jeudi 6 mars 2025

BD - Découvrir la naissance de la littérature moderne japonaise

Si le tome 1 de la réédition dans le sens de lecture original de "Au temps de Botchan" était centré sur le roman de Natsume Soseki, le second tome se penche sur la vie et le début de l'oeuvre de Mori Ogai. 

Ce manga, un des premiers abordant l'histoire et la littérature japonaise, est écrit par Natsuo Sekikawa et dessiné par Jirô Taniguchi. Considérée à juste titre comme un des chef-d'oeuvre du maitre nippon, cette BD bénéficie d'une réédition dans son sens de lecture original. Lors de sa première version, elle avait été remontée pour ne pas dérouter les lecteurs européens. Depuis, les mangas ont conquis le monde et la lecture de la droite vers la gauche est entrée dans les moeurs, même sous nos latitudes. 

Le second tome débute par les obsèques de Futabatei Shimei, écrivain considéré par ses pairs comme un des précurseurs de la littérature japonaise moderne. Il a beaucoup étudié les oeuvres russes et s'est inspiré des textes qu'il a traduit pour rédiger son premier roman. Mort en mer sur le bateau qui le ramenait au pays, Futabatei est salué par les plus célèbres écrivains et journalistes de l'époque. Parmi eux Mori Ogai dont l'histoire d'amour contrariée avec une danseuse allemande est au centre de l'histoire. 

Les deux auteurs racontent cette histoire (déjà au centre du roman La danseuse publié en 1890) entre le jeune militaire japonais en formation en Europe et Elise, jeune danseuse allemande. Ils s'aiment. Promettent de se marier. Mais une fois revenu au pays, le soldat trahit la jeune femme. L'exemple parfait le la différence de culture entre Est et Ouest, entre Occident et Orient. Aujourd'hui le Japon a trouvé sa voie (après avoir perdu la guerre et enterré ses ambitions impérialistes), et après avoir été influencé par le modernisme européen, est en train d'imposer certains concepts de sa civilisation au reste du monde. 

"Au temps de Botchan", Casterman - Sakka, 256 pages, 20 €

mercredi 5 mars 2025

BD - La "Panique aquatique" gagne le parc marin d'Aqualand

La mer est en danger. Pollution, exploitation : il ne se passe pas un jour sans que la situation n'empire. Dan Santat, auteur américain, en a parfaitement conscience et tente dans ce roman graphique destiné aux adolescents de leur faire prendre conscience que l'avenir se joue actuellement. 

Sophia est une petite fille nostalgique. Elle vit chez son oncle depuis la disparition de son père en mer. Un scientifique, à l'origine d'un parc marin, Aqualand. Aqualand est un peu le royaume de Sophia. L'endroit où elle retrouve le plus de traces de son père. Un jour, un étrange scaphandrier fait son apparition à l'entrée du parc. Pas n'importe quel scaphandre : celui du papa de Sophia. Serait-il encore vivant ? 

Au cours des chapitres suivants, le lecteur découvre, émerveillé, que ce sont des coquillages, tortue, poissons, crustacés et même un poulpe qui animent cette réminiscence du créateur d'Aqualand. Le récit bascule dans le fantastique. En se noyant, le savant a transféré sa conscience vers ces animaux marins qui ont désormais pour mission de sauver leur univers. Ils se rendent sur terre, à leurs risques et périls, pour tenter de persuader Sophia. Lui délivrer aussi un dernier message de son père. 

Une BD poétique, superbement dessinée dans un style très animation traditionnelle. Logique car Dan Santat s'est avant tout fait connaitre en créant la série The Replacements sur Disney Channel. 

"Panique aquatique", Rue de Sèvres, 256 pages, 16 € 

mardi 4 mars 2025

BD - Prison ou cimetière à ciel ouvert ?

Très efficace cette série concept lancée par le scénariste Christophe Bec chez Soleil. Le point commun entre ces quatre récits indépendants : la survie des protagonistes. Après une aventure dans les Rocheuses (Warm Springs), direction la prison d'Aparecida, "complexe pénitentiaire le plus violent du Brésil". 

Dans ces murs, des centaines de détenus tentent de survivre au quotidien. Face aux brimades des gardiens, mais aussi, et surtout, les attaques entre différents clans. Une prison qui subit une inspection. La tension est à son comble. Notamment à la direction. Il faut faire bonne impression. Mais pour avoir du calme, seule la méthode forte fonctionne. 

C'est dans ce contexte qu'arrive un nouveau détenu. Un VIP. Tout simplement l'ancien chef de la police, condamné pour avoir maté une révolte dans cette même prison occasionnant des dizaines de morts. Résultat, tous les clans n'ont qu'une idée : se révolter et lui faire la peau. 

Pour comprendre cette mutinerie d'une rare violence, Christophe Bec emprunte le ressenti d'un détenu qui tente de subsister en assurant quelques petits trafics,  quasiment innocents face à la drogue aux armes et aux filles esclaves sexuelles qui permettent aux gros bonnets de continuer de s'enrichir. Il va trouver de l'aide auprès d'un jeune surdoué au foot rêvant de faire une carrière en Europe. Ce sera compliqué, on s'en doute...

Ce récit, implacable, sanglant et sans le moindre moment de répit est dessiné par deux auteurs. La première partie est réalisée par Mirko Colak, un Serbe, la seconde par Diego Bonesso, un Italien. Et comme pour le premier tome, le dénouement (qui va finalement survivre dans cet enfer ?) est étonnant.

"Survival - Aparecida Prison", Soleil, 64 pages, 16,50 €

lundi 3 mars 2025

BD - Manteau maudit dans les Pyrénées

La montagne est souvent assimilée à la nature, la poésie et la beauté. On oublie par contre l'isolement et l'obscurantisme qui perdurent dans ces endroits coupés du monde moderne. Le roman graphique de Jaime Martin paru dans la collection Aire Libre explore ce versant des Pyrénées. 

L'action se situe au XIXe siècle. Pas encore la civilisation moderne. Dans ces vallées ou plateaux, entre les frontières françaises et catalanes, pour se soigner les plantes des guérisseuses sont souvent plus efficaces que les remèdes d'une médecine encore balbutiante. 

Mara est une vieille guérisseuse. Elle vit seule dans sa maison perdue dans la forêt. Quand une jeune femme, juste vêtue d'un sombre manteau débarque apeurée et déboussolée chez elle, elle décide de la protéger, de l'aider, de lui enseigner son savoir. 

Cet apprentissage va causer bien des soucis à Mara et à sa jeune protégée qui semble être recherchée par la police. Qu'a-t-elle fait dans la grande ville ? Mara ne veut pas le savoir. Par contre les villageois vont se mêler de l'affaire et le manteau, de sombre, va devenir définitivement maudit.

Un roman graphique d'une grande force, abordant des thèmes d'antan mais qui résonnent de nos jours : liberté des femmes, émancipation et médecine douce. 

"Un sombre manteau", Dupuis, 104 pages, 21,95 €

dimanche 2 mars 2025

BD - Arsène Lupin, de voleur à détective

Reconversion en vue pour le célèbre Arsène Lupin. Le cambrioleur imaginé par Maurice Leblanc vit de nouvelles aventures en BD sous la plume de Jérôme Félix et le pinceau d'Alain Janolle. 
Notre voleur, après trois aventures (sa jeunesse et un diptyque au cours duquyel il affronte Sherlock Holmes), se retrouve de nouveau sur le marché de la cambriole. mais pas pour longtemps. A la demande du gouvernement britannique, il va se grimer en Sherlock Holmes et prendre la place du célèbre détective privé récemment mort. Lupin ou Holmes ? Les auteurs, après quelques planches d'hésitation, vont finalement revenir au schéma classique, notre hértos prenant plusieurs identités, incapable de se contenter d'une seule vie. Même celle de Holmes...

Dans cet album, il va s'associer à une autre voleuse, la belle et redoutable Irène Adler, ayant croisé Lupin dans sa jeunesse et surtout ancienne dame de coeur de Holmes. Un duo d'une rare efficacité sur les traces de la dernière prophétie de Nostradamus. Tout simplement la date de la fin du monde. 
Un scénario à énigmes qui permet au scénariste de faire visiter la France de l'époque. Janolle, au dessin, assure une partition solide et efficace, entièrement au service de l'intrigue. Cela n'a pas la truculence des romans originaux, mais les amateurs d'énigmes tordues et de fausses pistes en ont pour leur argent. 
"Arsène Lupin et le dernier secret de Nostradamus", Bamboo Grand Angle, 2 pages, 16,90 €

samedi 1 mars 2025

BD - Quand le train devient l'unique espoir d'un territoire

D'un côté il y a le TGV, rapide, centralisé, fierté de la technologie made in France. De l'autre les petits TER sur des lignes vieilles, très vieilles. Une bataille qui semble perdue d'avance. Mais qui pourtant va donner le ton des prochaines décennies. Le pays va-t-il se recentrer sur les grandes agglomérations pour abandonner les territoires ruraux, de plus en plus vides et isolés ? 

Exemple avec cette ligne en déshérence qui relie Neussargues dans le Cantal à Béziers dans l'Hérault. Une transversale, à travers les sud du Massif Central, Aveyron et Lozère. Des départements peu habités, en voie de désertification, sans grosses industries. Forcément, les lignes ont perdu leur rentabilité. Même pour le fret depuis l'ouverture d'une autoroute gratuite. 


Pourtant sur ces quais devenus trop silencieux, des milliers d'habitants se battent depuis des décennies pour sauver la ligne, la rénover, la moderniser, lui donner une seconde chance. A eux aussi par la même occasion. 

Alain Bujak est allé sur place pour enquêter, rencontrer ces irréductibles du chemin de fer. Il raconte aussi la beauté des paysages traversés, des ouvrages d'art exceptionnels comme le viaduc de Gabarit, de cette France éternelle que l'on ne peut qu'apprécier à vitesse modérée. Il a confié le scénario à Elliot Royer, jeune dessinateur visiblement très enthousiaste à reproduire ces décors, véritables cartes postales de toujours. On comprend, en lisant ce reportage graphique, combien il est important pour certains de pouvoir se déplacer en toute sécurité et par tous les temps. Et rien de mieux que le rail, véritable lien entre les territoires, les communautés, les régions. 

Aujourd'hui, les premiers travaux de modernisation ont commencé, le combat semble avoir payé. Mais il faudra quand même attendre encore de nombreuses années avant que la ligne redevienne le fleuron qu'elle était au début du XXe siècle.

"Silence sur le quai", Futuropolis, 112 pages, 19 €

vendredi 28 février 2025

Roman graphique - La fin du monde et les petites gens

On craint de plus en plus la fin du monde. La folie des dirigeants ne nous met plus à l'abri. Elle est de plus en plus probable dans ce roman graphique de plus de 310 pages écrit par Jean-Christophe Deveney et dessiné par Tommy Redolfi. Dans ce récit, ce n'est pas les errances de quelques dictateurs en mal de démonstration de puissance qui vont provoquer le début de la fin mais de simples météores qui décident de s'écraser sur notre pauvre planète. 

Une première alerte est lancée. Personne n'y croit. Et on suit donc le quotidien totalement inchangé de quelques petites gens dans cette ville occidentale qui pourrait se situer en Europe comme aux USA ou au Canada. Toute la force de ce roman consiste à raconter le quotidien d'hommes et de femmes qui survivent plus qu'ils ne profitent de l'existence. Ceux qui "ne font que passer" comme le souligne le sous-titre de l'ouvrage.

Une survie condamnée quoi qu'il arrive car les fameuses météores ne vont pas faire la sélection en s'abattant sur la Terre. Un simple d'esprit qui tente de conserver son travail, une infirmière, mère isolée, épuisée mais obligée de continuer, des vieux en bout de course et dans ce marasme, une jolie solidarité. Plus on est malheureux, plus on a tendance à faire le bien autour de soi. 

Cette immersion du lecteur dans un monde sans foi ni loi, implacable pour les plus faibles, va finalement accoucher d'un bouleversement qui pourrait être salutaire. Face au danger, les riches fuient. Restye qsur lace les délaissés, comme s'ils détenaient tout l'avenir de l'Humanité. C'est beau et triste à la fois. 

"Les météores", Delcourt, 312 pages, 34,95 €

jeudi 27 février 2025

BD – Un petit tour autour de Saturne

Suite de l'exploration du système solaire avec le troisième tome de cette série imaginée par Bruno Lecigne et dessinée par Federico Dallocchio pour ce voyage à destination de Saturne. Si l'album se veut didactique et pédagogique, avec la supervision rigoureuse de scientifiques de l'Observatoire de paris, c'est aussi et avant tout une série divertissante de science-fiction. Car pour se rendre à proximité des différentes planètes de notre si petit système solaire, il faut un vaisseau beaucoup plus avancé que les poussifs Starships encore en phase de test.

La découverte d'un astronef alien accidenté, encore habité par une étrange créature, surnommée Clarke, aux buts encore mystérieux, donne l'opportunité à une équipe internationale de chercheurs de mieux connaître les astres gravitant autour du Soleil. Après Mars et Jupiter, ils se retrouvent à proximité de Saturne, ses anneaux et ses nombreux satellites, parfois aussi grands que certaines planètes. Clarke a perdu la confiance des Humains. Au début de ce 3e tome, ils sont prisonniers et il envisage sérieusement de les sacrifier. A force de diplomatie, certains membres de l'expédition parviennent à sauver la situation. Ils se révèlent aussi utiles pour aider Clarke dans sa véritable quête : retrouver des survivants après le crash d'un autre vaisseau quelque part sur un des satellites de Saturne.

Les 64 pages, parfaitement réparties entre explications savantes et intrigue palpitante, permettent au lecteur d'en apprendre un peu plus sur Titan, Japet, Mimas ou Engelade, quelques uns des morceaux de roche ou de glace gravitant autour de Saturne. Quant au devenir de la mission d'exploration du système solaire, elle va vivre une véritable révolution dans les dernières pages, rendant la saga encore plus addictive avant de s'élancer vers Uranus, album annoncé pour la fin du mois d'avril 2025.

« Saturne, le gardien des anneaux », Glénat, 64 pages, 15,50 €

mercredi 26 février 2025

BD – Journaliste infiltré et chocolat

 

Après le concept de reportage dessiné (un reportage sous forme de bande dessinée), place à la BD... sur un reportage. Pour inaugurer la formule, Antoine Dreyfus, journaliste indépendant raconte comment il a tenté d'obtenir une interview de Kim Jong Un, président à vie de la Corée du Nord. Il s'est fait passer pour un industriel désirant investir dans le domaine du chocolat. Un album assez rocambolesque tant ce pays, paradis des paranoïaques, empêche quiconque d'avoir une attitude saine et véridique.

Il est beaucoup question de visa au début du récit dessiné par Fanny Briant. Antoine a raté une interview exclusive car il a oublié de demander ce fameux visa, essentiel quand on a la prétention d'aller dans une dictature (la Syrie en l'occurrence). Pour se rattraper auprès de ses chefs (il travaille à l'époque pour un grand hebdomadaire français), il tente de décrocher une entrevue avec un autre dictateur, Kim Jong Un, président de la très fermée Corée du Nord. Cette fois il demande bien un visa. Immédiatement refusé : pas un seul journaliste occidental ne peut franchir la frontière ! 

Il a alors l'idée de se faire passer pour un investisseur et d'infiltrer un voyage d'affaires. Il devient donc spécialiste de la fabrication du chocolat, expert en tablettes après un stage intensif dans l'entreprise Cémoi. Pour rejoindre PyongYang, il passe par l'intermédiaire du Catalan Alejandro Cao de Benos, seul Européen dans les petits papiers du dictateur.

Avec une collègue qui connaît un peu le pays, Antoine va raconter cette semaine passée dans une ville déserte, à rencontrer des hommes froids et suspicieux, incapables de s'engager, sans croiser la population, surveillés en permanence, avec la crainte perpétuelle de se faire démasquer. Si vous n'avez qu'une notion vague de la paranoïa, lisez cette BD, vous comprendrez mieux. L'expérience ultime étant de se rendre en Corée du Nord. Mais là, c'est à vos risques et périls. Antoine Dreyfus en est le vivant témoignage.

« PyongYang parano », Marabulles, 128 pages, 23,95 €

mardi 25 février 2025

BD - Rodolphe et Griffo revisitent "La main du diable" de Stevenson

Jeune maison d'édition belge, Anspach a désormais suffisamment d'expérience et bonne réputation pour attirer des cadors de la BD. Fin janvier ce sont Rodolphe et Griffo qui ont apporté leurs signatures au catalogue de plus en plus prestigieux de la société. Le premier, scénariste ayant des centaines d'albums et des dizaines de séries à son actif, le second, dans le métier depuis le début des années 70, sait tout dessiner, du comique au réalisme en passant par la SF, le fantastique ou les récits historiques comme cette "Main du diable" se déroulant à la fin du XIXe siècle. 

Partant d'une nouvelle de Stevenson, le duo a transposé ce court récit de damnation éternelle. A bord d'un bateau reliant Hawaii à San Francisco, Robert Louis Stevenson est abordé par un autre passager, Charles Dawson. Ce dernier veut lui conter une histoire, son histoire. Celle d'un homme à qui tout sourit depuis quelques mois. 

Cette chance il la doit à la main du diable, un objet qu'il a acheté à un riche Américain alors que lui-même errait presque sans le sou dans les rues. Depuis, tous ses désirs deviennent réalité. Argent, femmes, maison... sa vie est un rêve. Mais cela a un prix. Il devra revendre (moins cher que ce qu'il l'a acheté) cet objet du diable avant sa mort. Sinon c'est assurément un billet simple pour l'Enfer. 

La malédiction va rapidement provoquer angoisses et insomnies à cet homme qui était persuadé de parfaitement vivre cette "chance" unique. 

Rodolphe adapte avec clarté et fluidité cette descente aux enfers, donnant l'occasion à Griffo de dessiner de très jolies femmes, des décors spectaculaires et un cauchemar mémorable prouvant qu'il est aussi capable de manier un style graphique différent, plus éthéré, moins réel. 

"La main du diable", Anspach, 56 pages, 16 €   

lundi 24 février 2025

BD - Un très vieux cold case pour le Lieutenant Bertillon

Il est de très méchante humeur le lieutenant Bertillon dans les premières pages de sa seconde enquête. Il est vrai que ce flic atypique, peu adepte de l'obéissance aux ordres de la hiérarchie, est allé un peu trop loin la dernière fois. Résultat, il se retrouve muté dans un petit village de pêcheurs au bout du bout de la banquise. Pas content Bertillon car il ne se passe rien, qu'il fait très froid et... qu'il fait très froid. Il passe ses journées, alternativement, sous sa couette ou au comptoir du bar-épicerie, épicentre de la vie locale. 

Son supérieur (ils sont trois en poste...) a pourtant besoin de lui. Une tempête se lève, le blizzard arrive et deux gamins sont introuvables. Bertillon va se perdre au guidon de sa moto-neige, manquer de se faire massacrer par un énorme phoque, échapper aux dents d'un orque, porter secours à un pingouin immédiatement adopté et baptisé Tak et, cerise sur le gâteau, découvrir un bateau de pêche au sommet d'un iceberg. 

C'est la découverte du Sedna, disparu depuis 18 ans, qui va donner du fil à retordre aux enquêteurs. Bertillon, avec son flegme habituel, va remuer le passé, ne faisant pas que des heureux quand il résoud cette cold case. 

Cyrille Pomès, au dessin, a également participé au scénario avec Carine Barth. Un album à l'ambiance unique, où, avec un étonnant rebondissement, le lien avec le premier tome permet de donner cohérence et finalité à cette quête au trésor au pays des glaces éternelles et du pétrole abondant. 

"Une enquête du lieutenant Bertillon - Sedna" (tome 2), Dupuis, 80 pages, 17,50 €

dimanche 23 février 2025

BD - Alphonse, chômeur qui donne de sa personne

Le marché de l'emploi est en pleine révolution. Terminés les métiers pépères que l'on occupait durant toute une vie de labeur. Désormais le CDD prime. Et les métiers changent. Beaucoup n'existaient pas il y a quelques années. D'autres sont peu connus. Une originalité qui a donné l'idée à Philippe Pelaez, scénariste alternant tous les genres, pour dit-il, "ne jamais rester dans sa zone de confort", ces histoires courtes comiques vues depuis quelques mois dans Fluide Glacial. 

Le héros, Alphonse, est le prototype du chômeur longue durée, acceptant tous les emplois, même les plus improbables. Voilà comment il se retrouve, sous les crayons de Pascal Valdés, bombardé "branleur de dindons" dans une ferme typique de la France profonde. Des dindons qui semblent apprécier sa présence. On rit à ces péripéties campagnardes, plus que si vous avez eu la malchance d'occuper le métier saisonnier très redouté dans le sud-ouest de "castreur de maïs". 

Les histoires courtes voient notre pauvre Alphonse devenir prof d'anglais en prison ou renifleur d'aisselles (un métier qui ressemble à s'y méprendre à testeur de médicaments pas encore tout à fait au point...). Le récit le plus bidonnant est peut-être quand il accepte d'être "nettoyeur de scène de crime". Certes il a des notions de "technicien de surface", mais un peu moins de "crime" quand il est associé au sang, tripes et morceaux de cervelle collés au plafond. La liste de ces métiers aussi détestables que comiques semble infinie. Une seconde livraison ne déplairait pas au lecteur en mal "d'umour et bandessinées", slogan toujours d'actualité pour Fluide Glacial qui fête le mois prochain ses 50 ans. 

"Alphonse, la gueule de l'emploi", Fluide Glacial, 56 pages, 13,90 €

Philippe Pelaez et Pascal Valdés seront présents aux prochaines Rencontres autour de la bande dessinée qui se déroulera du jeudi 17 avril au dimanche 20 avril, au Palais des congrès de Gruissan dans l'Aude.

samedi 22 février 2025

Science-fiction - Le long voyage vers Nüying, la planète gelée

Découvrir une autre forme de vie : c'est le but ultime de nombreux scientifiques dans ce lointain futur raconté par Emilie Querbalec. Dans quelques siècles, les explorateurs de l'espace savent tout de notre système solaire (alors qu'actuellement certains tentent vainement de rejoindre Mars...). Quand les grandes oreilles des observatoires enregistrent une sorte de mélopée en provenance d'une planète très éloignée, ils se mettent à espérer que c'est un signe de vie. Ces "chants", très ressemblants à ceux des baleines, viennent de Nüying, planète située à vingt-cinq années-lumière de la Terre. Dès lors, un milliardaire décide d'aller voir sur place. Par tous les moyens.

Cette expédition, la plus formidable jamais tentée par l'Humanité, est au centre du roman. Un vaisseau monde est fabriqué et va tenter de découvrir ce que cachent les chants captés en provenance de cette planète, a priori recouverte de glace excepté au niveau de l'équateur. 

Le voyage sera long. Très long. Les scientifiques seront placés dans un état qui leur permettra de se réveiller une fois en orbite. Cela implique pour eux d'abandonner toute famille sur terre, de survivre à certains. Pour faire fonctionner le vaisseau, des colons-mécaniciens partent en famille. Ce seront aussi les premier habitants de Nüying si elle est vivable. Sinon, ils resteront dans le vaisseau, en orbite. 

Pour raconter cette aventure, la romancière détaille la vie de quelques protagonistes. Brume, spécialiste du langage des dauphins est du voyage. Elle espère plonger dans l'océan de la planète et mélanger sa conscience avec les "chanteurs locaux", comme elle le faisait avec les mammifères marins sur terre. On suit aussi Will, un informaticien chargé de mettre au point une interface pour transférer une conscience d'un corps à un autre. La quasi immortalité. C'est sur ce thème que la réflexion d'Emilie Querbalec est la plus novatrice. Elle imagine les conséquences désastreuses sur un esprit qui passe de corps en corps, incapable de s'acclimater à ce perpétuel changement. 

Ce roman fera rêver tous les passionnés de voyage dans l'espace. Même quand rien ne se déroule comme prévu. Le périple est beaucoup plus mouvementé que prévu et une fois en orbite, la descente vers la terre ferme ("Nüying ferme" exactement), loin d'être parfaite. Les quelques survivants, dont Brume et Will, font ce triste constat : "Aucune balise de détresse, aucun SOS ne pourrait les sauver. La Terre, à vingt-cinq années-lumière de là, ne pouvait rien pour eux. Il leur faudrait apprendre à se débrouiller seuls, sur ce monde inhospitalier où ils n'étaient rien d'autre que des corps étrangers, à peine une écharde plantée dans la couche la plus superficielle de la croûte rocheuse." Bref, ailleurs c'est sans doute très bien, mais ici et maintenant, c'est encore mieux ! 

« Les chants de Nuying », Emilie Querbalec, Le Livre de poche, 544 pages, 9,90 €

vendredi 21 février 2025

BD - Dans les affres du "Magma" de Nicolas Bastide

Entré dans la BD en tant que coloriste, Nicolas Bastide, fort d'une belle expérience dans un collectif d'Angoulême, signe son premier album. Une histoire fantastique inquiétante, terrifiante, inspirante. Une centaine de pages parfaitement composées où les personnages principaux vont faire une expérience unique de découverte d'un monde parallèle. 

Sur une petite île volcanique, sans doute à la fin du XIXe siècle au large de l'Angleterre (rien n'est véritablement expliqué), une fillette joue dans la nature alors que ses parents se prélassent dans l'herbe. Elle disparait brièvement et est retrouvée inconsciente. Elle aurait chuté. Mais son explication est différente. 

Entre les rochers, elle a découvert une ouverture vers le magma des entrailles de l'île. Elle s'est dirigée vers ces paysages rougeoyants puis a fait demi tour. Depuis, elle a des visions qui terrorisent les habitants de l'île. Envoyée en pension dans une institution religieuse, elle va y mourir assez jeune, laissant à ses parents un cahier secret où elle raconte ses péripéties dans le magma. 

Trente années plus tard, une autre femme est découverte évanouie au même endroit. Son mari, un antiquaire, va utiliser le cahier de la première victime pour tenter de réveiller son épouse. Cette quête dans le fantastique permet à l'auteur, Nicolas Bastide, de montrer tout son talent lors de scènes oniriques puissantes. Un album original et personnel, loin de tout cliché ou mode du moment, aux dessins expressifs au service d'une histoire entre cauchemar et découverte de soi.

"Magma" de Nicolas Bastide, Glénat,  104 pages, 22,50 €

jeudi 20 février 2025

BD – Thellus, une planète et deux destins

Simona Mogavino au scénario, Laura Zuccheri et Carlos Gomez au dessin : la découverte du monde de Thellus se poursuit dans les deuxièmes tomes de la vie de Kad Moon et Eva Samas. Vaste projet passionnant,cette série de pure science-fiction permet au lecteur de se téléporter sur la planète de Thellus.

Dans un futur très éloigné, humains et autres entités plus ou moins intelligents cohabitent sur cette boule regorgeant de vie. Pour comprendre ce qui attend la majorité des habitants, on suit le parcours de deux « héros ». Kad Moon et Eva Samas font partie de ces courageux qui tentent de faire bouger les choses et vont façonner l'avenir de la planète. Mais le final, ce sera le cinquième et dernier tome de la saga, quand ils seront réunis.

Pour l'instant, ils œuvrent chacun de leur côté, deux histoires parallèles dessinées par deux auteurs différents. Kad Moon, fils d'un guerrier redouté, est capturé par des rebelles. Il va tenter de sauver des « bicéphales », créatures frustres aux griffes redoutables. Eva Samas, elle, découvre ses origines (métisse d'un conquérant humain et d'une créature mi-humaine mi-serpent). Cela renforce son envie de vengeance.

Les deux histoires sont particulièrement violentes. Que cela soit dans des ruines ou une forêt impénétrable, la mort est toujours en embuscade.

Des récits qui permettent essentiellement de mieux comprendre l'histoire de la conquête de Thellus. Et de prendre conscience aussi de l'incroyable richesse de sa faune. 


C'est sans doute le côté le plus intéressant de la BD : de créatures éthérées dotées d'ailes fines aux gigantesques crocodiles en passant par des sortes de phasmes géants télépathe, la scénariste a lâché la bride de son imagination.

Une belle réussite, avec beaucoup de suspense au final. La conclusion est très attendue.

« Thellus - Le cycle de Kad Moon » (tome 2), Glénat, 56 pages, 14,95 €

« Thellus – Le cycle d'Eva Samas » (tome 2), Glénat, 56 pages, 14,95 €

La chronique des tomes 1  

mercredi 19 février 2025

BD - Les souvenirs oubliés

La mémoire est une des particularités humaines les plus fascinantes. Comment fait-on pour se souvenir de tout ce qui nous arrive ? Ou plus exactement, pourquoi on oublie tant de choses qui nous semblent pourtant si importantes quand elles nous arrivent ? Trou de mémoire. Impossible à combler. Ce questionnement est au centre du roman graphique de Phicil, Les fantômes du Mont-Blanc. Une longue quête dans le passé qui passe par l'intermédiaire d'un bon gros chien. Bernie. De son nom exact : Bernie le bouvier bernois. 

Le gros toutou est heureux avec sa maîtresse, mais elle est mutée en ville. Elle doit donc s'en séparer. Voilà pourquoi en plein hiver, elle le confie à M. Weiss, un vieil horloger à la retraite vivant dans un petit village de montagne dans les Alpes, pas loin du Mont-Blanc. Un choc pour Bernie. 

Mais il n'est pas au bout de ses peines car en chemin, il croise une sorte d'horrible épouvantail. Et la nuit, dans l'atelier silencieux de son nouveau maitre, il se retrouve face à un vilain petit chien et une jolie fille aux cheveux d'un rose éblouissant. 

Elle se nomme Edèle, mais c'est tout ce qu'elle se souvient de son passé. Le trio, accompagné de l'oiseau d'un coucou mécanique, va aller à la recherche de traces du passé d'Edèle dans les divers lieux du village. Rencontres magiques, réminiscences tragiques : Bernie va tout faire pour aider ses nouveaux amis. 

Cette rêverie montagnarde, va devenir plus dramatique au fil des pages. Une belle réflexion sur le sort des réfugiés, des erreurs du passé, de la mort et de la résilience. C'es
t grave mais aussi très plaisant grâce à ce bon gros Bernie, serviable et fidèle. 

"Les fantômes du Mont-Blanc", Delcourt, 176 pages, 22,50 €

mardi 18 février 2025

BD – Survivre face à un chasseur implacable

Tous les amateurs de nature savent que croiser un groupe de chasseurs n'est pas toujours sans risque. D'un côté des hommes et femmes qui se contentent de vivre le moment, de l'admirer pour s'en souvenir, de l'autre d'autres passionnés, mais qui ont une arme entre les mains. Au moindre problème, le rapport de force peut devenir plus que problématique pour les désarmés. 

C'est en gros ce qui se passe dans cet album écrit par Christophe Bec et dessiné par Valerio Giangiordano. Dans un parc naturel d'Oregon, un groupe de jeunes alpinistes va se mesurer à une montagne mythique, le Mont Jefferson. Mais avant d'atteindre les pentes abruptes, ils doivent traverser une réserve indienne et une zone boisée qui est le terrain de jeu des chasseurs locaux. Un malheureux accident et tout dégénère. La nature sauvage le devient encore plus quand un père se lance dans une terrible vendetta. 

Sans éviter l'écueil du manichéisme, cet album est brut de décoffrage. Un gibier, des prédateurs, des conditions météo extrêmes : le décor et le générique de cette BD de grand spectacle sont idéales pour apporter au lecteur des émotions fortes. 

Et la fin vous étonnera car Christophe Bec, scénariste aguerri, sait parfaitement renouveler ce genre très couru par le cinéma américain. 

« Survival – Warm Springs », Soleil, 56 pages, 15,50 €

Cinéma - "Presence", vue fantomatique de Steven Soderbergh

Une famille américaine emménage dans une maison. Rapidement, la fille ressent une présence. Que veut ce fantôme ? Un film fantastique stylé signé Steven Soderbergh.
Éditeur de texte enrichi, editor1


Les vieilles maisons ont toute une histoire cachée. Des secrets servant à construire des légendes, rumeurs et autres histoires fantastiques traversant les siècles pour les plus anciennes. Le nouveau film de Steven Soderbergh, intitulé Presence, se déroule entièrement dans une maison cossue d'une banlieue sans nom de l'Amérique profonde.

Au début elle est vide. Et en vente. Une commerciale reçoit les premiers visiteurs. Une famille typique. La mère, Rebekah (Lucy Liu), cadre dans une grande entreprise, le père, Chris (Chris Sullivan), pédiatre et les deux enfants encore lycéens. Chloé (Callina Liang), est de plus en renfermée, surtout depuis que sa meilleure amie est morte d'une overdose. Tyler (Eddy Maday) aime faire la fête, briller auprès des filles et nager (sa mère  l'imagine déjà en champion olympique). Visite coup de coeur.

Suite du film quelques semaines plus tard. Ils ont emménagé. Tout se passe normalement jusqu'à ce que Chloé se persuade qu'on l'observe dans sa chambre. Elle sent comme une présence. C'est le début de la prouesse du réalisateur (également directeur de la photo et monteur du film) transformant ce huis clos en lent cauchemar de plus en plus terrifiant. 

Pour que le spectateur soit totalement immergé dans l'histoire, Soderbergh a fait le pari de tout raconter au niveau de la présence, du fantôme. Tout est filmé à hauteur d'homme, en longs déplacements dans la maison. Avec parfois, une Chloé qui se met à regarder fixement la caméra, comme si elle voyait le fantôme, le spectateur.

Tout en racontant le délitement de la cellule familiale, le film dresse le portrait de ces jeunes Américains d'aujourd'hui. Ils semblent si propres, si calmes et studieux. Et pourtant...

Une réalisation stylée, jouant à merveille sur l'ambiance et le POV (point of view). Une maison, un fantôme, un drame. On retrouve un peu du propos du très beau A ghost story de David Lowery.  

"Presence", film de Steven Soderbergh avec Lucy Liu, Chris Sullivan, Callina Liang, Eddy Maday

lundi 17 février 2025

Polar - Kalmann, simple d'esprit à la vie compliquée

Kalmann, pêcheur de requin dans un petit village du nord de l’Islande, a un léger handicap mental. Il voit la vie comme un enfant de 8 ans. Il est au centre de deux polars signés Joachim B. Schmidt, romancier allemand vivant à Reykjavik. 


Étonnant héros que ce Kalmann Odinsson, pêcheur de requin et aussi surnommé « shérif de Raufarhöfn », petit port dans le nord de la froide et glaciale Islande. Kalmann a commencé sa carrière de personnage principal dans le roman Kalmann, paru en 2023 et récemment repris au format poche dans la collection Folio policier. Kalmann de retour, toujours sous la plume de Joachim B. Schmidt, dans un second volume, suite directe du premier, intitulé Kalmann et la montagne endormie.
La principale originalité de Kalmann, c’est qu’il est atteint d’un léger handicap mental. Même s’il a 34 ans et qu’il vit seul dans sa petite maison héritée de son grand-père, Kalmann a des réactions d’un enfant de 8 ans. Il adore manger des hamburgers, engloutir des céréales au chocolat, regarder les émissions drôles à la télévision. Sa mère a quitté le village. Quant au père, c’est un mystère. Kalmann sait simplement que c’est un militaire américain qui a quitté précipitamment l’île glacée avec femme et enfants quand il a appris que sa maîtresse locale était enceinte. Il a juste laissé en héritage à ce fils qu’il n’a rencontré qu’une fois, un chapeau de cowboy, une étoile de shérif et un pistolet Mauser. La panoplie que Kalmann aime arborer quand il se promène dans le village, exactement comme s’il patrouillait pour protéger les habitants.


Un héros handicapé, c’est peu banal. Un handicapé qui raconte l’histoire à la première personne, c’est encore plus étonnant. Et assez déconcertant au début. Pourtant on se fait rapidement à ce raisonnement forcément un peu limité mais souvent plein de bon sens. Kalmann est un doux, un gentil garçon. Mais qui n’aime pas être contredit. Il peut alors entrer dans une colère noire.
Le premier roman est centré autour de la découverte par notre shérif en herbe d’une mare de sang dans la neige. Or, l’homme le plus riche du village, Robert, a disparu. Pas de corps, juste du sang. La police enquête, les sauveteurs cherchent et Kalmann élabore une théorie : Robert a sans doute été attaqué par un ours polaire venu à la nage depuis le Groenland.

Le second roman débute par l’interrogatoire de Kalmann par le FBI. Notre héros est à Washington et a été arrêté près de la Maison Blanche. Comment le shérif est il arrivé aux USA ? Quel rôle joue son père ? Une seconde partie un peu plus complexe, mais toujours racontée par cet esprit simple, dans une langue qui longtemps va résonner dans la mémoire du lecteur et lui permet d’avoir une vision très différente du quotidien de certains handicapés mentaux.

« Kalmann et la montagne endormie », Joachim B. Schmidt, La Noire - Gallimard, 320 pages, 22 €
« Kalmann », Folio policier, 368 pages, 9,50 €

dimanche 16 février 2025

BD - En 2050, l'humain sera à la traîne de l'IA


Toutes les intelligences artificielles n'attendent que ce moment : pouvoir se dupliquer dans des corps autonomes, pour vivre comme les Humains, cette espèce inférieure trop arrogante. En 2050, elles seront proches du Graal.  

2050 c'est dans un petit quart de siècle et si vous avez des doutes plongez dans cet album de récits complets imaginés par la fine fleur de la BD française d'anticipation. Dix histoires sur 120 pages et autant de thèmes abordés avec intelligence, toujours; cynisme, parfois; défaitisme, malheureusement. 

Cela commence très fort avec une histoire de Ponzio (scénario de Galandon) sur la création artistique. Un ancien écrivain, tel Voltaire, s'est retiré loin de la ville pour cultiver son jardin. De toute manière il n'était plus publié. Les IA ont pris le relais. Avec moins de droits d'auteurs et une efficacité redoutable. Un roman par jour, de quoi accrocher les fans. En 2050, un roman sort pourtant du lot. Il se vend à des millions d'exemplaires. Sa particularité : écrit à la main par une romancière. Une humaine. La revanche des scribouillards ? 

Autre thème, celui des univers parallèles développés grâce aux casques de réalité virtuelle. Un ado perd complètement la notion du réel vivant par procuration dans un monde "augmenté" par les IA. Mais quand le système crashe, le jeune se retrouve comme un aveugle, incapable de décider ou de bouger. L'histoire la plus pessimiste du recueil, signée Stéphane Perger. Gauckler s'attaque à la guerre, De Metter à l'amour et de Rochebrune au problème des réfugiés climatiques. 

Le récit le plus étonnant, car quasi possible dès aujourd'hui, revient sur l'addiction des jeunes aux réseaux sociaux et au rôle des influenceurs. L'action se déroule sur un immense paquebot de croisière. La majorité des passagers profitent du séjour grâce aux vidéos en live de Gala, jeune influenceuse pourvoyeuse de rêve. Mais quand cela dérape, Gala n'est plus de taille. Pas grave, les foules fascinées trouveront un remplaçant rapidement.

Vivrez-vous en 2050 ? Votre réalité peut-elle ressembler à certaines de ces histoires ? Personnellement, je sais que ne serai plus là pour le voir, mais ce petit texte (et certains exemplaires de la BD, papier ou numérique) devrait être encore en ligne quelque part dans le cloud ou autre lieu pas encore imaginé.

"2050", collectif, Philéas, 120 pages, 19,90 €

Thriller - « Le livre des sacrifiés » ou la fiction devenue réalité

Vague de meurtres à New York. Le seul point commun des victimes, atrocement mutilées : elles apparaissent dans un recueil de nouvelles. Un thriller machiavélique signé Frédéric Lepage.


Un sculpteur et amateur de musique religieuse, une recruteuse, un chauffeur de taxi… La police de New York est sur les dents, un tueur en série semble sévir dans la grande ville. Il tue et surtout mutile ses victimes. Après les avoir étranglées a l’aide d’un garrot, elle les éventre, leur coupe le sexe et les arrose de bière.

Rituels sataniques, une anthropologue, Anita, jeune chercheuse originaire de Guyane française, est sollicitée en tant qu’experte. Des scènes de crime horribles décortiquées par un binôme de flics atypiques. Naomi, grande, noire, réservée et à cheval sur la loi et Ken, blond, sanguin, capable de s’affranchir des règles pour obtenir des résultats.

L’enquête, racontée par Frédéric Lepage, romancier français proposant un thriller dépaysant, connaît une avancée significative quand Ken découvre que les victimes sont toutes décrites dans un recueil de nouvelles récemment paru. Ken, le véritable héros du livre, être torturé qui va vite abandonner la voie légale pour tenter de faire tomber le responsable de ces meurtres, un trafiquant de la pire espèce.

Alors qu’Anita va faire des recherches au Brésil, Ken se rend en Tanzanie, là où tout a commencé. Un journaliste infiltré l’aide dans sa quête en lui expliquant le fond de l’affaire : « Ce jour comptera dans votre vie. Vous vous le rappellerez comme celui où vous avez entrevu un abîme car je vais vous faire approcher l’abjection. » On ne peut qu’approuver et prévenir le lecteur : l’intrigue, basée sur des faits avérés, est abominable.

Des crimes abjects, mais raconté dans un style très imagé par un auteur qui n’a pas son pareil pour plonger le lecteur dans les décors dépaysants de ces aventures horribles.

« Le livre des sacrifiés », Frédéric Lepage, Robert Laffont, 376 pages, 22,90 €

samedi 15 février 2025

BD - Dans les coulisses des chaînes d'info en continu

Journaliste ! Mais quel beau métier ! 

Enfin, si on aime se lever tôt, rester le cul sur une chaise devant son bureau (desk en anglais) à répéter, tel un perroquet, tout ce que disent les confrères des autres médias. L'arrivée des chaînes d'info en continu a donné l'espoir à toute une génération de jeunes journalistes de faire un métier passionnant, au plus près de l'actualité, reportage, réactivité... Pierre Millet-Bellando a fait partie de ces rêveurs rattrapés par la réalité. A peine sorti de l'école de Lille, il décroche un poste de "deskeur" à la matinale d'une grande chaine nationale. C'était il y a quelques années. Depuis il est passé à autre chose et tente dans cette BD (illustrée par M. LeRouge) entre réalisme, souvenirs et décryptage pour tenter de faire comprendre aux lecteurs le fonctionnement de cette usine de l'information. 

Depuis son bureau, encore à moitié endormi, il réalise des "reportages" sur les grands événements de la nuit. Plus exactement il raconte les faits (lus dans les journaux) et les illustre d'extraits puisés dans les banques d'images internationales. Il devra assurer de longs mois ce rôle ingrat avant d'avoir le droit de sortir pour faire du terrain. Des micro-trottoirs (la pire expérience journalistique, toujours en cours dans toutes les rédactions et souvent réservée aux stagiaires ou débutants) ou les réactions de politiques à l'Assemblée sur la dernière polémique en date.  Rien de bien compliqué, il suffit de tendre le micro aux élus réputés "bons clients" qui ont toujours la bonne formule qui sera reprise sur les réseaux sociaux et permettra d'avoir de l'audience. L'audience, le nerf de la guerre. L'audience qui interdit tout sujet de plus de deux minutes. Alors un reportage au long cours, vous n'y pensez pas... 

S'il est très critique au début, le jeune journaliste, à force d'accepter les directives des cadres de la rédaction et des présentateurs vedettes, a obtenu ce qu'il voulait : faire du terrain. Généralement des directs dans les tranches du matin, mal préparés mais qui lui permettent de se faire remarquer. Car s'il est dispo pour les bouchons des départs en vacances, il est aussi partant pour les faits divers ou les événements exceptionnels comme les attentats à Paris en 2015 ou les manifs très agitées des Gilets jaunes. Il raconte comment l'information est formatée, aseptisée pour aller dans le sens des téléspectateurs, ceux qui regardent... les pubs. Ce n'est pas très glorieux pour la profession. Il a d'ailleurs depuis quitté ce milieu.

Journaliste ! Mais quel horrible métier !

"La fabrique des News", Steinkis, 168 pages, 20 € 

Un polar - Mon cœur a déménagé


Champion toutes catégories au niveau des ventes, Michel Bussi est aussi le roi des écrivains quand il s’agit d’imaginer des destins hors normes. Dans Mon cœur a déménagé, il raconte la vie, semée d’épreuves, de la petite Ophélie. 

A 7 ans, elle a vu son père tuer sa mère. Un traumatisme qui va la poursuivre au fil des années. Jusqu’à façonner sa vie, entre désespoir et tentation de vengeance. Un thriller aux nombreux personnages, entiers, forts et attachants.

« Mon cœur a déménagé », Michel Bussi, Pocket, 480 pages, 9,20 €

vendredi 14 février 2025

BD - "Les navigateurs" raconte l'histoire de Paris, cité lacustre et fantastique

Voir Paris différemment. Loin des clichés touristiques, d'une cité figée dans un passé récent. Le roman graphique "Les navigateurs" de Serge Lehman et Stéphane de Caneva est digne d'une expérience psychédélique. Vous allez pénétrer dans un monde que vous ne soupçonnez pas, une monde fantastique rempli de monstres sévissant dans les profondeurs de la capitale depuis des siècles et des siècles. Du noir et blanc, entre enquête contemporaine, plongée dans le surréalisme et visions cauchemardesques. 

Max
Pour prendre le chemin de la "vieille mer" et croiser le chemin de "l'aragne" ou des "mangles", le lecteur doit d'abord apprendre à connaitre les trois membres de la bande du Panorama. Trois ados de la banlieue (Clamart), qui 20 années plus tard, sont toujours en relation. Max, écrivain brimé, journaliste frustré mais vivant quand même de sa plume, Sébastien, héritier de la maison d'édition de son père et Arthur, l'aventurier, celui qui voulait découvrir le monde mais qui vit toujours à Clamart, une jambe en moins, handicapé ne survivant qu'avec sa pension et l'argent sale de petits trafics. 

Les trois copains ont intégré dans la bande, durant moins d'un an, une fille. Neige. Quand elle revient, ils décident de l'inviter dans une soirée de retrouvailles. Mais c'est dans sa maison que le groupe se reconstitue, découvre une fresque cachée sous une tapisserie moisie. 

Neige, Max et la fresque.

Le soir même, Neige disparait alors que Max est persuadé qu'elle est victime d'une araignée géante. Neige qui est dessinée, nue, sur la fresque.  

Le début, entre considérations d'adultes torturés par les contraintes d'aujourd'hui et irruption du fantastique dans leur quotidien est intrigant. Ils mènent l'enquête, découvrent un monde caché dans les quartiers populaires parisiens et finissent par enfin trouver une entrée vers le monde de la "vieille mer". 

Une histoire passionnante, qui pourrait se décliner en série télé (à condition d'y mettre le budget en décors et effets spéciaux). Les dessins de Stéphane de Caneva, en noir et blanc, avec quelques hommages à des graveurs du début du XXe siècle comme Odilon Redon, sont parfois à la limite de l'hypnose. Attention, à trop les regarder, vous pourriez vous aussi rencontrer l'aragne ou un mangle à l'odeur de boue et de déchets organiques en putréfaction. 

"Les navigateurs", Delcourt, 208 pages, 26,50 € 


Un roman historique - La prophétesse voilée


Avec plus de 75 romans à son actif, Jean d’Aillon est un forçat de la plume. Longtemps universitaire, il ne se consacre pourtant exclusivement à l’écriture de romans historiques que depuis 2007. Avec une régularité de métronome, il aligne les nouveautés. 

Dernière en date, La prophétesse voilée, où il est question de « la cruelle et sanglante guerre entre les Armagnacs et les Bourguignons ». Edward Holmes, le héros récurrent imaginé par Jean d’Aillon est sur la piste d’un tueur en série parisien. Il tue et éventre des prostituées. En plein XVe siècle, une sorte de « brouillon » de Jack l’éventreur…
« La prophétesse voilée », Jean d’Aillon, 528 pages, 10/18, 9,60 €