La petite Elvirita n'oubliera jamais qu'elle est avant tout une Rivas de Santillana, une des plus vieilles familles de planteurs de canne de Porto Rico. Et qu'en tant que telle, elle se doit d'observer une conduite exemplaire, digne de l'aristocratie insulaire. Bien que sa mère, Clarissa, lui ait toujours préféré son frère Alvaro et n'arrête pas de lui seriner que vraiment, quel dommage, elle n'a aucun des traits d'une finesse patricienne qui distingue la branche maternelle de la famille. Elle est pleine de contradictions, Clarissa, souvent à la limite de l'hystérie.
Elle a beau reprocher à Elvirita de ressembler à son père Aurélio comme s'il s'agissait d'une tare, elle voue cependant à son mari un amour passionné, pimenté par une jalousie féroce. Le fait qu'il se lance dans la politique, avec toute la cohorte de jolies filles qui papillonnent autour de ce candidat plus que séduisant n'arrange certes pas la situation.
Portraits de famille
Elvirita a du caractère, il faut dire qu'entre les personnalités plutôt fortes de grand-père Alvaro et de grand-mère Valeria.- ses grands-parents maternels, elle a été à bonne école, Et commence une immense fresque, saga familiale racontée par Elvira. Impossible de résumer cette histoire foisonnante de personnages, tantes, oncles, cousins, mais aussi d'anecdotes. Elvira interroge un à un tous les membres de sa famille du côté maternel et paternel. Respectivement les Rivas de Santillana et les Vernet. Et trace ainsi le portrait de chacun d'entre eux, depuis la nourrice Mina, qui a sauvé la vie de Clarissa en lui donnant son lait jusqu'à la tante Lakhmé, qui collectionne les maris et les belles toilettes. Elle raconte aussi par le menu l'ascension des quatre frères Vernet, qui deviennent immensément riches en développant au bon moment leur cimenterie.
La vie politique de l'île. n'est pas oubliée, Elvira en raconte les mouvances au travers de l'activité politique de son père Aurélio et du mari d'une de ses tantes. Rapprochement avec les Etats-Unis, indépendance, misère du petit peuple, lent déclin de la culture de la canne. En somme, toute la vie d'une petite île des Caraïbes et de ses habitants marqués par une immense fracture sociale.
Rosario Ferré réussit le tour de force de trouver un côté attachant à chacun de ses personnages, les descriptions ne sont jamais ennuyeuses et certaines anecdotes sont carrément jubilatoires. L'écriture enlevée est encore enrichie par les interventions des personnages qui racontent leur propre histoire. On pourrait craindre de se perdre dans cette multitude de tranches de vie qui s'entrecroisent, il n'en est rien. Le livre est parfaitement construit et d'une clarté exemplaire. On ne peut s'empêcher de songer à Gabriel Garcia Marquez, tant dans la forme que dans le fond. Un roman passionnant, exubérant, attachant, vous l'aimerez, c'est sûr !
Fabienne HUART
« Liens excentriques » de Rosario Ferré, Stock (Chronique datant de septembre 2000)
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