Affichage des articles dont le libellé est brouillaud. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est brouillaud. Afficher tous les articles

lundi 11 janvier 2016

Livre : Quand le quotidien devient insupportable

Un notaire devient délinquant, un chanteur perd sa voix, un président s'émancipe. Petites rébellions du quotidien dans ce roman vif et incisif de Jean-Pierre Brouillaud.

brouillaud, petites rébellions, buchet-chastelChaque jour suffit sa peine. Surtout chaque jour ressemble au précédent et sera sans doute identique au suivant. On appelle cela le train-train, la routine... La plupart du temps on s'en contente. Au contraire, on peste quand le « prévu » ne se passe pas comme désiré. D'autres à l'opposé, rêvent d'inattendu, d'exceptionnel. Ce court roman de Jean-Pierre Brouillaud explore cette face aventureuse d'individus mal dans leur petite vie étriquée.
Premier à entrer en scène, Henri Brunovilliers. Ce notaire de 50 ans, a toujours été terne et effacé. Il n'a jamais rué dans les brancards. Pas de crise d'adolescence, de rejet des parents et autre transgression. Mais aujourd'hui, Henri a décidé de franchir le pas, de devenir un délinquant. Pour la première fois de sa vie il va être hors-la-loi. Dans ses rêves de grandeur il se voit tel un truand adulé des foules. En réalité il a simplement l'intention de prendre le métro sans acheter de ticket...
Avec gourmandise, l'auteur décrit le cheminement intellectuel tortueux de ce notaire, insoupçonnable, en train de frauder comme un vulgaire petit voyou de banlieue. Il mettra du temps à se décider. Oser affronter les regards, réussir à enjamber le tourniquet, sortir des griffes du portillon automatique. Mais il y arrive enfin et le voilà enfin primodélinquant : « avoir pour la première fois à cinquante ans passés, osé braver l'interdit; avoir pour la première fois, à cinquante ans passés , défié la toute puissance de la loi; avoir pour la première fois à cinquante ans passés, agi autrement que convenablement. Un voyage sans ticket, donc. Mais avec un supplément d'âme. » Henri jubile, puis déchante. Une fois dans la rame, personne ne fait la différence. A moins que des contrôleurs ne lui donnent l'occasion de clamer à la face du monde sa rébellion. Henri sert de fil rouge sur cette ligne de métro où il s'en passe de belles.

Le président et la conductrice
On croise également dans la rame une épouse qui s'affranchit enfin de son mari toxique et va assister, seule, au concert d'un chanteur de charme qu'elle adore et qu'il abhorre. Il y a aussi cette jeune femme qui décide, enfin de quitter son fiancé. Elle veut bien être sympa, mais elle ne supporte plus ses fautes dans les textos. Le « Bone journée bébé » reçu en début de matinée était de trop.
Il y a aussi le président de la République qui décide de se rapprocher du peuple et prend donc le métro. Incognito. Enfin presque... Sans oublier la conductrice du métro, Evelyne. Son rêve c'est de ne pas devoir freiner toute les deux minutes, de filer plein gaz sans se soucier des passagers, des arrêts. « Elle s'imagine qu'elle se dirige tout droit vers la mer, le soleil et la douceur de vivre. » C'est ça sa petite rébellion à elle.
Michel Litout
« Les petites rébellions » de Jean-Pierre Brouillaud, Buchet-Chastel, 14 €


mercredi 27 février 2013

Roman - La franchise selon Martin Martin

Et si tout le monde disait exactement ce qu'il pensait ? Du jour au lendemain, le monde se transforme et une vaste pétaudière totalement invivable.

Esclandre chez le boucher. Roland Quinzebilles, commerçant prévenant, demande des nouvelles de la bavette achetée la veille par Mme Buie, une « fidèle entre les fidèles ». « Dure comme de la pierre, immangeable presque. Comme d'habitude ! » lui répond dans les dents la mamie. La scène se déroule sous les yeux de Martin Martin, employé discret dans une maison d'édition. Martin découvre dans cet échange vif le premier indice qui fera que cette journée ne sera pas tout à fait comme les autres.

Avant de rejoindre son travail, Martin fait un détour par son garagiste, Corydon Aiglefine. La voiture est en révision. Il la récupère avec des injecteurs neufs. Et une explication du mécanicien pleine de franchise : « Ils marchaient très bien vos injecteurs, mais de toute façon vous allez pas vérifier, vous y connaissez que dalle. » Et de terminer sa tirade en se justifiant : « Que voulez-vous, quand on trouve un gogo on va pas se priver. » Plus de doute, il se passe quelque chose.

Martin Martin découvre que tout le monde, au lieu de se montrer aimable et diplomate, dit ses quatre vérités à ses proches. Il pourrait s'offusquer, crier au scandale, mais le héros imaginé par Jean-Pierre Brouillaud est un homme « que la perspective d'une querelle effrayait au-delà de tout ».

Trop gentil

Martin Martin est trop gentil. Beaucoup trop timide. Un modèle de personnage fade et effacé. Mais pas bête pour autant. Juste attaché à une certaine tranquillité. En ce jour exceptionnel ou la franchise est gratuite et à volonté, il va prendre quelques initiatives, chose qu'il évite habituellement avec une extrême habileté.

Employé par une fausse maison d'édition pour lire des manuscrits systématiquement acceptés (en échange d'une participation financière de l'auteur de quelques milliers d'euros...), il est marié à une artiste peintre. Martin trouve ses toiles hideuses, mais n'ose pas lui dire et comme en plus elles se vendent... En ce jour étrange, son patron lui demande de véritablement juger les manuscrits et de les refuser s'ils sont mauvais. Mieux, de dissuader définitivement ces piètres écrivaillons de tenter une carrière dans les belles lettres. Chez lui, son épouse lui annonce tout de go qu'elle le trompe depuis des années avec un vigneron bordelais.

Face à tant de revirements, Martin se dit que c'est peut-être le moment de savoir enfin ce que les gens pensent de lui. Il ne sera pas déçu. Épouse, mère, amis : ils lui taillent un costard de première. L'auteur semble sans pitié pour son personnage. En fait c'est l'inverse.

Dans cette courte fable sur les mérites de la franchise en société, Jean-Pierre Brouillaud décrit un homme se contentant de peu. La simplicité s'approche souvent de la vérité. Et les faux-semblants sont le ciment de notre société. Pour preuve, à la fin de la journée, la franchise devenue mondiale, met le feu aux poudres. Le langage diplomatique a laissé la place aux invectives et les puissances nucléaires à deux doigts de déclencher le feu atomique contre le « cow-boy inculte et ces arriérés d'Américains » ou « les gesticulations du petit Français ». La situation est grave, le lecteur plié en deux de rire. La réflexion philosophique n'empêche pas la rigolade. D'autant plus quand c'est voulu.

« Martin Martin », Jean-Pierre Brouillaud, Buchet-Chastel, 13 €