Et si tout le monde disait exactement ce qu'il pensait ? Du jour au lendemain, le monde se transforme et une vaste pétaudière totalement invivable.
Esclandre chez le boucher. Roland Quinzebilles, commerçant prévenant, demande des nouvelles de la bavette achetée la veille par Mme Buie, une « fidèle entre les fidèles ». « Dure comme de la pierre, immangeable presque. Comme d'habitude ! » lui répond dans les dents la mamie. La scène se déroule sous les yeux de Martin Martin, employé discret dans une maison d'édition. Martin découvre dans cet échange vif le premier indice qui fera que cette journée ne sera pas tout à fait comme les autres.
Avant de rejoindre son travail, Martin fait un détour par son garagiste, Corydon Aiglefine. La voiture est en révision. Il la récupère avec des injecteurs neufs. Et une explication du mécanicien pleine de franchise : « Ils marchaient très bien vos injecteurs, mais de toute façon vous allez pas vérifier, vous y connaissez que dalle. » Et de terminer sa tirade en se justifiant : « Que voulez-vous, quand on trouve un gogo on va pas se priver. » Plus de doute, il se passe quelque chose.
Martin Martin découvre que tout le monde, au lieu de se montrer aimable et diplomate, dit ses quatre vérités à ses proches. Il pourrait s'offusquer, crier au scandale, mais le héros imaginé par Jean-Pierre Brouillaud est un homme « que la perspective d'une querelle effrayait au-delà de tout ».
Trop gentil
Martin Martin est trop gentil. Beaucoup trop timide. Un modèle de personnage fade et effacé. Mais pas bête pour autant. Juste attaché à une certaine tranquillité. En ce jour exceptionnel ou la franchise est gratuite et à volonté, il va prendre quelques initiatives, chose qu'il évite habituellement avec une extrême habileté.
Employé par une fausse maison d'édition pour lire des manuscrits systématiquement acceptés (en échange d'une participation financière de l'auteur de quelques milliers d'euros...), il est marié à une artiste peintre. Martin trouve ses toiles hideuses, mais n'ose pas lui dire et comme en plus elles se vendent... En ce jour étrange, son patron lui demande de véritablement juger les manuscrits et de les refuser s'ils sont mauvais. Mieux, de dissuader définitivement ces piètres écrivaillons de tenter une carrière dans les belles lettres. Chez lui, son épouse lui annonce tout de go qu'elle le trompe depuis des années avec un vigneron bordelais.
Face à tant de revirements, Martin se dit que c'est peut-être le moment de savoir enfin ce que les gens pensent de lui. Il ne sera pas déçu. Épouse, mère, amis : ils lui taillent un costard de première. L'auteur semble sans pitié pour son personnage. En fait c'est l'inverse.
Dans cette courte fable sur les mérites de la franchise en société, Jean-Pierre Brouillaud décrit un homme se contentant de peu. La simplicité s'approche souvent de la vérité. Et les faux-semblants sont le ciment de notre société. Pour preuve, à la fin de la journée, la franchise devenue mondiale, met le feu aux poudres. Le langage diplomatique a laissé la place aux invectives et les puissances nucléaires à deux doigts de déclencher le feu atomique contre le « cow-boy inculte et ces arriérés d'Américains » ou « les gesticulations du petit Français ». La situation est grave, le lecteur plié en deux de rire. La réflexion philosophique n'empêche pas la rigolade. D'autant plus quand c'est voulu.
« Martin Martin », Jean-Pierre Brouillaud, Buchet-Chastel, 13 €
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