Écrivain sans succès, Louis survit en rédigeant les livres des autres. Un boulot de nègre disséqué par Bruno Tessarech dans un roman hilarant.
Écrire n'a jamais aidé à faire bouillir la marmite. Dans l'imagerie populaire être romancier c'est travailler chez soi, à son rythme, sans contrainte. La réalité est plus complexe. Fin de mois difficiles, refus des éditeurs, manque d'inspiration : tout concourt à rendre le créateur neurasthénique. Louis, le personnage miroir du roman de Bruno Tessarech, est en plein doute. Incapable de finir un roman mal emmanché, délaissé par sa compagne, il ne trouve même plus la volonté pour faire le ménage.
Le salut viendra d'un vieil ami éditeur. Un de ces faiseurs de livre qui sent les envies du public. Un ancien taulard sur la voie de la rédemption, belle gueule télégénique, veut raconter son expérience. Louis est contacté. Il sera son nègre. Une première expérience pour cet écrivain dans une impasse personnelle. Avec beaucoup d'humilité, il va se donner la chance de raconter les histoires d'un autre puisqu'il n'a plus l'imagination d'inventer celles de ses personnages fictifs.
Loin d'être des mercenaires sans cœur, les nègres s'investissent souvent plus que de raison dans les biographies de stars légendaires ou éphémères. Louis va passer de longues heures avec son taulard, peu bavard, un peu intimidant. Et finalement le romancier va se lancer dans un exercice risqué : réinventer l'histoire d'un homme. La formule infaillible pour plaire. On a beau être connu, intègre, entier, enjoliver l'enfance ne fait de mal à personne. Et quand on commence, difficile de s'arrêter.
Le premier boulot de nègre de Louis fut un échec retentissant. Pas en raison de la qualité du texte, irréprochable, mais de la mauvaise promotion de l'auteur officiel. Sur papier il vante les mérites de la réinsertion, dans la réalité il vient de se reconvertir dans le négoce international, pris par la patrouille « avec plusieurs pains de shit dans le coffre de sa voiture ».
Le chirurgien et l'écologiste
Quelques mois plus tard, nouveau contrat. Louis est chargé de romancer la vie d'un grand chirurgien. Seul problème, de taille : sa spécialisation. Allez faire rêver les foules avec des touchers rectaux et des opérations de la... prostate. Malgré son investissement total, le livre écrit par Louis ne paraîtra pas. Mais cela ne le décourage pas, lui qui est toujours en panne d'inspiration et dont l'existence est dramatiquement morne : « Je n'avais aucun rendez-vous. Ma vie était creuse. Vivre ou écrire, il fallait choisir. Comme j'en étais incapable, le résultat n'était pas glorieux. Je ne vivais plus, et je n'écrivais guère. » Bruno Tessarech étant tout sauf un dépressif chronique, son roman reprend du souffle avec l'écriture du livre d'un des chantre de l'écologie française. On rit beaucoup au portrait de cet éternel jeune homme scrutant la fonte de la calotte glaciaire avec autant d'attention que son début de calvitie. Et pour Louis c'est le jackpot. Des dizaines de milliers d'exemplaires vendus et suffisamment d'argent pour se consacrer à son œuvre. A la différence près que sa réputation dans le milieu négrier lui offre nombre de contrats de plus en plus conséquents... et difficiles à refuser. Car même les nègres ont leurs auteurs stars !
Bruno Tessarech dévoile au passage quelques secrets, comme ce jeu de glisser au sein de chaque biographie, dans le 2e paragraphe de la page 207, une indiscrétion très people totalement exclusive. Cet « Art nègre » ne déroge pas à la règle, preuve que c'est bien lui qui l'a écrit.
Michel LITOUT
« Art nègre » de Bruno Tessarech, Buchet-Chastel, 15 €
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