant pas rapidement un large public. Jim et Jenna, les héros de ces histoires entre SF et fantasy, ont la particularité de ne jamais être vus ensemble. 

En fait il s'agit d'une seule et même personne, pouvant laisser la place à son double simplement grâce à un miroir. Si cette trouvaille était mise en avant dans les premières enquêtes, c'est moins vrai pour cette « Affaire Trinski ». Les deux agents sont envoyés dans une province du Royaume victime du coup d'Etat du chef des armées. Il terrorise la population. 

De même que le Découpeur, tueur sanguinaire armé de deux sabres et exterminateur de la résistance. Jim et Jenna auront fort à faire pour mettre hors d'état de nuire ces deux terreurs. 

Trichet, au dessin, aime les femmes sensuelles aux courbes généreuses. Un vrai plaisir pour les yeux...

« Les Arcanes du Midi-Minuit » (tome 8), Soleil, 13,50 €

samedi 7 septembre 2024

Roman français - « L’hôtel du Rayon Vert » au cœur de la rentrée littéraire

Le mythique palace de Cerbère à la frontière entre France et Catalogne sert de décor au roman de Franck Pavloff. Des personnages forts et entiers y croisent les fantômes d’Antonio Machado et de Walter Benjamin. 

Difficile de ne pas tomber amoureux de ce paquebot immobile. L’hôtel du Rayon Vert continue de veiller sur Cerbère. Et les nombreux fantômes qui continuent à errer sur ses coursives. Un décor de choix pour le roman de Franck Pavloff, un des titres très attendus de cette rentrée littéraire.

Un voyage à plusieurs proposé par le romancier. Dans l’hôtel et la gare de triage en contrebas, il va minutieusement organiser la rencontre de quelques égarés. Trois humains qui doutent, mais croient en la force de la vie. Sous l’égide d’un libraire, spécialiste de Machado et d’un cheminot, syndicaliste, une photographe, un violoniste et une fugueuse vont partager quelques moments. « C’est la saison des rencontres imprévues » fait remarquer à la photographe le cheminot. « Aujourd’hui vous, hier une jeune inconnue en sweet à capuche avec qui j’ai partagé un café thermos, et le jour d’avant un violoniste qui connaît aussi bien les poésies de Machado que ses partitions. » Ils vont découvrir la ville frontière, endormie en cette arrière-saison.

La photographe va saisir des moments de vie et s’installer dans un des appartements du Rayon Vert. Le violoniste, hanté par ses origines, recherche la valise de Machado. Il voudrait y trouver la preuve que sa mère est la fille illégitime du poète mort à Collioure. La fugueuse refait le dernier trajet de Walter Benjamin, le philosophe juif allemand, recherché par les nazis. Il a traversé les Albères, épuisé, et s’est donné la mort dans un hôtel à Portbou, en Catalogne.

Les fantômes de ces deux grands hommes, morts chacun de part et d’autre de la frontière après une fuite effrénée, planent sur le roman. Et quand les personnages se retrouvent de l’autre côté des Albères, Franck Pavloff, avec une étonnante clairvoyance, constate que « la Catalogne est le pays des mémoires égarées. » La force du texte réside dans le parallèle fait entre le passé et notre présent.

La jeune fille suit le sentier Walter Benjamin car elle veut savoir par où est passée une réfugiée africaine aidée quelques semaines auparavant à Toulouse. Et le violoniste dort dans le même wagon abandonné en gare de Cerbère que celui où Machado a repris des forces avant son arrivée à Collioure.

Un roman de l’espoir d’aujourd’hui, nourri des souffrances du passé.

« L’hôtel du Rayon Vert » de Franck Pavloff, Albin Michel, 240 pages, 20,90 €

Franck Pavloff sera à Cerbère ce 7 septembre à 18 heures, rencontre suivie d’une séance de dédicaces à l’Hôtel Belvédère du Rayon Vert, en partenariat avec la librairie Oxymore de Port-Vendres.

vendredi 6 septembre 2024

Rentrée littéraire - Les solitudes d’Yves Harté

Yves Harté, journaliste, a rencontré nombre de solitaires dans le cadre de ses reportages. Il se souvient d’eux dans ce livre hommage où il parle aussi de la mort de son père et de sa propre solitude.

Ils sont partout mais on ne les voit pas. On les ignore. Certains le vivent mal. D’autres apprécient. Dans toute société, il y a des solitaires, des êtres qui ne s’épanouissent que dans la solitude, l’ignorance des autres. Dans son nouveau roman, Parmi d’autres solitudes, Yves Harté dresse le portrait de quelques-uns de ces hommes et femmes, perdus dans la foule tout en étant totalement ignorés d’elle.

Le journaliste à Sud-Ouest doit régler les dernières affaires de son père, mort dans un accident de la circulation. Notamment vider la maison où il s’était retiré entre Béarn et Landes, une fois à la retraite. Inventaire d’une fin de vie et dans les papiers personnels un classeur contenant les ébauches de portraits écrits des années auparavant par Yves Harté. Tout en racontant son père, Yves Harté reprend ces embryons de nouvelles du réel ayant pour point commun la solitude des personnes rencontrées. Il y a un clochard malchanceux, estropié par un camion, un fils de bonne famille, caché car alcoolique, un vieux paysan au bout du rouleau a près la perte de sa femme puis de sa chienne de chasse.
Seule femme dans le lot, Mademoiselle Anne, institutrice dans les Charente. Sa solitude est différente des autres. Car c’est dans la multitude des amants d’un soir qu’elle affirme cette envie d’oubli. Adolescente, elle était amoureuse de son grand frère. Pour contrer le sort, elle décide qu’à partir de 21 ans elle aura plein d’amants. Elle met son plan à exécution un été. « Le premier fut un homme d’un soir, à Canet-Plage, où elle passait des vacances au camping avec sa meilleure amie. Il avait une voiture de sport. Il la laissa le cœur barbouillé, un peu malheureuse et vaguement soulagée. A son retour, elle n’en parla à personne. »
Tranches de vies et exploration familiale font de ce roman un texte qui parle à tout le monde.

« Parmi d’autres solitudes » d’Yves Harté, Le Cherche Midi, 176 pages, 19 €
 

jeudi 5 septembre 2024

Rentrée littéraire - Le retour de Coué


Simple petit pharmacien de province, il est devenu en quelques années une véritable célébrité mondiale. En 1923, quand il arrive à New York, la foule et la presse américaine l’accueillent comme une star. Quel incroyable destin que celui d’Émile Coué, fils de cheminot, devenu l’inventeur d’une méthode pour aller mieux, pour retrouver santé et joie de vivre.

Aujourd’hui, la méthode Coué est au mieux moquée, au pire décriée. Pourtant ce n’est que du bon sens, de l’autosuggestion, les premiers principes de développement personnel.

Étienne Kern, romancier, a plongé dans les archives pour retracer ce parcours atypique. Un roman comme une enquête, plus qu’une biographie, une analyse de personnalité. Doublée d’une réflexion sur la perte, l’oubli. Écrit dans une rare économie d’effets, ce texte acéré fait la genèse des recherches du pharmacien utopiste, des premières séances d’hypnose au texte ultime, « ce qui ne sera pas une technique parmi d’autres, pas un traitement, mais une méthode, LA Méthode, la sienne. »

A-t-il guéri des milliers de patients ? Ou leur a-t-il fait croire qu’ils allaient mieux ? L’auteur ne répond pas. Personne n’a la réponse. Il reste juste des hommes et des femmes qui y croient. Aujourd’hui encore.
« La vie meilleure » d’Étienne Kern, Gallimard, 192 pages, 19,50 €

BD - Sauvages mélomanes


Au XVIe siècle, en découvrant l’Amazonie, les navigateurs européens avaient plusieurs buts : trouver de l’or, étendre les possessions des monarques, évangéliser les populations. David B., au scénario, revient sur un épisode de la vie de Nicolas Leclerc.

Ce marin, en arrivant sur le territoire des Tupinambas, une tribu locale, est capturé. Déshabillé (ils vivent tous nus), on lui offre une femme, Pépin, et beaucoup de nourriture car il faut l’engraisser. Dans un an, il sera dégusté par toute la tribu.


Les Tupinambas ne sont pas cannibales, ils ont simplement l’habitude de manger leurs prisonniers. Ce qui sauve Nicolas, c’est sa voix. Il chantonne pour passer le temps, les « sauvages » découvrent qu’il parle comme les oiseaux. L’épargnent.

Par contre ses anciens compagnons décident de le récupérer, de l’emprisonner. Il s’enfuit et va errer avec la tribu dans la jungle à la recherche de la Terre sans mal, le paradis local.

Mis en images par Eric Lambé, ce périple au cœur de l’enfer vert montre combien les Occidentaux se fourvoient, incapables de comprendre ces civilisations si différentes. D’autant que les missionnaires, entre aveuglement et folie (certains voulaient convertir les singes), tuent sans la moindre hésitation car, selon la célèbre maxime : « Dieu reconnaîtra les siens ».
« Antipodes », Casterman, 112 pages, 22 €

Rentrée littéraire - Star du cosmos


Un moment historique, une énigmatique déclaration. Quand, le 12 avril 1961, Youri Gagarine devient le premier homme dans l’espace, il déclare : « Je salue la fraternité des hommes, le monde des arts et Anna Magnani. » Suffisant pour que Mikaël Hirsch, romancier, décide de raconter d’où vient cette phrase et d’en imaginer les suites. Il va donc enquêter sur le cosmonaute, sa vie au service de la propagande soviétique, sa célébrité mondiale transformant le pilote de chasse en sorte d’idole de la jeunesse, bien avant le Beatles.

L’auteur, avec la même rigueur, va retracer la vie de la comédienne italienne. Anna Magnani, au début des années 60, est déjà sur la pente descendante. Son oscar est loin, les nouvelles stars, encore plus talentueuses et voluptueuses (Sophia Loren, Gina Lollobrigida…), lui prennent les meilleurs rôles. Ce coup de projecteur venu de l’espace est une aubaine inespérée.

Mais Gagarine et Magnani se sont-ils rencontrés par la suite ? Car Mikaël Hirsch soupçonne l’homme du cosmos d’être aussi le premier à avoir tenté un plan drague depuis… l’espace. Un roman marqué par une grande nostalgie de l’Italie de cette époque.

Et une interrogation pour l’auteur : Gagarine a-t-il véritablement parlé de Magnani dans l’espace ? « Je devais éclaircir tout cela et ainsi, mon roman est devenu malgré moi une sorte d’enquête policière, non sur un crime irrésolu, mais bien sur une phrase devenue célèbre. » Alors, fantasme ou véritable histoire d’amour ?


« L’effet Magnani », Mikaël Hirsch, Dilettante, 160 pages, 17 €

mercredi 4 septembre 2024

BD - À deux, au fond…


Après un roman graphique historique, Alicia Jaraba, jeune autrice espagnole, va puiser dans ses propres démons pour signer une œuvre singulière, pleine et aboutie. L’histoire d’un couple qui ne sait plus trop où il en est.

Aimée et Ulysse. C’est la première qui raconte ce road-trip vers le sud de l’Espagne. Ulysse a une passion : la plongée. Un but ultime : voir un poisson-lune. Il est donc impatient de partir, au volant de son combi aménagé en camping-car, vers Cabo de Gata, station balnéaire aux fonds sous-marins remarquables. Aimée va le suivre. Mais sans enthousiasme.


Elle n’aime pas quitter sa zone de confort. À peur de l’eau. Encore plus de la plongée. Dès les premiers kilomètres la tension est palpable. Une panne va provoquer encore plus de remous entre les deux amants. Il faudra l’intervention d’un drôle de retraité, Paco, pour remettre un peu d’ordre dans le voyage chaotique. On apprécie l’enchaînement des rebondissements, les doutes d’Aimée, les rêves d’Ulysse.

Un roman graphique sur les choix que l’on doit faire dans la vie pour être heureux, sur l’écoute de l’autre, les petits arrangements et concessions pour rendre le tout plus lisse, plus acceptable. Une belle histoire servie par un dessin simple, aussi fluide que l’eau de la mer.
« Loin », Bamboo Grand Angle, 136 pages, 19,90 €

Rentrée littéraire - Monstre et danseuse


Dans un minuscule village de Savoie, tout le monde connaît tout le monde. Les familles qui se retrouvent à l’épicerie tenue par Dali et sa mère, handicapée depuis une chute.

Tous vivent en bonne intelligence. Excepté Mathias. C’est le Maudit, celui qui n’a jamais eu de chance. Le bouc émissaire parfait, en toute occasion. Un colosse, bûcheron, célibataire de 38 ans, marqué par la vie. Sa sœur, encore adolescente, a été assassinée alors qu’il n’avait que 8 ans. Puis ses parents sont morts dans un accident de la circulation. Depuis il vit en ermite, dans une ferme au-dessus de l’hôtel Le Douglas, tenu par les parents de Luce.

À l’opposé du Maudit, Luce, 17 ans, n’est que grâce et légèreté. Une future danseuse professionnelle, recrutée au Canada. Elle apprend la bonne nouvelle la veille de la mort de sa petite sœur, Maud, assassinée, comme la sœur du Maudit.

Ce roman de Johanna Krawczyk débute comme une belle tranche de vie montagnarde. La mort, les mensonges, les secrets, transforment le tout en enquête policière aride. Avec un face-à-face entre la Belle et le Maudit. Deux âmes incomprises, reliées par l’amour de la poésie. Un remarquable roman par ses personnages et sa forme, la poésie adoucissant les faits.
« La Danse des oubliés », Johanna Krawczyk, Éditions Héloïse d’Ormesson, 192 pages, 18 €

BD - Dragons militaires


Quoi de plus redoutable qu’un dragon déchaîné ? Dans cette série entre fantastique et histoire, imaginée par Jarry et Istin, la première guerre mondiale voit s’affronter les premiers avions aux derniers dragons. Tout un monde que l’on retrouve dans l’image de couverture du second tome : un dragon, gueule ouverte, dents acérées, tente de croquer un biplan, fragile mécanique pilotée par un homme forcément inconscient. Car il faut être suicidaire ou fou pour prétendre se mesurer à ces monstres d’écailles et de feu, aux ailes démesurées.


Frank Luke fait partie de ces courageux qui ont choisi de quitter les États-Unis pour rejoindre l’escadrille Lafayette sur le front français. Un jeune pilote qui agit par vengeance. Fils d’éleveur, il a vu la vie de son père s’écrouler quand un dragon a poussé tout le troupeau dans un précipice. Faillite, désespoir, suicide… Frank veut donc bouffer du dragon et s’engager est la meilleure occasion pour descendre les bêtes domestiquées par l’armée allemande. Il veut particulièrement s’attaquer au Schwartzlord, le plus puissant et meurtrier des dragons.

Un récit très guerrier dans lequel le héros frôle souvent la mort. Prévue en quatre tomes, cette série concept, aux histoires indépendantes, est illustrée cette fois par Emanuela Negrin, dessinatrice italienne.
« Guerres et dragons » (tome 2), Soleil, 60 pages, 15,95 €