lundi 30 avril 2012

BD - Crevettes de l'espace dans "Shrimp" chez Dargaud

Albert, cuisinier belge, est le roi du beignet de crevettes. Son restaurant ne désemplit pas. Heureux en affaires, malheureux en amour. Albert est pourtant amoureux. De Mia, une charmante jeune Chinoise, sa voisine. Parfois elle vient, elle aussi, déguster ces fameux beignets aux crevettes. Albert, ce soir-là, est prêt à lui déclarer sa flamme. Mais Mia n'est pas seule. Un certain Tchang l'accompagne. 

Et en écoutant leur conversation, Albert apprend qu'ils vont prochainement passer des vacances à Las Palmas, le paradis des crevettes. Cette petite romance part en vrille quand Albert parvient à dérober le billet de Tchang. Il embarque dans le paquebot devant rejoindre Las Palmas... et se retrouve propulsé dans l'espace pour un remake de la Grande Marche de Mao à destination de la planète Xing-Xiang.

Mathieu Burniat dessine cette fantaisie belge et décalée sur un scénario de Benjamin d'Aoust et Mathieu Donck, cinéastes dont Shrimp est la première incursion, très réussie, dans la BD.

« Shrimp » (tome 1), Dargaud, 11,99 € 

dimanche 29 avril 2012

Dalida, la légendaire, dans deux romans de David Lelait-Helo et Philippe Brunel

La chanteuse de variété dont on célèbre le 25e anniversaire de sa mort est au centre de deux romans faisant la part belle à sa personnalité torturée.

« Pardonnez-moi, la vie m'est insupportable. » Le 2 mai 1987, Dalida, mettait fin à sa carrière. A sa vie aussi. Mais la chanteuse de variétés était-elle encore véritablement vivante ? Ne jouait-elle pas un rôle depuis des années ? Alors que les hommages vont se succéder à la télévision (ses tubes semblent indémodables, elle est une valeur sûre d'une certaine nostalgie-refuge), deux romans reviennent sur le côté obscur de la diva aux robes constellées de paillettes. Deux romans où la mort est omniprésente. Une constante dans le parcours de Iolanda Gigliotti, dite « Dalida ».

Dernier dialogue

« C'était en mai, un samedi » de David Lelait-Helo imagine les dernières heures de Dalida. Il raconte sa détermination, sa méticuleuse préparation, mais imagine aussi qu'avant de passer à l'acte, elle a tenté une dernière fois de se raconter. Dans sa chambre obscure, avec alcool et médicaments à portée de main, elle compose un numéro au hasard. Sophie, dans sa maison de Sologne, décroche.

Le romancier imagine ce dialogue entre une Dalida heureuse d'être enfin anonyme et cette femme, récemment divorcée, écorchée vive après la trahison de son mari, le père de ses enfants.

Ce roman est magique car tout en faisant découvrir la vie passionnée de la chanteuse populaire, il met dans la bouche de la principale intéressée des regrets, des aveux, qui la rendent beaucoup plus humaine que l'image froide d'une diva pour papier glacé.

A Sophie, sans dévoiler sa véritable identité, elle va raconter comment tous les hommes qu'elle a aimés, elles les a quittés, comment ils sont tous morts, suicidés. Lucien Morisse, Luigi Tenco, le comte Richard de Saint-Germain... « J'ai toujours cherché l'amour sans jamais, je crois, le trouver vraiment » confie-t-elle à Sophie. « En fin de compte il y avait toujours un creux en moi, comme une béance d'amour, je dirais. J'ai toujours quitté les hommes, persuadée que quelque chose de plus grand et de plus beau m'attendait ailleurs. Je crois que j'ai cherché quelque chose qui n'est pas de ce monde... » Tragique destinée pour une femme, une artiste, toujours dans la lumière alors que son âme sombrait dans des noirceurs absolues. Sophie va tenter de la sauver, de lui redonner le goût de vivre. En vain. Toute souffrance doit cesser un jour. Même Sophie le reconnaîtra 25 ans plus tard.

Suicide à San Remo


Philippe Brunel aussi revient sur les zones d'ombre de la carrière de Dalida, notamment en janvier 1967, au festival de la chanson de San Remo. Dalida y interprète une chanson de Luigi Tenco, son amant du moment. Après le gala, Dalida reste au repas, Luigi retourne à son hôtel. Et se suicide d'une balle dans la tête. « La nuit de San Remo » est entre enquête journalistique (l'auteur se met en scène, des années plus tard, à la rencontre des rares survivants) et réflexion sur la non-reconnaissance du créateur. Il raconte aussi cette romance improbable entre « la diva consacrée des prime time » et « le jeune auteur compositeur engagé, confiné aux cabarets ». « Mais les contraires s'attirent. Dalida est séduite, bluffée par son éthique, son intransigeance. Tenco est un rêveur irrécupérable mais comme elle le dira plus tard, « il était mon instinct, ma vocation musicale ». Et sa chanson la touche. » Décomposée par ce suicide spectaculaire, Dalida tentera de le rejoindre dans la mort quelques jours plus tard. Une première tentative. Avant d'autres. Et la bonne, le 2 mai 1987.

« C'était en mai, un samedi », David Lelait-Helo, Anne Carrière, 17,50 € (également disponible en poche chez Pocket)

« La nuit de San Remo », Philippe Brunel, Grasset, 16 € 

samedi 28 avril 2012

BD - Redécouvrir l'oeuvre de Will pour les adultes


Le dessinateur Will, après des décennies à animer les aventures de Tif et Tondu (le dernier tome de l'intégrale vient de sortir), a radicalement changé de genre. Sur des scénarios de Desberg, il s'est plongé dans la BD adulte. 

Ses femmes, aux courbes irréelles et si explicites, se dénudaient régulièrement dans « Le jardin des désirs ». Un essai transformé dans deux autres récits repris dans ce copieux album de plus de 208 pages. 

Passant à la couleur directe, il a mis en scène quelques-uns de ses tableaux qui ne quittaient malheureusement pas son atelier. Sensuels et libertins, ces contes modernes n'ont pas pris une ride et le dessin de Will reste le summum de ce qui se faisait dans le style franco-belge.

« Trilogie avec dames », Dupuis, 30 € 

vendredi 27 avril 2012

BD - Courts et violents, seconde dose de Doggy Bags chez Ankama


Seconde livraison de Doggy Bags, revue animée par le scénariste Run. Sous la forme d'un comic, on retrouve dans ces 120 pages trois récits courts ayant en commun érotisme et violence. Le premier, écrit par Ozanam et dessiné par Kieran, est le plus extrême. Elwood, le héros, un Texan attardé, extermine toutes les femmes qu'il croise à coups de pelle, persuadé qu'elles sont une avant-garde d'aliens chargés d'envahir la terre.

La seconde histoire, dessinée par Singelin, se déroule en plein désert. Des néo-nazis espèrent tirer sur des clandestins. Ils tombent sur plus méchant qu'eux.

Enfin, l'histoire du Vol Express 666 de Mathieu Bablet est la plus violente. Elle est pourtant tirée d'un fait divers réel. Âmes sensibles s'abstenir.

« Doggy Bags » (tome 2), Ankama, 13,90 € 

jeudi 26 avril 2012

BD - Amours temporelles entre Steve et Angie d'Antoine Perrot


Finalement, être un spécialiste de la pêche à la mouche quand on se retrouve naufragé temporel à la Préhistoire a du bon. Steve, au moins, ne mourra pas de faim. Enfin s'il arrive à échapper aux grandes dents des nombreux dinosaures se délectant du goût, très nouveau, de la chair des humains. Steve n'est pas seul perdu dans le temps. Il est en compagnie de la charmante Angie. Mais cette chercheuse en cosmétiques n'est pas du tout armée pour faire face à la situation. Steve va donc la prendre sous son aile et les rapports, assez conflictuels dans le premier album, vont s'adoucir dans le second.

Antoine Perrot, le scénariste et dessinateur de cette fantaisie parfaitement dans l'esprit de la collection Poisson Pilote, soigne l'évolution de ce tête à tête. Mais n'en oublie pas pour autant l'autre volet de l'histoire : actuellement et dans le futur, entre chasseurs d'esclaves et paysans décérébrés experts du maniement de la tronçonneuse. Imaginatif, décalé et romantique, un album riche en émotions.

« Steve et Angie » (tome 2), Dargaud, 11,99 € 

mercredi 25 avril 2012

Polar - Règlements de contes, à la moulinette, par Nadine Monfils

Tous plus dingues les uns que les autres, les personnages du roman de Nadine Monfils séduisent malgré leur monstruosité.

Entre polar, thriller sanglant et délire surréaliste, ce nouveau roman de Nadine Monfils confirme l'incroyable talent de cet auteur belge vivant à Montmartre. La littérature francophone privilégie en général les gens « normaux » aux cas sociaux. Chez elle, on retrouve dans ses personnages une outrance rare. Son style a des airs de San-Antonio ou des dialogues d'Audiard. Mais c'est avant tout du Nadine Monfils, totalement barré, un peu poétique et franchement abracadabrantesque.

Les premières pages du roman, d'une façon tout à fait classique, nous permet de faire connaissance avec les différents protagonistes. Nake en premier lieu. Une jeune femme, droguée, capable de se prostituer pour se payer ses doses. Justement elle est en pleine transaction avec un client. Louche le client. Nake lui plante un couteau dans le ventre et déguerpit. Place ensuite à Mémé Cornemuse. Elle décroche haut la main le pompon dans la catégorie iconoclaste. Cette presque centenaire, « espèce de vieille guenon à casquette armée d'un flingue », surprend un couple en pleins ébats dans les dunes. Elle veut participer. Refus de la dame. Pan ! Une balle dans la tête pour la mégère pas partageuse. Mémé Cornemuse revient régulièrement dans le récit, toujours avec des réactions extrêmes et des attitudes libidineuses.

Michou ou Betty ?

Le côté policier du récit est fourni par l'inspecteur Cooper et son coéquipier Jean-Michel. Un vieux flic bourru et un jeune diplômé. Le premier est de la vieille école, le second plus en adéquation avec l'univers de Nadine Monfils. Jean-Michel préfère qu'on l'appelle Michou, a les airs efféminés de l'homosexuel qui s'assume et devient carrément Betty en dehors de ses heures de service. Betty, danseuse dans une boîte de strip tease, qui elle aussi vend son corps pour arrondir les fins de mois. Elle joue aussi à dealer un peu. Notamment à Nake. La boucle est bouclée, les nez bien remplis.

Tous ces fous en liberté évoluent dans la ville imaginaire de Pandore, cité inspirée d'un tableau de Magritte. Pandore a peur. Un tueur en série sévit depuis quelques jours. Il assassine des fillettes ou des jeunes femmes, transforme les scènes de meurtres en reconstitution de contes de Perrault. Après le petit chaperon rouge les fesses à l'air et une patte de chat dans la bouche, c'est le Petit Poucet qui est retrouvé égorgé puis Blanche Neige pas en meilleur état...

Ces crimes mystérieux donnent du fil à retordre à Cooper. Heureusement il reçoit l'aide de Mémé Cornemuse venue renforcer son équipe. Car cette fan d'Annie Cordy – son truc c'est de tchatcher avec un Jean-Claude Van Damme imaginaire - s'impose de force au commissariat et se fait plein d'amis dans la fonction publique en échange de quelques gâteries savamment distillées...

Alors qui est le tueur ? Pourquoi Perrault ? Quel rapport avec Nake qui n'a jamais connu son père ? Mémé Cornemuse parviendra-t-elle à faire changer les orientations sexuelles de Jean-Michel ? Cooper peut-il tomber dans les bras de Betty ? Et qui sont ces hommes à chapeau melon ne sortant que la nuit ? Ce n'est qu'un petit échantillon des nombreuses questions rythmant ce roman gigogne, sans morale mais bardé d'humour. Ubuesque.

« La Petite Fêlée aux allumettes », Nadine Monfils, Belfond, 19 € 

mardi 24 avril 2012

BD - "Mary Kingsley" : une vie d'exploratrice chez Glénat


Nouvelle collection pour les éditions Glénat. « Explora » entraîne les lecteurs dans le sillage des grands découvreurs de notre planète. Des BD dépaysantes et pleines d'aventures. Deux titres pour l'inaugurer : « Magellan » et « Mary Kingsley ». Si le navigateur est mondialement connu, le parcours de l'exploratrice anglaise est plus discret. Après une enfance sage et les dix premières années de sa vie d'adultes à s'occuper de sa mère malade, Mary Kingsley a profité de la mort de ses parents pour partir en Afrique noire.

Seule, en robe victorienne et protégée du soleil par une élégante ombrelle, elle va s'enfoncer dans la forêt équatoriale du Congo. Elle vivra avec les Fangs, une tribu de cannibales. Elle en tirera des livres qui seront des succès de librairie. Dix années durant elle les défendra, étudiera leurs coutumes et tentera de sauver leur civilisation.

Cette vie d'aventure est dessinée par Julien Telo sur un scénario de Mathieu et Dorison. Un dossier historique élaboré par Christian Clot complète la BD.

« Mary Kingsley », Glénat, 14,50 € 

lundi 23 avril 2012

BD - Le dernier rempart ? Super Patriote !


Robert Kirkman, le scénariste de Walking Dead, la série fantastique vedette de ces dernières années, fait aussi dans le super héros. Avec son humour décalé habituel. Pour le dessinateur Cory Walker, il a imaginé des aventures de Super Patriote, un personnage apparu dans les pages de Savage Dragon. Super Patriote est un soldat américain blessé par les nazis, puis soigné et amélioré. Depuis, ses bras bioniques font des ravages dans les rangs des méchants. Mais l'intérêt de cette BD réside surtout dans le côté humain du personnage. 

Super Patriote est le père de Justice, grand benêt encore très gamin et Liberty, une femme de tête résolument indépendante. Le fils est tellement idiot qu'il donne tout son charme à ce comic hors normes. D'autant que Super Patriote n'est pas de bois. Il tombe sous le charme d'une jeune journaliste dont il pourrait être le père... Conséquence, les combats semblent être de simples entractes dans ces histoires de famille contrariées.

« Super patriote » (tome 1), Delcourt, 14,95 € 

dimanche 22 avril 2012

BD - Le Spirit, Doc Savage, Batman : Héros de légende dans "First Wave"


L'extraordinaire richesse du monde des comics américains permet toutes les combinaisons possibles. Exemple avec « First Wave », série écrite par Brian Azzarello et dessinée par Rags Morales et Phil Noto. Il s'agit de narrer la rencontre entre trois légendes de la BD US : Doc Savage, Batman et The Spirit. 

Si Doc Savage est déjà l'homme de bronze, implacable, droit et quasiment sans défaut, Batman n'est pas encore au faîte de sa gloire. Le jeune super héros se cherche encore. Il semble déjà désabusé, comme submergé par l'ampleur de sa tâche. Quant au Spirit, le « justicier masqué » imaginé par Will Eisner, il est fidèle à sa légende, dilettante mais vite énervé. Le Spirit, revenu d'entre les morts, ancien flic, devenu gardien de cimetière et justicier la nuit. 

Le trio dans ce premier tome composé de quatre histoires, va se trouver mêlé à un trafic de cadavre et affrontera de redoutables mercenaires. Machination et action vous sautent au visage au fil de ces 136 pages nerveuses.

« First Wave » (tome 1), Ankama éditions, 14,90 € 

samedi 21 avril 2012

BD - Les politiques du pire dans « Sarkolanta » chez Jungle


Vous n'êtes pas sans savoir que 2012 est une année électorale. La présidentielle a suscité pléthore de livres, des plus sérieux aux plus drôles. Dans cette dernière catégorie, « Sarkolanta, les naufragés » est très réussi. Les auteurs ont imaginé le crash d'un avion sur une île déserte. A son bord toute la classe politique française. Face à l'adversité, chacun va réagir en fonction de ses opinions politiques. 

Les ficelles sont parfois grosses, mais on rit bien quand même. Honneur au sortant (et au plus facile à caricaturer) : Sarkozy se taille la part du lion dans ce recueil de gags et d'histoires courtes. Il est vrai que l'imaginer dans une nature hostile, sans gardes du corps et militants à son service, est en soi une incroyable fiction. Et les piques sont légion au fil des pages, comme quand il se met à boiter : « cheville foulée, je n'ai plus l'habitude de marcher sans talonnettes... »

François Hollande en prend aussi pour son grade, d'autant qu'il doit de nouveau cohabiter avec une Ségolène Royal toujours aussi déjantée. Gaston (scénario) et Bart (dessin) dépoussièrent la BD politique.

« Sarkolanta », Jungle, 10,45 € 

vendredi 20 avril 2012

Thriller - "Saigne pour moi" : manipulateurs et tueurs

Certains meurtriers, avant de passer à l'acte, ont besoin de dominer leur victime. Des manipulateurs décrits dans ce thriller de Michael Robotham.


Période critique s'il en est, l'adolescence est également le moment de tous les dangers. Esprit rebelle mais aussi malléable. Certains l'ont parfaitement compris. Des prédateurs, manipulateurs, parfois violeurs et tueurs. Ils sont d'autant plus dangereux qu'ils cachent parfaitement leur jeu. Dans ce cas, seul un fin psychologue saura déceler leur véritable personnalité. Un expert comme Joe O'Loughlin, le héros de « Saigne pour moi », un thriller signé Michael Robotham.

Joe, en instance de divorce, conserve de très bonnes relations avec sa femme et ses deux filles. Emma, la petite dernière et Charlie, une adolescente de plus en plus secrète. Elle se confie beaucoup plus à sa meilleure amie, Sienna, qu'à ses parents. Sienna passe souvent la nuit chez Charlie. C'est donc naturellement là qu'elle vient se réfugier quand elle découvre son père mort, égorgé, dans sa chambre. Sienna devient la première suspecte quand la police apprend que son père abusait d'elle.

Personnages complexes

Certes elle le détestait, mais elle crie son innocence. Elle a vu quelqu'un s'échapper de la chambre. Et paniquée a pris elle aussi la fuite. Joe est bien le seul à la croire. Mais il connait bien cette jeune fille. Le soir même, en compagnie de Charlie, c'est lui qui l'a raccompagnée à la sortie de l'école. Sienna et Charlie, inséparables, participent toutes les deux à la comédie musicale de fin d'année. Elles sont presque en compétition pour le premier rôle. Ce sera le professeur d'art dramatique, Gordon Ellis qui aura le dernier mot. Tout est remis en cause avec le drame touchant Sienna. Cette dernière craque et tente de se suicider. Pour la police, cela a presque valeur d'aveu...

Toute la force de ce thriller est dans la minutie prise par Michael Robotham à dresser les portraits des différents protagonistes. Chaque personnage est criant de vérité. Multiple aussi. Chez cet auteur américain, résidant en Australie et dont les romans se passent en Angleterre, le manichéisme est une pure invention de l'esprit. L'humain est complexe. Très complexe.

Joe par exemple, malgré sa formation de psychologue, est au bord du gouffre. Il souffre de la maladie de Parkinson, parvient de moins en moins à contrôler son corps. Résultat il a les nerfs à vifs. Quand quelqu'un prétend être l'amant de sa fille, il réagit avec brutalité.

La commissaire qui mène l'enquête est elle aussi peu banale. Grosse, négligée et ouvertement homosexuelle, elle est pourtant une parfaite meneuse d'hommes. On rencontre également au fil de l'intrigue un militant d'extrême-droite suspecté d'avoir mis le feu à un bâtiment abritant des immigrés, une conseillère d'orientation sexy et provocante, un ancien flic porté sur la bouteille mais toujours prêt à rendre service et le mystérieux « pleureur », un homme taciturne avec des larmes tatouées sous les yeux.

Richesse des personnages, richesse des rebondissements : le lecteur en a pour son argent. Et surtout il est happé par cette enquête, de plus en plus inquiet, aux côtés de Joe, pour ces adolescentes, proies si faciles pour ce prédateur et manipulateur qui n'en est pas à son coup d'essai.

« Saigne pour moi », Michael Robotham, Lattès, 22,50 € 

jeudi 19 avril 2012

BD - Soldats de la liberté dans "Airborne 44" de Jarbinet


La Normandie, été 1944. Les forces américaines viennent de débarquer. Les pertes sont considérables. Les Allemands jettent leurs dernières forces dans la bataille. Ils savent qu'en cédant la France, c'est toute la guerre qu'ils sont en train de perdre. Philippe Jarbinet, loin du récit didactique, nous fait vivre cette offensive de l'intérieur en suivant un soldat, Gavin, et la femme qu'il aime, une Française engagée dans la Résistance, Joanne. 

Une histoire d'amour comme pour mieux faire passer ces dizaines de morts et de blessés, exorbitant prix à payer pour la liberté. Avec au final un hymne sincère pour l'Europe, la paix et la tolérance. Une BD pour ne pas oublier, garde-fou contre la folie de certains hommes.

« Airborne 44 » (tome 4), Casterman, 11,95 € 

mercredi 18 avril 2012

BD - Intrigues romaines autour des "Boucliers de Mars"


Rome, ses intrigues et sa décadence sont au centre des « Boucliers de Mars », série historique due à la conjugaison des talents de Gilles Chaillet et Christian Gine. Le premier nous a quittés l'an dernier. Mais Gine entend achever cette histoire prévue en trois tomes. Le second vient de paraître et confirme le talent de conteur de Chaillet (créateur du personnage de Vasco). 

Les boucliers sont au nombre de douze et sont censés prévenir l'empire romain des périls le menaçant. Des boucliers dérobés, signe que les Parthes (les ennemis du moment) bénéficient de complicités au plus haut sommet de l'Etat. Un centurion, Lucius, et un préteur urbain, Hadrien, sont au centre de l'intrigue. Une leçon d'Histoire passionnante, digne des meilleurs Alix.

« Les boucliers de Mars » (tome 2), Glénat, 13,90 € 

mardi 17 avril 2012

BD - Cargo maudit pour le 10e épisode de Tramp de Kraehn et Jusseaume


Retour à terre pour Yann Calec. Après des aventures en Indochine, le jeune capitaine de cargo se met à son compte. Il vient de racheter un navire au Havre et est en train de former son équipage. Il naviguera sous pavillon libérien, une initiative qui n'est pas du goût des syndicalistes français. Mais le véritable problème semble être la malédiction frappant le navire. Un incendie l'a immobilisé et un meurtre est commis à son bord.

Le dessin de Patrick Jusseaume est toujours aussi racé et élégant. Le scénario de Kraehn est dense, ramassé. Un seul tome pour cette histoire se déroulant en France dans le milieu des dockers des années 50. Une série au long cours incontournable qui s'offre comme une pose avec l'histoire de ce « Cargo maudit ».

« Tramp » (tome 10), Dargaud, 13,99 € 

lundi 16 avril 2012

Roman - La petite « boche » racontée par Nathalie Hug

Dans « La demoiselle des tic-tac », Nathalie Hug raconte le quotidien d'une famille allemande en Lorraine, avant, pendant et après la guerre.

« 
Vivre à la cave, au début, c'était l'aventure, un déménagement de plus, une nouvelle vie. A présent, je n'ai qu'une hâte : que M. Hitler gagne enfin la guerre pour que nous sortions de ce trou ». Fin 1944 dans ce village français de Moselle, la jeune Rosy est encore pleine d'illusions. Allemande, élevée dans le culte du Führer, elle croit encore qu'il va renverser la situation, redevenir l'homme fort qu'on lui a appris à vénérer. Rosy est Allemande, mais une partie de sa famille est restée en Moselle, redevenue française après 14 – 18. Dans le village, avec sa mère, la vie est dure. Ce sont « les sales boches » et mieux vaut qu'elles rasent les murs. Pendant l'occupation, elles goûteront cette nouvelle atmosphère mais ce sera de courte durée. En 1944, l'armée américaine progresse et les bombardements sont incessants. C'est aussi pour cela qu'elle vit avec sa mère Mutti dans la cave. Il existe bien des abris, mais en tant que « boches », elles sont personna non grata.

Dans cette cave, qu'elle ne quittent plus que la nuit, elles doivent cohabiter avec des rats et les araignées. Ce sont ces dernières qui terrorisent le plus Rosy. Notamment celles qui ont de très grandes pattes. Les tic-tac comme les surnommait son oncle.

Ensevelie

Second roman en solo de Nathalie Hug, « La demoiselle des tic-tac » est l'histoire poignante d'une jeunesse volée. Martyrisée par sa mère, détestée de sa grand-mère, sans père, Rosy ne trouve du réconfort qu'en compagnie d'Andy, un gamin, son seul ami.

Le roman alterne retours en arrière et scènes actuelles. Rosy et Mutti étaient dans la cave quand un obus frappe la maison de plein fouet. Tout s'écroule. Rosy est seule dans le noir, blessée. Bientôt sans eau. Pour tenir, elle se souvient des rares bons moments et les fait partager au lecteur. Le présent est impitoyable mais elle veut encore y croire. « Je m'autorise un sourire, histoire de profiter de ce bonheur minuscule avant de le ranger dans mes autres jardins pour le revivre, quand le soleil de ma rue fera éclore les fleurs au lieu d'abîmer les morts et que les herbes folles combleront les cratères. Ça ne peut pas être la guerre tout le temps. » Rosy va passer de longs jours enfermée dans la cave effondrée. Mais elle ne sera pas seule, le lecteur sera à ses côtés, vivant avec elle son affaiblissement inéluctable.

C'est dans cette partie, celle de l'enfermement inexorable, que l'on retrouve le style de Nathalie Hug, habituée à écrire des thrillers avec Jérôme Camut. Mais pour tout le reste du roman, on se croirait parfois dans ces romans de terroir historiques fleurant bon la tradition. Heureusement, le personnage de Rosy a quand même beaucoup plus d'épaisseur qu'une petite héroïne avec accent. Son récit vous émouvra car les victimes de la guerre ne choisissent jamais leur camp.

« La demoiselle des tic-tac » de Nathalie Hug, Calmann-Lévy, 15 €

dimanche 15 avril 2012

BD - Cyril Bonin dessine une image transparente


Cyril Bonin, après des années d'apprentissage sur les scénarios des autres (Fog avec Seiter, Quintett avec Giroud), a fait le grand saut de l'auteur complet. Il écrit des histoires parfaitement adaptées à son style de dessin, élégant, discret, tout en ambiances. « L'homme qui n'existait pas » fait penser à une nouvelle de Marcel Aymé. Un jeune homme, programmateur informatique, passionné de cinéma, est allergique aux gens. Il les fuit. 

Tant et si bien qu'un jour, en sortant d'un cinéma, il s'aperçoit qu'il a perdu toute consistance physique. Tel un fantôme impuissant, les gens ne le voient plus et lui ne peut plus agir sur la réalité. Errant dans Paris, sa passion du cinéma va le conduire sur un tournage au Champ de Mars. Il va alors constater qu'il arrive, progressivement cette fois, la même chose à l'actrice principale.

Une très belle fable sur la place de tout un chacun dans la société, sur le choix de la solitude et de l'importance de notre rapport aux autres.

« L'homme qui n'existait pas », Futuropolis, 16 € 

samedi 14 avril 2012

BD - Armes secrètes et uchronies : Wunderwaffen chez Soleil


Et si le débarquement en Normandie n'avait pas été un succès en 1944 ? C'est en réécrivant cette ligne de l'Histoire que Richard D. Nolane a imaginé une série militaire et guerrière hors du commun dessinée par Maza. Donc la guerre est plus longue que prévue. Les Nazis ont eu le temps de développer des armes secrètes pour contrer les bombardements alliés. Les avions à réaction sont au point et leur donnent une suprématie des airs. Aux commandes d'un Lippish P13, premier chasseur en forme d'aile delta, le major Munau accumule les victoires. Surnommé le Pilote du diable, il n'est pourtant pas en odeur de sainteté parmi les dirigeants allemands. Hitler en personne le déteste, le suspectant d'être juif.

A Londres, le général de Gaulle est toujours en exil et a un atout dans sa manche, un prisonnier français ayant travaillé sur les prototypes allemands avant de parvenir à s'évader. Le premier tome plante le décor et les personnages. Parfois avec un peu trop d'admiration pour la technologie nazie. Mais on devine en filigrane que le pire se passe à Auschwitz, dans ce camp qui ne fume plus mais qui fait toujours aussi peur.

« Wunderwaffen » (tome 1), Soleil, 14,30 € 

vendredi 13 avril 2012

BD - Art à déguster par Cornette, Frissen et Witko



Dans le genre déjanté, « Lard moderne », premier tome des aventures d'Alexandre Pompidou, écrase tous ses concurrents. Les deux scénaristes, Jean-Luc Cornette et Jerry Frissen semblent s'être renvoyé la balle pour compliquer des situations déjà sévèrement alambiquées. 
Alexandre Pompidou, fils de boucher, est très fier d'avoir obtenu son diplôme des Beaux-Arts. Il est un artiste et veut le prouver immédiatement au monde entier en exposant dans la célèbre galerie Aurochs-Lascaux. Mais il va multiplier les maladresses, vexant la fille du richissime galiériste et manquant de tuer sa femme en la faisant poser nue dans la chambre froide de la boucherie transformée en atelier.
Les péripéties se poursuivent en Tunisie, dans les piscines des hôtels de luxe et les souks. Witko, le dessinateur, est moderne et classique dans son trait, juste ce qu'il faut pour servir l'histoire sans trop la rendre banale. Souvent absurde, il y a quand même une réelle réflexion sur l'art contemporain et l'ego surdimensionné d'artistes ayant encore tout à prouver.

« Alexandre Pompidou » (tome 1), Le Lombard, 12 €

jeudi 12 avril 2012

BD - "Insane" de Le Galli et Besse : lignée de psychopathes



Ambiance lourde et sanglante tout au long des 48 pages de « Insane », récit complet écrit par Michaël Le Galli et dessiné par Xavier Besse. Beaucoup de meurtres et de cadavres parsèment cette histoire se déroulant en Louisiane entre les deux guerres. Betty, une fillette internée dans une clinique psychiatrique, s'évade grâce à Clarence, un dandy obèse. Ce drôle de couple part à la rencontre du père de Betty. John Kettenbach est un meurtrier. Il vient de sortir de prison. Betty, petite fille candide, aux prises à des crises de délires, est très impatiente de rencontrer cet homme qui a abandonné sa mère dès qu'il a su qu'elle était enceinte. Clarence de son côté joue un jeu plus trouble. Il a déjà croisé la route de John. C'est lui qui a égorgé ses parents. Mais il ne lui en veut pas.
 Assistant aux crimes, il y a pris du plaisir et est même devenu un tueur lui aussi... Que va-t-il se passer quand les trois vont de retrouver ? C'est tout l'intérêt de cette BD aussi affûtée qu'une lame de rasoir.

« Insane », Casterman, 13,95 €

mercredi 11 avril 2012

BD - Un Dieu parasite règne dans "Le livre de Skell" de Mangin et Servain



Skell est une exécutrice. Elle est chargée de tuer les hérétiques qui refusent de se dévouer au dieu Steh-Vah. Entre fantastique et science-fiction, cette BD écrite par Valérie Mangin et dessinée par Servain, plonge le lecteur dans un monde totalement dominé par la religion. Un culte aliénant, passant par la greffe à l'arrière du crâne, d'une sorte de parasite censé faire partie du dieu. Les hérétiques, pour abolir son influence, boivent une drogue permettant de retrouver son libre contrôle. Skell vient de remporter une bataille contre Azolah et ramène le coffre maudit contenant des livres que les prêtres ont condamné. 
Mais les cauchemars de Skell sont de plus en plus fréquents. Elle va sans même s'en apercevoir basculer du côté des hérétiques et faire une découverte sidérante. Une série permettant à Servain de développer un monde nouveau et cohérent. Son imagination alliée à son trait font des merveilles.

« Le livre de Skell » (tome 1), Soleil Quadrants, 13,95 €

mardi 10 avril 2012

BD - Lutte de magiciens dans Black Stone de Corbeyran et Chabbert


Fin du 19e siècle à Paris. Dans une roulotte misérable, trois amis tentent de survivre grâce à l'habileté de leurs mains. Nelson et Jacques sont des magiciens. De ces tricheurs qui font disparaître les pièces ou mélangent les cartes à leur convenance. Nelson, désespéré de ne pas rencontrer le succès qu'il estime mériter, abandonne Jacques et part à Londres avec sa fiancée, Jenny. C'est sur scène qu'un événement va faire basculer leurs vies. Nelson fait véritablement disparaître un enfant. A la place il trouve une pierre noire aux pouvoirs magiques. Presque lynché par le public, il parvient à s'enfuir et recommence à zéro en Amérique. Mais seul car Jenny est restée aux mains des policiers et est condamnée. Corbeyran signe une nouvelle histoire très originale, totalement différente de ses scénarios précédents. Au dessin on retrouve Chabbert, un complice habituel avec qui il a déjà signé une partie de Uchronie(s).

« Black Stone » (tome 1), Glénat, 13,90 €

lundi 9 avril 2012

BD - Le choix de l'enfer expliqué par Olivier Grenson au Lombard



La guerre de Corée a laissé beaucoup moins de traces dans l'Histoire des USA que celle du Vietnam. Pourtant elle a elle aussi profondément blessé des familles. Olivier Grenson a placé cette guerre oubliée au centre de ce diptyque où il assure pour la première fois, scénario et dessin. Dans cette seconde partie, on retrouve Billy Summer, un jeune Américain, parti en Corée du Sud récupérer les restes de son grand-père disparu au cours des combats durant les années 50. Mais Billy va découvrir que le récit officiel n'est que mensonge. 
Un mystérieux vieillard lui donne rendez-vous dans la zone tampon entre les deux Corée. C'est là qu'il va apprendre la trahison du soldat américain, devenu un cacique du pouvoir dictatorial après s'être remarié avec une jeune Coréenne.
Ce roman graphique, alternant moments de tension en tête à tête et grand espaces de la fuite, est une passionnante réflexion sur le souvenir, la fidélité et le renoncement. Une belle parabole sur la deuxième chance.
« La douceur de l'enfer » (tome2), Le Lombard, 16,45 €

dimanche 8 avril 2012

Billet - Un exercice de style "made in internet"


« Dans l'S, à une heure d'affluence, cet autobus n'avait pas du tout la rapidité des autoroutes de l'information surfant sur les réseaux en fibre optique. Au contraire, il faisait penser à un minitel démodé avec sa plateforme. Un passager, vieux geek de 23 ans, au long cou et chapeau mou, tel une caricature des Sim's, s'énerve. A chaque arrêt, son voisin le dérange. Une scène cocasse, vue plusieurs milliers de fois sur Youtube grâce à la caméra de vidéosurveillance du transport en commun. Finalement, il change de place avec précipitation, comme d'autres migrent d'Orange à Free appâtés par la nouveauté. Deux heures plus tard, on le retrouve sur un site de discussion en ligne. Il utilise son smartphone. La géolocalisation permet de savoir qu'il est devant la gare Saint-Lazare, cour de Rome exactement (Latitude : 48.8757482, Longitude : 2.3247553). Sur un forum consacré à la mercerie, il parle chiffons avec un ami rencontré sur Facebook. Faut-il mettre un bouton supplémentaire à son pardessus ? Il pose la question à la cantonade, attend les réponses de connectés. Un des abonnés à son compte Twitter publie une photo pour qu'il voie exactement où rajouter ce bouton (à l'échancrure) et pourquoi. »

Le vendredi 13 avril est parue une nouvelle édition des «Exercices de style» de Raymond Queneau dans la collection Folio qui fête ses 40 ans. Cette chronique, parue en dernière page de l'Indépendant, est un hommage à ce chef-d'oeuvre de la littérature française.

samedi 7 avril 2012

BD - "Paradise Island", une île triple X


Tout le monde rêve, un jour, de gagner un voyage tout frais payer vers une destination exotique. Tom et Chloé, en participant à une émission télé, ont la chance de remporter un séjour sur Paradise Island, « une ode aux cinq sens ». Arrivés sur place, le jeune couple découvre une île où tout est permis. Un royaume du libertinage et de l'échangisme. 

Un peu réticents au début, ils vont se laisser prendre par l'ambiance et découvrir de nouvelles expériences. Mais à quel prix au final ? Cela débute comme une BD classique, aux dessins léchés et aux filles pleines de classe. Mais rapidement cela prend une tournure beaucoup plus osée avec des images d'un réalisme très cru. 

Cette histoire de Lu Ping, dessinée par Teufel, est strictement réservée aux adultes.

« Paradise Island », Drugstore, 15,50 € 

lundi 2 avril 2012

Thriller - Les maladies de l'Afrique dans "Les fantômes du delta" d'Aurélien Molas

Plongée dans l'Afrique contemporaine, celle des famines, des réfugiés, des politiques corrompus et des humanitaires avec « Les fantômes du delta ».

Une catastrophe écologique et humanitaire est en cours en Afrique. De tous les pays à l'agonie, le Nigeria a pourtant nombre d'atouts. Mais l'exploitation à outrance de ses richesses, naturelles et humaines, condamne ce géant. Ce cauchemar est au centre du second roman d'Aurélien Molas, jeune écrivain français. « Les fantômes du delta » plonge le lecteur dans cette Afrique où vivre est parfois si compliqué que la mort fait figure de délivrance, presque de chance. Remarquablement documenté, ce thriller suit le parcours de Benjamin, médecin français et Megan, infirmière américaine. Après des vies chaotiques dans leurs pays respectifs, ils ont fait le choix de l'humanitaire. Pour Médecins sans frontières, ils tentent de parer au plus pressé face à une catastrophe humanitaire sourde et implacable.

Pollution et misère
Le Nigeria souffre de sa richesse en pétrole. Le delta du Niger est surexploité. Des dizaines de plateformes pour extraire cet or noir pouvant se transformer en cauchemar. Les fuites incessantes ont transformé cette zone humide en véritable bouillon de culture invivable. C'est dans ce delta, là où les pêcheurs ne peuvent plus attraper que des cadavres de poissons, que la rébellion a pris naissance. Le MEND (Mouvement d'émancipation du delta) réclame une meilleure répartition des richesses. Et pour se battre efficacement, il faut des fonds.

Le roman débute par une opération commando dans un hôpital. Alors que Benjamin est en train de faire une inspection des conditions de vie des enfants, des hommes armés investissent les lieux. Ils sont à la recherche d'une petite fille, Naïs, supposée leur rapporter des millions de dollars.

Une fillette que Benjamin avait rencontré quelques minutes plus tôt, dans une chambre à l'écart. « Ses yeux noirs le fixaient avec une intensité peu commune chez une enfant de cet âge ». « Il remarqua la perfusion dans son bras et l'appareil à dialyse rangé dans un coin de la chambre ». Benjamin est intrigué par cette enfant qui a épinglé sur le mur ses dessins. « Quelque chose de malsain suppurait de ces gribouillis, comme si les émotions emprisonnées sous les traits figés de la fillette avaient jailli pêle-mêle sur le papier avec une brusquerie hystérique. » Durant quelques semaines, Benjamin va vivre près de Naïs car il est enlevé avec elle par les révolutionnaires. C'est un des attraits de ce roman, sans temps mort, mais se permettant quand même d'approfondir les profils psychologiques des différents personnages.

Camp de réfugiés
Megan, intervient en cours de roman. Elle a quitté son confort américain pour tenter de donner un sens à son métier d'infirmière. Pour oublier ses plaies aussi. Quand elle débarque dans ce camp de réfugiés, le décor est encore plus abominable qu'elle ne le redoutait. « Le choc fut violent, bien plus intense que ce qu'elle avait imaginé. Et durant les dix premières minutes, Megan se demanda si sa venue en Afrique n'était pas sa plus grande erreur. » Mais la demande et l'attente des populations locales sont tellement grandes que le temps du doute ne dure pas longtemps. Et Megan aussi va croiser la route de Naïs, clé de voute de ce roman. Son secret la transforme en gibier pourchassé par plusieurs équipes de mercenaires prêts à tout pour la « vendre » au plus offrant.

Ce thriller est de la veine de ceux qui vous captive du début à la fin. Une fois ouvert, vous ne pouvez plus quitter ce delta, cette lutte pour la vie. Naïs et ses secrets vous fascinent. Benjamin et Megan, écorchés de la vie vous touchent. Et même les « méchants » aux parcours si complexes sont une raison supplémentaire de dévorer ces 500 pages d'une traite.
« Les fantômes du delta », Aurélien Molas, Albin Michel, 22 euros