mardi 22 janvier 2008

Roman - Cannes, ses hôtels, ses arnaqueurs

Du choix cornélien entre le fric ou l'amour d'une belle, tel pourrait être le résumé de ce roman de Laurent Chalumeau.

D'emblée le décor est planté. Un superbe hôtel cannois, pas vraiment destiné aux « gens du peuple ». Pour y séjourner, il faut de la thune, dirait l'auteur Laurent Chalumeau, de l'oseille, bref, faire partie d'une certaine élite. On y croise d'ailleurs des stars de cinéma, des comtesses, des marquis, et que sais-je encore. Castric, directeur de l'établissement, est d'ailleurs passé maître dans l'art des courbettes, aussi vomitives que la couleur de ses vestes.

Envers du décor, le personnel, trié sur le volet bien sûr, sauf pour Benjamin, passé on ne sait trop comment entre les mailles des vérifications d'antécédents en tous genres, homme de maintenance, surnommé Tortue dans un hôtel de moindre catégorie, si l'on peut dire, avec barreaux aux fenêtres et promenade une heure par jour. Le hasard faisant bien les choses, Tortue rencontre par hasard à Cannes un ex-compagnon de cellule, escroc à la petite semaine, qui se fait appeler Jorge Gomez et qui justement n'a rien sur le feu en ce moment.

De la « fraîche »

Une des caractéristiques de l'hôtel – et qui lui donne un cachet supplémentaire d'après le directeur – se distingue par le fait que Castric refuse catégoriquement chèques ou cartes bleues. Tous les règlements s'effectuent en espèces sonnantes et trébuchantes, ce qui, vu les tarifs prohibitifs, constitue à la fin de la journée un joli petit matelas, qui tourne autour d'un demi-million d'euros. Castric, toujours bavard comme une pie, confie à certains clients que jamais au grand jamais il n'a oublié le code de la combinaison du coffre, changé tous les mois. L'info tombe par hasard dans l'oreille de Tortue, qui cogite sur le sujet. 

Un jour où il se retrouve seul dans le bureau du dirlo, il tente le coup. Mois et année pour la combinaison. Bingo ! Depuis ce moment, il n'a de cesse de trouver un truc imparable pour voler tout ce bel argent.

C'est là que l'ami Jorge intervient, prenant une chambre à l'hôtel en se faisant passer pour un richissime homme d'affaire espagnol, accompagné d'une plantureuse blonde, qui ne fera d'ailleurs pas long feu. Parce que le lendemain de l'arrivée de Jorge, débarque la comtesse Monica de Sant'Ippolito, belle à couper le souffle et seule, atout non négligeable. Exit la blonde, remerciée proprement pour services rendus et priée de laisser la place vacante. Malheureusement pour notre petit Espagnol, une autre résidant ne paraît pas insensible non plus aux charmes de la divine créature, en la personne du baron Adrien Laouhénan de Queréon. En l'occurrence, les deux hommes se retrouvent aux pieds de la belle pour l'inviter à dîner le soir même. Monica, que la situation amuse, s'exclame, « et pourquoi ne dînerions-nous pas tous les trois ? » Dès lors, le trio ne se quitte plus, pourtant, le pauvre Jorge a bien du mérite à résister aux critiques acerbes, cyniques et permanente du baron.

Et Tortue dans tout ça?

Jorge en oublie le pourquoi de son séjour, le casse du coffre-fort. Il n'a qu'un petit rôle à jouer, mais capital. Débrancher pendant deux minutes une caméra de surveillance et ouvrir une porte à Tortue, une fois celui-ci en possession du magot. Malheureusement ce soir-là, le baron invite Monica à dîner dans un charmant petit village de l'arrière-pays et Jorge, n'écoutant que son cœur chaviré, part avec eux en laissant en plan son copain, ne voulant à aucun prix laisser le baron seul avec sa dulcinée et lui laisser prendre l'avantage.

« Les arnaqueurs aussi » foisonne de personnages, tous plus caricaturaux les uns que les autres. Un certain Mario, qui s'occupe des demandes « inhabituelles » de certains clients; son associée Corinne, culturiste sur le retour qui s'avère bénéficier d'une droite redoutable; Calzer, ancien flic reconverti en responsable de la sécurité de l'hôtel et d'autres tout aussi pittoresques.

Dès la première page, on sourit, puis on se marre pour finir par se bidonner franchement. L'écriture est enlevée, sans jamais de lourdeurs, le scénario cocasse, les acteurs bien campés transforment le roman de Chalumeau en petit bijou digne des meilleurs scénaristes comiques. Jouissif.

« Les arnaqueurs aussi », Laurent Chalumeau, Grasset, 20,90 €

lundi 21 janvier 2008

BD - Soledad la magicienne


Quatrième et ultime aventure de Soledad, la belle Andalouse rebelle, surnommée Lune d'Ombre car elle possède une pierre de Lune capable de faire naître des ombres impitoyables et obéissantes. 

Sur un scénario de Sylviane Corgiat, Christelle Pécout, la dessinatrice, peut laisser libre cours à son imagination débordante car les démons, bêtes fabuleuses et pays merveilleux sont légion dans cette série à forte dominante fantastique. Soledad, la pirate andalouse, poursuivie par les navires d'Al-Makhzun, trouve refuge sur une île où serait caché un immense trésor. Avec quelques uns de ses hommes, elle explore la végétation dense et tombe sur des hommes loups, des Diw', chargés de protéger le véritable maître de l'île, un arbre carnivore. 

Ce dernier étend ses racines partout et malheur à celui qui ose en couper une. Soledad ne devra son salut qu'à l'intervention d'une petite fille, originaire de l'Inde, qui a parfaitement compris ce qu'il faut faire pour rester en vie. Une île très dangereuse qui sera le théâtre du dernier affrontement entre Soledad et Al-Makhzun, ultime péripétie de ce cycle.

Lune d'Ombre, Les Humanoïdes Associés, 12,90 € 

dimanche 20 janvier 2008

BD - Otage de la nourriture

Mia est une jeune fille comme toutes les autres. Belle, un peu coquette, elle fait attention à sa ligne. Mais Mia, secrètement amoureuse du beau et riche Dany, souffre intérieurement. Boulimique, elle ingurgite des quantités phénoménales de nourriture en cachette qu'elle vomit avant de la digérer.

 S'il semble étonnant d'aborder ce problème de santé (beaucoup plus courant qu'on ne le pense) dans une bande dessinée, il n'est cependant pas au centre de cet album de 80 pages signé par Man, auteur espagnol dont un autre album, « En sautant dans le vide », paraîtra en mars. Mia n'est qu'un personnage d'une histoire policière. Des gangsters enlèvent des enfants de la riche bourgeoisie pour faire payer les parents. 

Alors qu'ils kidnappent Dany, Mia se précipite à son secours. Résultat, ce sont deux adolescents qui se retrouvent otages dans une maison perdue au milieu des bois. Comment Mia va réagir en se retrouvant prisonnière et privée de nourriture ? Va-t-elle oser déclarer sa flamme à Dany malgré l'enfermement ? Une histoire étonnante, très rythmée, au dessin fluide et racé.

Mia, Dargaud, 12,50 € 

samedi 19 janvier 2008

BD - Jacques, petit lézard deviendra grand


Quand il a fait ses premiers pas dans les pages du magazine Spirou, il s'appelait Claude. Finalement son créateur, Libon, a préféré Jacques. Mais au final cela reste un « petit lézard géant ». Tout commence par une expérience ratée. L'armée française, désirant être plus discrète dans ses essais nucléaires (de vilains activistes, pour protester, dessinent des fleurs sur les bateaux de guerre et minent le moral des troupes), créent une mini bombe atomique. Ils la font exploser dans une haie, pile sur la tête d'un minuscule lézard qui dans la foulée devient grand (un peu plus d'un mètre...) et surtout se met à parler. 

Jacques va donc aller à la découverte de ce nouveau monde, cherchant désespérément quelques papillons à grignoter. Il rencontrera dans ces histoires courtes et délirantes, une mamie gâteuse, des gothiques souterrains, un cirque en manque de monstres, un médecin halluciné et quelques policiers cherchant, en vain, un lutin de l'enfer qui porte un chapeau pointu. De l'humour absurde, d'une logique et d'une efficacité implacables.

Jacques, le petit lézard géant, Dupuis, 9,20 € 

vendredi 18 janvier 2008

BD - Les enquêtes aristocratiques de Tiffany

Pas facile quand on est aristocrate de devoir travailler comme un manant. Pourtant c'est avec beaucoup de plaisir que Tiffany, descendante de Jeanne d'Arc, exerce son métier de détective privé. Elle pratique aussi l'escrime et surtout peut lire les pensées des hommes et femmes qui s'approchent d'elle. Un sérum de vérité diablement efficace. Et pour couronner le tout, Tiffany est belle et moderne. 

Dans cette deuxième enquête, écrite par Yann et dessinée par Herval, au trait aussi élégant que son héroïne, il est question d'un bel héritage que se disputent cousins et petits neveux d'un nonagénaire vivant dans le culte de son fils disparu aux commandes de son avion au-dessus du désert lybien en 1943. Or le vieillard aurait appris, peu de temps avant sa mort, que son fils aurait eu un enfant avec une infirmière qui elle aussi appartenait aux Forces françaises libres. 

C'est cet héritier que Tiffany va tenter de retrouver alors qu'une mystérieuse tueuse tente elle de définitivement éteindre la branche de l'aviateur. De l'action, des rebondissements, mais surtout de nombreux gags et clins d’œil signés Yann, incorrigible farceur.

Tiffany, Delcourt, 12,90 € 

jeudi 17 janvier 2008

BD - La guerre des Parfaits


Makyo, de son vrai nom Pierre Fournier, est un Breton bon ton qui se passionne pour l'histoire des Cathares, ces « hérétiques » ayant révolutionné le Languedoc entre 1100 et 1300. Il a déjà abordé indirectement le sujet dans un cycle de Balade au bout du monde mais cette fois le catharisme est au centre de cette nouvelle série dessinée par Calore. 

A la fin du phénomène, réprimé dans le feu et le sang par l'inquisition, Guilhem Roché, entre Toulouse et Carcassonne, devient un guérisseur renommé. Ses dons viendraient de l'enseignement de Simon Azalaïs, le Parfait introuvable, Cathare errant et invisible, au centre de cette série prévue en trois tomes.

« Je suis Cathare », Delcourt, 12,90 euros 

mercredi 16 janvier 2008

BD - La magie pour le rire


Rares sont les dessinateurs qui dès leur premier album ont non seulement remporté un important succès public mais en plus ont d'emblée affirmé un style personnel fort. On se souvient de Léo avec Aldébaran, mais le véritable phénomène de ces dix dernières années aura été Guarnido et l'étonnant Blacksad. 

Le dessinateur espagnol revient avec une nouvelle série et un style légèrement différent. « Sorcelleries », sur un scénario de Valero, raconte comment trois vieilles sorcières acariâtres recueillent une jeune fée qui n'en fait qu'à sa tête. Moins ambitieuse que Blacksad, cette BD de Guarnido s'adresse plus spécialement aux jeunes lecteurs.

« Sorcelleries », Dargaud, 9,25 euros 

mardi 15 janvier 2008

BD - Chinn, la série avec deux petits sages chinois

Escaich le scénariste et Vervisch le dessinateur nous convient à la découverte de l'histoire de la Chine. Mais attention, cet album n'a rien à voir avec les classiques et parfois barbantes histoires de l'Oncle Paul. 

Les deux héros, Sagesse éternelle et Muscle flamboyant, deux jeunes élèves de kung fu, chassés de leur école, errent dans la campagne. Ils acceptent de cacher des livres (gravés sur des bambous) que le nouvel empereur voudrait détruire. Un dessin rond et expressif, des gags à la pelle parsemés dans le récit, une foule de personnages pittoresques : Chinn est une des bonnes surprises de cette nouvelle année.

« Chinn », Bamboo, 9,45 euros 

lundi 14 janvier 2008

Roman - Amour impossible pour l'employé de la morgue

Avec « L'étreinte », Martin Gülich, écrivain allemand, nous entraîne dans les pas de Dolf, employé d'une morgue, amoureux d'une veuve.


Roman singulier et dérangeant, « L'étreinte » est le premier ouvrage de Martin Gülich bénéficiant d'une traduction en français. Le héros, bien qu'il affirme haut et fort qu'il n'est pas idiot, ressemble pourtant à un simple d'esprit. Mais doué de sentiments, bien qu'il faille avoir une sacrée carapace pour travailler à la morgue. Il assiste un médecin légiste, prenant les organes des morts, les pesant puis les replaçant dans le corps. 

Il vit dans une chambre minuscule, collectionne les insectes et n'a qu'un seul ami, Walter, ouvrier dans les chemins de fer, grand séducteur. Il abreuve Dolf de ses exploits sexuels. Mais Dolf, à, trente-huit ans, est toujours vierge. Les femmes et Dolf ? « Moi aussi, pourtant, je les déshabille, je les mets toutes nues devant moi. Puis, je m'éloigne de quelques pas et je les regarde : des jeunes, des vieilles, des grosses, des maigres, des belles, des moches, des poilues, des rasées. Des femmes mortes ». Mais les vivantes l'évitent systématiquement. « Un type qui pue le cadavre, les femmes veulent pas faire ça avec lui. C'est ça le problème ». Tout bascule quand un corps est retrouvé dans la rue. Plusieurs coups de couteau dans l'abdomen, une mort lente, pas d'identité. Durant une semaine le cadavre de l'inconnu reste à la morgue et finalement une femme vient le reconnaître. 

Elle s'appelle Natalie, est belle et désespérée. S'effondrant en larmes, elle se réfugie dans les bras de Dolf. Une étreinte qui électrise Dolf. Il tombe amoureux de cette femme qui le remercie d'être « un bon consolateur ». Mais comment la conquérir ?

Martin Gülich signe un roman âpre, parfois macabre, souvent poétique. Le personnage de Dolf, amoureux maladroit, fou et macabre fait découvrir au lecteur des extrémités que les gens normaux n'oseraient même pas imaginer.

« L'étreinte », Martin Gülich (traduit de l'allemand par Nicole Taubes), Flammarion, 15 € 

dimanche 13 janvier 2008

Roman - De la fugacité de l'amour

Relation amoureuse express entre deux Français en Amérique du Sud dans « Il faut se quitter déjà » de Jean-Luc Coatalem.


C'est une histoire d'amour toute simple. Comme des millions d'histoires d'amour. Mais brève et mensongère. Un court roman de Jean-Luc Coatalem, dense et dépaysant. Le narrateur est journaliste freelance pour des magazines français. Il débarque à Buenos Aires pour un séjour d'une semaine. Il doit écrire un sujet sur des scientifiques à la recherche d'Eldorado, la dernière cité des Incas. Dans son hôtel, il croise une jeune femme, Mathilde, « pas très grande mais avec une allure et un maintien de danseuse classique, un regard clair et rieur, des poignets charmants. Un semis de tâches de rousseur égayait ses pommettes hautes. Des cheveux mi-longs luisants et drus. De jolis seins portés par une cambrure naturelle. Une énergie, une vivacité ». Il l'aborde, engage la conversation. Française elle aussi, Mathilde est en stage pour quelques mois. 

Le narrateur va commencer par mentir sur son âge, se rajeunissant de cinq bonnes années, puis sur sa situation familiale, devenant célibataire, oubliant femme et enfants laissés à Paris. Une spirale du mensonge qui ne va cesser d'aller crescendo. Il cherche une aventure, il trouve un peu plus. « Si je voulus la conquérir, il me sembla que de son côté elle se laissa aller volontiers à ce qui advenait, souriante à l'inconnu, confiante au cours des jours. Je pouvais être son destin qui la regardait. Je finis par le croire aussi. Prenant, j'étais pris ».

Jean-Luc Coatalem, par ailleurs journaliste à Géo, fait profiter au lecteur de sa parfaite connaissance de la région. On rêve sur les grandes artères de la capitale argentine puis on découvre, séduit, l'immense estuaire du Rio de la Plata, allant en bateau vers Montevideo où les deux étrangers dans ces terres australes vont passer deux nuits d'amour. Deux nuits, pas plus, le narrateur n'a pas l'intention de rater son avion de retour.

« Il faut se quitter déjà », Jean-Luc Coatalem, Grasset, 10,90 €