dimanche 30 avril 2023

DVD - Le collège se rebelle dans « L’école est à nous »

Un film optimiste sur l’enseignement qui redonne confiance aux jeunes. Preuve que les grèves ont parfois du bon.


Un peu d’utopie dans un monde hyperformaté. Le film d’Alexandre Castagnetti s’attaque à un monument : l’Éducation nationale. Dans L’école est à nous qui vient de sortir en DVD chez UGC Vidéo, il imagine qu’une prof un peu plus humaine que ses collègues, décide de faire confiance à ses élèves. Ils décident et finalement s’en sortent assez bien.

Après deux années d’arrêt suite à un grave traumatisme, Virginie (Sarah Suco), prof de maths, est de retour devant des élèves. Mais la grosse tête n’enseigne plus en prépa mais dans un simple collège de banlieue. Pas évident de motiver des jeunes démissionnaires. Mais quand le syndicat des profs décide de se mettre en grève pour sauver des classes, Virginie se porte volontaire pour assurer la permanence. Avec Ousmane (Oussama Kheddam), prof de techno, ils vont innover et proposer aux jeunes de se prendre en main. Malgré les réticences du principal (Jean-Pierre Darroussin), les résultats ne se font pas attendre.

Jolie fable sur l’écoute, le partage et la compréhension, cette comédie devient émouvante quand on découvre les failles de Virginie, quand Émilie, une des élèves, montre son mal-être face à un père envahissant. Même la petite histoire d’amour entre deux élèves donne des frissons. Un film optimiste mais aussi très réaliste, n’occultant pas la lourdeur de l’administration. Dans les bonus, une longue séquence avec un bêtisier qui donne une bonne idée de l’état d’esprit sur le tournage : concentré mais très décontracté également. Sans oublier quelques scènes coupées.

samedi 29 avril 2023

Fantastique - Stephen King réenchante à sa façon le « Conte de fées »

Retrouvez un Stephen King en très grande forme dans un roman foisonnant d’inventions narratives. Prêts pour la descente au pays des contes de fées ?


Il n’a rien perdu de son génie de la narration. Stephen King est toujours passionnant quand il se lance dans de grands projets permettant de donner libre cours à son imagination débordante. Conte de fées, ce pavé de plus de 700 pages est un excellent cru dans la longue bibliographie de celui qui a popularisé le thriller fantastique à travers le monde. L’histoire suit les péripéties sur terre et dans l’Autre Monde du personnage principal, Charlie, 17 ans, qui semble le reflet de l’auteur quand il était jeune et surtout une simple chienne nommée Radar, vieille, malade, mais très attachante.

Le début du roman, raconté à la première personne par Charlie, est très réaliste. Du style Chronique sociale qui dépeint cette Amérique qui ne fait pas vraiment rêver. Charlie vit simplement dans une petite ville de province entre sa mère et son père.

Le trou vers l’Autre Monde 

Mais un soir, en allant acheter à manger, la maman est tuée par un chauffard. Le père tombe dans une longue période d’alcoolisme. Durant près de 10 ans, Charlie devra se débrouiller presque seul à la maison. C’est donc un garçon déjà dur au mal qui découvre un matin son inquiétant voisin M. Bowditch, blessé dans son jardin. C’est sa chienne, Radar, un berger allemand au pelage élimé, qui a donné l’alerte en hurlant à la mort. Charlie va aider ce vieillard taciturne, devenir son aide familiale, son ami. En échange, le vieil homme lui livre ses secrets : il a plus de 100 ans, a ramené de l’Autre Monde, un pays merveilleux mais très dangereux, des pépites d’or qui lui permettent de vivre simplement sans avoir à travailler. Dernière révélation : la porte de l’Autre Monde est un puits caché dans le cabanon de jardin.

Les 200 premières pages du roman, très humaines, racontent avec gravité et beaucoup d’humanisme cette amitié naissante. La suite est beaucoup plus agitée. Charlie descend le long escalier en colimaçon qui le mène vers l’Autre Monde. Il part avec sa chienne, car un cadran solaire aurait le pouvoir de la faire rajeunir. Dès lors le lecteur, happé par cet univers extraordinaire, va palpiter dans le sillage d’un Charlie bravant tous les dangers pour sauver Radar. Il découvre un peuple malade, qui perd ses traits, devient gris. Notamment une jeune princesse, Leah, charmante mais dont la bouche s’est refermée comme une vilaine cicatrice : « Voilà bien la veine de Charlie Reade, tomber raide amoureux d’une fille que je ne pourrai jamais embrasser sur la bouche. » Dans ce monde crépusculaire, peuplé de loups la nuit, de gros cafards rouges et d’hommes et de femmes mourants, il va trouver des réponses auprès d’un aveugle. Notamment sur la maladie grise : « Respirer devient de plus en plus difficile. La chair inutile avale le visage. Le corps se referme sur lui-même ».

Charlie devra donc affronter de nombreux cauchemars bien réels (Stephen King en a toujours un plein sac en réserve) avant sauver son animal adoré et retrouver sa jolie (mais défigurée) princesse. Car c’est dans un véritable monde de conte de fées, où le Mal tente de l’emporter sur le Bien, que le jeune Américain tombe en descendant l’escalier. Un monde à préserver qu’on quitte à regret à la fin du roman.

« Conte de fées » de Stephen King, Albin Michel, 24,90 €

Album jeunesse - "Ma maison et moi" d'Arthur Dreyfus et Elliot Royer chez Robert Laffont


Nos souvenirs d’enfance passent par plusieurs stades. Souvent, c’est le lieu où l’on a habité qui permet de retrouver ces délicieux moments de la jeunesse insouciante. C’est le thème de cet album écrit par Arthur Dreyfus et illustré par Elliot Royer. Le narrateur entretient un rapport très étroit avec sa maison en bois « en bordure de forêt ».

Il lui est même arrivé de lui donner à manger en cachette. La nuit elle le protège des monstres et le jour elle fait fuir les jeunes harceleurs de son école. C’est dans cette maison qu’il a pour la première fois pris la main de Camille, son amoureuse. Un texte comme un long poème avec de superbes dessins pour prolonger l’enchantement.

« Ma maison et moi » d’Arthur Dreyfus et Elliot Royer, Robert Laffont, 16 €

vendredi 28 avril 2023

Cinéma - “Avant l’effondrement” personnel et de toute la société

L’effondrement dont il est question dans ce film de la romancière Alice Zeniter est personnel et sociétal. Tristan (Niels Schneider), est un jeune homme de gauche engagé pour changer la société. Directeur de campagne d’une candidate de gauche écologiste à Paris, il mène une vie trépidante.

Pourtant il a conscience que tout est fragile. Le réchauffement climatique semble incontrôlable. La société va mourir en suffoquant. Et personnellement, il a une épée de Damoclès au-dessus de la tête. Sa mère est morte à 40 ans d’une maladie génétique rare. Héréditaire une fois sur deux. Il n’a jamais voulu se faire tester. C’est donc avec la peur de mourir dans quelques années et la crainte de transmettre cette malédiction qu’il survit.

Des états d’âme qu’il partage avec Fanny (Ariane Labed), sa colocataire, professeur de français. Quand il reçoit dans une enveloppe anonyme un test de grossesse positif, sa vie bascule. Il va mener l’enquête auprès des quatre femmes avec qui il a couché ces derniers mois.

C’est sans doute le gros bémol de ce film politique un peu brouillon. Car s’il avait véritablement une conscience politique responsable du futur, Tristan ne multiplierait pas les aventures d’un soir. Encore moins avec la jeune stagiaire qu’il a lui-même engagée dans le staff de la candidate. Moralité, on peut être de gauche et écolo et se comporter comme un macho sexiste réactionnaire…

Film d’Alice Zeniter et Benoît Volnais avec Niels Schneider, Ariane Labed, Souheila Yacoub

 

BD - Tanguy et Laverdure face au Sabre jaune


Exactement comme Buck Danny, dont l’univers est décliné sur plusieurs plans, les aventures des Chevaliers du Ciel, les fameux Tanguy et Laverdure imaginés par Charlier et Uderzo, n’en finissent plus de voler pour la France et le monde libre. En plus de la série actuelle, avec des avions récents comme les Rafale, le lecteur fan de loopings et de combats aériens, peut retrouver ses deux héros préférés au moment où ils débutent leur carrière. La série dite « Classic » est désormais scénarisée par Patrice Buendia et dessinée par Matthieu Durand.

En 1961, les pilotes français participent à des exercices avec les aviateurs canadiens basés à Marville dans l’Est de la France pour le compte de l’Otan. Lors d'un combat simulé, un sabre aux couleurs jaunes (avion à réaction qui a participé à la guerre de Corée), fond sur un canadien et le descend. D’où venait ce jet ? Pourquoi a-t-il pris cet avion canadien pour cible ? Les interrogations sont nombreuses et les deux Français vont se retrouver, bien malgré eux, au centre d’une histoire ancienne qui date de la guerre de Corée.
Une intrigue bien développée, avec ressort diplomatique et référence géo-stratégique, des dessins très inspirés par ceux d’Uderzo, quand il mélangeait réalisme et caricature : l’ensemble est parfait pour les nostalgiques de la grande période des BD d’aventures franco-belge.
« Tanguy et Laverdure Classic » (tome 5), Dargaud Zéphyr, 15,50 €
 

jeudi 27 avril 2023

De choses et d’autres - Au rendez-vous des chakras

Il n’est pas toujours facile d’honorer des rendez-vous. Surtout quand on les prend longtemps à l’avance. Pour le suivi d’une opération, le secrétariat d’un chirurgien vient de me demander si le mercredi 4 octobre à 10 heures je serais disponible. J’ai tendance à répondre « Peut-être ».

Je ne peux objectivement pas en être sûr et certain car, qui me dit que dans six mois à cette même date et heure, un autre rendez-vous encore plus important ne me serait imposé par ailleurs. Et d’une façon plus prosaïque, rien ne m’assure que je serai toujours de ce monde en octobre. Si j’écoutais mon côté pessimiste, je ne prendrais pas le moindre rendez-vous au-delà de trois jours.

Pas très pratique, mais on n’est jamais assez prudent. D’autres sont moins regardants et partent du principe qu’un rendez-vous ne les engage pas. Ainsi, une amie proche m’a raconté pourquoi elle n’est pas allée à une consultation et n’a même pas prévenu la personne qui la lui avait fixée. Souffrant d’une maladie mystérieuse qui transforme ses pieds en braises incandescentes (du moins, c’est l’impression très douloureuse qu’elle en a), après plusieurs non-réponses de spécialistes, elle s’est décidée, à contrecœur, de se rendre chez une rebouteuse.

Une magnétiseuse, exactement, qui voulait lui « rééquilibrer les chakras ». Aussi sceptique qu’un électeur progressiste quand il entend Olivier Dussopt prétendre que sa réforme des retraites est de gauche, elle décide finalement de conserver ses chakras en l’état et de ne pas effectuer le déplacement. Et de se justifier de cette annulation cavalière : « Elle m’a dit qu’elle était aussi un peu médium. Si c’est vrai, elle a certainement deviné que je ne viendrais pas. »

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le mardi 4 avril 2023

BD - La Manche, cimetière de la flotte française


Devenu peintre officiel de la Marine belge, Jean-Yves Delitte, en plus de ses séries d’aventures, propose cette  collection sur les grandes batailles navales de par le monde. Il assure scénario, couverture et quelques grandes illustrations dans des albums classiques, complétés d’un dossier pédagogique.

Dans ce nouvel opus intitulé Les cinq îles, il est question de le classique confrontation entre France et Angleterre sur la Manche. En 1215, l’Angleterre est affaiblie. Un Français, le prince Louis, fils du roi Philippe II Auguste, revendique le trône à Londres. Le jeune roi Henri va tenter de sauver son pays (et son pouvoir), aidé de quelques excellents stratèges maritimes.

Depuis Calais, le prince Louis a chargé le sinistre et très cruel chevalier Eustache dit « Le Moine » de préparer une armada pour rallier Londres. Des dizaines de vaisseaux sont réquisitionnés et aménagés pour transporter les troupes françaises. Contrairement aux autres titres de la collection, l’album fait la part belle aux négociations, manœuvres et tentatives de sabotage avant la bataille. Une bataille navale que les Français ne comptent pas livrer, persuadés que les Anglais n’oseront pas les approcher. Mais depuis le port de Sandwich, les navires britanniques sont quand même préparés à la hâte. Et quand les voiles ennemies apparaissent à l’horizon, c’est la grande explication. Quelques heures à peine suffisent pour mettre l’envahisseur en déroute.
Dessinée par Fabio Pezzi, cette épopée maritime est criante de vérité. On a parfois l’impression de retrouver des ambiances à la Hermann, tendance Tours de Bois-Maury.
« Les grandes batailles navales – Les cinq îles », Glénat, 15,50 €

mercredi 26 avril 2023

De choses et d’autres - Chathérapie

La vie quotidienne est source d’une multitude de problèmes, tous plus stressants les uns que les autres. Pour les surmonter, on peut se gaver d’anxiolytiques ou fermer les yeux en procrastinant. Il existe aussi une autre façon de faire passer ces difficultés : la chathérapie. Une discipline non enseignée en médecine mais d’une étonnante efficacité. Tous les possesseurs d’un chat savent de quoi je veux parler.

Car il n’y a rien de plus destressant qu’un chat câlin. Une société d’alimentation pour animaux a même commandé un sondage aux résultats incontestables : « 98 % des propriétaires de chats trouvent leur présence destressante». Vous avez un petit coup de mou et des pensées noires ? Vite, demandez de l’aide à votre chat. S’il fait partie des affectueux, prenez-le sur vous et laissez-vous endormir par ses ronrons intempestifs provoqués par vos caresses. Si c’est un facétieux, lancez un objet dans une pièce et profitez de ses cavalcades pour le rattraper et jouer avec. Si c’est un dormeur, contentez-vous de le regarder roupiller, 22 heures par jour, bien calé dans son panier (ou le canapé du salon).

C’est d’ailleurs le trait de caractère que l’on envie le plus à notre animal de compagnie : « Dormir aussi bien et longtemps qu’eux. »

Il n’y a que les chats dédaigneux qui ne sont pas d’un grand secours, ceux qui font les sourds quand on leur parle gentiment. Un peu à part on trouve aussi les revendicatifs. On en a un à la maison répondant au gentil nom de Marcel. Sa manie : miauler de toutes ses forces, en pleine nuit, pour réclamer une ration de croquettes supplémentaire. Résultat : on dort mal mais cela ne l’empêche pas, lui, d’en écraser toute la journée quand on est au boulot.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le 5 avril 2023

BD - La compagnie rouge frappe aux confins de l’espace


A quoi va ressembler la guerre dans quelques millénaires ? Simon Treins (scénario) et Jean-Michel Ponzio (dessin) tentent d’y répondre dans le gros album de 128 pages portant sur les derniers faits d’armes de
La compagnie rouge. Dans ce futur très lointain, la conquête spatiale a étiré les frontières du monde connu. Plus de guerre à proprement parler mais des escarmouches, généralement sous-traitées par des sociétés spécialisées, les compagnies. Des mercenaires qui se vendent au plus offrant et font fructifier leur réputation en participant à une sorte de championnat intersidéral des guerres officielles.

Quand les drones de la Compagnie rouge débarquent sur cette planète céréalière, la bataille est vite gagnée. Une fois déclarés vainqueurs, les officiers vont prendre du bon temps. Il y a Rouille, un Apollon un peu arrogant, Chérie, seule femme du groupe terrain et Frisette, géant chauve, second de La Chouette, commandante de l’Argo, le croiseur sur-armé. Dans un bar, ils tombent sur Flint, un jeune paysan qui rêve d’être engagé. Un rêve qui va devenir réalité. Il prend le nom de L’Innocent et devient dans un premier temps archiviste de la Compagnie rouge. Il va scanner tous les combats et les mémoriser pour pouvoir les réutiliser dans des situations comparables.
Une fois l’équipage connu, le lecteur va partir avec lui pour une mission aux confins de l’univers. Un piège qui donnera bien du fil à, retordre aux mercenaires de la Compagnie rouge.
Un scénario efficace, digne d’un space-opéra moderne, illustré dans ce style si particulier de Ponzio. Il travaille d’après photos pour les personnages. C’est très réaliste mais un peu figé. Par contre, côté engins et structures planétaires, c’est du grand art.
« La compagnie rouge », Delcourt, 15,50 €

mardi 25 avril 2023

De choses et d’autres - Protestation poilue


Ces derniers temps, mes billets font souvent réagir. Et pas qu’en positif. La preuve, cette lettre reçue hier après avoir fait l’apologie de la chathérapie. Un certain Médor, Labrador croisé Teckel, s’insurge contre mon « parti pris flagrant pour le camp des félins ». Avec son accord (il a remué de la queue quand je lui ai demandé), voici quelques extraits de son message.

« Une nouvelle fois, Michel Litout, vous démontrez que vous êtes tout, sauf indépendant. Pourquoi faire l’apologie des chats alors que la majorité des Français préfère les chiens ? Nous sommes, nous aussi, parfaitement capables de déstresser nos maîtres. Et on assume le terme de maître car nous, les chiens, contrairement à ces égoïstes de chats, on obéit aux ordres de la main qui nous nourrit. Ils ronronnent. La belle affaire ! Quoi de plus flatteur et bénéfique pour le maître qu’une grosse lèche sur la joue ? Et le jouet, ils s’amusent avec, mais seuls. Nous, on le ramène et on fait participer le maître, lui demandant, sans cesse, de le renvoyer pour continuer la partie.

Pour ce qui est de la propreté, nous n’avons pas de litière. Mais on fait mieux : on oblige le maître à nous sortir, à prendre l’air et à faire un peu d’exercice physique, plusieurs fois par jour. Avec les chats, les humains font du gras sur le canapé ; avec nous, les chiens, ils préparent un marathon. Nos croquettes devraient être remboursées par la sécurité sociale.

Enfin, nous sommes de redoutables gardiens. Les cambrioleurs craignent nos aboiements et nos crocs, quand les chats ne se réveillent même pas…

Alors un conseil, Michel Litout, rectifiez le tir, sinon, prenez garde à vos mollets ! »

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le jeudi 6 avril 2023

BD - Bokko Stratège : la défense l’emporte sur l’attaque


L’Histoire de la Chine a souvent été traversée par de longues périodes de guerre. Le pays gigantesque était scindé en dizaines de royaumes rivaux. Le manga
Bokko Stratège se déroule il y a plus de 2000 ans. Les troupes de Zhao fondent sur la citadelle de Liang. Cette dernière va demander l’aide aux « moïstes » pour se défendre. Le moïsme est une philosophie qui prône l’égalité entre les hommes et rejette toute forme de guerre. Pour sauver Liang, un seul moïste, Ke-ri, se rend sur place.


L’histoire de Sakemi, adaptée par Kubota et dessinée par Mori s’étend sur huit volumes. Le premier plante le décor et met en place les premières défenses imaginées par Ke-ri. Petit, malingre et chauve, il n’impressionne personne. Pourtant il a une force de caractère et une science du combat qui lui permettent de toujours avoir un coup d’avance. Il vaut mieux car ce sont des guerriers aguerris qui tentent de faire tomber Liang alors que lui n’a sous la main que des paysans et quelques nobles très couards.
Un premier album, très psychologique, explique au lecteur les principes du moïsme, plante le décor et les personnages. Mais les amateurs de combats seront comblés car rapidement les attaques se multiplient et la mort frappe de plus en plus les deux camps. Le dessin, très réaliste, s’éloigne un peu du pur style manga pour un classicisme de bon aloi, plus aisé à comprendre pour le public occidental.
« Bokko stratège » (tome 1), Vega Dupuis, 11 €

lundi 24 avril 2023

BD - Pepe Carvalho vogue vers les mers du Sud

De tous les détectives privés de la littérature policière européenne, Pepe Carvalho de Manuel Vazquez Montalban occupe une place de choix. Si Nestor Burma est associé à Paris, Pepe est le héros à connaître pour palper la réalité de la Barcelone d’antan. Hernan Migoya adapte le roman « Les mers du Sud », toujours dessiné par Bartolomé Segui. En 1979, alors que l’Espagne et plus encore la Catalogne découvre les bienfaits de la démocratie après la disparition de Franco et la fin de la dictature, un cadavre est découvert dans une décharge sauvage de la périphérie de Barcelone. Un homme, mort poignardé.

Loin d’être un clochard abandonné là après une querelle d’ivrogne, c’est la dépouille d’un certain Stuart Pedrell, riche entrepreneur. Il a disparu depuis un an. Sa femme, qui a brillamment repris au débotté les rênes de l’entreprise, engage Pepe Carvalho pour retrouver ses meurtriers. Toujours aussi nonchalant et pessimiste, le privé amateur de bonne bouffe et de boissons alcoolisées plonge dans deux mondes très différents. D’un côté la grande bourgeoisie catalane, riche, réactionnaire et très catholique. De l’autre les artistes, intellectuels et militants de gauche, progressistes, avant-gardistes.

Le lien entre ces deux mondes : le mort. Car s’il savait faire fructifier sa fortune en bon capitaliste sans scrupules, Stuart Pedrell était aussi un ami de ce milieu interlope, achetant des œuvres, recevant chez lui des artistes sans le sou, aidant les partis les plus radicaux.

Le détective, dans ses investigations, se frottera à la fille du défunt (jeune femme perdue qui sautera littéralement sur Pepe chez qui elle retrouvera le père disparu et l’amant espéré), un avocat trouble, des maîtresses cupides et un associé sarcastique. Côté camp progressiste, il découvrira la seconde vie du disparu, devenu simple employé et compagnon d’une jeune gauchiste enceinte de ses œuvres.
L’intrigue du roman, considéré comme un des meilleurs de la série, progresse lentement. Normal, Pepe Carvalho aime prendre son temps. Cela permet aux auteurs d’utiliser les nombreuses digressions de Montalban sur la gastronomie, la politique, la littérature. Cela gonfle aussi la pagination de l’album qui fait 88 pages. Résultat le lecteur en a pour son argent et devrait envisager sans coup férir de prendre un billet pour la capitale catalane pour se glisser dans les pas du héros.

«Pepe Carvalho» (tome 3), Dargaud, 16 €

BD – Mario Marret et Albert Algoud : deux existences bien remplies

Média très efficace, la bande dessinée peut également servir à raconter la vie de personnages d’exception. Deux exemples avec Mario Marret, militant de gauche qui a marqué le XXe siècle, de la Résistance à l’exploration du Pôle Sud ou Albert Algoud, connu pour ses émissions sur Canal+ mais qui a débuté comme professeur en Haute-Savoie.


De Mario Marret, chacun conserve le souvenir qu’il désire. Car ce militant de gauche a traversé le XXe siècle en multipliant les vies. Quatre exactement si l’on en croit cette grosse biographie écrite par Nina Almberg et dessinée par Laure Guillebon. Ouvrier anarchiste, il a commencé sa carrière de militant en se dirigeant vers l’Espagne au moment de la Guerre d’Espagne. Mais il n’a pas le temps de franchir la frontière, se contente d’aller aider les milliers de réfugiés parqués sur la plage d’Argelès après la Retirada.


Rapidement, ses connaissances en radio lui permettent de se rendre utile au sein de la Résistance. Repéré, il devient un espion… pour les USA. D’Algérie puis dans la région de Lyon, il va participer activement à la Libération de la France. C’est ce statut de spécialiste radio qui lui donne l’occasion de rebondir dans les années 50. Il va participer à des expéditions au Groenland puis en Antarctique sur la base française de Terre Adélie.

C’est dans le froid qu’il change à nouveau de métier : cinéaste. Il filme cette vie extrême et ses deux premiers films documentaires remportent des prix à Venise. Il va poursuivre dans cette veine, témoignant des grèves en France ou des guerres d’indépendance en Afrique. Enfin sur la fin de sa vie, il deviendra un psychanalyste renommé. Pourtant, cette BD très politique montre combien Mario Marret est de nos jours complètement oublié. Un album qui va réparer cette regrettable erreur.

Le prof devenu comique 


Albert Algoud lui est toujours connu. L’amuseur public, plume de nombreux comiques, animateur sur Canal+ et diverses radios, continue à écrire. Son dernier sujet ? Lui, tout simplement. Il signe le scénario de cette BD racontant ses débuts dans la vie active, quand il a révolutionné l’enseignement dans un collège de Haute-Savoie. L’homme qui a sauvé sa vie est dessiné par une amie, Florence Cestac qui s’était déjà essayée au genre avec la vie de Charlie Schlingo. Sans compter les titres où elle raconte en détail sa jeunesse ou la création de Futuropolis.


À la fin des années 70, Albert Algoud débarque au collège de Roc-les-Forges avec l’envie de faire le maximum pour ses élèves. Ce fan de littérature populaire et de Tintin va vite comprendre que pour capter l’attention d’une trentaine d’ados, mieux vaut sortir des sentiers battus. Séance cinéma, sorties, constructions, expériences : il multiplie les initiatives.

Trois années de bonheur total mais qui deviennent répétitives. Et puis arrivent les années 80, la libération des ondes et ses premières armes à la radio. Repéré pour son humour dévastateur, il va durant quelques mois mener de front les deux carrières. Mais entre l’Éducation nationale et la célébrité à la télévision, Albert Algoud va choisir les paillettes face à l’abnégation. Même si en lisant ces pages, on a la bizarre impression qu’il regrette un peu. Ou du moins qu’il a été aussi heureux, voire plus, dans sa classe que sur les plateaux de télévision.

«Quatre vies de Mario Marret», Steinkis, 24 €
«Le prof qui a sauvé sa vie», Dargaud, 15 €

dimanche 23 avril 2023

BD - La Corse des secrets selon Michel Bussi

L’adaptation du roman policier, Le temps est assassin de Michel Bussi, donne aussi envie de quitter son quotidien pour se plonger dans l’ambiance de la Corse préservée. Ce roman, best-seller d’un des écrivains les plus lus en France ces dernières années, est adapté par Frédéric Brrémaud et dessiné par Nathalie Berr.

L’action se déroule en parallèle dans le temps. Un même lieu, une petite presqu’île près de Calvi, encore sauvage. En août 1989 puis toujours en août, mais 27 ans plus tard, en 2016. Clothilde, adolescente dans la première partie, est devenue mère de famille dans la seconde. Elle est en partie originaire de Corse, par son père alors que sa mère est Normande. Était car en 1989, toute la famille a péri dans un accident de la route. Sauf Clothilde.

Si elle revient sur les lieux de la terrible sortie de route tant d’année après, c’est qu’elle a reçu une lettre, comme signée de sa mère. Elle entraîne donc son mari et sa fille, adolescente, dans un séjour estival dans le seul camping « autorisé » dans ce lieu épargné par l’urbanisation galopante de l’île de Beauté. Elle va mener l’enquête, retrouver les protagoniste de l’été fatal, tenter de démêler cette histoire et surtout savoir qui est celui qui se fait passer pour le fantôme de sa mère.

La trame du roman, complexe avec ses nombreux allers-retours dans le temps, est préservée et bien mis en valeur par la dessinatrice. Tout semble évident, preuve qu’un texte compliqué peut gagner en clarté avec une bonne adaptation graphique. Et même si vous avez déjà lu le roman paru à l’époque Aux Presses de la Cité puis en poche chez Pocket, vous replongerez avec plaisir dans cette histoire familiale, compliquée et gangrenée par les secrets.

 «Le temps est assassin», Philéas, 19,90 €

De choses et d’autres - Retraite, climat, même combat


Vous l’avez certainement entendu au détour d’une publication facebook ou sur Twitter. Même les grandes chaînes ont passé des extraits du tube du printemps. Une chanson improbable, que j’ai découverte avec stupéfaction en regardant les dernières nouvelles concernant les mobilisations populaires contre la réforme des retraites.

Entre deux charges de policiers un tantinet énervés et une déclaration fracassante de Laurent Berger de la CFDT que l’on n’aurait jamais imaginé plus radical qu’un militant de base de la CGT, je tombe sur une jeune femme habillée en noir, avec lunettes de soleil, qui danse comme si elle était en boîte de nuit devant une banderole revendicative.

Une certaine « Mathilde danse pour le climat » selon son profil TikTok. En musique de fond, un refrain basique et entêtant collé à quelques boîtes à rythmes très années 80 : « Pas de retraités sur une planète brûlée. Retraite, climat, même combat ! » La convergence des luttes. Ou plus exactement la convergence des tubes puisque ce morceau composé par « Planète Boum Boum, l’équipe d’animation d’Alternatiba Paris » est devenu viral.

Message simple et clair, avec la possibilité de le hurler sous les bruits des explosions de grenades lacrymogènes et de cocktails molotov, la Planète Brûlée a un bel avenir devant elle. Un refrain, mais pas de couplet, si ce n’est une petite précision une fois passé le milieu de la chanson : « on veut taxer les riches ».

J’attends la version plus clairement anti gouvernement : « Pas de 49.3 pour le président Roi. Pauvres, chômeurs, même douleur ! »

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le lundi 3 avril 2023

samedi 22 avril 2023

BD - Les grands moments de Métal Hurlant


Nouvelle livraison de Métal Hurlant. Le n° 6 de la nouvelle version en mook. Près de 280 pages de pure nostalgie métallique. Sous une couverture de Moëbius, on retrouve des BD d’anthologie, qui ont fait basculer cet art mineur vers l’art absolu.

On ne peut que conseiller les premières pages de Polonius, histoire de Picaret pleine de bruit, de sexe et de fureur, dessinée par Tardi, Serge Clerc joue au grand témoin, livrant une longue interview illustrée de pages inédites du récit de ses années Métal. Un peu de Druillet (Gail), de Margerin ou de Jano et surtout ne manquez pas un récit complet de Caza, formidable dessinateur à la production devenue plus rare ces dernières années.

« Métal Hurlant », numéro 6, Les Humanoïdes Associés, 19,95 €

De choses et d’autres - Fake news avec arêtes

1er avril, voilà bien un jour où la chasse aux fake news est compliquée. Date sacrée pour les comiques des rédactions, c’est la possibilité de toutes les énormités. Car plus c’est gros, plus c’est plausible : telle est la maxime qui permet de mettre au point un bon 1er avril. Avec quelques règles aussi, car comme une contrepèterie doit avoir un petit côté salace, un poisson d’avril digne de ce nom tourne autour du milieu aquatique. A cette occasion, un lecteur, dans une lettre qu’il commence ainsi : « Messieurs de l’I. (non, pas Bruce voyons !) », propose quelques brèves piscicoles de printemps que je me réjouis de reproduire.
« Dédicace. Cet après-midi à la Maison de la presse, dédicace du livre « Pages blanches » ou les mémoires de Pascal Zheimer. Espérons qu’il n’aura pas oublié le rendez-vous.

Jumelage. On pensait le projet tombé dans les oubliettes pour cause de Covid. Que nenni. Le comité l’a remis sur la table pour mener à son terme le jumelage de Montner dans les Pyrénées-Orientales avec Montcuq, petit village du Lot. De beaux échanges culturels en perspective.

Information médicale. Le docteur Rienne César vous fait part de sa future installation au centre médical de la commune. »
Je me permets, dans l’esprit de ces brèves simplement signées « un citoyen Lambda » de rajouter cette information :

Météo. Après la procession de Saint-Gaudérique à Perpignan, nouvelle initiative pour le retour de la pluie dans la région : le grand sachem sioux Plume d’œuf en provenance du Wyoming fera la danse de la pluie, ce samedi, à 14 heures, sur la passerelle enjambant la Têt.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le samedi 1er avril 2023

vendredi 21 avril 2023

BD - Evol et ses faux héros

Parfaite fusion entre l’univers des mangas et celui des super-héros, les deux premiers tomes de Evol par Atsushi Kaneko viennent de sortir simultanément. Deux gros livres reliés de plus de 260 pages pour plonger dans un futur alternatif assez inquiétant. Dans un Japon encore plus occidentalisé, deux super-héros (Lightning Volt et Thunder Girl) veillent. Mais ils sont aux ordres du maire corrompu.

En parallèle, on suit le réveil de trois adolescents rebelles, dotés de petits pouvoirs, mais qui ont bien l’intention de devenir des super vilains. Mais dans cette BD, la notion de bien et de mal est très compliquée à évaluer. Dessins en noir et blanc exceptionnels, scénario sombre à souhait, suspense à tous les chapitres : de la très grande BD à mettre entre toutes les mains à partir de 16 ans.

« Evol » (tomes 1 et 2), Delcourt Tonkam, 19,99 €

Cinéma - “Les âmes sœurs” face aux souvenirs enfouis


 Blessé au Mali, un militaire français est soigné par sa sœur. Il est amnésique. Elle voudrait ne plus se souvenir. Un film d'André Téchiné qui sort ce mercredi 12 avril 2023 au cinéma. 

André Téchiné, malgré ses 80 ans, continue de tourner. Toujours un projet sur le feu, un film à lancer ou à finaliser. Alors qu’il vient de terminer à Perpignan, un film sur la police avec Isabelle Huppert en vedette, son précédent long-métrage sort sur les écrans. Le réalisateur s’attaque aux rapports entre un frère et sa sœur. Un sujet sensible tourné en Occitanie, dans une vallée ariégeoise, avec quelques scènes finales sur la plage et dans les Pyrénées-Orientales. Un grand écart d’atmosphère, l’essentiel de l’intrigue se déroulant dans des bois touffus et verdoyants, le final devenant solaire entre mer et ciel.

David (Benjamin Voisin) est militaire dans l’armée française. Il est dans un blindé qui participe à pacifier le Sahel face aux menaces terroristes. Une mine et c’est le retour en urgence aux Invalides à Paris. Grièvement brûlé et dans le coma, voilà comment Jeanne (Noémie Merlant) sa demi-sœur le découvre. Elle débarque de son Ariège natale. Elle vivote dans un petit village qui dépérit, garde des entrepôts la nuit en compagnie de son berger allemand, Flambeau. Quand David se réveille, les médecins découvrent qu’il a perdu la mémoire. Incapable de parler ni de savoir qui il est. Après de longs mois de rééducation, il peut enfin quitter l’hôpital. Sa sœur décide de s’occuper de lui. Il va habiter avec elle dans son petit appartement, dépendance d’un domaine appartenant à un ami, Marcel (André Marcon). David gagne en autonomie. En caractère aussi. Il devient de plus en plus irritable, refuse que Jeanne lui parle du passé, ne se projette que dans l’avenir. Même s’il ne pourra jamais plus être soldat.

Le titre du film, Les âmes sœurs, donne une indication au spectateur sur la complicité qui existait entre Jeanne et David. Ils étaient très proches enfants, partageaient tout, surtout cette mère qui n’est plus là aujourd’hui. David se raccroche à sa sœur alors qu’elle semble de plus en plus redouter ce rapprochement. Quels secrets, enfouis dans la mémoire de Jeanne, David aimerait retrouver une fois son amnésie disparue ? 

Le film, faisant la part belle à la complicité des deux jeunes comédiens, tourne un peu trop autour de son sujet principal. Il se perd parfois dans des détails (exode rural, chômage, différence) mais retombe sur ses pieds dans les ultimes scènes tournées près de Perpignan.

Film français d’André Téchiné avec Noémie Merlant, Benjamin Voisin, Audrey Dana et André Marcon.

 



jeudi 20 avril 2023

BD - La nature désigne ses Ambassadeurs

La protection de l’environnement devient un problème urgent et mondial. Protéger les ressources, mais aussi les autres êtres vivants de plus en plus mis à mal par l’expansion du monde destructeur des humains. Un sujet au centre de cette BD écrite par Benoît Broyart et dessiné par Laurent Richard, intitulée Les Ambassadeurs. Pour comprendre les enjeux, les auteurs ont décidé de mettre en avant la vie de cinq adolescents vivant dans une petite ville de Bretagne. A la fin de l’année scolaire, une semaine avant les vacances, ils sont plus sensibles à l’écologie.

Alors qu’ils cherchent à s’occuper, ils se réveillent un matin métamorphosés. Ils ont conservé leur corps d’humains, mais leur tête s’est transformée en animal. Des jumeaux, fille et garçon, se retrouvent avec un museau de renard, un garçon bascule vers le loup et les deux autres filles en biche et hase, femelle du lièvre. Affolés, ils se réfugient dans une ancienne carrière et découvrent qu’ils peuvent désormais parler avec les animaux. Ces derniers leur expliquent la situation : les humains deviennent trop agressifs, il faut que cela change. Et les cinq jeunes auront le rôle d’ambassadeurs pour tenter de faire évoluer les choses.

Un dessin délicat et précis permet de faire la bascule des jeunes humains vers les animaux. C’est criant de vérité. Et comme les mutants ont des pouvoirs liés aux éléments (eau, feu, air…), il y a un petit côté action qui renforce l’intérêt de la première partie de cette série très prometteuse.

« Les ambassadeurs », Jungle, 19 €

De choses et d’autres - Le dernier gadget à la mode

Beaucoup d’éditorialistes se sont moqués plus ou moins ouvertement du journal qui a interviewé le président Macron. Pour les 75 ans de son personnage vedette, Pif Gadget, magazine mensuel relancé avec succès, a permis à quelques-uns de ses jeunes lecteurs de poser des questions au président. Ses réponses ont été interprétées à l’aune de l’actualité, notamment quand on lui demande ce qu’il se passe en cas de grave crise.

Beaucoup se demandent si l’interview du président est à sa place entre une histoire comique de Pif et la réédition d’un récit complet ayant pour héros Rahan, fils des âges farouches.

Mais souvenez-vous, Pif a aussi publié d’autres BD aux titres qui pourraient être très d’actualité de nos jours. Docteur Justice (et son cri qui paralyse) aurait été d’un grand secours durant la pandémie et même aujourd’hui pour aller soigner les manifestants blessés au milieu des champs. La Jungle en folie était désopilante. Des animaux aux réactions et attitudes très humaines. Exactement l’inverse de ce qui s’est passé à l’Assemblée nationale durant le débat sur la réforme des retraites.

Pif Gadget, journal communiste à ses débuts, a aussi vulgarisé le combat de la Résistance contre l’occupant nazi dans l’excellente série du Grêlé 7/13.

Pif qui le premier a publié en France Corto Maltese et a longtemps hébergé dans ses pages le maître absolu de l’humour, un certain Gotlib et son chien neurasthénique Gai-Luron.

Bref, Emmanuel Macron dans Pif Gadget, cela ne me gêne pas. D’autant que je me souviens, dans les années 70, d’une interview de Jacques Chirac, Premier ministre, annonçant le prochain abandon du service militaire obligatoire. C’était dans le journal de Tintin…

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le vendredi 31 mars 2023

mercredi 19 avril 2023

BD - Roman graphique d’initiation pour L’ami

Il est toujours compliqué de raconter les errements de l’adolescence. Plusieurs risques attendent les auteurs au tournant. D’abord l’impossibilité de faire comprendre au lecteur le magma qui agite l’esprit des jeunes durant cette période si complexe. Ensuite le hors sujet, car un adolescent a des réactions typiques de cette brève partie de l’existence et on peut, une fois adulte, ne pas s’en souvenir avec exactitude. Dans ce gros roman graphique de Lola Halifa-Legrand (scénario) et Yann Le Bec (dessin), pas la moindre fausse note.

Tomi fait partie de ces jeunes qui surfent entre timidité et introspection. Il vit avec sa mère, en surpoids, trop protectrice. Passe beaucoup de temps sur le net. Essentiellement pour y découvrir tout ce qui est interdit, le porno en priorité. Au lycée, il n’a pas d’ami. Mais fantasme sur plusieurs filles. Quand par hasard il accepte de discuter avec Feliks, une amitié va naître entre ces deux que pourtant tout oppose. Car Feliks est extraverti, provocateur et toujours partant pour faire un mauvais coup.

Si la description de cet univers est parfois un peu sordide, elle est pourtant le parfait reflet de la vie de nombre de jeunes déboussolés, perdus entre parents, école et tentations multiples. Durant une année on suit Tomi dans son évolution, ses progrès en drague, sa vision de la vie, de son avenir. Une fiction qui semble incroyablement réelle.

« L’ami », Dupuis – Les Ondes Marcinelle, 24 €

De choses et d’autres - Houellebecq débouté, Houellebecq dégoûté

Ne jamais signer un contrat en ayant trop bu. Michel Houellebecq aurait dû faire sienne cette maxime, quand il a accepté la proposition d’un artiste néerlandais. Dans le but de prouver que l’amour peut réconcilier la gauche et la droite, Stefan Ruitenbeek propose à l’écrivain français, catalogué à droite, voire un peu plus, de se laisser convaincre par une jeune militante de gauche de faire l’amour avec lui ; il est séduit par l’idée. Le tout filmé et diffusé.

En compagnie de sa femme (c’était aussi une sorte de cadeau de mariage…), le romancier tourne quelques scènes qualifiées de pornographiques. Mais quand un premier extrait est diffusé sur le net, Houellebecq veut tout arrêter. Il demande l’interdiction du film à la justice.

Le procès vient d’avoir lieu. Principal argument pour ne pas montrer ces scènes : l’accord a été obtenu alors que le romancier était « dépressif » et que son discernement était faussé car « sous l’emprise de l’alcool au moment de la signature ». Les juges, après avoir visionné la signature du contrat (Stefan Ruitenbeek a l’habitude de tout filmer, avant, pendant et après ses expériences artistiques), ont convenu que Michel Houellebecq n’était pas spécialement ivre. Et qu’il semblait parfaitement au courant des intentions du réalisateur.

Bref, il est débouté. Dégoûté aussi puisqu’il doit payer les frais de justice, près de 1 400 euros.

Il compte faire appel. Mais en attendant, le montage du film avance et tous ceux qui sont allergiques au romancier provocateur dans ses écrits, attendent avec délectation de le voir dans un rôle inhabituel et pas forcément à son avantage.

Billet paru en dernière page de l’Indépendant le jeudi 30 mars 2023

mardi 18 avril 2023

Thriller - L’Islande très sombre des « Garçons qui brûlent »

Dans le 3e roman dont elle est la vedette, Elma, policière islandaise, enquête après la mort d’un jeune garçon dans l’incendie de sa chambre.


Le polar islandais n’en finit plus de se renouveler. Petit pays, rude au niveau climat, mais véritable mine de talents littéraires. Dernière trouvaille en date : Eva Björg Ægisdóttir. Cette jeune romancière propose avec Les garçons qui brûlent, son troisième thriller se déroulant dans la petite ville d’Akranes. Une nouvelle enquête de l’inspectrice Elma à la vie suffisamment compliquée pour en faire le fil rouge de la série.

Elma découvre dans les premières pages qu’elle est enceinte. Un choc pour cette policière qui après un premier drame est revenue dans sa ville natale pour tenter de relancer sa carrière. Une information qu’elle préfère garder pour elles dans un premier temps, n’osant même pas l’avouer au père. Et puis le boulot vient lui permettre d’oublier ce bouleversement futur de sa vie. Un incendie se déclare dans une villa. Les pompiers, rapidement sur place, découvrent un jeune homme de 20 ans mort dans son lit. Le feu s’est limité à sa chambre. L’origine du feu est criminel. Reste à savoir s’il a tenté de se suicider ou été victime d’un assassin.

En explorant sa vie, Elma va déterrer bine des secrets du côté de ses amis (sa sœur jumelle, un futur footballeur, son meilleur ami habitué des mauvais coups, une jeune fille au pair hollandaise) ou des parents, entrepreneurs cupides, conseillère municipale trop lisse ou père un peu trop porté sur la boisson et les conquêtes féminines d’un soir. Eva Björg Ægisdóttir décrit une Islande un peu trop belle et lisse.

Derrière ce vernis nordique se cache une réalité plus complexe et sombre parfaitement décrite dans ce polar finalement plus social que criminel.

« Les garçons qui brûlent » d’Eva Björg Ægisdóttir, Éditions de la Martinière, 21,90 €

Littérature - « Vers la mère » ou le dernier voyage d’une famille colombienne

Une mère et son enfant descendent un fleuve en Colombie. Une ultime communion racontée par Lorena Salazar dans « Vers la mère », son premier et brillant roman.

Elle est blanche. Il est noir. Pourtant elle explique à tout le monde que c’est son fils. La narratrice de ce premier roman signé Lorena Salazar entreprend un dernier voyage avec son fils. Il y a quelques années, une femme, une amie, lui a confié ce bébé. Elle l’a élevé comme si c’était le fruit de ses entrailles. Mais aujourd’hui elle a pris sa décision et va rendre ce fils à sa véritable mère.

Pour cela elle doit quitter le petit village perdu dans la jungle colombienne et gagner la ville de Bellavista. Un seul chemin pour ce long périple de plusieurs jours, le fleuve Atrato. La narratrice va donc embarquer sur une pirogue d’une dizaine de places, le TER régional en quelque sorte, et faire confiance à la navigatrice pour la conduire à bon port malgré les pièges de la jungle et la violence des forces armées révolutionnaires.

Dans une langue poétique et foisonnante, la jeune romancière raconte par bribes l’histoire de cet enfant et de sa fausse mère. Elle fait intervenir les autres passagers, qui relatent leur propre vécu ou jugent cet embryon de famille dépareillée. On se laisse bercer par la descente sur les eaux limoneuses et poissonneuses de l’Atrato, autre personnage central du roman.

La vie y est exubérante : « Le soleil pique, les arbres rivalisent avec l’eau : ils veulent s’étendre, voler de l’espace au lit de l’Atrato. Un oiseau impose sa présence par des cris de plus en plus stridents. […] Dommage qu’on ne sache pas si un oiseau pleure ou chante. »

Et puis, plus on s’approche de la destination finale, la mère adoptive doute, se remémore ces années de communion avec le petit être. « Quand j’ai peur, je porte l’enfant dans mes bras, j’ai besoin de sentir son poids sur mon ventre. Je le porte pour solder la dette que j’ai envers lui, celle ne pas être sa mère. »

Le roman gagne en intensité, en douleur. Un texte court mais profond, loin de notre quotidien occidental, mais universel dans son schéma entre une mère et son enfant.

« Vers la mère » de Lorena Salazar, Grasset, 19,50 €

lundi 17 avril 2023

Cinéma - Générations réconciliées dans “Quand tu seras grand”

Choc de générations : des écoliers utilisent le réfectoire d’un Ehpad. Un film très réaliste atténué par une bonne dose d’humour.

Faire partager des lieux de vie entre personnes âgées et jeunes écoliers. Dans la vraie vie, quelques expériences de ce type ont été menées. Toutes avec succès. Dans le film d’Andréa Besconb et Éric Métayer, Quand tu seras grand, c’est contraint et forcé que l’encadrement de l’école de la commune doit trouver refuge et pitance dans la cantine de l’Ehpad. Une quinzaine de gamins un peu turbulents encadrés par Aude (Aïssa Maïga) qui y voit une opportunité pour justement œuvrer au rapprochement des générations.

Ce n’est pas du tout l’état d’esprit de Yannick (Vincent Macaigne), aide-soignant débordé qui tente sans cesse de colmater les brèches du tableau de service. Car dans cet établissement accueillant des personnes âgées souvent très dépendantes, l’équipe est au bord de la crise de nerfs. Alors gérer des enfants en plus, c’est la goutte d’eau qui va faire déborder le vase.

Répliques cinglantes et punchlines 


Le début du film a des airs de comédie sociale particulièrement enlevée. Vincent Macaigne, en protecteur des résidents, un peu manipulateur aussi, fait tout pour chasser les enfants. La confrontation est savoureuse avec Aude, grande gueule qui ne se laisse pas faire et veut rester très optimiste quant aux conséquences de ce mélange de têtes blondes et de cheveux gris. On rit beaucoup aux saillies et répliques cinglantes de Vincent Macaigne et aux punchlines d’Aïssa Maïga. Finalement c’est cette dernière qui l’emportera. Pas en raison de sa persuasion, mais simplement car Yannick voit combien effectivement l’arrivée des enfants éclaire la vie morne et souvent esseulée des pensionnaires.

Le film prend alors une autre tournure, se concentrant sur la relation entre Brieuc (Kristen Billon), un jeune squatteur délaissé par ses parents et Yvon (Christian Sinniger), ancien cascadeur, pilote émérite de moto. Brieuc qui était très hostile à cette cohabitation avec les vieux va lentement changer d’avis face à l’espièglerie du vieux bonhomme qui a dédramatisé la situation en déclenchant une mémorable bataille de boulettes de pain à la cantine.

Mais dans ce genre d’établissement, il vaut mieux parfois ne pas s’attacher. Car la mort rôde en permanence. Elle n’est pas occultée par les réalisateurs, ni la maladie, transformant la dernière demi-heure du film en belle mais triste fable sur la solitude, l’oubli et le deuil. Après Les chatouilles sur l’inceste, ce nouveau film d’Andréa Besconb et Éric Métayer est tout aussi réussi, édifiant sans être trop larmoyant.

"Quand tu seras grand", un film d’Andréa Bescond, Éric Métayer avec Vincent Macaigne, Aïssa Maïga, Évelyne Istria, Kristen Billon, Christian Sinniger. 

BD – « Salamandre » et Sourire d'acier », deux jeunes abandonnés

Kaspar Salamandre perd son père dans un accident de plongée alors que la jeune Louna, surnommée Sourire d'acier, se retrouve seule dans sa ville après une catastrophe inexplicable. Deux bandes dessinées sur la solitude de la jeunesse signées I.N.J. Culbard et Fabien Dalmasso.

Kaspar Salamandre, à peine un peu plus de 10 ans, adore quand son père lui raconte des histoires. Il parvient même à les transformer en BD qu'il dessine dans ses cahiers. Dans ces récits d'aventure, le père de Kaspar ressemble à un super héros qui, aux commandes de son sous-marin le Requin, parvient à neutraliser un calamar géant qui voulait attaquer la ville.

Dans la vraie vie, le père est bien sous-marinier, mais son navire est en mauvais état. Il accepte une mission dangereuse et ne reviendra pas. Pour Kaspar, sa vie s'effondre. Il ne rit plus et surtout abandonne le dessin.

Pour lui permettre d'oublier cette mauvaise passe, sa mère l'envoie chez son papi, de l'autre côté de la frontière. Ce grand roman graphique (176 pages grand format et en couleur) de I.N.J. Culbard est une superbe œuvre sur la perte de l'espoir et de la joie de vivre quand on est jeune. La force du récit est de transposer ces souvenirs d'enfance de l'auteur dans un monde imaginaire.

Si Kaspar vit dans une République où les libertés sont garanties, ce n'est pas le cas du Papi, coincé dans l'Empire, dictature qui oblige ses habitants à vénérer l'Empereur. Une des obligations les plus contraignantes de l'empire est de contrôler toute forme d'art. Les artistes ne peuvent pas faire ce qu'ils veulent. La tante de Kaspar, peintre, le vit très mal. Kaspar lui aussi va prendre conscience de cette injustice ert en réaction se remettre à dessiner. Pour faire passer des messages anti-empereur.

Car il n'y a pas d'âge pour se rebeller. Un récit graphique initiatique d'une puissance formidable. La beauté des dessins réalistes de I.N.J. Culbard permet à l'histoire de s'épanouir telles ces fleurs, symbole de la résistance à la dictature.

Louna aussi se retrouve bien seule dès les premières pages du premier tome de la série la mettant en vedette. Surnommée Sourire d'acier, cette adolescente imaginée par Fabien Dalmasso (scénario et dessin) vivait une existence simple et heureuse auprès de ses parents. Son seul problème important ce jour-là, un impondérable provoque l'annulation au dernier moment de son rendez-vous chez son dentiste qui devait lui retirer l'appareil dentaire. Elle s'endort en ressassant cette contrariété.


Le lendemain, quand elle se lève, elle est toujours énervée mais découvre avec stupeur qu'elle est seule dans la maison. Elle va à l'école mais personne dans le quartier. Ni au lycée. La ville semble fantôme. Un phénomène inexplicable a effacé 99 % de la population. Après une période de gand doute, elle accepte la situation, et commence à survivre dans ce monde radicalement différent de son petit quotidien de privilégiée.

Elle ne quitte plus un sabre de samouraï, pille les supermarchés, reste enfermée la nuit. Car il y a d'autres survivants. Pas forcément sympas... Sourire d'acier est jolie histoire de survie qui a de faux airs de Seuls, le fantastique en moins, bien que Louna découvre qu'elle n'est vraiment plus la même. La première partie de la série raconte surtout les modifications de la mentalité de la jeune héroïne. Résignée, optimiste, craintive, solitaire...

Il faut avant tout s'adapter aux situations et dangers. Moins cérébral et symbolique que Salamandre, Sourire d'acier devrait passionner les lecteurs adolescents qui forcément s'identifieront à l'impétueuse Louna.

« Salamandre », 404 Graphic, 22 €
« Sourire d'acier » (tome 1), Glénat, 11,50 €