Dans le Vieux Sud américain, les passions et les brutalités déchirent une population tiraillée par les sentiments ambivalents que ressentent Blancs et Noirs des années 40. "Mississippi", un roman de Hillary Jordan.
Une ferme et de la boue. Des champs de coton et de la boue. Une petite, toute petite ville du Vieux Sud et de la boue. « Quand je pense à la ferme, je pense à la boue. (...) Avec elle, impossible d'avoir le dessus. Elle recouvrait tout. Je rêvais en marron. » A 31 ans, Laura, professeur d'anglais dans une école privée de garçons à Memphis, vit encore chez ses parents et s'est déjà résignée à son statut de « vieille fille ». C'est pourquoi elle n'ose pas croire à sa chance quand, au printemps 1939, elle rencontre Henry McAllan, invité à partager le repas dominical par son frère Teddy, de qui il est le nouveau patron.
La mère de Laura, flairant l'aubaine, réitère son invitation pour le dimanche suivant. « C'était une créature rare et merveilleuse : un célibataire de quarante et un an. » Arriva ce qui devait arriver, après quelques mois d'une cour assidue, Henry demande à Laura de l'épouser. Folle de bonheur, comment la pauvre jeune femme, éprise de littérature, de musique et de tout l'attrait culturel qu'offre une grande ville, aurait-elle pu deviner que son époux tout neuf, fils de fermier et amoureux dans l'âme de la terre qui a fait vivre ses ancêtres, achèterait quelques années après leur mariage, une ferme perdue au milieu de nulle part ?
Entre ses deux filles, la prunelle de ses yeux, son mari et le père de celui-ci, vieux bonhomme acariâtre et membre du Ku Klux Klan, Laura tente bon gré mal gré, d'être une épouse et une mère exemplaire et se résigne à la situation. « Que les choses étaient simples pour Henry ! Que je regrettais parfois de ne pouvoir le rejoindre dans cet univers austère et carré où tout était soit bien soit mal et où il n'y avait aucun doute sur ce qui était quoi. Quel luxe inimaginable que de ne jamais avoir à batailler avec des peut-être et des pourquoi, de ne jamais passer des nuits blanches à s'interroger sur des si. »
Un racisme récurrent
Dans l'après-guerre de ce coin du sud des États-Unis, les Blancs sont bien décidés à défendre la supériorité de leur race face à un peuple noir dépendant économiquement du travail que veulent bien leur donner ces mêmes Blancs. Mais la guerre a changé la donne... Et quand Ronsel Jackson, le fils des métayers noirs des McAllan rentre au pays, couvert de gloire et de médailles, il refuse de se plier à ces lois iniques, lui qui s'est battu pour son pays et a connu la considération des Européens, faisant fi de la couleur de peau de leurs libérateurs.
Dans le même temps, Jamie, le jeune frère d'Henry, ancien pilote de bombardier, revient lui aussi au bercail et s'installe à la ferme familiale.
Entre ces deux-là, qui ont partagé les mêmes angoisses pendant toutes ces années de guerre, se noue une amitié improbable. Une amitié qui va attiser la haine des Blancs de la petite ville...
Faisant parler tour à tour chacun des protagonistes du roman, Hillary Jordan réussit le pari risqué de dresser des portraits tout en nuances et en contradictions, mettant en lumière les sentiments complexes qui habitent les Blancs comme les Noirs de cette époque incertaine. « Henry se moquerait de moi pour ce que je vais dire, mais je crois que les Noirs ont la faculté innée, qui nous manque à nous autres Blancs, de pressentir les choses, une sorte de prémonition. Elle se différencie de la raison, dont nous sommes plus pourvus qu'eux, et provient d'une contrée plus ancienne, plus sombre. » pense un Jamie déchiré entre son amitié pour Ronsel, le Noir, et son éducation pétrie de racisme.
Ronsel qui s'attire les foudres de la population blanche parce qu'il refuse par exemple d'emprunter la porte de derrière de la seule épicerie du village, celle de devant étant réservée à « l'élite blanche ».
L'écriture de la romancière est puissante, bouleversante, ciselée. Elle emmène le lecteur dans les tréfonds d'une intrigue en partie inspirée par les récits dont Hillary Jordan a été bercée dans sa jeunesse passée entre le Texas et l'Oklahoma. Sans nul doute une première œuvre menée de main de maître, qui ne sera, espérons-le, que le début de sa carrière d'écrivain.
Fabienne HUART
« Mississippi » de Hillary Jordan, éditions Belfond, 19 euros.
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