mardi 18 novembre 2008

Roman - Tristes détectives

Même les détectives privés sont frappés par la crise économique. Alain Sevestre en fait un roman à part.

Pétapernal et Mandex. Les noms des deux héros de ce roman d'Alain Sevestre suffisent à eux seuls pour camper cette ambiance étrange. Deux hommes ne vivant que pour leur travail : détectives privés. Mais on est loin des personnages mythiques à la Chandler. Pétapernal et Mandex sont spécialisés dans le recouvrement de dettes. Ce sont eux par exemple qui sonnent chez les particuliers ayant oublié de payer une commande de livres par correspondance.

Un travail long, fastidieux et peu passionnant qu'ils exécutent pourtant avec abnégation. Le matin, ils se retrouvent dans le bureau de l'agence. Pour choisir les affaires à traiter. Mais surtout pour vérifier que le patron n'a pas fait sa réapparition. Car ce dernier, l'âme de cette petite entreprise, a disparu depuis de longs mois. Parti sans laisser d'adresse. 

Les deux employés tentent de faire marcher l'agence seuls, en attendant son hypothétique retour. Ils piochent dans la caisse pour survivre. Mais n'ont bientôt plus assez pour payer électricité ou téléphone. Reste le coffre-fort qui trône derrière le bureau du chef. Ils vont tout faire pour l'ouvrir, avec l'espoir de découvrir un indice pour retrouver la trace du patron...

Eviter la joie

Ce roman atypique (paru en 2005) interpelle le lecteur par son ton volontairement très monocorde. Pas d'éclat ni de passion dans la vie de Pétapernal et Mandex. Ils sont volontairesment effacés, tristes, comme pour se fondre dans la foule de la grande ville. Et quand par malheur ils sont heureux, "ces petits fracas de contentement, ils les réfrénaient très vite." "Par ailleurs, ils se méfiaient aussi de la joie qui eût pu les emporter à s'accorder avec le monde, les gens. Or, non, il ne fallait pas. Rien n'allait. Ça, c'était la base. La moindre joie manifestée avec le premier venu ouvre à la barbarie".

Deux héros tristes, trimbalant leur volonté d'oubli dans des rues grises, croisant des hommes et des femmes dans le besoin, parfois résignés, parfois prêts à tout pour s'en sortir. Les deux amis mettront des semaines et des semaines pour envisager la fermeture de l'agence, la fin de leur travail, une éventuelle reconversion.

Et pour pimenter cette longue descente aux enfers, Alain Sevestre instille un peu de suspense avec le feuilleton du coffre-fort puis de son contenu, et la quête du père par un fils blessé. Sans oublier une touche d'humour avec l'embauche d'une incroyable secrétaire paranoïaque réclamant sans cesse des pauses pour aller... prier. Ce roman se dévore comme on se lance sur un manège rapide, on est grisé au début puis la tête nous tourne et quand c'est fini il ne nous tarde qu'une chose : retourner faire un tour en compagnie de Pétapernal et Mandex.

"Les tristes" d'Alain Sevestre. Editions Gallimard. 17,50 euros.

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