Raphaëlle Bacqué revient sur l'énigme François de Grossouvre, conseiller de François Mitterrand s'étant donné la mort dans son bureau à l'Elysée.
Un coup de feu retentit dans le palais de l'Elysée. Nous sommes le 7 avril 1994, François de Grossouvre est retrouvé mort dans son bureau. Selon toute vraisemblance, cet homme passionné par les armes à feu, ami intime du président Mitterrand dont il est encore un conseiller malgré une disgrâce de plusieurs années, vient de se suicider. Raphaëlle Bacqué, journaliste politique au Monde, a enquêté sur ce personnage ambigu, dernier représentant d'une certaine France. Elle ne remet pas en cause la thèse du suicide. La mort de Grossouvre semblait inéluctable.
Un lieu hautement symbolique
Vieil homme aigri, il avait évoqué ses envies suicidaires avec plusieurs de ses proches. Tout le problème est le lieu. Pourquoi est-il passé à l'acte à l'Elysée ? Un début d'explication est vite avancé parmi proches collaborateurs de François Mitterrand : « Les esprits les plus subtils ont déjà compris. Les Japonais ont un nom pour ces suicides accusateurs où l'on se tue dans un lieu qui désigne le vrai fautif : le seppuku. Avant que le scandale n'éclate, il faut détourner ce doigt que le suicide de Grossouvre paraît avoir pointé vers François Mitterrand. » Celui qui était encore président des chasses présidentielles a donc décidé de partir au plus près de cet homme qu'il admirait tant. Mais ce n'était plus réciproque. Presque une rupture amoureuse. Grossouvre n'a pas supporté ce revirement.
Raphaëlle Bacqué a rencontré des dizaines de personnes pour aller au fond de cette relation. Elle connaissait bien le président Mitterrand, elle a du batailler pour avoir la version du côté de Grossouvre. Ce livre, qui se lit comme un polar doublé d'une relation amicale totale et romantique, met en lumière cet homme qui n'a pas supporté la disgrâce. En fait, François de Grossouvre, sans être du premier cercle, avait un avantage sur les autres conseillers : il était devenu le « ministre de la vie privée » de Mitterrand. Grossouvre est un des premiers à avoir eu connaissance de la liaison de François Mitterrand avec Anne Pingeot. Il habitait l'appartement au-dessus de celui de la maîtresse cachée. Il était même le parrain de Mazarine... Lui-même grand amateur de jolies femmes, il avait une double vie. Dans l'Allier, femme et enfants vivaient calmement dans un château qui servait souvent de base de repli à Mitterrand, sa maîtresse et sa fille. Mais à Paris, Grossouvre vivait depuis une quinzaine d'années avec Nicole, une superbe femme, de 20 ans sa cadette. Une maîtresse qui a disparu dès l'annonce du suicide de l'homme de sa vie.
Des amitiés à droite
François de Grossouvre, riche industriel de province, dès qu'il est tombé sous le charme du candidat François Mitterrand, a financé sans compter sa campagne. Et sa vie privée, achetant une maison pour Anne Pingeot. Une fois élu, François Mitterrand a gardé François de Grossouvre dans son équipe, tout en se méfiant de sa paranoïa et de ses amitiés de droite. Il a cependant été très utile quand la gauche a décidé de toucher sa part du gâteau des anciennes colonies, notamment le Gabon et la Maroc. Grossouvre, simplement par son réseau, a longtemps été un pion essentiel dans la politique étrangère de Mitterrand.
Mais le temps faisant son office, l'ami et conseiller a été de moins en moins écouté. Jusqu'à devenir un traitre quand il a commencé à raconter dans tout Paris la double vie du président et sa maladie. Pourtant, il a gardé son bureau. « Mais c'est bien la façon mitterrandienne. Le président ne rompt pas. Il préfère laisser s'installer l'indifférence. Aux autres d'avoir la force de s'en aller. » François de Grossouvre a choisi sa sortie. Elle fut grandiloquente et pleine de symbole.
« Le dernier mort de Mitterrand », Grasset et Albin Michel, 18 €
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