lundi 30 novembre 2009

BD - Alef-Thau entre rêve et coma


Entre rêve et réalité, le monde d'Alef-Thau, imaginé par Jodorowsky, connaît une seconde naissance sous le pinceau de Nizzoli. Cette série, initialement dessinée par Arno, conte les aventures d'un enfant tronc récupérant ses membres au cours d'une longue quête semée d'embûches. 

Dans cette suite, le dessinateur de la série, au sortir d'une séance de dédicaces, est renversé par une voiture. Plongé dans le coma, il va revivre les aventures de son héros. 

La narration alterne découverte de ce monde fantastique et réalité des hôpitaux, la femme du dessinateur devant se battre pour empêcher les toubibs de « débrancher » son mari. C'est poétique, splendide au niveau graphique et toujours aussi mystique. Du pur Jodo !

« Le monde d'Alef-Thau » (tomes 1 & 2), Delcourt, 13,95 € 

dimanche 29 novembre 2009

BD - Gare aux Bobos !


Dupuy et Berberian poursuivent leur entreprise de démolition de l'entreprise Bobo. Et de ses satellites : traders, financiers, politiques et autres intellectuels politiquement corrects aux mœurs écœurantes. Après avoir brocardé le bobo de base, celui de Paris (enfin, certains quartiers de Paris...) le duo va s'intéresser à quelques spécimen qui ne voient dans cette nouvelle façon de vivre qu'une occasion de s'enrichir encore plus et encore plus vite. On suit par exemple la vie trépidante d'Alban Ninque, digne représentant de la France d'en haut. Il est conseiller. Des puissants. 

Quand une journaliste lui demande de se présenter, il déclare en toute modestie : « Je suis ce qu'on appelle un esprit. Certains disent cerveau. Je trouve que c'est indélicat. Parce qu'on oublie l'âme. Et l'esprit, ce que je suis, c'est le cerveau plus l'âme. » Dans les faits, il utilise ses relations (au gouvernement ou dans la finance) pour étouffer scandales et autres grosses dégueulasseries qui ont tendance à enflammer l'opinion publique. On pourrait penser que c'est une caricature tant il est abject. En réalité un tel monstre existe. Ils sont même plusieurs. 

On les voit régulièrement pontifier, donner leur avis d'expert, à la télévision pour faire la promotion de leur dernier ouvrage. Si les histoires courtes de ce recueil dont le personnage principal est Alban Nique sont assez dures, les autres, plus légères, font sourire. Comme ce voyage pittoresque au Chiroubistan ou cette chasse au chevreuil du Bénin.

« Global Boboland », Fluide Glacial, 11,95 € 

samedi 28 novembre 2009

BD - "La fleur que tu m'avais jetée", première partie du voyage d'Akai


Cela ressemble à une ballade rock japonaise, cela devient une histoire fantastique aux multiples tiroirs. Le premier tome du « Voyage d'Akai » est une excellente surprise due aux talents conjugués de Massimiliano de Giovanni (scénariste) et Andrea Accardi (dessinateur). 

Ce duo italien est passionné par la culture nippone et a popularisé certains mangas de l'autre côté des Alpes. Le héros c'est Akai. Jeune, beau, autoritaire. Le roi de son quartier. Mais cela ne reste qu'un petit caïd, entraînant dans son sillage quelques fidèles comme Shiroi, adolescent secrètement amoureux de son mentor. Quand un cirque a la prétention de donner quelques représentations, Akai y appose son veto. Simplement car il n'a pas été prévenu. Un face-à-face tendu qui se termine par l'intervention d'une cartomancienne qui annonce à Akai qu'il n'a pas un destin commun : « Tu vivras longtemps, dans la richesse, seulement si tu atteins une ville au Nord, la légendaire Mirai. » 

Akai se laissera convaincre et partira en voyage. C'est ce périple, plein d'imprévus et de rencontres, que les auteurs vont nous conter. Il y sera notamment question d'un mariage fastueux où le petit groupe donnera une représentation de Carmen, la musique préférée d'Akai. Il y croisera la route d'un tanuki, créature mythique qui le défiera dans un match de sumo. 

Entre modernisme et poésie, cette série a une petite musique très particulière. Ensorcelante, envoutante...

« Le voyage d'Akai » (tome 1), Dargaud, 13,50 € 

vendredi 27 novembre 2009

BD - Le retour du trio le plus anarchiste de la BD

Les Pieds Nickelés sont de retour. Dans une version encore plus politiquement incorrecte. Il est vrai que les trois arnaqueurs imaginés par Forton et longtemps animés par Pellos ont un vieux fond d'anarchistes. Trap et Oiry, les repreneurs de cette année 2009, ont décidé de creuser la fibre sociale du plus célèbre trio de la bande dessinée française. 

Premier thème abordé dans cet album intitulé « Pas si mal logés ! », les sans logis victime des marchands de sommeil. Tout débute par la sortie de prison de Croquignol. Classique. Il découvre que quelques quartiers de Paris ont changé, l'arrivée de riches Bobos ayant précipité la mort de certains petits commerce, notamment les débits de boisson. Quand il retrouve ses deux compères, Ribouldingue et Filochard, c'est pour partager un pont. Ils squattent alors le seul endroit allumé : une laverie automatique. 

Là ils ont l'idée de la transformer en « Lave Hôtel », l'occasion de rincer les clients. Parmi eux des joueurs de poker, marchands de sommeil sans états d'âme. La suite de l'aventure se déroule dans un vieil immeuble, promis à la destruction et accueillant une multitude de sans papiers payant des loyers exorbitants. Mais notre trio va intervenir et prendre l'argent où il se trouve : du côté des exploiteurs. 

On retrouve gouaille et satire de notre société. Une reprise énergique et réussie.

« La nouvelle bande des Pieds Nickelés » (tome 1), Delcourt, 9,95 €

jeudi 26 novembre 2009

BD - Evolution express face au "Nuisible" ultime


Très ambitieux le scénario de ce thriller futuriste de Mathieu Mariolle dessiné par Alfio Buscaglia. Un peu complexe aussi parfois. Mais rapidement on s'attache aux personnages et leurs mondes, différents mais qui vont se rejoindre au gré des événements tragiques frappant Paris en ces fêtes de Noël. 

Alors que des groupes pharmaceutiques testent de nouveaux médicaments, en prenant des risques à la hauteur des enjeux financiers, des défenseurs des animaux pénètrent dans un laboratoire pour rendre leur liberté à des chiens, singes et rats utilisés comme cobayes. 

Pendant ce temps, Yukiko, jeune inspectrice à la police criminelle enquête que le meurtre d'un enseignant chercheur. Égorgé par un de ses élèves en plein cours. Ces péripéties, la veille et le jour de Noël, sur fond de montée des intégrismes religieux, débouchent par une véritable révolution dans tout ce qui est vivant. Et si tout ce qui n'était pas humain s'unissait pour éradiquer ce nuisible dominant ? 

Mariolle arrive à nous passionner malgré une certaine complexité du propos. Le dessin de Buscaglia, au trait réaliste et épuré, fait parfois penser à du Paul Gillon plus appliqué.

« Nuisible » (tome 1), Glénat, 13 € 

mercredi 25 novembre 2009

BD - "Alerte sur Fangataufa" ou Geluck et Devig dans les rôles de Hergé et Jacobs


On connaissait l'humour au deuxième degré, Philippe Geluck fait beaucoup mieux en signant le scénario d'une BD dessinée par Devig qui doit se lire au 15e degré, au minimum. « Alerte sur Fangataufa », première aventure du reporter Scott Leblanc semble à première vue une sorte d'hommage aux récits de la Ligne claire des années 50. Entre Hergé et Jacobs, avec savants, inventions et méchants voulant détruire la planète. 

Le héros, journaliste au magazine Bien en vue, a un animal de compagnie qui le seconde dans ses aventures. Et c'est là que tout dérape. Scott se balade en permanence avec un canari en cage répondant au nom de Tino. Un reporter qui est beaucoup plus sensible à la cause animale qu'aux malheurs de l'Humanité. Ainsi, quand son rédacteur en chef lui demande un reportage sur le professeur Moleskine, possible Nobel, Scott plutôt que de l'interroger sur ses dernières découvertes, ne s'intéresse qu'à son chat... En bref, le héros est complètement à côté de la plaque. 

Pourtant il va se retrouver au centre d'un complot visant à empêcher la France à maîtriser la bombe atomique. Rapidement le lecteur est fasciné par la bêtise de Scott et suit ses aventures avec un plaisir ironique allant crescendo jusqu'au dénouement final.

« Scott Leblanc » (tome 1), Casterman, 12 €

mardi 24 novembre 2009

BD - Jean-Louis et son encyclopédie

Personne ne vous souhaite d'avoir un Jean-Louis dans votre entourage. Jean-Louis, le héros calamiteux imaginé par Fabcaro, est professeur. De ces remplaçants arrivés on ne sait d'où et qui se révèlent rapidement une plaie dans une équipe soudée et motivée. 

Jean-Louis est un savant mélange de gaffeur, d'égoïste et de prétentieux. Gaffeur quand il demande si le mari d'une de ses collègues n'est pas du signe du cancer. Perdu, il vient de mourir, la semaine dernière, d'un cancer justement... Son égoïsme est doublé d'une radinerie affligeante et la prétention est évidente quand il fait lire quelques chapitres de son « Encyclopédie ». Ce tissu d'ineptie répond à des questions essentielles comme « Où se situe l'Australie environ ? » ou « Pourquoi est-il préférable de ne pas être aveugle ? » 

Les déboires de Jean-Louis (de ses collègues plus exactement) sont présentées sous forme de strips d'une efficacité redoutable. La partie encyclopédie, plus dense, se présente sous forme de demi-planche pour chaque question.

 Ce premier album d'un héros qu'on espère récurrent couvre presque toute une année scolaire. Un humour noir et vache qui manque parfois dans la production comique trop lisse et politiquement correcte de ces dernières années.

« Jean-Louis », Drugstore, 10 € 

lundi 23 novembre 2009

Roman historique - Dante, le poète profileur

Ambassadeur de Florence envoyé remplir une mission secrète à Rome, Dante Alighieri va enquêter sur de mystérieux assassinats de femmes.


Dante, poète, écrivain, fierté de l'Italie, est également depuis quelques années héros de roman policier. Dante en profileur, c'est une idée de Giulio Leoni et si cela peut paraître incongru au premier abord, le résultat est très plaisant. Dans « La croisade des ténèbres », Dante va devoir se rendre à Rome en tant qu'ambassadeur de Florence. La ville attend beaucoup du poète et de sa force de persuasion. Alors qu'il est en pleine rédaction de son œuvre majeure, Dante rechigne à quitter son confort et mettre à mal son inspiration. Mais ses commanditaires savent comment manœuvrer le lettré. Il recevra en échange de ses services un manuscrit de Virgile. Le choix est vite fait.

Cadavre dans le fleuve

Flanqué de deux autres ambassadeurs (qu'il s'empressera d'abandonner Dante n'aimant pas le travail d'équipe), il se rend à Rome. L'occasion donnée à l'auteur pour décrire minutieusement les environs de la ville et toutes les petites gens qui y vivent. Le héros s'y rend en barque. Un voyage de nuit, éprouvant et inquiétant. Arrivé sur la terre ferme, il est le témoin d'une première scène peu banale. Des pêcheurs ramènent le corps d'une jeune femme. Tout le monde pense qu'elle s'est noyée, mais l'œil expert et aiguisé de Dante se doute qu'elle a été assassinée. Il découpe sa tunique et découvre un spectacle d'horreur : « La cavité thoracique était vide : on ne distinguait que les blanches saillies des côtes, noyées dans la chair grise. Le ventre, également vidé, fourmillait de petits poissons. L'assassin ne s'était pas contenté de tuer, il s'était acharné avec perversité sur la malheureuse, la découpant comme un animal de boucherie. »

Cherchant un logis pour son séjour, il se rend dans une maison dans un quartier excentré. Et là il retrouve le cadavre de la jeune femme, veillé par sa mère, la logeuse. Dante, bouleversé par le chagrin de la famille et constatant que la police ne fera rien pour démasquer le coupable affirme à la mère éplorée « Bien, la vieille. Ta fille sera vengée. »

Dépouille dans un sarcophage

Il se met à fureter dans les bas-fonds de la ville découvrant que ce n'est pas la première femme découverte assassinée et atrocement mutilée. Mais son enquête ne lui fait pas oublier sa mission. Il se rend à la curie pour rencontrer le pape Boniface, entouré du collège des cardinaux, « pareil à une couronne, inondant la salle d'écarlate. » A la curie où il va croiser une autre femme : Jeanne la Papesse. Cette femme qui avait réussit à se grimer en homme et à se faire élire pape, est enterrée dans une crypte secrète. Dante assiste à l'ouverture de son sarcophage. « Un corps vêtu d'une robe blanche qui reflétait la lumière des torches apparut. La tête était surmontée d'une tiare de la même couleur, et les petites mains fines qui reposaient sur la poitrine semblaient être croisées depuis peu, tant la peau paraissant élastique et les muscles des doigts relâchés. »

Ce roman offre plusieurs niveaux de lecture. Les passionnés d'histoire seront fascinés par la richesse des descriptions de Rome et de ses habitants, alors que les amateurs de polar apprécieront un suspense palpitant et la progression de l'enquête de Dante. Une belle réussite qui permet également aux lecteurs de mieux apprécier l'œuvre de ce poète, monument européen encore trop méconnu

« La croisade des ténèbres », Giulio Leoni (traduction de Nathalie Bauer), Belfond, 20 € 

dimanche 22 novembre 2009

Roman - Petit loup deviendra grand


Roman d’adolescence, roman de rupture et de formation, "Ainsi va le jeune loup au sang" de Christophe Donner raconte, souvent avec sensibilité, parfois avec une crudité extrême, la période d’émancipation de Samuel. Dans les années 60, après la mort de son père, il vit dans une maison menacée de démolition en compagnie de sa mère. Cette dernière, enseignante en dépression perpétuelle, s’accroche à cette maison, dernier espoir d’avoir une vie "normale". Mais la mairie de Paris arrive à l’épuiser. Il est vrai que le quartier est promis à un bel avenir avec la construction de la tour Montparnasse. Samuel connaît bien ce chantier. Régulièrement il y part en vadrouille la nuit. Tout tourne autour de cette construction. De ce monstre en devenir. Symbole d’un avenir glorieux, de la puissance de la technologie, des bureaux modernes et du capitalisme triomphant.

Une petite bande résiste pourtant. Le symbole c’est la maison de la mère de Samuel qu’il faut sauver. Mais très vite ce combat désespéré n’est qu’une façade pour quelques zonards, profitant de la bonté d’une pauvre femme. 

Le chef du groupe met la mère de Samuel dans son lit. L’adolescent n’admet pas cette trahison. Il part en vrille. Drogue, prostitution et finalement action violente contre la tour. Il est seul car sa mère, après quelques tentatives de psychothérapie, préfère s’enfoncer dans la folie et l’enfermement dans un asile.

Pris et jugé, Samuel se retrouve en prison. Le garçon, écorché vif, va découvrir un monde effroyable. La peur dans un premier temps puis il se forge une résistance à toute épreuve.

Il y a du Genet dans ce roman pour le côté prison, homosexuel et violent. Mais c’est en fait à Céline que Christophe Donner fait le plus de références. Le style y est, avec un peu plus de modernité. Mais surtout, les générations actuelles se reconnaîtront dans ces tentations et dérives. Samuel a franchi ce miroir qui nous a tous un jour tenté. L’autre côté n’est certainement pas mieux, mais définitivement différent…

« Ainsi va le jeune loup au sang » de Christophe Donner, éd. Grasset, 18 € 

samedi 21 novembre 2009

Roman - Folies de la guerre


Nous ne sommes pas à l'abri : les folies guerrières du siècle dernier pourraient très bien se reproduire. Claire Béchet, dans ce roman non situé dans le temps ni l'espace (on sait simplement que l'action se déroule dans un futur proche en Europe, dans un pays en guerre), parle avec justesse de la solitude des hommes et des femmes. L'évolution de notre société semble programmée pour toujours plus d'individualisme.

 Conséquence les personnages de cette histoire ne communiquent pratiquement pas entre eux. Pourtant Anna, l'héroïne, est journaliste. Elle part en reportage de l'autre côté de la frontière, dans la zone des combats, accompagnée d'un photographe qui lui servira également de guide et d'interprète car Joseph est originaire de la région. Arrivés à destination, ils sont accueillis par un ancien professeur, au chômage forcé, dans une grande maison qui a résisté par miracle aux bombardements.

L'auteur décrit longuement les froides conséquences de cette guerre. Les derniers habitants, ceux qui n'ont même pas eu la force ou la volonté de fuir les combats, survivent chichement dans ces décombres, tristes, sans véritable but si ce n'est de rester vivant. Anna, avant de rencontrer le chef de guerre, s'imprègne de cette ambiance sinistre pour son reportage.

Un soir, le professeur lui explique : « Nous n'avons plus de chants. Nous avons même oublié que nous chantions, que nos voix savaient faire autre chose que hurler, protester ou se lamenter. Nous n'en avons pas parlé, non, nous ne nous sommes pas donné le mot, non, c'est arrivé comme ça, sournoisement, et nous avons perdu le goût de chanter. »

Anna, en explorant le village, tombe en arrêt devant une grande ferme isolée. Attirée par le bâtiment, elle y pénètre et se retrouve prisonnière de la dernière locataire. Anna, prise en otage par une mère devenue folle d'avoir perdu ses fils à la guerre, glisse du statut de prisonnière à celui d'esclave. Docile et silencieuse, elle fait tout ce qu'on lui demande. Comme résignée, gagnée elle aussi par la fatalité qui s'est abattue sur la région. Pourtant elle résiste intérieurement. « Chaque matin elle se levait, se rasseyait au bord d'un lit qui n'était pas son lit, la tête dans les mains pour rattraper des miettes de rêves échappées du sommeil et les retenir au chaud de sa mémoire. Comme elle ne possédait presque plus rien, la moindre possession lui était devenue précieuse. Et les miettes des rêves qui avaient été siens lui appartenaient. »

Ce roman glacial, décrivant un monde qui nous pend au bout du nez avec des personnages dramatiquement solitaires, ne laissera personne indifférent.

« Les chants recousus » de Claire Béchet, Calmann-Lévy, 15 € 

jeudi 12 novembre 2009

BD - Rire du priapisme à l'impuissance avec Martin Veyron


Martin Veyron a connu un formidable succès avec « L'amour propre... » mettant en vedette ce fameux point G permettant aux femmes de jouir comme jamais. Dans « Blessure d'amour-propre » il propose une mise en abîme de ses affres de créateur, victime de son best-seller. 

Martin Veyron a vieilli. Il est grand-père et a des problèmes de prostate. Mais sa notoriété n'a pas faibli. Quand il va récupérer la voiture de sa femme à la fourrière, en présentant sa carte d'identité, le policier de service le reconnaît et regrette qu'il n'ai pas fait « L'amour propre 2 ». Un Veyron qui a par ailleurs des soucis financiers. 

Ses BD suivantes se sont beaucoup moins vendues. Aussi quand il reçoit la visite d'une jeune journaliste désirant réaliser un documentaire sur le Point G, il accepte de témoigner contre une rémunération. Et pour faire vécu, la journaliste propose qu'il teste sa technique de recherche de point G sur elle. Arrivé à cette scène, on se dit que ça y est, les pages osées vont s'enchaîner. Perdu ! 

L'auteur prend tout le monde à contre-pied. Le sexe n'est plus aussi simple et débridé de nos jours. Ses problèmes de prostate vont rendre Veyron impuissant et la journaliste est désespérément frigide. Et paradoxalement, ces 80 pages sont incroyablement... jouissives.

« Blessure d'amour-propre », Dargaud, 14,50 €

mercredi 11 novembre 2009

BD - Manchette et la Princesse


Jean-Patrick Manchette, dont toute l'oeuvre est désormais disponible dans la collection Folio Policier, a porté le roman noir français au sommet. Il a été souvent adapté au cinéma (rarement avec justesse) ou à la télévision. Mais son univers est aussi une mine pour la BD. Après Tardi, c'est Cabanes qui s'attaque à une de ses œuvres : « La Princesse du sang ». Mais ce roman, le dernier de Manchette, est resté inachevé. 

C'est donc son fils, Doug Headline, qui en a signé l'adaptation y apportant une fin que les lecteurs n'auront jamais la chance de lire. Dans les années 50, à Paris, Londres et Cuba, le lecteur suit la destinée d'Alba Black. Cette fillette, enlevée contre une rançon, échappe à un carnage et est finalement retrouvée, des années plus tard, par une photographe animalière retirée dans la jungle cubaine. La petite s'appelle désormais Négra et vit comme une sauvageonne avec son sauveur de l'époque, Victor. 

La photographe, Ivory Pearl, ayant connu les affres de la guerre, va prendre la fillette sous son aile quand les tueurs retrouvent sa trace. Personnages attachants, intrigue mêlant argent et géo-politique, Manchette était moderne. Cabanes l'adapte fidèlement.

« La Princesse du sang » (tome 1), Dupuis, 15,50 € 

mardi 10 novembre 2009

BD - La mauvaise herbe pousse en Grèce


En Grèce, dans les années 30, l'arrivée au pouvoir de militaires aux tendances fascisantes a provoqué la mort d'un style de musique : le rébétiko. Cette partie ignorée de l'histoire de ce pays européen est mis en lumière dans cet album magistral signé David Prudhomme. Sur une centaine de pages aux couleurs pastels de cette Méditerranée languissante, il raconte la vie de ces musiciens, devenus les ennemis du pouvoir, simplement pour exacerber le sentiment national et dénoncer la prétendue fainéantise de ces nomades inventeurs du blues grec. 

Armés de leur bouzouki, ils jouent, chantent et fument du haschich. C'en est trop pour les tenants de la « troisième civilisation hellénique ». Stravos, amateur de jolies filles, à l'esprit particulièrement frondeur, et Markos, à peine sorti de prison (où il a joué un dernier morceau pour le directeur, accro à ces airs) déambulent dans cette ville en pleine mutation. Ils vivotent et résistent jusqu'à ce qu'ils aient l'opportunité de quitter l'Europe pour aller enregistrer un disque aux USA. 

Un récit fort, politique et poétique ; certainement le meilleur album de cette seconde partie d'année 2009.

« Rébétiko », Futuropolis, 20 € 

lundi 9 novembre 2009

BD - Robert Crumb et l'origine du monde


Robert Crumb, souvent considéré comme le pape de la BD underground américaine, prend ses lecteurs à contre-pied en proposant une ambitieuse adaptation graphique de la Genèse. Mais il ne s'agit en aucun cas d'un virage mystique de cet auteur américain, chantre de la nature installé depuis une dizaine d'années en France, dans un petit village des Cévennes. Surtout connu pour ses personnages féminins plantureux et dominateurs, il a simplement voulu proposer une adaptation d'un « texte puissant avec plusieurs strates de sens qui plongent profondément dans notre conscience collective, notre conscience historique. » Et face à l'ampleur de la tâche, il a préféré se tenir au plus près de l'original, préférant laisser certains passages « dans leur état d'imprécision alambiquée plutôt que de trafiquer un texte aussi vénérable. »


Le résultat est d'une richesse étonnante. Graphique en premier lieu. Crumb n'a rien perdu de son trait, rond, où de multiples hachures donnent tout le relief de ses personnages. Dieu semble toujours courroucé, les hommes fautifs et piteux. Les femmes, et elles sont très nombreuses dans la Genèse leur rôle de procréatrice étant sans cesse mis en valeur, sont responsables du péché originel mais sont aussi les appuis fidèles de ces hommes et femmes dont les vies ont façonné notre monde.

En signant cette Genèse, Robert Crumb fait la grande bascule côté public. Car ceux qui ont aimé les élucubrations de Mr Natural, BD irrévérencieuse, libertaire et libertine, ne seront certainement pas sensibles à cette adaptation fidèle d'un texte ayant traversé les siècles, même si Crumb explique que la « Bible n'est pas la parole de Dieu mais la parole des hommes. »

« La Genèse » de Robert Crumb. Denoël Graphic. 220 pages. 29 euros 

vendredi 6 novembre 2009

BD - Trop moderne ce collège !


La série Zap Collège de Téhem se transforme le temps d'un album en véritable cauchemar pour les élèves. Le personnage principal, Jean-Eudes, fils de diplomate, revient en France après quelques mois passés en Afrique. Il quitte les cases en pleine brousse pour se retrouver dans un collège Claude-François relooké et à la pointe de la modernité. Les profs ont laissé la place à des robots, les surveillants à des sortes de videurs de boite de nuit à la carrure de rugbymen néo-zélandais. La mentalité aussi à fortement évolué. C'est la prime au mérite. 

Bien malgré lui, il décroche une des meilleurs notes à son stage en entreprise et remporte un voyage au Yapon, pays où la technologie est déjà reine. 

Ce récit de 48 pages, bourré de gags, est aussi (et avant tout) une parabole sur les bienfaits du progrès pouvant se  transformer en méfaits s'ils tombent dans de mauvaises mains. Et de démontrer que parfois, les profs ne sont pas si terribles que cela. Ils ont encore cette étincelle d'humanité qui fait qu'un cours peut devenir passionnant.

« Zap Collège » (tome 5), Téhem, Glénat – Okapi collection Tchô !, 9,40 € 

jeudi 5 novembre 2009

Roman français - Le remord des morts


Un roman de Michel Rio se lit comme une plongée en apnée. On tente toujours d'aller plus loin, au risque de suffoquer. "Leçon d’abîme", une enquête de Francis Malone, illustre une nouvelle fois cette impression. Le final, horrible et pathétique, nous laisse sans souffle, comme doutant de notre humanité.

En Suisse, près de Zurich, derrière un immense portail, une demeure de prestige et deux personnes pour accueillir le policier : un sous homme, Karl, difforme et claudiquant, valet servile du riche propriétaire, et une femme blonde et sophistiquée d'une rare beauté, Hildegard, la secrétaire. Malone ne peut s'empêcher de penser qu'il a devant lui « l'idéal esthétique de la féminité aryenne, de la déesse barbare germanique fantasmée par les nazis ». D'autant plus étonnant qu'il est chez David Klein, riche juif ayant survécu aux camps d'extermination allemands.

Malone est à la recherche d'indices prouvant la mort d'un certain Hans Uzler, Waffen SS, un des dirigeants du camp de Dachau. Dachau de sinistre mémoire pour David Klein. Il a réussi à s'évader du camp la veille de la mort de Uzler. Sans sa sœur, Judith, qui est morte dans l'incendie de la maison de Uzler. Dans cette vaste demeure fermée à l'extérieur, Malone va sortir de l'oubli une histoire à trois : le frère, la sœur et le bourreau. Paradoxalement ce triumvirat est reformé lors de jeux sadomasochistes entre David Klein, riche voyeur, le serviteur difforme et la sculpturale Hildegard. Malone l'apprendra par la suite, au cours d'une rencontre torride avec la secrétaire et légataire universelle du milliardaire David Klein.

Que veut prouver exactement Malone ? Hildegard joue-t-elle un double jeu ? Quelles sont les pensées secrètes de Klein ? Quel rôle exact a joué Judith dans cette sombre histoire ? Un flot de question qui pousse le lecteur à dévorer les dernières pages du roman, face-à-face d'une grande intensité entre Klein et Malone.

« Leçon d'abîme » de Michel Rio, Seuil, 11 € 

mercredi 4 novembre 2009

BD - Matière verte et nostalgie


Je l'avoue, de toutes les rééditions des séries de l'âge d'or du journal de Spirou, celle de Tif et Tondu par Will est ma préférée. Je me suis d'ailleurs longtemps demandé pourquoi cette série tombait dans l'oubli malgré ses qualités graphiques évidentes. Depuis trois ans les éditions Dupuis ont remédié à cet état de fait et choisi de reprendre les épisodes non pas par ordre chronologique mais par thème. 

Ce 6e tome propose les ultimes histoires scénarisées par Rosy, le créateur de Choc. Et dans ces histoires, « La matière verte » et « Tif rebondit », pas de grand méchant pour donner du fil à retordre aux deux héros. Publiées en 1967 et 1968, ces albums marquaient un tournant dans la série. La volonté de changer les codes. Rosy semblait lassé de ces héros. Will continuait à consciencieusement dessiner ces récits mouvementée, maniant le décor à merveille, mais avait lui aussi l'envie de s'évader vers d'autres horizons. Cela donnera la création, quelques années plus tard, d'Isabelle et de son monde magique et merveilleux.

Tif et Tondu c'est par excellence une de mes madeleines d'enfance. Pourtant j'ai mis du temps à saisir toute la virtuosité du trait de Will. Sa simplicité et son efficacité semblaient m'aveugler. Il aura fallu que mon oeil s'éduque pour que j'apprécie à sa juste valeur ce dessinateur d'exception. Ces intégrales montrent qu'il était avant tout moderne. On pourrait regretter qu'il soit resté si longtemps enfermé dans une série qui, sans être un best-seller, a toujours été un pilier des éditions Dupuis.

Cette étiquette de dessinateur efficace et régulier lui a longtemps collé à la peau. Il a d'ailleurs volontiers participé à cette image en ne signant que les décors, comme un simple assistant, de certains albums de Spirou ou de Natacha. Mais il suffit d'avoir vu une fois une de ses peintures, notamment de femme, pour être persuadé que c'était avant tout un immense artiste.

« Tif et Tondu » (intégrale, tome 6), par Will et Rosy, Dupuis, 152 pages, 18 € 

mardi 3 novembre 2009

BD - Voir Bagdad et mourir... de rire


Voilà le genre de BD qui ne va pas nous réconcilier avec les Américains malgré les efforts du président Sarkozy, tant du temps de Bush que celui, encore plus compliqué, d'Obama. D'un autre côté, les auteurs, Sergio Salma et Marco Paulo, sont Belges, alors...

Cela fait donc quelques années que les troupes américaines ont libéré l'Irak et s'appliquent à pacifier le pays. Quelques années et de plus en plus de morts. Dans les deux camps. Sauf que dans le camp irakien, il ne reste plus que des civils. L'absurdité de cette guerre, aux motifs essentiellement économiques, est brocardée dans cette série de gags à l'humour très noir. Ils ont été prépubliés dans l'Echo des Savanes mais sont plutôt dans la ligné de Hara Kiri, le journal bête et méchant. 

En quelques dessins bien sentis les auteurs montrent toute l'absurdité des jeunes Américains s'enrôlant pour « sauver le monde libre » et qui se retrouvent à tyranniser des Irakiens, débarrassés de Saddam Hussein, certes, mais qui parfois regrettent ce temps où on mangeait à sa faim et ne risquait pas de mourir à chaque coin de rue d'une balle perdue des alliés ou dans les attentats aveugles des « résistants ». 

C'est éminemment politique, très engagé. Très cynique aussi. Mais comment faire autrement quand on décide de rire de la guerre ?

« Bagdad KO », Drugstore, 10 € 

lundi 2 novembre 2009

Jeunesse - Une poule tous, tous poule un !


Cela fait dix ans qu'elles passionnent les plus jeunes. Dix ans qu'elles vivent sous la plume de Christian Jolibois et le pinceau de Christian Heinrich. Les P'tites poules ont dix ans et pour l'occasion leur nouvelle aventure, « Une poule tous, tous poule un ! » sort dans un format encore plus grand. L'occasion de mieux apprécier les dessins de Christian Heinrich se présentant comme un « racleur d'aquarelles et redoutable ébouriffeur de pinceaux ». Et dans cette histoire, il émerveillera encore les yeux des petits (et des grands) avec des compositions sur des doubles pages mettant en scène toutes les poules de la série et des méchants véritablement horribles, deux trolls, massifs et idiots.

Tout débute par la tonte annuelle des moutons. Un véritable spectacle pour les P'tites poules sauf quand c'est leur ami Bélino, le jeune bélier, qui doit passer sous la tondeuse. Carmen et Carmélito, frères et soeurs, décident d'aider leur ami à laine. Ils prennent la poudre d'escampette pour trouver refuge près de la contrée des pierres levées. Ils y passent la nuit. Une nuit agitée pour Bélino. Se trouvant près d'une pierre magique, au premier rayon de lune, sa toison se transforme en or. Une aubaine pour deux trolls qui le capture. La suite de l'aventure verra les P'tites poules élaborer différents stratagèmes pour délivrer leur ami.

On retrouve dans cette série les ingrédients habituels de son succès. Une mise en avant de l'amitié, de l'intérêt de s'unir face à l'adversité. On relèvera aussi quelques clins d'oeil aux grandes légendes et contes immémoriaux, cette fois la Toison d'or. Des albums que l'on peut lire aux enfants à partir de 5 ans et qu'ils peuvent découvrir seuls à partir de 7 ans. Une série qui dure et est en passe de devenir un classique. En dix ans, on peut être sûrs qu'ils sont plusieurs milliers de jeunes Français a avoir appris à lire, en partie, en découvrant les péripéties peu banales de ces poules extraordinaires.

(Pocket Jeunesse, album grand format en couleur, 48 pages, 9,50 €) 

dimanche 1 novembre 2009

BD - Nävis en zone franche


Sillage est véritablement devenue la série de SF de référence de ces dernières années. A l'originalité du concept de départ (Nävis, l'héroïne, est la seule humaine rescapée de toute la galaxie), s'est greffé tout une trame de complots et d'intrigues sur le pouvoir. L'impétueuse jeune fille tente de se réhabiliter. 

Après son procès, elle a décidé de prouver à Sillage, l'immense navire sillonnant l'espace, qu'elle a été la victime de cette machination. Elle doit pour cela capturer Soimitt, un tueur à gages ayant des informations susceptibles de faire réviser le procès. Durant les premières pages, très mouvementées, Nävis capture le tueur pour le conduire sur une planète interdite. Un monde où tout être vivant entre en symbiose avec le biotope et se met à dire la vérité, quoi qu'il en coûte. 

Un épisode très dépaysant (la planète zone franche fait un peu penser au monde des Bisounours), où le scénario de Morvan donne une nouvelle fois l'occasion à Buchet, le dessinateur, de montrer toute l'étendue de son talent à imaginer de nouvelles races d'extraterrestres.

« Sillage » (tome 12), Delcourt, 12,90 €