Dans son dernier roman, Philippe Djian profite du métier de son héros, professeur d'université, pour donner une magistrale leçon de littérature.
Marc, la cinquantaine, est professeur de littérature dans une université de province. Il a tenté, un temps, d'être écrivain. Mais il a finalement compris qu'il faisait fausse route. Il enseigne donc à des étudiants souvent sans talent comment faire résonner une phrase, lui donner du mouvement. Un emploi presque alimentaire qui lui permet en plus de garnir son lit. Marc, en plus d'une grande connaissance de la littérature, a un charme fou qui fait fondre ses étudiantes. Au début du roman, il est au volant de sa Fiat 500. Il fonce sur la route de montagne pour rejoindre sa maison. A ses côtés, Barbara. Une de ses étudiantes. Une des plus douées. Le lendemain matin, en se réveillant, il ne retrouve pas une jeune femme enjouée et heureuse mais un cadavre déjà froid. Que s'est-il passé. Alcool aidant, il ne se souvient de rien. Mais il en sait suffisamment de la vie pour savoir qu'il vaut mieux se débarrasser du cadavre au lieu de prévenir les gendarmes...
Le lecteur d'« Incidences » apprend donc assez rapidement que Marc n'est pas moral. Il jette le corps de Barbara dans un gouffre dont il est seul à connaître la bouche. Et tente de reprendre le cours de sa vie, comme si de rien n'était. Entre ses étudiants, sa sœur qui habite la même maison, et le directeur de l'université.
Entendre sa voix
Il assure ses cours, et c'est là que Philippe Djian se permet de glisser quelques sentences définitives sur l'art d'être écrivain. « Devenir un bon écrivain avant trente ans, voilà bien de la pure fiction à de rares exceptions près, trente ans c'est le minimum du minimum expliquait-il d'emblée à ses étudiants, est-ce que vous croyez qu'on apprend à jouer avec des mots en un jour, ou en cent, que la grâce va vous tomber instantanément du ciel, écoutez-moi, je vais être franc avec vous, comptes vingt ans, comptez vingt ans avant de commencer à entendre votre propre voix, de quelque manière que vous vous y preniez. » Et de remarquer, quelques pages plus loin, toujours dans la bouche de Marc, « N'importe quel crétin est capable de raconter une histoire. La seule affaire et une affaire de rythme, de couleur de sonorité. »
Le roman, de très léger, va prendre de l'épaisseur, du volume, avec l'arrivée de Myriam, la belle-mère de Barbara. Entre elle et Marc, c'est une folle histoire d'amour qui va exploser. Mais Marc ne partagera pas ses secrets avec Myriam. « Un homme pouvait bien avoir quelques vices, estimait-il, et sans avoir à en rougir. Les épreuves que l'on traversait au cours d'une vie valaient bien ça. » Ce roman de Philippe Djian, comme souvent avec cet auteur foisonnant, entraîne le lecteur vers un monde au bord de la rupture. C'est complètement « borderline » et cela n'en a que plus de force.
« Incidences » de Philippe Djian, Gallimard, 17,90 €
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